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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean BERGEVIN, “Pour comprendre la «théorie générale» de la société de Robert Fossaert: étude schématique.” Un article publié dans la revue Cahiers de géographie du Québec, vol. 27, no 70 avril 1983, pp. 79-97.

Jean BERGEVIN

Géographe, département de géographie,
Université Laval, Québec.

Pour comprendre
la «théorie générale» de
la société de Robert Fossaert:
étude schématique
.”

Un article publié dans la revue Cahiers de géographie du Québec, vol. 27, no 70, avril 1983, pp. 79-97.

Résumé / Abstract [79]
Introduction [79]
UNE THÉORIE GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ [80]

La société comme objet d’étude [80]
Les niveaux du réel social [81]
La société : une représentation théorique [82]
Les instances
Les formations
La formation sociale
Le système international

Récapitulation des diverses étapes de la démarche [86]

LE NIVEAU ÉCONOMIQUE ET SA CONCEPTUALISATION [87]

L’instance économique [87]
Le Mode de production : ses éléments constituants [90]
La combinatoire des modes de production [90]

-Le processus d’exclusion

LES FORMATIONS ÉCONOMIQUES [96]
UNE CONTRIBUTION ORIGINALE [96]
REMERCIEMENTS [97]
BIBLIOGRAPHIE [97]
CARTOGRAPHIE [97]

[79]

RÉSUMÉ

Dans une œuvre importante dont la parution a débuté en 1977, Robert Fossaert propose une théorie nouvelle de la société. Celle-ci s'appuie sur une définition originale des concepts de société, homme, nature, mode de production, formation sociale, formation économique, formation politique et formation idéologique. Cette conception est illustrée graphiquement.

MOTS-CLÉS : Robert Fossaert, théorie de la société, mode de production, instances, formation sociale.


ABSTRACT

Understanding the General Theory of de Society
According to Robert Fossaert : A Schematic Study

In what must be considered a major work, which began to appear in 1977, Robert Fossaert proposes a new gênerai theory of society. His is an original approach to the concepts of society, man, nature, mode of production, social formation, economic formation, political formation and ideological formation. This is illustrated graphically.

KEY WORDS : Robert Fossaert, theory of society, mode of production, instances, social formation.


INTRODUCTION

En 1977, Robert Fossaert publiait un livre intitulé La société. Une théorie générale. Il s'agissait là du premier tome d'une œuvre qui allait en contenir huit. Presque au même moment, le second terme paraissait sous le titre de La société. Les structures économiques. Depuis, les tomes 3, 4 et 5 sont parus sous les titres de Les appareils (1978), Les classes (1980), Les États (1981). L'oeuvre de Fossaert est ambitieuse puisqu'elle vise à formuler, vérifier et défendre une théorie de la société qui s'appuie sur une conception nouvelle des formations sociales et des modes de production, tout en s'inspirant de la démarche de Marx.

[80]

Ce qui apparaît d'emblée remarquable chez Fossaert, c'est que, tout en rappelant la fécondité de l'œuvre de Marx, il souligne à quel point on peut s'en inspirer, non pour s'assujettir à un quelconque marxisme mais pour innover. Fossaert refuse toute doctrine. Ainsi, il affirme que « la seule critique fondamentale qu'il faille inlassablement adresser au marxisme, c'est d'établir qu'il n'existe pas et qu'il ne peut pas exister » ; ou encore : « Marx est sans cesse à exproprier pour cause d'utilité publique »... Marx est inappropriable, il est dans le domaine public (1977a, p. 25).

Ce disant et ce faisant, Fossaert ne se gêne pas pour aller bien au-delà de ce que Marx a écrit sur le mode de production capitaliste et surtout au-delà de ce que le marxisme orthodoxe et d'église a voulu en tirer sous la tutelle de Staline. Ainsi, Fossaert n'en a que faire du schéma stalinien selon lequel il n'existerait que cinq grands modes de production : communauté primitive, esclavagisme, féodalisme, capitalisme et socialisme (communisme). Non seulement l'œuvre de Fossaert contribue-t-elle, comme d'autres d'ailleurs, à illustrer le méchant simplisme de l'orthodoxie marxiste mais surtout elle le dépasse et le fait presque oublier.

Cela ne revient certes pas à affirmer que la théorie de Fossaert soit sans faille. D'ailleurs, son œuvre, La société, n'est pas encore complétée. Une chose est déjà certaine cependant : cette œuvre est originale et vient enrichir et rafraîchir un domaine important de la littérature en sciences sociales, celui qui porte sur le concept de mode de production, et où l'imagination et la souplesse ne sont pas toujours de rigueur. Elle se compare avantageusement aux meilleures œuvres sur la question et parmi lesquelles on peut souligner les jalons suivants : Terray (1969), Rey (1973), Poulantzas (1974). Foster-Carter (1978), Taylor (1979). Fossaert lui-même présente une synthèse, hélas un peu rapide, des diverses conceptions du mode de production qui prévalent chez les auteurs français (1977b, p.

Mais l'œuvre de Fossaert n'est pas pertinente qu'aux seules sciences « sociales ». Comme l'avait déjà souligné Lacoste dans un compte rendu paru en 1978 (p. 157), l'œuvre de Fossaert reconnaît l'existence et l'importance des problèmes spatiaux. D'où l'intérêt que peuvent prendre les concepts d'analyse qu'il a lui-même proposés aux géographes dans un article paru dans Hérodote en 1979. L'utilité de la démarche de Fossaert en géographie a d'ailleurs été démontrée récemment par Nadeau et De Koninck (1982) et réaffirmée par Lacoste (1982).

L'intention ici n'est donc pas tellement d'analyser et de démontrer la validité de la démarche de Fossaert mais simplement de l'illustrer, au sens strict du terme. Ce qui suit est en quelque sorte une « étude bibliographique », un review article d'un genre particulier : cela consiste à serrer de très près la théorie de Fossaert, en citant abondamment celui-ci et en reprenant sous formes de schémas ses principaux concepts. Ainsi, sera-t-il peut-être possible de faire mieux connaître La théorie générale de la société et de susciter la lecture de l'œuvre de Fossaert.


UNE THÉORIE GÉNÉRALE
DE LA SOCIÉTÉ


La société comme objet d'étude



Les ordres de réalité

« La société est une réalité d'un autre ordre que la nature ou que l'homme. Chaque ordre de réalité a ses structures propres, ses lois propres ».
(Fossaert, 1977a, 29).

[81]

Figure 1

LES ORDRES DE RÉALITÉ



Avant de poursuivre, rappelons ce qu'est une société. La société, c'est « l'immense faisceau de relations » entre les hommes. Elle est faite de ce que font les hommes ; « non pas des produits, ni même de la production, mais bien des rapports de production, de domination, de communication (c'est-à-dire d'idéologie) » (ibid., 12). Désormais, les lettres S, N et H signifieront respectivement Société, Nature et Homme.

« Les coupures N/S ou N/H sont communément admises. La coupure entre S et H est beaucoup plus discutée. On en fait, ici, une hypothèse générale » (ibid.)



Les niveaux du réel social

« La société, comme la nature, se différencie en plusieurs niveaux (...). Tous les objets sociaux — c'est-à-dire toute les relations sociales — sont le produit de l'activité des hommes et c'est par la spécialisation de cette activité, par la division sociale du travail, que la différenciation s'est opérée. La formation des États a singularisé le niveau politique ; l'explosion des formes marchandes et industrielles de la production et de l'échange, a révélé toute l'importance du niveau économique ; et l'on s'est peu à peu aperçu que le reste de l'activité sociale, (...), présente une unité profonde et constitue le niveau idéologique de la société » (ibid.)

Sur la tranche du « bloc-société » apparaissent les trois niveaux du réel social. L'ordre de superposition des divers niveaux ne veut nullement rendre compte de l'importance relative de chacun d'eux dans le réel social. Cependant, on reconnaît avec Fossaert que l'économie est, en dernière instance, déterminante car c'est elle qui assure la production et la reproduction de la « vie réelle ».

[82]



« Les trois niveaux du réel social, ainsi repérables aux effets les plus massifs de la division sociale du travail, ne sont pas la marque de toute société, ils ont une histoire. (...) ils n'ont cependant jamais une valeur absolue : toutes les relations sociales, (...), sont activées par des hommes qui participent simultanément à de multiples autres relations sociales de tous les niveaux » (ibid., 30).

« Il en va de même dans l'espace international où le commerce n'est jamais purement économique, ni la guerre purement politique, ni le rayonnement culturel purement idéologique » (ibid., 110).

« Bref, la réalité sociale demeure un enchevêtrement insécable » (ibid., 30).



La société : une représentation théorique

Les instances

« Pour représenter la société, la méthode de Marx conduit à distinguer trois instances : économique, politique et idéologique. (...) Les instances sont des procédures d'investigation propres à la représentation du réel social. C'est la différenciation réelle des sociétés qui a permis de concevoir les procédures instancielles. (...) Chaque instance correspond à un procès d'investigation. La même réalité sociale est soumise à plusieurs instances ». (Fossaert, 1977a, 30-31) ou, si l'on préfère, à plusieurs procédures d'investigation.

« Chaque instance est totalisante. Elle saisit toute la société (...), elle la saisit sous l'angle partiel de l'une des trois activités fondamentales. (...) chacune des trois instances donne donc, de la structure sociale, une représentation systématique, mais partielle et atrophiée » (Ibid., 32).

Afin de saisir correctement le caractère partiel et atrophié de la représentation instancielle, il est intéressant d'établir un parallèle entre un tel mode d'investigation et l'usage de filtres en photographie.

Collons notre œil au viseur d'une caméra tout en la pointant en direction d'un sujet quelconque : par exemple, un paysage pour les géographes. Répétons les mêmes gestes mais cette fois en ayant soin d'installer préalablement un filtre devant la lentille de l'appareil. Voilà ! Le sujet nous apparaît, comme précédemment, dans sa totalité. Mais, bien que le sujet visé soit le même, l'image n'a pas la même intensité, la même richesse.

[83]

Figure 3

LA REPRÉSENTATION INSTANCIELLE
DE LA SOCIÉTÉ À L'AIDE DU “SOCIÉTOSCOPE”




Note : Le terme "sociétoscope" n'apparaît pas dans l'oeuvre de Robert Fossaert. Il m'a été suggéré par Rodolphe De Koninck.

[84]

Cela est dû, bien sûr, au filtre utilisé lequel ne laisse passer que certaines ondes de lumière. L'instance, en tant que procédure d'investigation, procède du même phénomène. Elle saisit globalement son objet, c'est-à-dire la société, tout en nous rendant aveugles aux déterminations émanant des deux autres niveaux.

« Dans la réalité d'une société (...) le système des déterminations qui opèrent en un point, ne peut jamais être réduit à ce que fait apparaître l'une ou l'autre instance ; d'autres déterminations, repérables par les autres instances (...) surdéterminent ce qui se laisse apercevoir dans ladite instance.

Une permanente attention au jeu des surdéterminations est la meilleure des précautions méthodologiques contre l'impérialisme des représentations atrophiées. Par exemple, contre le risque de tomber dans un déterminisme économique » (ibid., 32).

Les formations

« Respectivement, elles (les instances) caractérisent la société comme formation économique, comme formation politique et comme formation idéologique » (ibid., 32).

Les nouveaux concepts que l'on abrège en FE, FP et FI peuvent être définis de la façon suivante :

1) Une formation économique (FE) est, pour reprendre les mots de Bettelheim « une structure complexe à dominante » (in Fossaert, 1977b, 16). De façon plus précise, il s'agit d'« un système de plusieurs MP placé sous la domination de l'un d'entre eux, système où chacun de ces MP, le dominant comme les dominés est plus ou moins transformé, de par leurs interactions » (ibid., 198). Les « particules atomiques » que sont les MP se « divisent » à leur tour en cinq « particules sub-atomiques » que nous nous contenterons, pour le moment, d'énumérer quitte à y revenir plus tard. Ces particules élémentaires sont : le travailleur, le propriétaire, les moyens de travail, la relation de propriété et la relation de production. Quant au mode de production (MP), il « est une forme spécifique des rapports de production et d'échange, c'est-à-dire des relations sociales régissant la production et la reproduction des conditions matérielles requises pour la vie des hommes-en-société » {ibid., 26).

2) « Analysée comme « machine à produire », la société révèle l'aspect économique de sa structure, sa FE. La FP est un autre aspect de la même structure sociale, celui que révèle l'analyse de la société comme « machine organisée pour maintenir sa cohérence ». « En ce sens, une formation politique, c'est d'abord un État (...) c'est-à-dire une certaine forme de domination rendue nécessaire par la nature même des classes dont la société se compose, et rendue efficace par la disposition d'un certain type d'appareil d'État » (Fossaert, 1981, 229). Toutefois « aucun État ne dispose jamais du monopole du pouvoir en société. Tout État doit composer avec un vaste réseau de pouvoirs qui s'affirment à côté de lui et souvent contre lui » (ibid., 230). Ce réseau parallèle, c'est la société civile (SC). Bref, « toute FP se définit comme l'assemblage — inégal et conflictuel — d'un certain type d'État et d'un certain type de société civile » (ibid.,)

3) « La formation idéologique d'une société — ou FI — désigne l'agencement structurel où sont inscrites toutes les activités sociales par lesquelles les hommes en société se représentent leur monde » (Fossaert, 1977a, 100).

[85]

Figure 4

LA FORMATION SOCIALE
ET LE SYSTÈME  INTERNATIONAL



[86]

La formation sociale

« Au-delà des investigations instancielles, la représentation de la société comme totalité requiert deux démarches intégratrices. L'une vise à articuler entre elles les représentations partielles que sont la FE, la FP et la FI. Elle tend à concevoir, dans son unité, la formation sociale. La société est une réalité. La formation sociale est son concept » (Fossaert, 1977a, 32).

Cette dernière « unifie et condense toutes les déterminations déjà repérées dans les FE, FP et FI. (...) c'est la structure d'une société en tant que système intégré, en tant qu'objet social (ibid, 125).

Le système international

« La seconde démarche a pour objet d'inscrire les FS singulières, dans le système international — ou intersocial — qu'elles forment toutes ensemble, dans un temps donné. Ce système international n'est pas à concevoir comme l'extérieur des sociétés ou comme un tissu intersticiel les conjoignant ; il est formé par les entrelacs des sociétés effectivement coexistantes, il les pénètre intimement » (ibid., 33)

Soit, mais il est « faux de croire que toute société est bien intégrée » (ibid., 136). « La dépendance internationale désintègre les sociétés. (...) À des degrés divers, toutes les situations de dépendance économique, politique ou culturelle sont, de même, capables de décentrer et de déstabiliser une société, bref de déconstruire son intégration » (Fossaert, 1977a, 136).

Récapitulation des diverses étapes
de la démarche


— Il existe trois (3) ordres de réalité : la Nature (N), l'Homme (H) et la Société ou le réel social (S).

— On doit effectuer des coupures méthodologiques entre la Nature et l'Homme, la Nature et la Société et poser l'hypothèse d'une coupure entre la Société et l'Homme, si on veut rendre intelligible le réel social.

— La théorie générale délaisse l'homme pour se concentrer exclusivement sur ce qui se passe entre les hommes.

— La division sociale du travail permet la différenciation du réel social (la Société) en trois (3) niveaux : l'économique, le politique et l'idéologique.

— L'activité des hommes-en-société ne peut être confinée à un seul des trois niveaux identifiés. Elle participe simultanément de ces trois niveaux d'où l'enchevêtrement insécable de la réalité sociale.

— Pour se représenter la société il faut recourir à une méthode d'investigation qui procède par analyse instancielle.

[87]

— Les trois (3) instances (économique, politique et idéologique) ont la capacité respective de donner une image systématique mais atrophiée de la Société.

— L'information repérée par une instance est également soumise à un faisceau d'informations émanant des deux (2) autres instances ; il y a donc surdétermination.

— La démarche instancielle conçoit des structures plus complexes appelées « formations » :

* l'instance économique engendre la formation économique ;
* l'instance politique engendre la formation politique ;
* l'instance idéologique engendre la formation idéologique.

— L'intégration de l'information contenue dans les trois (3) fonctions s'opère :

* par l'articulation de celles-ci à l'intérieur de la formation sociale (FS) ;
* par l'inscription des formations sociales dans le système international.

Figure 5

MODE DE PRODUCTION ET SOCIÉTÉ




LE NIVEAU ÉCONOMIQUE
ET SA CONCEPTUALISATION


L'instance économique

« L'instance économique tend à représenter l'ensemble des pratiques et des structures sociales relatives à la production de la vie matérielle de la société. Le concept central à partir duquel elle s'organise est celui de mode de production » (Fossaert, 1977a, 35).

[88]

Figure 6

les Éléments constituants d'un mode de production

ÉLÉMENTS 1-2-3



LE TRAVAILLEUR (T) "C'est un ensemble organique d'individus distincts, dont les rôles, les métiers, les statuts, peuvent être différents, mais qui forment la collectivité des forces de travail indispensable à un MP donné, qui constituent le travailleur sans lequel ce MP ne peut exister" (1977b. 34)

LE PROPRIÉTAIRE (P) "Dans tout MP, les agents qui ont la capacité pratique et immédiate de disposer des moyens de production, constituent l'élément P, (...). Disposer des moyens de production, c'est pratiquement être en mesure de les mettre en oeuvre ou de les faire mettre en oeuvre" (ibid., 54)

LES MOYENS DE TRAVAIL (MT) Fossaert dissocie les moyens de production en deux catégories distinctes à savoir : les moyens de travail et les objets de travail. "Ces derniers vont de la matière première, tirée du donné naturel, à la gamme infinie des produits en cours de transformation. Les moyens de travail pour leur part, sont toujours d'anciens objets de travail" (ibid.. 78) ; les prolongements du travailleur dans son activité de production.

ÉLÉMENT 4



LA RELATION DE PROPRIÉTÉ (relation A)   Ici, "c'est la relation réelle de propriété qui nous intéresse, c'est-à-dire la relation qui précise de quoi se composent les moyens de production et quels effets entraîne leur disposition" (ibid., 97)

ÉLÉMENT 5



LA RELATION DE PRODUCTION (relation B)   Elle "est à la jointure de deux rapports - de deux systèmes de rapports. D'un coté : le système des rapports entre la société et la nature, pour approprier celle-ci aux besoins de celle-là ; la production matérielle en somme. D'un autre coté : le système des rapports, internes â la société, selon lesquels s'organisent la production matérielle et ses corollaires que sont la distribution, l'échange et la consommation." (ibid., 117)



Les éléments T (travailleur), P (propriétaire) et HT (moyens de travail) ont des correspondances matérielles à l'intérieur des autres ordres de réalité. On réfère alors à des manifestations élémentaires"

[90]

Le Mode de production :
ses éléments constituants


« Un mode de production est un objet théorique nécessaire à la représentation d'une société donnée » (Fossaert, 1977b, 14).

« Chaque mode de production est une forme spécifique des rapports de production et d'échange, c'est-à-dire des relations sociales régissant la production et la reproduction des conditions matérielles requises pour la vie des hommes-en-société » (ibid., 27).

Tout mode de production est caractérisable « comme une relation entre les propriétaires de moyens de production et des travailleurs qui mettent ces moyens en oeuvre. Relation duelle, c'est-à-dire dédoublée en deux aspects dialectiquement liés : d'un côté, une relation de propriété qui règle les modalités selon lesquelles les moyens de production peuvent être mis en oeuvre et la destination qui doit être donnée au produit que cette mise en œuvre procure : d'un autre côté, une relation d'appropriation réelle, c'est-à-dire une relation de propriété et une relation de production » (Fossaert, 1977b, 29).

« Un mode de production n'inclut pas un type d'État ou un type d'agencement idéologique, même si, (...), il exerce une influence décisive ou déterminante sur l'organisation et le fonctionnement de l'État et de l'idéologie » (ibid., 27).

« La société est cette chose abstraite, ce filet de relations ou les hommes sont pris, cette structure qui peut sembler immatérielle, parce qu'elle est relationnelle. Chacun des cinq éléments de tout MP participe de cette structure, chacun désigne un petit morceau du réseau, du tissu des rapports sociaux » (ibid., 130).

« Les éléments sont des êtres de raisons, des concepts théoriques destinés à rendre intelligible le réel social » (ibid., 130).

« Les particules élémentaires des MP, définies dans les typologies ad hoc, sont des concepts élaborés à partir de l'observation du réel social » (ibid., 131).

« ... chaque élément implique dans sa définition, chacun des quatre autres éléments. C'est qu'en effet, les éléments T, P, MT, A et B, n'ont pas d'existence réelle autonome » (ibid., 130).



La combinatoire des modes de production

« Il faut bien voir, aussi, que les règles régissant la combinatoire des MP ne s'apparentent pas à un exercice de logique formelle. Elles sont la formalisation d'une dialectique sociale » (Fossaert, 1977a, 38).

La combinatoire « ne permute pas, elle n'engendre pas, mais elle cristallise : elle rend compte des formes de MP qui naissent de la rencontre de formes pertinentes des divers éléments » (Fossaert, 1977b, 136-137).

« ... elle n'engendre pas les éléments qu'elle combine et, de ce fait, elle demeure ouverte au surgissement des formes nouvelles que peut prendre tel ou tel élément, dans le fonctionnement concret d'une Fe » (ibid., 139).

« ... elle va permettre de rendre intelligibles les MP présents et passés. D'autre part, elle va permettre de fonder, sur une base solide, l'ensemble de la théorie sociale, l'ensemble de la représentation du réel social, et, de ce fait, elle va autoriser une étude rationnelle des tendances à l'oeuvre dans le réel social, des promesses et des menaces d'avenir, dont il est équivoquement porteur » (ibid., 140).

[91]

Tableau 1

Les cinq particules élémentaires
de tout mode de production (MP)
selon Robert Fossaert

1)   Le travailleur (T) : « C'est un ensemble organique d'individus distincts, dont les rôles, les métiers, les statuts, peuvent être différents, mais qui forment la collectivité des forces de travail indispensable à un MP donné, qui constituent le travailleur sans lequel ce MP ne peut exister » (1977b, 34).

2)   Le propriétaire (P) : « Dans tout MP, les agents qui ont la capacité pratique et immédiate de disposer des moyens de production, constituent l'élément P, (...). Disposer des moyens de production, c'est pratiquement être en mesure de les mettre en œuvre ou de les faire mettre en oeuvre » {ibid., 54).

3)   Les moyens de travail (MT) : Fossaert dissocie les moyens de production en deux catégories distinctes à savoir : les moyens de travail et les objets de travail. « Ces derniers vont de la matière première, tirée du donné naturel, à la gamme infinie des produits en cours de transformation. Les moyens de travail pour leur part, sont toujours d'anciens objets de travail » {ibid., 78) ; les prolongements du travailleur dans son activité de production.

4)   La relation de propriété (relation A) : Ici, « c'est la relation réelle de propriété qui nous intéresse, c'est-à-dire la relation qui précise de quoi se composent les moyens de production et quels effets entraîne leur disposition » (ibid., 97).

5)   La relation de production (relation B) : Elle « est à la jointure de deux rapports — de deux systèmes de rapports. D'un côté : le système des rapports entre la société et la nature, pour approprier celle-ci aux besoins de celle-là ; la production matérielle en somme. D'un autre côté : le système des rapports, internes à la société, selon lesquels s'organisent la production matérielle et ses corollaires que sont la distribution, l'échange et la consommation » (ibid., 117).


Le recours à l'Histoire permet de formuler l'équation suivante soit :

— quatre (4) types de moyens de travail ;
— cinq (5) types de travailleurs ;
— cinq (5) types de propriétaires ;
— cinq (5) types de relations de propriété ;
— cinq (5) types de relations de production.

Ce qui donne, mathématiquement parlant, une possibilité de 4 x 54 MP ou encore 2 500 modes de production.

[92]

Figure 7

LA COMBINATOIRE DES MODES DE PRODUCTION



[93]



Note : FOSSAERT explique les “occurrences multiples” (apparition d’un même MP élémentaire à l’intérieur de deux ou trois MP types) par la variation d’un des éléments. Ce phénomène, sans changer la forme de la combinaison, peut en modifier suffisamment le thème et, par le fait même, le classement.

[94]

Le processus d'exclusion

« (...) on dégagera, du stock potentiel des 2500 combinaisons, toutes celles qui sont possibles (...) Mais comment reconnaître les combinaisons possibles ? Par de patientes exclusions. (...) chaque type d'un élément donné se définissant par rapport à d'autres éléments » (Fossaert, 1977b, 141).

Figure 8

COMMENT SE COMBINENT
LES ÉLÉMENTS PROPRIÉTAIRE ET TRAVAILLEUR
(le processus d'exclusion)



« À la sortie, tous recoupements dûment opérés, quarante-deux combinaisons seulement ont survécu. Est-ce à dire qu'il existe ou qu'il a existé 42 modes de production, pas un de plus, pas un de moins ? En fait, leur nombre réel est beaucoup plus grand, mais on est en droit d'en raccourcir sensiblement la liste » (ibid., 143).

« Convenons d'appeler les 42 produits de la combinatoire, du nom de MP élémentaires. (...) on peut aussi considérer les 42 MP élémentaires comme la matière première d'agrégats de plus grande échelle, mieux aptes à entrer dans la conception de FE » (ibid., 146-147).

« Si donc, on rassemble en une même unité « les » formules qui ont un radical commun, que fera-t-on ? Formellement, on écrira une formule unique qui, pour deux éléments, sera spécifiée, non par une forme fixe, mais par les limites de variation dans lesquelles les formes de ces éléments pourront se déplacer » (ibid., 148).

« Les MP élémentaires sont des espèces distinctes, que l'on rencontre, dans le réel social par genres, des variations multiples que l'on peut regrouper selon leurs caractères principaux » (Fossaert, 1977a, 39).

« Chacune de ces catégories désigne une grappe homogène de MP élémentaires. (...) les grappes de MP ne sont pas des commodités d'écriture, ni des agrégats empiriques » (Fossaert, 1977b, 154). Si on compare les 15 « modes de production-types » ainsi définis à des molécules, « on pourrait (...) dire qu'ils constituent de véritables macromolécules, des macro-MP » (ibid., 154).

« (...) on attachera le nom de MP, non pas aux variantes élémentaires (les 42 variantes dont il fut question précédemment)*, mais bien aux groupes homogènes où on les aura rassemblées (...) » (Fossaert, 1977a, 39).


[95]

LES FORMATIONS ÉCONOMIQUES



[96]

Il importe de souligner que dans le réel social les conditions de la combinaison des éléments fondamentaux ne sont pas automatiques ni uniformes. Ainsi deux éléments peuvent être combinés entre eux sans condition, alors que dans certains cas leur combinaison n'est possible qu'avec l'intervention d'un élément complémentaire. Enfin, il existe des combinaisons impossibles. Ajoutons que les mêmes combinaisons peuvent apparaître dans divers modes de production.


LES FORMATIONS ÉCONOMIQUES

« ... la FE (formation économique) nous donnera, de la société, une image plus concrète que ne peut le faire le MP ». (Fossaert, 1977b, p. 199)

« ... la FE doit être une représentation de la société totale : la représentation de tout ce que l'instance économique permet de voir d'une société donnée », (ibid., p. 145)

« En règle générale, chaque FE est un système de plusieurs MP placés sous la domination de l'un d'entre eux, système où chacun de ces MP, le dominant comme les dominés, est plus ou moins transformé, de par leurs interactions », (ibid., p. 198)

« L'objectif est donc, ici, de recenser les diverses configurations qui peuvent singulariser une FE : MP isolés, MP dominants, MP co-dominants. Cela ne suffit pas à définir chacune d'elles, mais permettra de commencer à reconnaître leurs thèmes », (ibid., p. 336)

« On ne prendra pas en considération les MP1, ni les FE1, qui sont deux groupes hétérogènes dont la connaissance demeure trop imprécise, pour qu'on puisse les inclure dans une démarche logique », (ibid.,     )

« Le poids du passé et les péripéties du présent se conjuguent pour établir et modifier les différences qui singularisent chaque structure souple, comme la gamme des variations possibles sur un thème bien fixé. Le ou les MP dominants, les articulations qu'ils projettent et la série des MP dominables fixent le thème, le poids effectif de MP dominés et la forme de leur survie ou de leur ruine constitue les variations qui modulent le thème commun ». (ibid., p. 334)

« ... les FE antérieurement constituées ne sont généralement pas en mesure d'incorporer ces nouveaux MP et de les subordonner ; si ces MP prennent force en leur sein, les FE en seront le plus souvent transformées. Les dix-huit (18) configurations recensées (...) expriment très précisément les diverses transformations qui peuvent advenir de la sorte ». (ibid., p. 345)


UNE CONTRIBUTION ORIGINALE

Plutôt que de conclure selon les normes, on se contentera ici de rappeler les propositions qui permettent d'affirmer l'originalité de l'œuvre de Fossaert.

1) L'instance économique (IE) tend à représenter les pratiques et les « effets sociaux » relatifs à la production des biens matériels.

2) L'observation de la société nous conduit à identifier cinq éléments qui, amalgamés dans le réel social, « concourent à la production » des biens matériels.

3) Parmi ces éléments, on retrouve les moyens de travail (MT) qui se « subdivisent » en quatre types alors que chez les travailleurs, les propriétaires, la relation de propriété et la relation de production, on identifie pour chacun cinq types particuliers.

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4) L'Histoire qui a permis le repérage des types précédents nous fournit également la possibilité de les permuter pour en établir des combinaisons.

5) Des multiples combinaisons possibles (2 500), on retient 42 modes de production élémentaires ou, plus précisément, des variantes des MP-types. En fait, en tenant compte des caractéristiques communes à ces 42 variantes, on retient 15 MP-types. Ce sont désormais ces derniers que Fossaert affublera, par commodité, du nom de mode de production.

On conçoit aisément que les propositions de Fossaert reposent sur une démarche imaginative, large et rigoureuse. C'est ce que ce travail a voulu illustrer tout en laissant aux écrits mêmes de Fossaert le soin d'assumer leur rôle : celui d'être soumis aux tests de la recherche.


REMERCIEMENTS

Ce travail a d'abord été réalisé dans le cadre du séminaire GGR-62751, Modes de production et espaces régionaux réalisé au département de géographie de l'université Laval au trimestre d'hiver 1982. J'ai pu alors bénéficier des remarques de la dizaine de participants à ce séminaire et en particulier de celles de Jean Nadeau et Rodolphe De Koninck. Une première version du texte est d'ailleurs parue dans un recueil édité par ces deux auteurs (1982). À la suite de remarques obtenues auprès de plusieurs personnes, la version publiée ici a été préparée en étroite collaboration avec R. De Koninck au niveau du texte et avec Louise Marcotte au niveau des illustrations.


BIBLIOGRAPHIE

FOSSAERT, Robert (1977a) La société, tome 1, Une théorie générale. Paris, Éditions du Seuil, 165 pages.

(1977b) La société, tome 2, Les structures économiques. Paris, Éditions du Seuil, 514 pages.

(1978) La société, tome 3, Les appareils, Paris, Éditions du Seuil, 439 pages.

(1979) « À propos de l'Europe, de Marx et de la géographie », Hérodote, nos 14-15. Paris, Maspero, pp. 171-211.

(1980) La Société, tome 4, Les classes. Paris, Éditions du Seuil, 491 pages.

(1981) La Société, tome 5, Les États. Paris, Éditions du Seuil, 565 pages.

FOSTER-CARTER, Aidan (1978) « The Modes of Production Controversy », New Left Review, janvier-février 1978, no 107, pp. 47-77.

LACOSTE, Yves (1978) « Robert Fossaert : "La Société" ». Hérodote, 10, pp. 155-159.

(1982) « Robert Fossaert : les tomes 3-4-5 de la Société », Hérodote, 25, pp. 152-156.

NADEAU, Jean et DE KONINCK, Rodolphe (éditeurs) (1982) « De l'analyse de la société à celle du territoire ».  Notes et Documents de Recherche, no 16, Québec, Département de géographie, Université Laval, 200 pages.

POULANTZAS, Nicos (1974) Les classes sociales dans le capitalisme d'aujourd'hui. Paris, Éditions du Seuil, 347 pages.

REY, Pierre-Philippe (1973) Les alliances de classes. Paris, Maspero, 221 pages.

TAYLOR, John G. (1979) From Modernization to Modes of Production. London, MacMillan, 335 pages.

TERRAY, Emmanuel (1969) Le marxisme devant les sociétés "primitives". Paris, Maspero, 190 pages.


CARTOGRAPHIE

Conception : Jean BERGEVIN, Andrée G.-LAVOIE, Louise MARCOTTE

Réalisation : Andrée G.-LAVOIE

Photographie : Serge DUCHESNEAU



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 octobre 2018 15:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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