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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Luc Gouin,LE COMMISSAIRE ET LE DÉTECTIVE. Recension de deux biographies récentes sur Hegel.” Comptes rendus. Un article originalement publié dans la revue Nuit blanche, no 80, octobre 2000. Texte légèrement modifié en janvier 2010 par l’auteur. [Autorisation accordée par l'auteur le 26 mai 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Luc Gouin

PhD, Philosophe québécois et infatigable polémiste

LE COMMISSAIRE ET LE DÉTECTIVE.
Recension de deux biographies récentes sur Hegel.”
Compte rendu.





Un article originalement publié dans la revue Nuit blanche, no 80, octobre 2000. Texte légèrement modifié en janvier 2010 par l’auteur.








  • Jacques D’HONDT, Hegel. Biographie. Paris, Calmann-Lévy, « Les vies des philosophes », 1998.

  • Horst ALTHAUS, Hegel. Naissance d’une philosophie. Une biographie intellectuelle. Traduction française de Hegel und die heroischen Jahre der Philosophie [1992], par Isabelle Kalinowski. Paris, Seuil, 1999.

L’esprit est l’accord vivant du divers

H


Georg Wilhelm Friedrich HEGEL vécut à cheval sur deux siècles. Né à Stuttgart le 27 août 1770, il mourut vraisemblablement du choléra à Berlin, capitale de la Prusse, le 14 novembre 1831. Il connut donc, outre la Révolution française et la naissance puis la chute de l’Empire napoléonien, le traité de la Sainte-Alliance de 1815 (Autriche/Hongrie - Russie – Prusse) et les Accords consécutifs de Carlsbad en 1820 – lesquels devaient mater pour un temps toute velléité de contestation du régime politique et social européen né de la Restauration (au moins jusqu’à la Révolution de 1848, en dépit des effervescentes Journées de juillet 1830).

Il est difficile aujourd’hui de nous représenter le climat historique et culturel exceptionnel qui prévalut au tournant du XIXe siècle en Europe. Dans la foulée de ladite Révolution, bien campée dans le siècle des Lumières, ainsi que du continuateur / fossoyeur d’icelle en la personne de Napoléon (« Cette âme du monde concentrée sur un point, montée sur un cheval », ainsi que le décrit Hegel alors qu’il le voit passer sous sa fenêtre à Iéna ce fameux soir d’octobre 1806), tout ce qui était « pensant » à l’époque (intelligentsia allemande comprise) a vibré religieusement aux sirènes de l’Histoire en marche. « Un splendide lever de soleil » s’était pointé sur l’horizon du monde. Songeons de même un instant à ces Goethe, à ces Schiller, aux frères Schlegel, aux Novalis et aux Jacobi, à ces Humboldt et ces Schleiermacher aussi, se fréquentant dans les salons et les universités de Weimar, Berlin ou Iéna la romantique. Songeons à cette période fabuleuse de l’Idéalisme allemand (les heroischen Jahre der Philosophie, comme l’écrit Horst Althaus d’entrée de jeu) qui, en quelques décennies à peine, offrit à l’humanité les plus grands textes de philosophie (Kant, Fichte, Schelling, Hegel et leurs coryphées). Songeons enfin que ces deux derniers ont évolué avec Hölderlin, immense poète, dans les modestes salles de cours d’un quelconque Stift de Tübingen – miracle aussi probable que la rencontre adolescente et la fraternisation authentique d’un Léonard de Vinci, d’un Beethoven et d’un Platon dans un vague collège de Chibougamau...

Bien que des biographies importantes aient été publiées à ce jour en allemand (dont celle de Karl Rosenkranz dès 1844) *, voici coup sur coup les deux tout premiers ouvrages du genre désormais disponibles en langue française. Nous avons lu ces mille et quelques pages, qui nous ont fait voyager dans les méandres de sentiments contradictoires. Plus de 165 ans après la mort du penseur, il devenait gênant sinon indécent qu’une véritable biographie française du Herr Professor ne fût toujours pas accessible. C’est chose faite, et deux fois plutôt qu’une. Saluons l’événement. D’emblée, le connaisseur regrettera toutefois de ne pas assister à de nouvelles révélations eu égard aux travaux déjà parus. Il faudra donc en l’occurrence chercher l’originalité dans le style et la manière propre des auteurs recensés.

On retrouvera dans ce foisonnement d’informations les ingrédients habituels du genre, de l’anecdote aux grandes décisions prises ou subies par le personnage principal. Une première particularité, notable, réside dans le caractère tout à la fois biographique et théorique des deux titres. On alterne du détail événementiel à l’analyse circonscrite de textes par ailleurs souvent difficiles du philosophe. Horst Althaus abusera singulièrement du procédé, compte tenu de ses assises philosophiques moins établies que celles de Jacques D’Hondt, lequel est un spécialiste français déjà bien affirmé de l’oeuvre hégélienne. En effet, s’il réussit à donner une idée assez claire de certains travaux, le biographe allemand ne parvient que fort laborieusement à nous entretenir des oeuvres majeures de Hegel (dont la Phénoménologie de l’Esprit, la Logique et l’Encyclopédie). En revanche, c’est avec un réel bonheur qu’il entre dans le détail journalier. En outre, le lecteur aura l’occasion en quelques pages ici et là de se familiariser avec les plus marquants épigones du maître (ou pourfendeurs comme Schopenhauer), tels Ludwig Feuerbach, Bruno Bauer, David F. Strauss ou Karl Marx.


Le Politique

Les deux biographies insistent largement sur la « stature politique » du philosophe, et ce dans son oeuvre comme dans sa vie personnelle et sociétale. De tout temps, depuis que l’on interroge sa réflexion, cette dimension de l’individu nourrit sans désarmer la discussion et les débats chez les hégéliologues et hégéliens de toutes tendances. Or il faut bien admettre qu’en la matière Althaus dérape vers une interprétation qui relève assez nettement du préjugé. De bout en bout de son ouvrage – « La perspective conservatrice qui caractérise les vues politiques de cet universitaire prussien... » (p.13), « l’homme de la Restauration monarchiste de stricte observance, adversaire du libéralisme... » (p. 556) – se voit ainsi distillée l’image d’un Hegel « serviteur avéré de la couronne » (p. 300). Les formules assassines se répètent inlassablement. À force de marteler le même clou dans un pareil noeud de chêne, on tombe hélas dans la caricature. Regrettable.

L’approche ‘détective’ de D’Hondt se révèle non seulement beaucoup plus nuancée, parce que mieux étayée, mais celui-ci parvient à des conclusions diamétralement opposées à celles d’Althaus. On n’a pas idée, à nos yeux contemporains d’Occidentaux démocrates [?], combien il était risqué à l’époque, dans la patrie de Luther, de se déclarer tout bonnement athée ou républicain... Aussi fallait-il pour l’esprit critique et ou frondeur se montrer extrêmement rusé avec les autorités, de quelque ordre ou niveau qu’elles fussent. D’où chez Hegel des textes qu’il a préféré ne jamais publier de son vivant, ainsi que le tissage d’un réseau privé d’amitiés et de relations auprès de personnalités parmi les plus critiques et contestataires, voire subversives, de l’ordre dit établi de son temps. Sa correspondance personnelle se montre à cet égard très éclairante (nonobstant les passages inexplicablement expurgés par Jean Carrère dans sa traduction française des Briefe !). Il en est de même de ses cours (notamment aux universités de Heidelberg et de Berlin), qui « complétaient » oralement les oeuvres éditées dans lesquelles il ne pouvait, sinon en l’emballant soigneusement dans des formulations sibyllines afin de contrer la censure, communiquer en toute transparence le fond de sa pensée. Loin du philosophe thuriféraire de l’État, il faut plutôt voir en Hegel l’un des très rares grands esprits du moment à être allés aussi loin dans la dénonciation du « réel concret » de son pays. Et ce, depuis l’encrier jusque dans ses actes civiques.


Du Particulier à l’Universel

Une biographie, c’est aussi le quotidien d’un homme et donc la mise en perspective d’éléments d’ores et déjà (assez bien) connus, mais sous un faisceau d’informations pour leur part beaucoup moins publiques. Sur ce plan, les deux auteurs se rapprochent considérablement. On y dévoile un Hegel d’origine modeste sinon fruste et qui, somme toute, n’a jamais connu une vie facile ou aisée. Si les soucis financiers ne l’ont jamais quitté totalement, il eut également à supporter un assez lourd bagage existentiel. Il perdit sa mère très jeune, sa soeur Christiane Louise ‘perdit’ pour sa part la raison en 1815, alors que son frère Ludwig trouva la mort (sous les couleurs françaises) dans la terrible Campagne de Russie de 1812. Le philosophe de l’abstraction... eut par ailleurs un fils naturel avec sa logeuse des années d’Iéna (Ludwig né en 1807, année de parution de la Phénoménologie). Il le reconnut sans ambages, mais l’enfant resta pour lui sa vie durant une source de tracas – et réciproquement, selon toute vraisemblance. Il épousa Maria von Tucher le 16 septembre 1811 à Nuremberg, où elle lui donna deux fils en 1813 et 1814 : Karl et Immanuel (comment à l’instant ne pas penser à Marx et à Kant, qui portèrent respectivement ces mêmes prénoms, et entre lesquels incidemment – comme faucille entre marteau et enclume… – se loge historiquement et intellectuellement son œuvre ?). À ses noces, l’homme de 41 ans avait déjà deux fois l’âge de sa moitié. Dans ces années fort riches en événements privés, le professeur enfantait simultanément (1812-1816) les trois tomes de l’une des oeuvres philosophiques les plus difficiles et les plus pénétrantes de tous les temps : Die Wissenschaft der Logik (La Science de la Logique).

Hegel n’est pas de ces hommes dont on dit qu’ils furent dès le berceau bénis des dieux. Travailleur acharné, il fréquenta l’école dès l’âge de trois ans pour bientôt y maîtriser le latin, le grec, le français et même l’hébreu. Tite-Live et les Tragiques grecs occupaient déjà son esprit à l’âge où, aujourd’hui encore, on sait à peine lire. Contrairement à Schelling ou Goethe, par exemple, qui semblaient réussir tout ce qu’ils entreprenaient sans avoir l’air d’y toucher, ou peu s’en faut, le succès n’est jamais venu simplement à ce philosophe que d’aucuns, et non sans de solides raisons, estiment plus incontournable encore que Platon, Aristote ou Kant, Heidegger a fortiori.

Bref, s’il est opportun et à vrai dire essentiel, pour un connaisseur de l’oeuvre hégélienne, de se mettre à la lecture d’une biographie fouillée du penseur, reste que pareille activité littéraire peut susciter également l’intérêt du non-hégéliologue, voire du non-philosophe. Car en filigrane c’est à l’histoire générale d’une époque, extraordinaire au demeurant, on l’a dit, que nous nous voyons finalement ici conviés.


Chipotage

Par-delà quelques rares erreurs (toutes mineures, notamment de dates), en particulier chez D’Hondt, et même des imprécisions de syntaxe quelquefois, il faut en outre regretter dans les deux bouquins l’absence d’un tableau synoptique et chronologique. Pour qui n’est pas vraiment instruit ou familier des acteurs sociaux ainsi que des oeuvres et des événements principaux de la période concernée, une initiative de ce genre aurait été grandement appréciée. Pour tout autre lecteur aussi, du reste. Dommage enfin que Horst Althaus se soit abstenu de signaler les références précises des très nombreuses citations qui émaillent son texte. Ainsi et comme par surcroît, il eût été plus aisé pour l’anagnoste de ne pas se voir abusé par des extraits tronqués ou cités hors contexte qui, comme c’est le cas en page 590, dénaturent littéralement le libellé original. Au § 342 de la Philosophie du droit de Hegel, il faut plutôt lire en effet que « die Weltgeschichte ist nicht die abstrakte und vernunftlose Notwendigkeit eines blinden Schicksals ». Qu’est-ce à dire ? Ceci : « L’histoire mondiale n’est pas la nécessité abstraite et irrationnelle d’un destin aveugle »...

Tendresse et reconnaissance à mon amie « bretagnaise » Odile LeMoëlle,


J.-L. Gouin

Forêt de Brocéliande, 16 octobre 1999
[texte légèrement révisé en janvier 2010]



Quelques textes de même assonance
du même auteur



• « Der Instinkt der Vernünftigkeit. De l'inaliénabilité de la rationalité »  (à la fois porte d’entrée à Hegel et intro­duction à la raison philosophique de manière générale)

• « Radicalité du sens et altérité en tous sens. Entropie et philentropie chez Georg W.F. Hegel »  (incursion au coeur du penser hégélien)

• « Die Dialektik des Staates. Hegel ou de la Liberté constitutive de la Raison »  (les impératifs politiques de la rationalité telle que comprise par Hegel – à venir en 2011)

• « Aimer Penser Mourir : Hegel, Nietzsche, Freud en miroirs »  (extrait)

Être ou Peut-Être. Penser a(u)près (de) Hegel  (Dialogue avec moi-même. Ou le fin mot attentatoire de : Hegel ou de la Raison intégrale)

• « Hegel en débat – Monodialogue Michel Onfray / J.-L. Gouin » 

   (un quasi échange épistolaire portant sur le philosophe Hegel)

Le « Rond de Science »  (variations sur la notion d’Encyclopédie)

De la malhonnêteté intellectuelle  (mot d’humeur de rigueur)

Recensions / analyses critiques  (essais / littérature)

Bibliographie introductive à l’œuvre hégélienne  (Hegel sans coups ni blessures…)



* Dont la traduction française établie par les soins de Pierre Osmo, chez Gallimard en 2004, mit cent soixante ans à se faire attendre. En voici une courte recension. Et puis une autre...



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 26 janvier 2010 15:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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