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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Gérard Boismenu et Alain Noël, “La restructuration de la protection sociale en Amérique du Nord et en Europe.” Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 24, 1995, pages 49 à 85. Montréal, Département de sociologie, UQAM.

[49]

Gérard Boismenu et Alain Noël

Professeurs, département de science politique, Université de Montréal

La restructuration de la protection sociale
en Amérique du Nord et en Europe
.” *

Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 24, 1995, pages 49 à 85. Montréal, Département de sociologie, UQAM.

Introduction [49]

Butoirs, balises et types d'État-providence [51]
Le chômage massif : nouvelle donnée [51]
La flexibilité contre la protection sociale [53]
Compétitivité et mondialisation : un nivellement par le bas ? [54]
Les types d’État-Providence : des configurations différenciées [56]

Le modèle nord-américain ou anglo-saxon [59]
Les similitudes entre le Canada et les États-Unis [59]
Harmonisation et continentalisation [64]
La Grande-Bretagne : la filière anglo-saxonne [65]
Une stratégie défensive de transformation du rapport salarial [67]

Intégration ou fractionnement en Europe [69]
L'intégration de la protection sociale est-elle à l'ordre du jour ? [70]
L'intégration des relations industrielles : une impasse institutionnelle [71]
L'intégration de la protection sociale : un processus social et politique incertain [73]

Les types d’État-Providence et le workfare [74]
Les logiques d'intervention [76]
Une caractérisation différenciée du workfare : le triangle des arbitrages [77]
Conclusion [81]

Résumé [84]

Introduction

Les systèmes de protection sociale connaissent une restructuration majeure dans les pays fortement industrialisés depuis une quinzaine d'années. Conséquemment à la crise structurelle qui a marqué ces pays, une série de nœuds se sont resserrés sur les systèmes mis en place particulièrement au cours des années soixante. On pense aux limites internes, qui ont été progressivement atteintes et qui se présentent alternativement ou simultanément sous la forme d'une impasse financière, d'un déficit de légitimité ou d'une inadaptation institutionnelle.

Ces limites n'apparaissent, ne prennent un sens et ne gagnent en acuité qu'en relation avec leur terrain nourricier qui se caractérise, dans la foulée d'une crise structurelle du modèle de développement, par une mondialisation de l'économie et une reconfiguration continentale des institutions et des conventions, ainsi que par une massification de la population sans emploi et une plus grande fréquence de l'expérience du chômage dans l'itinéraire de vie active. L'interpénétration et l'interdépendance des économies et des sociétés se sont accentuées, notamment à la faveur des processus d'intégration continentale, et posent le thème de la compétitivité selon une perspective renouvelée au moment où se profilent de façon encore incertaine et désaccordée les éléments d'un nouveau modèle de développement.

Au cours des années quatre-vingt, la rhétorique conservatrice qui s'est imposée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et dans une moindre mesure au Canada, a alimenté les anticipations au sujet d'une [50] crise de l'État-providence. On voyait dans ces pays l'expression d'une orientation susceptible de s'imposer aux autres pays du Nord. Même si la notion de crise de l'État-providence se révèle peu féconde sur le plan de l'analyse, il reste que les restructurations de la protection sociale apparaissent significatives et mettent en relief des enjeux majeurs concernant les compromis sociaux et politiques qui étaient canalisés par les formes institutionnelles existantes.

Dans le contexte actuel de mondialisation et d'intensification de la contrainte de compétitivité, on peut plus que jamais se demander si les restructurations qui s'associent au cheminement nord-américain ou anglo-saxon sont à l'avant-garde du processus à l’œuvre dans l'ensemble des pays européens. Plus précisément, il importe de voir si ce cheminement connaît une extension en Europe, participant de ce fait à un phénomène de convergence des systèmes de protection sociale, convergence qui impliquerait un laminage radical et un changement fondamental de la cohérence sous-jacente aux systèmes de protection sociale en Europe. À l'opposé, on pourrait imaginer que les restructurations en cours en Europe découlent certes d'une mutation majeure, mais suivant des trajectoires qui restent distinctes des manifestations en pays anglo-saxons.

Sans être en mesure de trancher cette vaste question, il nous est possible d'en exposer les diverses dimensions et de proposer un traitement comparé des restructurations en cours sur les deux continents. Dans un premier temps donc, nous ferons un survol de certains facteurs qui pèsent sur l'avenir de la protection sociale et qui sont souvent posés d'abord comme des butoirs, puis comme des balises pour des modifications en profondeur ; la différenciation déjà acquise des États-providence dans les pays du Nord servira de point de référence pour l'étude des transformations en cours. Ensuite, nous relèverons les principaux constats qui découlent de l'étude de l'évolution de la protection sociale en Amérique du Nord, tout en situant les réformes conservatrices britanniques par rapport à ces constats. Dans un troisième temps, nous mettrons en lumière certaines grandes tendances qui parcourent l'Europe, depuis l'influence de la Charte sociale jusqu'à une européanisation de la protection sociale, en passant par le maintien d'une fragmentation nationale de la protection sociale. Puis, en nous appuyant sur la tendance qui consiste à assortir les mécanismes de sécurité du revenu à l'égard des sans-emploi d'une dimension conditionnelle se rapportant à une prestation de travail ou à un engagement dans un quelconque processus de réinsertion sociale ou professionnelle, nous montrerons que cette tendance ne prend son sens qu'en référence aux logiques qui caractérisent les différentes formes d’État-Providence. Nous conclurons enfin en retenant quelques grandes [51] indications sur les voies suivies par les pays du Nord concernant la protection sociale.

Butoirs, balises et types d'État-providence

Si plusieurs dimensions minent les systèmes de protection sociale au cours des années quatre-vingt, on se doit de retenir la massification des sans-emploi comme l'une des plus cruciales. Le chômage exerce une pression financière très forte sur des systèmes mis en place à une époque où le niveau de l'emploi était élevé ; cette pression relève tant des prestations pécuniaires à verser aux sans-emploi que d'une diminution des recettes fiscales et des contributions de tous ordres.

Le chômage massif : nouvelle donnée

La forte augmentation du nombre de chômeurs s'accompagne d'une montée du chômage de longue durée. [1] Se manifestant inégalement selon les pays, ce phénomène reste néanmoins généralisé. Le bassin des exclus du marché du travail est en nette expansion et ne peut donc pas être le révélateur d'attributs individuels. L'exclusion touche une population de travailleurs de plus en plus nombreuse et donne lieu à un discours nourri sur la perte d'éthique du travail et les attitudes réfractaires au marché du travail.

Le chômage de longue durée va souvent de pair avec le chômage répétitif, ce qui signifie que les mêmes personnes feront fréquemment l'expérience du chômage. Certains pays se signalent sur ce plan ; au Canada, par exemple, sept personnes sur dix ayant été en chômage entre 1975 et 1982 ont vécu cette situation plus d'une fois et, pour la moitié de ces derniers, elle s'est répétée au moins quatre fois. [2] Certains voudront y voir non une caractéristique du marché du travail et de la structure des emplois, mais bien la preuve d'une instabilité ou d'une inadaptation de la main-d’œuvre par rapport aux besoins du marché. Une vision plus collective qu'individuelle interprète plutôt cette réalité comme une démonstration de la vulnérabilité de certains groupes de travailleurs.

Le chômage est aussi une cause majeure de la croissance de la pauvreté, même chez ceux qui travaillent, en ce qu'il contribue à la [52] détérioration de la capacité de négociation des travailleurs déqualifiés et peu protégés. La pauvreté, qui ne se résume pas à une insuffisance du revenu, se manifeste aussi par de mauvaises conditions d'habitation, par un état de santé précaire, par l'exclusion culturelle, par une carence en matière de formation et de qualification, etc. En ce sens, elle met en lumière toute une série de problèmes qui exigent des solutions diversifiées, si on se refuse à la marginalisation définitive de catégories importantes de la population.

Les difficultés attachées au chômage actuel sont autant de problèmes à résoudre pour la protection sociale et, selon plusieurs, appellent une réorganisation. [3] La réponse la plus immédiate et la plus courante a consisté, dans des marges très variables cependant, à réduire la progression des dépenses destinées aux sans-emploi. D'abord, on pense au plafonnement ou à la réduction de la valeur réelle du niveau de protection sociale et aux restrictions à l'admissibilité des bénéficiaires. Ensuite — afin de réduire la pression du chômage — viennent diverses mesures de refoulement de franges de la population hors du marché du travail, par exemple le maintien des jeunes aux études ou dans des filières de formation ou l'incitation à la retraite anticipée ou non, par l'octroi de primes.

Le chômage prolongé ou répétitif pose un problème particulier quand on considère les mesures passives concernant les sans-emploi, mesures qui prennent essentiellement la forme de mécanismes de sécurité du revenu. Au-delà du coût de ces mécanismes, c'est le hiatus entre des mesures qui se voulaient ponctuelles ou destinées aux personnes inaptes au travail et une masse de bénéficiaires aptes au travail qui sont demandeurs de prestations de façon répétitive ou prolongée qui ressort très nettement. La rhétorique de la responsabilité individuelle des bénéficiaires, de la dépendance à l'égard de l'État, de la sous-qualification de la main-d’oeuvre a fait surface aussi bien pour critiquer le filet de sécurité du revenu existant que pour suggérer des repères pour une réorganisation fondamentale. La massification des sans-emploi a imposé le thème de la gestion sociale et professionnelle d'une population de plus en plus nombreuse qui échappe à la discipline du travail. De là l'introduction généralisée d'une dimension conditionnelle aux mécanismes de sécurité du revenu, que l'on associe à la notion de workfare. Cette subordination de droits sociaux à des mesures conditionnelles prendra tout son sens selon la façon dont elle s'inscrira dans la logique d'intervention propre à l'une ou l'autre des configurations de l’État-Providence.

[53]

La croissance de la pauvreté sollicite elle aussi des réponses nouvelles dans les systèmes de protection sociale. L'apparition de programmes de revenu minimum ces dernières années, là où ce genre de mesures était absent, en témoigne. Parallèlement, on remarque une insistance de plus en plus grande pour redéfinir la sécurité du revenu en fonction des populations pauvres, ce qui a souvent pour revers de repousser les classes moyennes vers des mécanismes privés d'assurance sociale. [4] À terme, ce processus est susceptible de saper la légitimité d'une protection sociale qui reposerait de plus en plus sur des programmes sociaux subordonnés à des examens de ressources. Quoi qu'il en soit, si les systèmes de protection sociale ont pu absorber la montée de la pauvreté, tous ne se sont pas acquittés également de cette responsabilité. La comparaison de huit pays industrialisés à la fin des années quatre-vingt montre que les États-Unis connaissent le taux de pauvreté le plus élevé : la démarcation est nette. La place relative des États-Unis ne s'explique pas par des conditions économiques particulièrement difficiles, mais plutôt par un filet de sécurité du revenu inadéquat. C'est dans ce pays que les retombées du système de taxation et de transferts sur la pauvreté sont les plus limitées. [5] Le Canada arrive à bonne distance à cet égard, mais tout de même au deuxième rang (avec l'Australie tout près) pour ce qui est du taux de pauvreté et de l'efficacité relative du système de taxation et de transferts. [6]

La flexibilité contre la protection sociale

Par ailleurs, les diverses mesures de protection sociale visant les travailleurs sont soupçonnées d'occasionner des lourdeurs et d'être à l'origine de comportements freinant les adaptations jugées nécessaires en période de changements rapides. [7] On pointe du doigt les difficultés d'harmonisation des qualifications ou des salaires, la mobilité limitée des travailleurs, la « désincitation » à un retour sur le marché du travail après la perte d'emploi, l’inadéquation entre la qualification attendue [54] des travailleurs et l'état réel de la formation, les comportements de dépendance des travailleurs à l'égard des mécanismes de sécurité sociale, etc. En d'autres termes, l’état actuel des droits sociaux constituerait un blocage majeur à l'atteinte de la flexibilité économique. D'ailleurs, on peut relever en Amérique du Nord et en Europe toute une série d'actions de l'État visant à accroître la flexibilité du marché du travail.

Malgré ces affirmations, qui appuient une remise en question des formes institutionnelles existantes, une démonstration convaincante reste à faire, surtout si l'on veut rendre compte des effets à court et à moyen terme, non seulement sur une base sectorielle mais aussi dans une perspective d'ensemble. C'est ainsi que, malgré les attentes, on a pu montrer que, comparativement aux États-Unis, les institutions de plusieurs pays européens semblent encourager les arrangements concernant les heures de travail et, de ce fait, réduisent le besoin de modifier le niveau d'emploi par licenciements ou embauches. [8] De façon générale, il est extrêmement difficile de démontrer qu'il y a un lien entre la flexibilité et l'efficacité. [9]

Compétitivité et mondialisation :
un nivellement par le bas ?


Le processus de mondialisation de l'économie a frappé ces dernières années par son degré d'accomplissement. Dans le sillage de l'internationalisation du processus de production, l’interdépendance à l'échelle planétaire est devenue une donnée quotidienne qui a été renforcée et incarnée, dans certaines régions du Nord en particulier, par la mise en place de réseaux économiques et politiques et par des accords continentaux donnant naissance à des instances d'arbitrage des différends ou d'élaboration de politiques transnationales. [10]

Que ce soit sous l'angle d'une économie qui échappe plus que jamais aux contraintes politiques intrafrontalières ou sous celui d'une institutionnalisation politique continentale, l’État national se trouve en porte-à-faux. [11] D'abord, les réseaux d'entreprises sont davantage en mesure d'échapper au contrôle politique et aux divers mécanismes d'élaboration de compromis sociaux négociés. Ensuite, les initiatives [55] politiques sont jugées à l'aune de la compétitivité internationale, si bien que la comparaison s'impose non seulement pour les coûts induits, mais aussi pour les contraintes institutionnelles. Enfin, l'État est de plus en plus pris en tenaille entre les implications de son insertion mondiale et des structures sociales, des acteurs et des identités qui restent définis par l'espace national et auxquels le pouvoir politique doit répondre. Robert Reich exprime ainsi ce dilemme : « La question est de savoir si les habitudes de la citoyenneté seront suffisamment fermes pour résister aux forces centrifuges de la nouvelle économie mondiale. » [12]

Il n'y a pas à ce sujet de vision unique, mais bien plutôt un débat qui renvoie aux intérêts sociaux, économiques et politiques des différents acteurs. Si, pour les tenants du néolibéralisme, le désengagement de l'État est la seule voie permettant d'assurer une bonne tenue de l'économie d'un pays et, à terme, un niveau de vie acceptable pour sa population, pour d'autres, l’ouverture des économies n'invalide pas les mesures publiques — on en veut pour preuve l'importance relative des mesures sociales dans les petits pays à économie ouverte, ou la capacité de faire face à la contrainte de compétitivité de pays fortement exportateurs comme l'Allemagne et les Pays-Bas.

Il reste que les dépenses sociales ainsi que les normes et contraintes des systèmes de protection sociale sont le plus souvent jugées contraires à la capacité de faire face aux impératifs de compétitivité. [13] On affirmera tantôt que les systèmes de protection sociale sont en danger à cause de la forte compétition internationale venant soit de pays où le coût lié à la protection sociale est faible et qui ont récemment amélioré grandement leur compétitivité en matière de productivité ou de qualité de produit, soit de pays déjà fortement industrialisés, de haute productivité et innovateurs qui ont commencé à réduire les charges sociales des entreprises. Ou alors, on considérera que la compétitivité est elle-même en danger du fait d'une protection sociale trop lourde, qui ferait obstacle à une productivité accrue et à une plus grande capacité d'innovation. La protection sociale, d'une manière ou d'une autre, est considérée comme antinomique par rapport à la compétitivité et à la mondialisation.

L'analyse comparée des pays du Nord, qui met en évidence le poids relatif de leur protection sociale et une série d'indices témoignant de leur compétitivité ou de leur insertion sur le marché mondial au cours des années quatre-vingt, ne permet ni de confirmer ni de rejeter ces [56] affirmations, mais invite plutôt à la prudence. [14] La compétition internationale exerce sans doute une pression sur les systèmes de protection sociale, mais il est loin d'être évident que la protection sociale hypothèque la compétitivité. De toute façon, la relation entre la protection sociale et la compétitivité doit, pour être traitée correctement, être située dans un faisceau complexe de relations. En effet, il faut considérer la relation entre la configuration de l'intervention publique et sa jonction avec la structure économique et les formes de représentation des acteurs. Ce n'est qu'une fois cette relation posée dans toute sa simplicité qu'il semble y avoir un motif suffisant pour procéder à une remise en question des mesures sociales.

Les types d’État-Providence :
des configurations différenciées


La référence générale à la protection sociale camoufle des différences institutionnelles fondamentales. Plusieurs auteurs ont tenté de mettre en relief ces différences à l'aide de typologies ou de caractérisations des formes d’État-Providence. Ces typologies, en rompant avec la perception uniforme de l'État-providence, rendent compte des logiques et des orientations distinctes inscrites dans les formes institutionnelles, lesquelles façonnent les pratiques des acteurs et donnent leur sens aux actions entreprises.

On connaît la distinction que propose Titmuss [15] entre les modèles résiduel (rôle minimaliste-supplétif de l'État), industriel-accompli (institutions de bien-être comme auxiliaires de l'économie) et institutionnel-redistributif (protection sociale comme institution majeure d'intégration). Cette typologie a été critiquée, notamment parce qu'elle est faiblement discriminante et évolutionniste. [16] Plus près de notre point de vue, Therborn [17], en retenant la place relative des droits sociaux et du plein emploi, a mis en évidence quatre catégories d’État-Providence, qualifiées d’État-Providence fortement interventionniste (pays d'Europe du Nord), d’État-Providence modérément compensateur (pays d'Europe de l'Ouest), d'État-providence modeste axé sur le plein emploi (Suisse, Japon) et d'État-providence axé sur le marché (pays anglo-saxons).

[57]

Pour sa part, Esping-Andersen [18] a mis en relief les conceptions contrastées qui ont présidé au développement de l'État-providence dans les divers pays. Trois types d’État-Providence ressortent de son étude. Cette typologie mérite d'être présentée plus attentivement dans la mesure où elle a eu un large écho et parce que nous la retiendrons plus loin, soit lorsque nous traiterons du workfare.

L’État-Providence social-démocrate (Norvège, Suède, Danemark) accorde une place centrale aux principes de dé-marchandisation des rapports sociaux et d'universalité. Afin de réduire la dualité entre l'État et le marché et de rapprocher la classe ouvrière et les classes moyennes, la protection sociale favorise une égalité des droits et l'accès à des services supérieurs. Les programmes, dans leur fonctionnement, visent à concrétiser les principes de solidarité et d'universalité. La politique sociale favorise une certaine émancipation à l'égard du marché, mais aussi à l'égard de la famille traditionnelle. Enfin, la protection sociale et le travail composent un couple étroitement soudé, à la faveur d'une politique de plein emploi. Une politique active d'emploi constitue en effet une condition nécessaire pour maintenir une protection sociale basée sur la solidarité, la dé-marchandisation et l'universalité.

La conception libérale de l'État-providence (Grande-Bretagne, États-Unis, Canada) s'actualise principalement par des régimes d'assistance basés sur des examens de ressources, par des programmes d'assurance-sociale modestes et par des paiements de transfert universels relativement limités. L'État libéral s'occupe surtout de la population à faible revenu. Les progrès des politiques sociales sont indéniables mais restent imprégnés de l'éthique libérale du travail. Les règles d'admissibilité sont généralement strictes et entraînent souvent une stigmatisation des bénéficiaires, et le niveau de protection demeure modeste. La politique sociale est « résiduelle » au sens où elle limite l'intervention publique et laisse aux intérêts privés une large marge d'action. Cet État-Providence minimise les effets de la dé-marchandisation, limite le champ des droits sociaux et instaure un dualisme entre une masse de bénéficiaires égaux dans leur pauvreté et la majorité de la population jouissant d'une protection sociale distincte, largement protégée par des régimes privés ou semi-privés.

L’État-Providence qualifié de conservateur rassemble des pays (Autriche, Allemagne de l'Ouest, Belgique, France, Italie) qui ont en commun un mélange d'étatisme, de réformisme paternaliste et de pensée sociale catholique, et qui favorisent les distinctions basées sur le statut. Les mécanismes de protection sociale, à travers des régimes [58] particuliers aux professions ou aux différentes catégories de travailleurs, consolident les clivages de statut au sein de la population salariée. Contrairement au modèle libéral, l'idée de l'efficience du marché et de la marchandisation, ne prime pas. Les organismes privés occupent une place assez réduite dans la protection sociale. Historiquement, ce modèle conservateur a favorisé la préservation de la famille traditionnelle. La conception conservatrice partage avec le libéralisme la logique actuarielle, mais les estimations sont établies moins en fonction de l'individu qu'en fonction des catégories professionnelles ou des « corporations ». Parallèlement, l'État-providence conservateur se distingue du modèle social-démocrate en reconnaissant moins des droits sociaux que des droits « corporatifs », liés moins à l'état de citoyen qu'à la profession et au statut.

Cette distribution des pays et sa justification ne sont pas sans rappeler d'autres classifications qui conduisent à des conclusions comparables. Par exemple, on a pu dégager trois traditions dans la régulation du marché du travail, en distinguant le système nordique, le système latino-germanique et le système anglo-irlandais. [19] Concernant plus spécifiquement la protection sociale [20], on distingue assez facilement le modèle scandinave (social-démocrate) et le modèle anglo-saxon (libéral) ; pour les autres pays, on parlera globalement du modèle d'Europe continentale ou on distinguera, en faisant intervenir les pays d'Europe du Sud, entre le modèle bismarckien et le modèle du « croissant latin » (Portugal, Espagne, Italie, Grèce). [21]

Les arrangements institutionnels différenciés dont rendent compte ces typologies sont le produit de configurations distinctes de rapports de forces sociales et politiques. Le modèle social-démocrate a été généralement associé à une configuration inspirée par les forces de gauche, mais il est intéressant de noter que l'on a pu établir une relation étroite entre le modèle conservateur (bismarckien, continental) et une configuration des forces dominée par la démocratie chrétienne ou par une coalition de centre-gauche. [22] En ce sens, la protection sociale n'a pas la malléabilité qu'on lui attribue souvent, car elle s'appuie sur des formes [59] institutionnelles contrastées qui prennent racine dans des traditions sociales et politiques distinctes. C'est en tenant compte de l'ensemble de ces facteurs que nous apprécierons l'évolution et les enjeux de la protection sociale dans la période actuelle.

Le modèle nord-américain ou anglo-saxon

Les dirigeants de la Communauté européenne ont débattu en juin 1993 à Copenhague de leur capacité à relever le défi de la compétition avec les États-Unis et le Japon. Pour les uns, le modèle américain présente un grand attrait alors qu'il inspire beaucoup de réserves aux autres. [23]

La notion de modèle américain fait référence à un système de règles et de normes qui allie un système décentralisé de relations de travail et une protection sociale minimale, et pour lequel les politiques publiques depuis les années quatre-vingt ont surtout cherché à accentuer les traits permissifs à l'égard des entreprises et des institutions financières. Ce système n'est pas pour autant exclusif aux États-Unis. Même s'ils y prennent une allure particulière, les traits repérés sont susceptibles de se manifester ailleurs. Le Canada, en particulier, qui partage avec les États-Unis non seulement un continent mais des liens de toute nature, dont depuis peu un accord de libre-échange, est souvent associé à une même conception du développement.

Les similitudes entre le Canada
et les États-Unis


À distance, on peut parler d'un même type d’État-Providence pour le Canada et les États-Unis [24] ; mais, au-delà des similitudes entre ces deux pays, il faut plutôt prendre en considération les différences significatives, découlant de deux orientations quant à la définition de la protection sociale. [25]

Rappelons que le fardeau fiscal aux États-Unis est l'un des plus faibles des pays de l'OCDE, que les dépenses sociales y sont comparativement limitées, que le taux de syndicalisation est particulièrement [60] faible, que la productivité du travail progresse lentement, que les inégalités et le dualisme sociaux se sont fortement accentués et que les disparités sur le marché du travail peuvent être assez grandes. [26] Le Canada semble, par comparaison, animé par des principes de solidarité qui ont, malgré tout, infléchi le credo libéral-individualiste. La volonté de garantir une protection minimale a permis l'introduction de mesures universelles dans la protection sociale, même si celle-ci est pensée d'abord en fonction d'une protection minimale pour les laissés-pour-compte.

Aux États-Unis, la philosophie qui sous-tend l'État-providence repose sur l'individualisme économique et l'effort personnel ainsi que sur une préférence pour les solutions venant des forces du marché. Dans les domaines de la santé, des services sociaux et de la famille, les mécanismes de protection sont fragmentés, diversifiés, incomplets et accordent une bonne place aux institutions privées. [27] Dans le domaine de l'assistance, l’aide est destinée essentiellement aux groupes reconnus comme vulnérables. La distinction entre les pauvres « méritants » (deserving poor) et les pauvres « non méritants » (undeserving poor) reste la pierre angulaire de cet État-Providence minimal.

Au Canada, l’inspiration vient en partie de l'expérience britannique, à la fois de la tradition des lois pour les pauvres et de l'influence beveridgienne. Les transferts aux individus passent tantôt par une allocation forfaitaire et universelle, c'est le cas de la sécurité du revenu pour les personnes âgées ou des allocations familiales (jusqu'à récemment pour ces dernières), tantôt par la perspective d'assurer à tout individu un revenu minimal. Ainsi, des mesures d'assistance avec examens de ressources (sous forme de prestations pécuniaires ou de services) contribuent à assurer un filet de sécurité minimal. [28]

La décennie 1980 a été déterminante pour ce qui est de l’évolution de l'État-providence dans ces deux pays, même s'il n'y a pas de coïncidence programmatique ou chronologique exacte dans les transformations mises de l'avant. Le gouvernement fédéral au Canada défend une position conservatrice, mais de façon moins dogmatique qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Les parallèles ne sont pas moins frappants.

[61]

Pour les personnes âgées, il ressort que, même si l'on pouvait considérer que la conjugaison des mécanismes de sécurité du revenu au Canada accordait une meilleure protection financière que la contrepartie américaine [29], la précarité de la couverture offerte incite la population à avoir recours aux régimes de retraite privés. Toutefois, moins de la moitié de la population active contribue à un régime professionnel privé et l’accès à ces régimes traduit un effet de stratification sociale prononcée. [30]

Dans un cas comme dans l'autre, alors que démographiquement la population âgée compte pour une part en pleine croissance, les institutions privées jouent et sont appelées à jouer dans l'avenir un rôle de plus en plus grand. La sécurité du revenu est ainsi amenée à répondre de façon encore plus marquée à une logique actuarielle individualisée c'est-à-dire à la durée, à la constance et à la qualité de l'insertion dé l'individu sur le marché du travail. Cette problématique réduit les effets de dé-marchandisation de la sécurité sociale pour les personnes âgées. Très accessibles aux personnes bien nanties et aux classes moyennes, les régimes privés recrutent également leurs cotisants parmi les travailleurs du secteur public et les travailleurs des grandes entreprises ou protégés par une convention collective.

Par ailleurs, une partie non négligeable de la sécurité du revenu pour les personnes âgées au Canada est acheminée vers la population pauvre. Ces mesures, même cumulatives, arrivent difficilement à assurer un revenu suffisant pour hisser le bénéficiaire au-dessus du seuil de pauvreté. [31] Le poids des mesures sélectives à l'égard des personnes pauvres est atténué par la présence d'allocations universelles, mais il est possible de s'interroger sur l'avenir de cette mesure universelle. Si elle devait suivre le même parcours que les allocations familiales, elle serait appelée à disparaître au profit d'une mesure fiscalisée basée sur un examen de ressources.

En ce qui concerne les sans-emploi, la première ligne de défense réside dans l'assurance-chômage. Cette mesure a également connu une évolution qui va dans le sens de l'accentuation de la marchandisation. Déjà, le niveau de protection était relativement modeste — encore plus [61] aux États-Unis qu'au Canada il va sans dire —, mais on s'est en outre appliqué à accentuer la sanction pécuniaire liée à une perte d'emploi.

Cette accentuation s'est manifestée aux États-Unis par un glissement du niveau, déjà très bas, de remplacement du revenu (de 37,5% du salaire moyen en 1980 à 35,4% en 1989) par le resserrement des conditions d'admission au régime (seulement 31,1% des chômeurs touchent une prestation en 1988, contre 43,9% en 1980) ainsi que par une réduction de la période de prestations (de 14,9 semaines en 1980 à 13,3 en 1989 ). [32] Au Canada, le régime d'assurance-chômage a connu plusieurs modifications depuis la deuxième moitié des années soixante-dix et une réforme majeure en 1990, puis encore ces deux dernières années. [33] Les conditions lices à l'admissibilité au régime sont plus sévères, le taux de couverture a diminué et la durée des prestations est réduite Des pénalités plus lourdes sont aussi appliquées aux personnes qui quittent leur emploi sans motif valable. Enfin, le taux de cotisation augmente, dans la mesure où les prestations sont désormais entièrement financées par les cotisations des employeurs et des employés.

Sur l'ensemble de ces questions, il existe un écart entre le Canada et les États-Unis, à la faveur du premier — même depuis 1990 —, mais il reste que les deux régimes fournissent une protection assez limitée si on les compare avec ceux de certains pays européens. Les deux régimes avec des délais différents, s'adressent au chômage de relativement courte durée. Autrement, les chômeurs sont exclus et n'ont comme solution que le recours à l'assistance sociale qui offre un niveau de protection encore plus précaire.

Avec la crise et la croissance du chômage de longue durée, le déversement des travailleurs en chômage dans la clientèle de l'assistance sociale est venu modifier les pratiques dans ce domaine. La réponse de part et d'autre a une base plutôt idéologique, prenant la théorie de l'offre comme cadre de référence à une précarisation financière des bénéficiaires et à la mise en œuvre de mécanismes d'incitation au travail.

[63]

Aux États-Unis, le système (Assistance to Families with Dependent Children) était prévu pour les pauvres méritants ; comme au Canada (Régime d'assistance publique), il avait été conçu pour les personnes inaptes au travail. La politique américaine est allée dans le sens du rejet, autant que faire se peut, des pauvres non méritants, c'est-à-dire les individus aptes au travail qui n'ont pas à dépendre de l'État. Dans cette optique, les conditions d'admissibilité ont été resserrées (notamment par la réduction du montant admissible des avoirs personnels), la valeur réelle des prestations a décliné et on a introduit — et on compte intensifier le mouvement — les principes de l'« inévitabilité » de l'effort de travail. [34] Les coupons d'alimentation ont aussi fait l'objet de compressions, les dépenses à ce titre ont stagné au cours des années quatre-vingt et la valeur réelle des coupons a connu une baisse. Si l'on considère la valeur réelle de l'assistance sociale et des coupons, on peut parler d'une diminution de 19% entre 1977 et 1988.

Au Canada, la distinction entre les personnes aptes au travail et les personnes inaptes a pris tout son sens et elle a été investie d'un projet de remise au travail. À partir de cette distinction, on a eu tendance à traiter diversement les bénéficiaires, d'une part, en fixant un niveau de couverture différencié et, d'autre part, en mettant en place des filières d'encadrement et de formation pour les personnes aptes au travail. Un réseau de gestion sociale des sans-emploi a pris forme dans certaines provinces. [35] On remarque que l'incitation à l'insertion sur le marché du travail reste la sanction pécuniaire et que, d'une façon générale, le niveau des prestations, par rapport au seuil de pauvreté, a été maintenu assez bas (en moyenne en 1991, pour une personne seule apte au travail : 41%). [36] On constate une différence entre les provinces canadiennes, mais dans une fourchette qui reste étroite. Les surveillances, vérifications et tracasseries administratives font aussi partie de la panoplie des moyens de lutte contre les prétendues fraudes. [37]

D'une façon explicite, la logique de la marchandisation de la force de travail a présidé aux révisions et aux resserrements effectués au cours de la période étudiée. D'ailleurs, au Canada, de plus en plus de provinces ont commencé à subventionner le salaire minimum, en accordant [64] un supplément de revenu au travailleur pauvre compte tenu de sa charge familiale, afin de maintenir l'incitation au travail dans des conditions médiocres. Il existe, pour les sans-emploi, deux stades dans l'application du principe de la marchandisation, l’assurance-chômage et l'assistance sociale, qui vont dans le sens de l'aggravation de la sanction pécuniaire, le deuxième est plus stigmatisant, non lié à la relation d'emploi, mais s'ouvre sur des filières d'encadrement social et de remise au travail dont le centre de référence est le marché du travail au salaire minimum. [38]

Harmonisation et continentalisation

Ce qui ressort pour le Canada, c'est que la révision de la protection sociale a été entamée bien avant l'Accord de libre-échange et a accompagné sa mise en vigueur. À titre d'exemples, [39] on peut noter : la désindexation des allocations familiales et des crédits d'impôt pour enfant, puis la transformation des allocations familiales universelles en un système basé sur le revenu ; l’introduction d'une dimension conditionnelle et punitive dans l'accès à l'aide sociale afin d'appuyer l'« incitation au travail » et l'« employabilité » ; une réforme de l'assurance-chômage restrictive relativement à l'admissibilité et la durée des prestations ; la récupération fiscale des prestations universelles de sécurité du revenu pour personnes âgées et l'encouragement à l'extension de la participation des mécanismes privés au système de pension pour personnes âgées. À cela s'ajoute une politique fiscale qui comporte plusieurs mesures régressives. [40]

Bien entendu l'élimination des barrières tarifaires et (pour l'essentiel) des barrières non tarifaires avec l'ALENA s'inscrit dans un mouvement de fond d'intégration des économies canadienne et américaine. Ce mouvement, qui fait partie de l'histoire contemporaine, connaît une poussée supplémentaire, pour ne pas dire décisive. La comparaison devient [65] ainsi de rigueur, en ce qui concerne tant les conditions générales dans lesquelles se mènent les affaires que les contraintes touchant les relations de travail, la productivité du travail, le poids relatif de la ponction fiscale, les contributions obligatoires ou la distribution des revenus.

Or, compte tenu du poids des États-Unis dans l'économie mondiale, et particulièrement continentale, et, sur le plan interne, des blocages institutionnels, de la force de représentation des intérêts catégoriels et de la culture politique qui ont freiné l'évolution des conventions sociales comprises en tant que droits collectifs et mécanismes de solidarité sociale, l'harmonisation risque de se traduire par un laminage des droits sociaux inscrits dans les programmes de protection sociale au Canada et d'agir comme éteignoir en ce qui touche les velléités d'extension de ces mêmes droits sociaux.

En tout état de cause, les modifications apportées aux programmes amplifient les traits associés à l'État-providence libéral, que ce soit au chapitre de la dé-marchandisation ou de la stratification sociale.

La Grande-Bretagne :
la filière anglo-saxonne


La tendance est la même en Grande-Bretagne au cours de cette période, ce qui nous porte à croire qu'il s'agit là moins d'un phénomène d'ordre continental que d'une évolution qui s'inscrit dans la foulée des arbitrages antérieurs de ces pays et des formes institutionnelles que l'on y connaît. Il y a peut-être moins lieu de parler d'un modèle nord-américain que d'un modèle anglo-saxon. Avant d'en arriver là, il est utile de rappeler certaines mesures du thatchérisme.

En Grande-Bretagne, la protection sociale n'a pas été modifiée de fond en comble, mais des changements significatifs ont été introduits. [41] La responsabilité publique en matière de protection sociale a été amoindrie par le biais de la promotion des mécanismes marchands et du recours aux intervenants privés. L'inégalité sociale a été comprise de manière positive et non plus comme un effet indésirable contre lequel il fallait lutter. D'ailleurs, on note une certaine convergence quant à la façon de considérer la pauvreté aux États-Unis et en Grande-Bretagne ; de part et d'autre, celle-ci est associée beaucoup plus à une dégénérescence morale qu'à une carence sociale. [42] Cela dit, s'il y a recul de la responsabilité publique à l'égard de la pauvreté, du chômage ou des « risques [66] sociaux », il n'y a pas pour autant retrait de l'État au regard de sa capacité d'intervenir auprès des populations par des mesures de contrôle, par des contraintes ou autrement.

Au-delà de l'évolution des dépenses publiques pour la protection sociale, dont le rythme de croissance a été rompu, il importe de rendre compte de changements significatifs. Par exemple, pour les chômeurs de longue durée, l’érosion des droits sociaux et la mise en place de mesures de surveillance sont de rigueur. Le resserrement des conditions d'admissibilité à la sécurité du revenu sont renforcées, alors que, parallèlement, les contrôles concernant la recherche d'emploi ont été accrus et le droit de refuser un emploi inadéquat nettement restreint. L'orientation est la même concernant les mesures de sécurité sociale, comme le salaire minimum et l'aide sociale pour les jeunes de vingt-cinq ans et moins. [43]

Considérant le chômage comme une responsabilité d'abord individuelle et stigmatisant la « culture de la dépendance » à l'égard de l'État, le gouvernement entreprend de changer le comportement des chômeurs par la réduction des droits ou par leur subordination à des conditions, comme la prestation de travail ou l'insertion dans un processus de valorisation de l'employabilité. L'admissibilité à des prestations est liée à l'engagement dans un programme de formation. [44] Les initiatives britanniques ont beaucoup emprunté à l'exemple américain. Comme nous le verrons plus loin, le Canada participe à cette même mouvance. Ainsi, prestations sociales et prestations de travail en viennent progressivement à être intégrées.

À la fin des années quatre-vingt, la Loi sur la sécurité sociale matérialise bien la stratégie visant à réduire, privatiser et déréglementer les mesures baveridgiennes de sécurité du revenu, ce qui se traduit, pour le régime de pension des employés de l'État, par une réduction des prestations pour ceux qui prendront leur retraite après 1998 et par la promotion d'un système privatisé de pension individuelle. La privatisation est aussi très présente dans la politique touchant l'habitation et l'éducation. [45] La comparaison avec des pays comme la France, l'Allemagne et la Suède, montre bien que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont été [67] particulièrement actifs au cours des années quatre-vingt sur le chapitre de la réduction de la protection sociale, alors que déjà ils ne se signalaient pas par leur avant-gardisme.

Une stratégie défensive de transformation
du rapport salarial


Les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne partagent une configuration institutionnelle du fordisme que l'on peut qualifier suivant une échelle s'étendant du libéralisme à une hégémonie centriste ; de même, ils témoignent d'une conception libérale de l'État-providence. [46] Ces caractéristiques composent un cadre qui favorise une stratégie de flexibilité défensive dans la restructuration du rapport salarial propre à cette période de crise du fordisme. [47] La coalition des forces sociales et politiques qui avait permis le fordisme et l’État-Providence libéral a glissé d'une manière plus ou moins brutale vers une vision politique conservatrice et néo-libérale des transformations à venir, à la fois dans la sphère du travail et dans celle de l'intervention publique en matière sociale.

Au début des années quatre-vingt-dix, après une douzaine d'années de libéralisme économique, une série de constats s'imposent de plus en plus pour les États-Unis comme pour le Canada et la Grande-Bretagne. Dans le domaine du travail, la stratégie adoptée mise sur la lutte contre les rigidités de la relation de travail pour défendre les marchés menacés, sur les bas coûts de la main-d’oeuvre et sur le travail déqualifié. Cette stratégie défensive [48] conduit l’industrie à favoriser le dumping social au sein même de l'espace national ou la délocalisation vers des terres d'accueil pour les bas salaires et la faible qualification.

On assiste à une reconsidération significative de l'action de l'État à l'égard du marché. Cette action s'inscrit désormais dans une logique de subordination à l'égard du marché et de stimulation de sa sanction. Il ne s'agit pas de laisser le marché à lui-même, mais de doser ou de [68] restructurer les interventions de l'État de manière qu'elles intériorisent les impératifs marchands et qu'elles favorisent les manifestations de sa sanction sur les populations concernées. Notamment, en posant la dialectique à l'égard du marché dans les termes de subordination/ stimulation de sa sanction, les chômeurs, les sans-emploi pour une longue période, les bénéficiaires de mécanismes de transferts sont susceptibles d'être davantage saisis comme « sous-classe parasitaire ». D'où le renforcement des dispositifs de contrôle social et de normalisation des pratiques de ces populations, qui ne sont pas disciplinées par le travail rémunéré. [49]

Les changements mis en oeuvre peuvent apparaître comme une restructuration plutôt que comme un bouleversement du système de protection sociale. Les changements introduits épousent en effet la logique de base de l'État-providence libéral de laquelle on avait pu, pour un temps, s'éloigner quelque peu. La valorisation des principes de précarisation ou de logique marchande n'est pas contre nature pour ce type d’État-Providence. Elle fait cependant reculer les mécanismes qu'avaient inspiré les principes de solidarité et d'universalité, principes qui avaient eu une certaine prise au Canada et en Grande-Bretagne.

Ainsi, la protection sociale s'inscrit-elle ici dans un environnement beaucoup plus vaste et pour lequel le « scénario libéral et dual » [50] semble devoir s'imposer malgré l'opposition des forces sociales et politiques de gauche. Tout en y participant, la restructuration de la protection sociale vient confirmer et renforcer une stratégie défensive et décentralisée de transformation du rapport salarial [51], et cette stratégie s'appuie d'abord sur la coalition des forces sociales et politiques dominantes et sur la vision que ces dernières ont à la fois de leurs intérêts économiques et des modalités d'insertion du pays dans l'espace continental, voire mondial.

[69]

Intégration ou fractionnement en Europe

Comparativement aux principaux pays européens, c'est en Grande-Bretagne que les changements institutionnels ont été les plus importants et ont le plus contribué à éroder le système de protection sociale. [52] À la fin des années quatre-vingt, le rapport entre les dépenses de protection sociale et le PNB britannique était inférieur à celui calculé pour les autres pays de la Communauté européenne, exception faite des pays du « croissant latin » — ces derniers suivant un parcours inverse. [53] De plus, la Grande-Bretagne s'est dissociée de la Charte sociale européenne. Manifestations isolées ou comportement d'un trouble-fête capable de jouer les outsiders dans la compétition internationale ?

On sait qu'il n'y a pas de lien nécessaire entre une faible compétitivité et une protection sociale développée, que la Charte sociale pourra sans doute limiter les pratiques de dumping social et que le choix de localisation des entreprises en Europe est d'abord fonction de la productivité et non du coût du travail. [54] Il n'en demeure pas moins qu'il est tout à fait plausible de considérer que les systèmes de protection sociale peuvent faire l'objet de pression à la baisse dans le cours d'une plus grande compétition européenne.

L'exemple de la Grande-Bretagne peut jouer ce rôle (pensons aux investissements des firmes de l'Asie du Sud-Est, qui se servent de ce pays comme d'un tremplin pour accéder à l'Europe), [55] d'autant qu'elle est appuyée par les autres pays proches du modèle libéral, dont les États-Unis. [56] Devant les enjeux liés à la protection sociale, ce modèle peut ne pas être plus efficace, mais il demeure moins coûteux financièrement et moins contraignant pour les entreprises. On peut légitimement se poser la question de l'évolution présumée des systèmes de protection sociale dans une Europe qui connaît une intégration économique et politique plus poussée et une institutionnalisation plus intense qu'en Amérique du Nord. Les enjeux que l'on peut évoquer se posent cependant en d'autres termes. Ici la discussion met en présence des États, des institutions communautaires ayant une capacité [70] d'initiative et des configurations de formes institutionnelles nationales différenciées.

L'intégration de la protection sociale
est-elle à l'ordre du jour ?


L'expression la plus visible de la place de la dimension sociale dans la construction du Marché unique est sans doute l'adoption de la Charte sociale. Il s'agit d'une reconnaissance solennelle de droits sociaux fondamentaux qui sont associés d'abord à la condition de travailleur et non à la citoyenneté, même si l'on reconnaît au citoyen européen le droit à une protection sociale et à des moyens de subsistance adéquats. [57] La question première concerne la portée réelle d'une telle proclamation. Ici on ne peut faire que des conjectures dans la mesure où les choses sont à se faire et il est difficile de déduire formellement de cette Charte des retombées concrètes sur la formulation des politiques sociales et d'emploi dans chacun des pays.

La Charte attire l'attention et cristallise l'intention des pays de la Communauté européenne à l'égard de la dimension sociale. Il importe de souligner tout autant la dynamique qui s'insère dans les rapports entre les institutions communautaires, les États, les entités régionales ou locales et les réseaux transnationaux qui, sur la base d'intérêts territoriaux, sectoriels ou sociaux, se constituent en fonction d'enjeux particuliers et non liés au découpage politique traditionnel. L'enchevêtrement de ces diverses dimensions est inévitable. Bennington et Taylor remarquent que plusieurs problèmes de politique sociale ne peuvent être résolus de façon satisfaisante par le gouvernement national seul et doivent être progressivement pris en charge à la fois par les structures européennes supranationales et par les processus et réseaux transnationaux. [58] Le processus d'élaboration des politiques est sans doute plus complexe, mais il n'y a pas pour autant évacuation de la responsabilité et de la capacité d'initiative des États nationaux. En même temps, la Communauté européenne tente de stimuler, par la concertation, la désignation de grands paramètres aux systèmes de sécurité du revenu, afin de faciliter la circulation de la main-d’oeuvre en Europe. On peut tout de même s’interroger sur la symétrie présumée entre la constitution d'un marché unique et l'harmonisation de la protection sociale.

[71]

Sur cette lancée [59], quelques questions peuvent être formulées. Faut-il croire que l'intégration du marché européen ira de pair avec l'émergence d'un État-Providence supranational européen ? Peut-on penser, d'un autre côté, que nous assistons à un processus d'harmonisation des systèmes nationaux de protection sociale ? À cet égard, il serait utile de saisir jusqu'à quel point les différentes traditions et idéologies concernant la protection sociale dans les États membres convergent ou divergent.

L'intégration du marché des biens, des services et du capital en Europe n'impose pas mécaniquement la convergence des systèmes de protection sociale. Une différence de nature dans les processus est à l’œuvre dans ces deux domaines, dans la mesure où le premier est mû d'abord par la déréglementation alors que le deuxième, menant à l'intégration du marché du travail et des systèmes sociaux, appelle plutôt une intervention pour ce qui est de la réglementation. En ce sens, une harmonisation des marchés du travail en Europe implique l'engagement des gouvernements et des acteurs sociaux dans l'établissement de normes et de droits communs. [60]

Par ailleurs les configurations institutionnelles et les pratiques qui accompagnent les relations industrielles, les politiques d'emploi et les systèmes de protection sociale sont extrêmement différents et enracinés dans des traditions, une culture et une histoire propres à chaque pays. Cela freine grandement la possibilité de développement d'une protection sociale trans-européenne. [61] Les formes institutionnelles reposent sur des compromis historiques et structurent la pratique des acteurs, si bien qu'une démarche purement volontariste ne pourrait qu'être en butte à des contraintes sociales et politiques majeures. Parallèlement, des initiatives comparables dans différents pays auront un sens différencié, selon la structure préexistante dans laquelle elles s'insèrent.

L'intégration des relations industrielles :
une impasse institutionnelle


Pour prendre un secteur en particulier, l’analyse de la diversité des relations industrielles en Europe permet de penser que la possibilité pour la Communauté européenne de présider politiquement à la mise en place d'un système harmonisé est fort mince. La grande diversité des [72] systèmes nationaux, [62] les importantes différences économiques, les conflits d'intérêts marqués entre les acteurs sociaux nationaux qui devraient être des protagonistes d'une institutionnalisation supranationale, la faiblesse de l’autorité politique nationale par rapport à l'économie mondiale et, dans une moindre mesure, par rapport aux institutions politiques supranationales, tous ces éléments se dressent contre une intervention institutionnelle communautaire. Streeck considère qu'il y a là une impasse institutionnelle. [63] Dans l'état actuel des choses, le développement de relations industrielles européennes sera le produit d'un processus chaotique conditionné par une série de facteurs, parmi lesquels les pressions d'une économie mondialisée et continentalisée arrivent en bonne place.

La Charte intensifie les pressions du marché sur les politiques internes dans la mesure où elle tend à unifier le contexte dans lequel ces politiques sont formulées. [64] Ainsi, dans chaque État, la référence aux autres pays de la Communauté et même la comparaison explicite avec ce qui se fait ailleurs sont partie intégrante du processus de prise de décision. La Communauté, par ailleurs, peut proposer certains thèmes prioritaires et indiquer certaines directions, touchant par exemple la formation ou le chômage de longue durée. Ainsi, on peut anticiper un rapprochement des politiques, même si celles-ci restent d'abord de compétence nationale.

Mais il faut aussi compter sur d'autres facteurs dont l'influence centrifuge peut être assez grande, tels que les circonstances politiques et institutionnelles nationales et locales, les choix stratégiques singuliers des firmes ou des acteurs sociaux, la compétition entre les régimes nationaux dans un marché par ailleurs unifié et les conséquences non prévues d'actions collectives dispersées et fragmentées. [65] La question d'une action intégrative de la Communauté en matière de relations industrielles est ouverte et n'obéit pas à une seule tendance. On pourrait être tenté de poursuivre selon un raisonnement semblable pour ce qui est de la protection sociale.

[73]

L'intégration de la protection sociale :
un processus social et politique incertain


Dans tous les pays, la protection sociale fait face aux mêmes pressions et partout on constate des politiques de restriction ou de plafonnement des dépenses. [66] L'heure est à l'austérité, mais le sens à donner à cet objectif à travers des mesures particulières varie d'un pays à l'autre. L'analyse des actions dans les pays partenaires est riche d'enseignement ; l’existence de la Communauté européenne et son action encouragent d'ailleurs la comparaison entre États membres. L'ordre des priorités et la nature des enjeux négociés entre les grands acteurs sociaux et le gouvernement reflètent souvent une prise en considération des pratiques dans les autres États membres. Les retombées réelles de la comparaison et la propension plus ou moins grande au mimétisme sont largement tributaires de l'état des rapports de forces entre ces grands acteurs et de la configuration institutionnelle nationale, plus ou moins perméable au changement.

Si le cadre européen peut favoriser un processus d'élaboration de politiques analogues, cela ne pourrait se faire qu'à travers un processus politique et social incertain et même réfractaire à plusieurs égards à cette direction. On peu' à ce propos évoquer différents scénarios selon lesquels la Communauté européenne tantôt serait essentiellement une collection d'États largement autonomes quant à la détermination de la protection sociale, et tantôt, pouvant agir de sa propre initiative, jouerait un rôle important dans l'élaboration et la mise en place de formes européennes de réglementation concernant la protection sociale ; on peut aussi imaginer un scénario transnational dans lequel les premiers décideurs seraient les gouvernements nationaux qui formuleraient, à travers un processus européen de prise de décision, les lignes directrices relatives à certains enjeux précis dans la mesure où il y a un fort consensus.

Le processus social et politique va immanquablement mettre en lumière toute une série d'arbitrages qui sont lourds de sens et qui ont des incidences différentes selon les configurations institutionnelles et les conceptions qui habitent les systèmes de protection sociale. Notamment, la principale controverse ne manquera pas de soulever la question de la subsidiarité et du rôle respectif des institutions communautaires, de l'État national et des pouvoirs locaux dans l'évolution de la protection sociale. Parallèlement, à terme, vont s'affronter les compréhensions de la protection sociale selon qu'elles s'appuient sur des régimes d'assurances associés à la relation de travail ou qu'elles se définissent en premier lieu en référence à des droits sociaux attachés à la citoyenneté. La question des mérites d'une intégration plus ou moins poussée sera [74] jugée en fonction des effets, soit un nivellement par le haut ou par le bas, du système de droits existant dans chaque État membre.

Plus fondamentalement se pose la question des conditions d'existence des différents systèmes de protection sociale. Les facteurs qui concourent à l'apparition de grands systèmes différenciés de protection sociale se composent de l'état de la mobilisation des forces des gauche et des rapports de forces sur la scène sociale et politique, de l'orientation et des composantes de l'alliance politique qui est à la tête de l'État, ainsi que de l'héritage institutionnel.

Ce rappel permet de formuler trois grandes remarques. Premièrement, tout processus de convergence des différents types d’État-Providence (et de protection sociale) devrait mener à des contradictions majeures entre des orientations et des conceptions mutuellement incompatibles ; un tel processus, qui implique changements et choix de société, devrait être ponctué de moments critiques, voire de crises. [67] Deuxièmement, sauf si un pouvoir supranational réussit à s'imposer, les changements et arbitrages menant à une restructuration de la protection sociale portés par un État national se feront surtout en référence à l'héritage politique et institutionnel du pays ; l’option d'un bouleversement radical menant à une rupture dans le système de protection sociale et à l'adoption d'un système de protection sociale d'une conception et d'une orientation d'ensemble fondamentalement différentes est une hypothèse seconde. Troisièmement, les mesures sur lesquelles s'appuie la restructuration de la protection sociale peuvent être apparentées, voire semblables, d'un pays à l'autre, mais, dans la mesure où elles sont introduites dans des architectures qui reposent sur des principes spécifiques, elles joueront des rôles différents et contribueront diversement aux stratégies d'intervention. [68] En ce sens, on ne peut se fonder sur le repérage de mesures formellement semblables pour supposer une harmonisation ou une convergence de la protection sociale, car il n'est pas dit qu'elles aient la même utilité et qu'elles contribuent pareillement à redéfinir le mode d'intervention de l'État auprès des populations. C'est ce que nous allons tenter d'illustrer dans la section suivante.

Les types d’État-Providence et le workfare

On peut dire que tous les pays de l'OCDE ont fait l'expérience de mesures de workfare, si l'on donne une définition large de cette notion [69] [75] et qu'on la comprenne comme la subordination en tout ou en partie d'une mesure de remplacement du revenu à des mesures actives de réintégration au marché du travail ou d'incitation positive à la recherche d'emploi. Malgré la diffusion de telles mesures, on note d'importantes variations quant à leur définition et quant à la logique de leur mise en œuvre. La typologie d'Esping-Andersen, qui distingue les modèles libéral, conservateur et social-démocrate, peut nous aider à saisir ces variations.

On sait qu'au-delà de la question quantitative, les États-Providence présentent des institutions et des programmes qualitativement différenciés, notamment au chapitre de la définition de leurs objectifs. Pour les individus, les conceptions de la citoyenneté et de la solidarité que concrétisent les programmes sociaux risquent en fait de compter plus que l'étendue de l'intervention ou le niveau des dépenses. Les programmes sociaux sont-ils universels, sélectifs, basés sur des examens de ressources ? Les prestations sont-elles déterminées par les contributions antérieures ? L'accès aux services est-il administré par des fonctionnaires, des communautés locales ou encore des organisations syndicales ou syndicales-patronales ? Voilà autant de questions qui permettent de dégager des physionomies contrastées de l'État-providence.

Pour prendre un secteur en particulier, on peut dire que l'importance relative des politiques actives du marché du travail (telles les mesures touchant la formation ou l'emploi) et des politiques passives (la sécurité du revenu) est reliée de façon très claire aux types d’État-Providence. L'analyse comparative des dépenses publiques montre que l'État-providence social-démocrate est fortement et positivement associé à des dépenses élevées pour ce qui est des politiques actives (en pourcentage du PNB), que l’État-providence libéral est négativement associé à de telles dépenses et que l'État-providence conservateur est faiblement mais positivement associé à ces dépenses. La Suède, par exemple, applique beaucoup les politiques actives et le fait de manière contracyclique, alors que les États-Unis dépensent peu et le font moins en réponse au cycle économique qu'à des circonstances démographiques ou partisanes. Entre ces deux extrêmes, les dépenses allemandes semblent déterminées principalement par la montée du chômage et par le pouvoir politique de la gauche. [70]

[76]

Les logiques d'intervention

Les différences vont cependant bien au-delà des niveaux de dépenses publiques et des facteurs déterminant ceux-ci. Les justifications des politiques actives concernant le marché du travail, et plus particulièrement des politiques d'employabilité (ou de workfare), varient selon les types d’État-Providence.

Sur le plan politique, on peut dégager quatre grandes argumentations en faveur du workfare. Une première argumentation est fondée sur le contrôle et insiste sur les individus, la dépendance et les mesures incitatives. Une autre se pose en termes de marché du travail et est centrée sur les contraintes propres aux marchés, sur la flexibilité et sur les qualifications. Une troisième argumentation d'ordre budgétaire celle-là, privilégie la réduction des dépenses sociales. Enfin, nous retrouvons une argumentation plus proprement politique qui souligne la place du travail et du salaire dans la définition de la citoyenneté. [71]

Ces différentes argumentations ne sont pas nécessairement convaincantes, mais elles ont toutes une importance politique évidente dans la définition des programmes st des politiques. Elles jouent de façon très différente dans la façon dont sont menés les débats politiques en Amérique du Nord et en Europe. Alors que la dépendance est au coeur des débats américains sur le workfare, la recherche de la flexibilité dans les marchés du travail occupe une place prédominante en Europe. Les différences signalées plus haut entre les types d’État-Providence rendent bien compte de ces variations. L'argumentation de la dépendance — selon laquelle des mesures actives peuvent contrecarrer la tendance des bénéficiaires à s'accrocher aux programmes d'aide — n'est finalement pas tant américaine que libérale. De la même façon, l'argumentation en termes de marché du travail — qui insiste plus sur la nature structurelle du chômage — est typique des États-providence conservateur et social-démocrate.

En somme, les caractéristiques que prendront les mesures de workfare reflètent la tension qui existe entre des logiques d'intervention définies au sein de chaque type d’État-Providence. C'est ainsi que l'on peut dire que chaque type d’État-Providence semble plutôt propice à produire des politiques qui, de façon particulière traduisent une tension entre deux logiques d'intervention, sachant que l'opposition bipolaire [77] qui se manifeste diffère d'un type à l'autre. Ce que nous allons illustrer pour le workfare.

Une caractérisation différenciée du workfare :
le triangle des arbitrages


L’État-Providence libéral s'occupe du chômage de longue durée et de la pauvreté essentiellement par le biais de l'aide sociale, un programme de type résiduel destiné à ceux qui sont incapables de s'assurer un revenu par leur travail ou une autre source. Cette aide de dernier recours implique un examen de ressources et ouvre tout naturellement la voie au workfare. Le travail obligatoire est d'ailleurs l'une des plus anciennes façons de tester le « mérite » des bénéficiaires. De plus, la compréhension libérale et individualiste de la pauvreté encourage la recherche de solutions qui visent à modifier le comportement individuel. Le workfare peut aussi jouer ce rôle. Cela étant dit, l’État-providence libéral se caractérise également par sa réticence à dépenser dans le domaine social et par sa propension à ne pas investir suffisamment dans le workfare, même si l'approche est perçue comme utile. Là se trouve la tension fondamentale dans la définition du workfare au sein de l’État-Providence libéral : l’approche est investie d'une mission de contrôle disciplinaire des individus, mais des considérations budgétaires limitent sa mise en œuvre. C'est pourquoi le caractère punitif des mesures est amplifié, alors que les résultats au chapitre de l'employabilité peuvent apparaître dérisoires.

L’État-Providence conservateur fait face à une tension semblable. Le workfare est ici moins un instrument de contrôle des populations qu'une approche utile pour faciliter les adaptations au marché du travail ou pour réintégrer les exclus ; en contrepartie, les mesures d'employabilité ou de workfare apparaissent suffisamment coûteuses pour ne pas être pleinement déployées. Contrairement à l'État-providence libéral, l'État conservateur donne une définition large aux programmes sociaux, qu'on tend à associer à des catégories de la population plutôt qu'à des individus. En Allemagne, par exemple, les fonctionnaires ont leurs propres programmes et ne contribuent pas au Bundesanstalt (l’Institut fédéral de l'emploi et de l'assurance-chômage). [72] En France, une série de programmes protègent les différentes catégories de la population (les personnes âgées, les handicapés, les mères célibataires, les chômeurs de longue durée, etc.) ; le Revenu minimum d'insertion n'a été ajouté qu'en 1988, pour combler les trous qui restaient dans le [78] filet de la sécurité sociale. [73] Destinés à des catégories diverses, les services sociaux et la sécurité du revenu de l'État-providence conservateur font l'objet d'arbitrages constants. Ainsi le désir d'améliorer les qualifications et de faciliter l'adaptation au marché du travail a-t-il tendance à être contrebalancé par diverses priorités redistributives. Le dilemme adaptation-coût oriente donc la plupart des débats sur les politiques du marché du travail. [74]

Ayant eu plus de succès jusqu'à récemment dans la recherche du plein emploi ou d'un niveau élevé d'emploi et étant également plus engagé à maintenir des politiques actives concernant le marché du travail, l’État-providence social-démocrate a pour l'essentiel échappé aux contraintes budgétaires qui ont pesé sur les intentions en matière d'employabilité dans les États-providence conservateur et libéral. Le niveau des dépenses n'était pas un enjeu central. Même récemment, et malgré des taux de chômage plus élevés, les contraintes budgétaires n'obligent pas à une remise en question des politiques actives du marché appliquées au travail, parce que celles-ci sont perçues comme des instruments contracycliques et institutionnalisés à ce titre. [75] La tension centrale dans l'État-providence social-démocrate tient d'un équilibre délicat à maintenir entre les objectifs associés au marché du travail et la préservation de l’autonomie individuelle. Pour la plupart des programmes sociaux, l’État-providence social-démocrate combine des transferts généreux avec des interventions distantes : l’universalité sépare la redistribution des caractéristiques individuelles. Les interventions sur le marché du travail, cependant, comportent une forte composante individuelle et revêtent même souvent un caractère obligatoire, particulièrement lorsque peu de chômeurs peuvent bénéficier de programmes de soutien. Pour tempérer cette tension, les sociaux-démocrates ont confié un rôle important aux syndicats relativement à l'administration des programmes destinés au marché du travail.[76] La difficulté n'en demeure pas moins significative.

La figure suivante résume les différents principes d'argumentation en faveur du workfare, selon une représentation qui suggère qu'il y a pour l'essentiel trois idées de base en jeu, ces idées étant combinées de [79] façon différente en fonction du type d’État-Providence dont un pays a hérité. [77]


Dans l'ensemble, l'État-providence libéral accorde peu d'importance aux objectifs d'adaptation ou d'intégration au marché du travail. On s'y préoccupe plus des motivations des individus qui reçoivent l'aide sociale et on voit dans le workfare un outil valable pour changer ces motivations et influencer les comportements. En même temps, la faible priorité accordée à la sécurité du revenu prévient ces mêmes États d'investir suffisamment pour transformer « l’aide sociale telle qu'on connaît » (pour reprendre les termes du président Clinton). Les politiques libérales expriment cette tension et sont marquées par une hésitation continue entre des objectifs comportementaux ambitieux et souvent répétés, d'une part, et des engagements budgétaires modestes, d'autre part. [78] Compte tenu de la difficulté politique de définir et d'adopter des [80] réformes ambitieuses, le résultat le plus probable est un effort modeste de workfare, effort qui risque d'être au mieux efficace pour quelques-uns, mais généralement inutile et décourageant. Il s'agit là déplore Judith M. Gueron, de la « réforme des programmes sociaux telle qu'on la connaît : un programme national mal financé, des changements réels limités, des questions sans réponse à propos du potentiel de nouvelles initiatives et un public encore plus désabusé ». [79]

La tension qui traverse l'État-providence conservateur se manifeste aussi par un manque de financement, qui laisse de nombreux demandeurs sans accès aux différents programmes. En France, par exemple, les contrats d'insertion ne sont pas accessibles à tous ceux qui pourraient s'en prévaloir. En Allemagne, le même dilemme est institutionnalisé dans les deux rôles opposés du Bundesanstalt : responsable tant de la formation professionnelle que des prestations d'assurance-chômage l'Institut fédéral du travail voit sa capacité de poursuivre des politiques actives limitée par la montée des dépenses passives, précisément lorsque les politiques actives sont les plus nécessaires, en période de chômage élevé (« sauf si le gouvernement fédéral lui-même est prêt à financer les dépenses additionnelles engendrées par la crise »). [80] Cette tension entre l'adaptation et les objectifs budgétaires se traduit également par une tendance, typique à l'État-providence conservateur, à limiter les programmes les plus utiles à des catégories particulières de la population, créant ainsi des marchés du travail qui peuvent être flexibles, mais qui demeurent segmentés. [81]

Les coûts demeurent aussi une préoccupation pour l'État-providence social-démocrate, mais celui-ci échappe dans une large mesure aux tensions définies plus haut, parce que les dépenses associées aux politiques concernant le marché du travail ont tendance à être institutionnalisées sous forme de droits. Ces États font néanmoins face à une tension qui leur est propre, définie plus haut comme une tension entre l'interventionnisme et le paternalisme. Des trois tensions il s'agit sans doute de la moins problématique, puisque de nombreux programmes à caractère universel contrebalancent les pressions potentiellement [81] exercées sur les individus par les politiques visant le marché du travail. [82] Il n'en demeure pas moins que la recherche active de flexibilité sur les marchés du travail, combinée avec des services intensifs et individualisés pour les chômeurs, peut conduire à une perte de contrôle, à un « trou noir » démocratique. La dépendance, dans ce cas, prend un sens distinct par rapport aux États libéraux, mais non moins problématique. [83] La solution consiste probablement à réintroduire des choix et de l'autonomie à l'intérieur des institutions de l'État-providence. Une telle solution dépend toutefois de la création de nouveaux alignements politiques, plus à même de refléter le caractère postindustriel des sociétés social-démocrates.[84]

En résumé les arguments en faveur du workfare sont nombreux et ils varient avec les types d’État-Providence que les pays ont institutionnalisés, mais ils peuvent tout de même être compris comme formant trois tensions interreliées. Les États libéraux sont pris dans les logiques du contrôle et du laisser-faire, les États conservateurs, dans celles du laisser-faire et de l'adaptation, et les États social-démocrates dans celles de l'adaptation et du contrôle. La situation évidemment se complique lorsque l'on tient compte du caractère mixte de la plupart des pays.

Conclusion

La mondialisation de l'économie, qui s'est imposée et dont les contraintes sont manifestes depuis les années quatre-vingt, pose les conditions de développement des sociétés dans des termes renouvelés. Le resserrement de la compétition internationale et la nécessité d'y faire face exercent une forte pression pour que soient mis en œuvre des moyens permettant de relever le niveau de compétitivité.

La façon de relever le défi varie certainement. Plusieurs outils d'intervention publique peuvent être employés dans le but de renforcer la compétitivité de l'économie nationale. Certains pays se tournent surtout vers la politique industrielle ; le rôle de l'État est valorisé dans la mesure où un ensemble de ressources publiques sont engagées pour appuyer les efforts de l'entreprise privée. Parallèlement, une politique axée sur [82] l’offre visera à libérer l'entreprise de responsabilités trop onéreuses qui nuisent à son essor ; pensons, dans le domaine de la protection sociale, à la déréglementation, à la lutte contre les rigidités, à la réduction du coût du travail, etc. Les États n'ont pas tous fait les mêmes choix. Il est manifeste que des pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada ont opté pour la deuxième perspective, alors que la première a retenu davantage l'intérêt des pays européens continentaux. [85]

Il est difficile d'évaluer, en l'isolant, l'influence de la compétition internationale sur l'épuisement du modèle de développement d’après-guerre et sur la mise en place d'un éventuel nouveau modèle de développement. Mais la compétition internationale apparaît comme un puissant mécanisme de propagation de l'idée du resserrement de la protection sociale. D'une façon générale, les contraintes de la compétitivité jouent dans le sens de l'austérité et, dans un contexte de chute de la croissance et d'accentuation du dualisme social, mettent en valeur les limites de la politique de redistribution. [86]

L'analyse comparée de l'évolution de l'État-providence depuis les années soixante-dix montre, dans un premier temps, que les diverses mesures d'austérité ont, d'une façon générale, ralenti la croissance des dépenses dans le domaine social et que, dans un deuxième temps, mis à part la Grande-Bretagne et le Danemark, les reculs majeurs se sont manifestés dans la deuxième moitié des années quatre-vingt. Certaines mesures, dont celles visant les sans-emploi, ont fait l'objet d'une attention particulière et ont mené à des réductions de droits, à des resserrements de l'admissibilité, à des diminutions du niveau de couverture et de la durée des prestations, à l'utilisation accrue d'examens de ressources, etc.

L'importance des replis et des réductions est générale ; pourtant, pour ce qui est de la configuration institutionnelle des États-providence les changements fondamentaux concernant l'économie générale de là protection sociale ont été enregistrés d'abord en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande. Ailleurs, les restrictions se sont coulées dans le modèle privilégié d'interventions existant, tout en le modifiant de diverses manières. [87] Le workfare illustre bien cette dynamique qui fait en sorte que des mesures d'inspiration commune épousent à terme une logique d'intervention variable d'un type d’État-Providence à un autre.

[83]

Cela dit, les configurations institutionnelles ne sont pas immuables et ne traversent pas le temps sans être altérées. C'est en ce sens que la période actuelle est radicalement névralgique.

En Amérique du Nord, l’ALENA exerce une pression diffuse mais non moins réelle sur l'évolution de la protection sociale dans les trois pays partenaires. Mais d'abord et avant tout les arbitrages se font au sein de chaque État en fonction de la condition des forces endogènes et de leur compréhension respective des contraintes de la continentalisation. Il s'agit d'un enjeu dont le traitement reste principalement domestique, mais qui est marqué par la prédominance du type libéral d’État-Providence.

En Europe, la situation est plus complexe du fait de la diversité des configurations institutionnelles et du jeu instable des relations entre les États membres et la Communauté européenne. Ce jeu n'est pas sans ambivalence, mais il y a fort à parier que l'état des rapports de forces sur les scènes nationales ainsi que l'univers des représentations et des pratiques instituées constitueront des éléments essentiels de l'avenir de la protection sociale. Déjà, les formes institutionnelles, les compromis historiques qui les ont accompagnées, les principes sous-jacents aux diverses conventions sociales et les organisations et les cultures politiques plaident pour une résistance à l'égard du « modèle anglo-saxon ». Mais cette résistance ne peut s'appuyer sur la seule force de l'inertie et doit s'exprimer positivement dans les termes d'une restructuration différente de la protection sociale.

L'une des questions majeures liées à la contrainte de compétitivité et à l'avenir de la protection sociale est sans doute la capacité de faire montre d'une discipline concernant les coûts, tout autant pour ce qui est des prix et des salaires que pour ce qui est de la fiscalité. La solution à l'incapacité d'en arriver à une discipline volontaire reste le recours brutal aux forces du marché et à la déréglementation. [88] En ce sens, le modèle libéral anglo-saxon garde tout son attrait.

Il y a là place à l'innovation sociale, car les formes anciennes de corporatisme macrosocial ne sauraient être reprises en l'état ni dans les États membres ni au niveau de la Communauté européenne. Les conditions ont changé. Notons au passage que l'accentuation du dualisme social et de la pauvreté et la croissance du nombre des sans-emploi de longue durée hypothèquent la capacité des organisations de travailleurs à agir comme représentant des travailleurs dans leur ensemble et à établir un rapport de forces satisfaisant. Notons aussi qu'il y a une remise en question par les acteurs politiques des modèles de concertation des [84] années de croissance et que, dans l'ensemble, « il est difficile de donner vie à des mécanismes de concertation dans lesquels se multiplient [...] les jeux à somme nulle ». [89] À défaut d'innovation sociale, une régulation plus brutale trouverait sa légitimité dans un constat d'échec et un sentiment d'urgence.

L'héritage des configurations institutionnelles de l'État-providence et la capacité de chaque État à intégrer une révision des politiques et l'usage d'expédients à la mode ne constituent d'ailleurs pas une carapace à toute épreuve. Ne serions-nous pas plutôt en train d'assister à un « encerclement » néo-libéral progressif, qui altérerait significativement la nature et l'économie générale des systèmes de protection sociale, incluant ceux qui y sont le plus réfractaires ? Si tel est le cas, « l'application de recettes nouvelles fondées sur d'autres valeurs et d'autres modèles d'action [... pourrait modifier] substantiellement la hiérarchie des objectifs et des secteurs ». [90]

Gérard BOISMENU et Alain NOËL

Département de science politique
Université de Montréal

Résumé

Au cours des années quatre-vingt, la rhétorique conservatrice qui s'est imposée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et avec moins de panache au Canada, a alimenté les spéculations au sujet d'une crise de l'État-providence. Dans le contexte actuel de mondialisation, il importe de saisir si ce cheminement nord-américain ou anglo-saxon connaît une extension en Europe, participant de ce fait à un phénomène de convergence des systèmes de protection sociale, convergence qui impliquerait un changement fondamental de la cohérence sous-jacente aux systèmes de protection sociale en Europe. Cet article compare les États-providence, présente les évolutions récentes dans les pays anglo-saxons et en Europe continentale, et se penche plus particulièrement sur la question du workfare, pour conclure que même si les remises en question sont générales, les trajectoires des pays concernés demeurent ancrées dans les modèles et institutions déjà en place.

[85]

Mots-clés :

État-Providence, protection sociale, Amérique du Nord, Europe, workfare, institutions, compétitivité, mondialisation, intégration continentale, marché du travail.



* Une version préliminaire de cet article a été présentée au colloque « Compétitivité des entreprises, des populations, des territoires », GEMDEV, centre Malher, Paris, 30 janvier 1995. Ce travail a été réalisé dans le cadre d'un programme de recherche subventionné par le FCAR. Nous remercions Benjamin Coriat, pour les commentaires faits à l'occasion du colloque, ainsi que Benoit Henri qui a agi à titre d'assistant de recherche dans la préparation de ce texte.

[1] A. Sinfield, « The impact of unemployment upon welfare », dans Z. Ferge et J. Kolberg (dir.), Social Policy in a Changing Europe, Boulder, Westview, 1992, p. 95-116.

[2] Ibid., p. 102-104.

[3] J. Jallade, « Is the crisis behind us ? Issues facing social security systems in Western Europe », dans Z. Ferge et J. Kolberg (dir.), ouvr. cité, p. 36-56.

[4] Ibid.

[5] T. M. Smeeding, « Why the U.S. antipoverty system doesn't work very well », Challenge, janvier-février 1992, p. 30 et suiv. ; T. M. Smeeding et autres, « Income poverty in seven countries », dans T. M. Smeeding, M. O'Higgins et L. Rainwater, Poverty, Inequality and Income Distribution in Comparative Perspective, Washington (DC), The Urban Institute Press, 1990, p. 57-76.

[6] M. Hanratty et M. R. Blank, « Down and out in North America : Recent trends in poverty rates in the United States and Canada », Quarterly Journal of Economics, no 107, février 1992, p. 233- 254.

[7] Pour un survol critique de la question, voir R. Blank et R. Freeman, « Evaluating the connection between social protection and economic flexibility », dans R. Blank (dir.), Social Protection versus Economic Flexibility : Is there a Trade-off ?, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 21-41.

[8] K. Abraham et S. Houseman, « Does employment protection inhibit labor market flexibility ? Lessons from Germany, France and Belgium », dans R. Blank (dir.), ouvrage cité, p. 59-93.

[9] R. Blank et R. Freeman, article cité.

[10] J. Delcourt, « Globalisation de l'économie et progrès social. L'État social à l'heure de la mondialisation », Futuribles, no 164, 1992, p. 3-34.

[11] J. Jallade, article cité.

[12] R. Reich, L'économie mondialisée, Paris, Dunod, 1993, p. 268.

[13] A. Pfaller, I. Gough et G. Therborn, Can the Welfare State Compete ? A Comparative Study of Five Advanced Capitalist Countries, Londres, Macmillan, 1991, p. 5 et suivantes.

[14] Ibid., p. 15-43 ; R. Blank et R. Freeman, article cité.

[15] R. Titmuss, Social Policy, Londres, Allan and Urwin, 1974.

[16] P. Chamberlayne, « Income maintenance and institutional forms : A comparison of France, West Germany, Italy and Britain 1945-1990 », Policy and Politics, vol. 20, no 4, 1992, p. 299-318.

[17] G. Therborn, « Welfare State and capitalist markets », Acta Sociologica, vol. 30, nos 3-4, p. 237-254.

[18] G. Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Princeton, Princeton University Press, 1990.

[19] K. Doogan, « The social charter and the europeanisation of employment and social policy », Policy and Politics, vol. 20, no 3, 1992, p. 167-176.

[20] J. Kolberg et H. Uusitalo, « The interface between the economy and the Welfare State : A sociological account », dans Z. Ferge et J. Kolberg, ouvr. cité, p. 77-94 ; S. Libfried, « Towards a european Welfare State ? On integrating poverty regimes into the european community », dans Z. Ferge et I. Kolberg, ouvr. cité, p. 245-279.

[21] Ibid.

[22] H. Huber, C. Ragin et J. D. Stephens, « Social democracy, christian democracy, constitutional structure, and the Welfare State », American Journal of Sociology. vol. 99, no 3, 1993, p. 711-749.

[23] S. Rosenberg, « The more decentralized mode of labor market regulation in the United States », Économies et sociétés, série « Économie du travail », no 18, 8, 1994, p. 35-58.

[24] G. Esping-Andersen, ouvrage cité.

[25] D. Sainsbury, « Analyzing Welfare State variations : The merits and limitations of models based on the residual-institutional distinction », Scandinavian Political Studies, vol. 14, no 1, 1991.

[26] R. Reich, ouvrage cité ; J. Mazier, M. Basle et J. Vidal, Quand les crises durent..., Paris, Economica, 1993, p. 387-398.

[27] L. Salamon, « The marketization of welfare : Changing nonprofit and for-profit roles in the american Welfare State » Social Service Review, mars, 1993, p. 17-39.

[28] D. Guest, The Emergence of Social Security in Canada, Vancouver, University of British Columbia Press, 1985.

[29] D. Guest, « Canadian and american income security responses to five major risks : A comparison », dans G. Drover (dir.), Free Trade and Social Policy, Canadian Council on Social Development, Ottawa-Montréal, 1988, p. 88.

[30] Conseil national du Bien-être social, Guide des pensions, 1989, p. 53.

[31] Conseil national du Bien-être social, Réforme des pensions, 1990, p. 6-7 ; John Myles et Les Teichroew, « The politics of dualism : Pension policy in Canada », dans J. Myles et J. Quadagno (dir.), States, Labor Markets, and the Future of Old-age Policy, Philadelphie, Temple University Press, 1991, p. 84-104.

[32] Statistical Abstract of the United States 1990-1991, US Department of Commerce Bureau of the Census, USA, 1990, 1991.

[33] S. Phipps, « The impact of the unemployment insurance reform of 1990 on single earners », Analyse de politiques, no 3, 1990, p. 253 ; E. Nyahoho, « Éléments de comparaison des régimes d'assurance-chômage canadien et américain », L'Actualité économique, vol. 67, no 2, 1991 ; G. Boismenu et B. Henry, La valorisation des mesures actives d'emploi dans un contexte de restrictions budgétaires. Les politiques fédérales depuis le milieu des années 1980, texte polycopié, 1994 ; S. Rosenberg, « The more decentralized mode of labor market regulation in the United States », art. cité, p. 35-58.

[34] F. Lesemann, La politique sociale américaine. Montréal et Paris, Éditions Saint-Martin et Syros, 1988 ; S. A. Levitan, Programs in Aid of the Poor, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1990 ; S. Rosenberg, article cité.

[35] Conseil national du bien-être social, Réforme du bien-être social, Approvisionnements et Services Canada, 1992.

[36] Ibid.

[37] Voir, à ce sujet, J. I. Gow, A. Noël, et P. Villeneuve, « Les contrôles à l'aide sociale : l’expérience québécoise des visites à domicile », Analyse de politiques, vol. 21, no 1, mars 1995, p. 31-52.

[38] G. Boismenu, « La spécialisation des clientèles : panacée ou nouvelle utopie ? », dans G. Boismenu, P. Hamel et G. Labica (dir.), Les formes modernes de la démocratie, Montréal et Paris, Presses de l'Université de Montréal et L'Harmattan, 1992, p. 113- 121.

[39] G. Boismenu, « L'enjeu de la protection sociale dans le cadre de l'ALENA », Mexico, El Colegio de Mexico, 1995 ; G. Drover, « Lament for a Welfare State — It didn't die during the 1980's, but the Welfare State that holds Canada together was dealt a heavy blow », Perception, vol. 14, no 2, 1990 ; G. Drover, Le libre-échange et l'universalité, communication présentée au colloque « Politiques économiques et politiques sociales : 18 mois après le traité de libre échange », Montréal, 1990 ; E. Gee et S. McDaniel, « Pension politics and challenges : Retirement policy implications », Analyse de politiques, vol. 17, no 4, 1991.

[40] G. Gray, « Social policy by stealth », Policy Options, mars 1990.

[41] P. Wilding, « The british Welfare State : Thatcherism's enduring legacy », Policy and Politics, vol. 20, no 3, 1992, p. 201-212.

[42] F. Gaffikin et M. Morrissey, « Poverty in the 1980s : A comparison of the United States and the United Kingdom », Policy and Politics, vol. 22, no 1, 1994, p. 43- 58.

[43] A. Sinfield, article cité.

[44] D. S. King et H. Ward, « Working for benefits : Rational choice and the rise of work-welfare programmes », Political Studies, vol. 40, no 3, p. 479- 495 ; D. S. King, « The conservatives and training policy 1979-1992 : From a tripartite to a neoliberal regime », Political Studies, vol. 61, no 2, p. 214-235.

[45] A. Pfaller, L Gough et G. Therborn, ouvr. cité, p 143 et suiv. et p. 274 ; P. Pierson et M. Smith, « Bourgeois revolutions ? The policy consequences of resurgent conservatism », Comparative Political Studies, vol. 25, no 4, 1993, p. 487-520.

[46] G. Boismenu, « Systèmes de représentation des intérêts et configurations politiques : les sociétés occidentales en perspective comparée », Revue canadienne de science politique vol. 27, no 2, 1994, p. 309-343.

[47] G. Boismenu, « Protection sociale et stratégie défensive au Canada et aux États-Unis », dans C. Deblock et Dorval Brunelle (dir.), Amérique du Nord, Communauté européenne : intégration économique, intégration sociale ?, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1994, p. 403-420 ; D. Leborgne et A. Lipietz, « Flexibilité offensive, flexibilité défensive. Deux stratégies sociales dans la production des nouveaux espaces économiques », dans G. Benko et A. Lipietz (dir.), Les régions qui gagnent, Paris, PUF, 1992, p. 355-373.

[48] R. Boyer, Labour Institutions and Economic Growth : A Survey and a "Regulationist" Approach, Paris, CEPREMAP, 1992, p. 42.

[49] G. Boismenu, « La spécialisation des clientèles : panacée ou nouvelle utopie ? », article cité.

[50] B. Coriat, L'atelier du robot, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1990, p. 269-274 ; A. Noël, « Les politiques sociales et la polarisation des revenus », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 1, printemps 1994, p. 215-227.

[51] R. Boyer, The Capital Labor Relations in OECD Countries : From the Fordist "Golden Age" to Contrasted National Trajectories, Paris, Cahiers Oranges, CEPREMAP, no 9020, p. 20-23 ; R. Boyer, The Economics of Job Protection and Emerging Capital Labour Relations : From the Perspective of "Regulation Theory", Paris, Cahiers Oranges, CEPREMAP, no 9015, p. 26-40.

[52] P. Chamberlayne, art. cité ; J. D. Stephens, E. Huber et L. Ray, « The Welfare State in hard times », communication présentée au congrès annuel de l'American Political Science Association, septembre 1994, 20 p.

[53] A. Cochrane et K. Doogan, « Welfare policy : The dynamics of european integration », Policy and Politics, vol. 21, no 2, 1993, p. 85-95.

[54] Ibid.

[55] « Les "Dragons" asiatiques partent à l'assaut du marché britannique », Le Monde, ler février 1995, p. 17.

[56] A. Pfaller, I. Gough et G. Therborn, ouvrage cité, p. 284.

[57] K. Doogan, article cité.

[58] J. Bennington et M. Taylor, « Changes and challenges facing the UK Welfare State in the Europe of the 1990s », Policy and Politics, vol. 21, no 2, 1993, p. 129.

[59] Ibid.

[60] K. Doogan, article cité ; A. Cochrane et K. Doogan, article cité.

[61] P. Teague et J. Grahl, « The european community social charter and labour market regulation », Journal of Public Policy, vol. II, no 2, 1991, p. 207-232.

[62] K. Armingeon, « Towards a european system of labor relations ? », Journal of Public Policy, vol. 11, no 4, 1991, p. 399-413.

[63] W. Streeck, « National diversity, regime competition and institutional deadlock : Problems in forming european industrial relations system », Journal of Public Policy, vol. 12, no 4, 1992, p. 320.

[64] P. Teague et J. Grahl, article cité.

[65] W. Streeck, article cité.

[66] K. Doogan, article cité ; A. Cochrane et K. Doogan, article cité.

[67] J. Bennington et M. Taylor, article cité.

[68] J. Feick, « Comparing comparative policy studies — A path towards integration ? », Journal of Public Policy, vol. 12, no 3, 1992, p. 257-285.

[69] OCDE, Le marché du travail : quelles politiques pour les années 90 ?, Paris, 1990, p. 98.

[70] T. Janoski, « Direct State intervention in the labor market : The explanation of active labor market policy from 1950 to 1988 in social democratic, conservative, and liberal regimes », dans T. Janoski et A. M. Hicks (dir.), The Comparative Political Economy of the Welfare State, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 54-92.

[71] Ces différentes argumentations et la question du workfare en général sont étudiées plus à fond dans A. Noël, « The politics of workfare », dans P. Evans, L. Jacobs, A. Noël et E. Reynolds (dir.), Workfare : Does it Work ? Is it Fair ?, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, 1995.

[72] T. Janoski, The Political Economy of Unemployment : Active Labor Market Policy in West Germany and the United States, Berkeley, University of California Press, 1990, p. 82 et 183.

[73] S. Paugam, La société française et ses pauvres, Paris, PUF, 1993, p. 23.

[74] Voir, par exemple, T. Janoski, ouvrage cité, p 182-190.

[75] T. Janoski, art. cité, p. 66-67 ; G. Schmid, B. Reissert et G. Bruche, Unemployment Insurance and Active Labor Market Policy : An International Comparison of Financing Systems, Detroit, Wayne State University Press, 1992, p. 269-270.

[76] B. Rothstein, « Social justice and State capacity », Politics and Society, vol. 20 no 1, 1992, p.111.

[77] Cette représentation triangulaire s'inspire du travail de Peter Swenson sur les relations industrielles. P. Swenson, Fair Shares : Unions, Pay, and Politics in Sweden and West Germany, Ithaca, Cornell University Press, 1989.

[78] B. Jordan et M. Redley, « Polarisation, underclass and the Welfare State », Work, Employment and Society, vol. 8, no 2, juin 1994, p. 172 ; M. Weir, A. S. Orloff et T. Skocpol, « The future of social policy in the United States : Political constraints and possibilities », dans M. Weir, A. S. Orloff et T. Skocpol (dir.), The Politics of Social Policy in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1988, p. 438-439 ; A. Armitage, « Work and welfare : A conceptual review of the relationship between work and welfare », dans Bill Kirwin (dir.), Ideology, Development and Social Welfare : Canadian Perspectives, 2e éd., Toronto, Canadian Scholars' Press, 1991, p. 33-63.

[79] J. M. Gueron, « The route to welfare reform : From welfare to work », The Brookings Review, vol. 12, no 3, 1994, p. 17.

[80] R. Mahon, « From fordism to ? : New technology, labour markets and unions », Economic and Industrial Democracy, vol. 8, no 1, février 1987, p. 38.

[81] Ibid., p. 42 ; G. Esping-Andersen, ouvrage cité, p. 222-228.

[82] D. Sainsbury, « Dual welfare and sex segregation of access to social benefits : Income maintenance policies in the UK, the US, the Netherlands and Sweden », Journal of Social Policy, vol. 22, no 1, janvier 1993, p. 69-98.

[83] B. Rothstein, « The crisis of swedish social democrats and the future of the universal Welfare State », Governance, vol. 6, no 4, 1993, p. 502-505 ; A. Wolfe, Whose Keeper ? Social Science and Moral Obligation, Berkeley, University of California Press, 1989, p. 151-184.

[84] G. Esping-Andersen, ouvrage cité, p. 222-228.

[85] A. Pfaller, I. Gough et G. Therborn, ouvrage cité, p. 272 et suivantes.

[86] Voir, à ce sujet, OCDE, L'étude de l'OCDE sur l'emploi : faits, analyse, stratégies. Paris, OCDE, 1994.

[87] J. D. Stephens, E. Huber et L. Ray, article cité.

[88] A. Pfaller, I. Gough et G. Therborn, ouvrage cité.

[89] B. Jobert, « Le retour du politique », dans Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 20.

[90] Ibid., p. 9-20.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 30 avril 2004 21:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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