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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Lessard et Abdoulaye Anne, “Politique d'évaluation des apprentissages et médiatisation d'une controverse professionnelle: ou comment la pédagogie et le « bon sens » s'affrontent”. In revue Recherches en éducation, no 10, 2011. [Claude Lessard nous a accordé, le 4 avril 2022, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[105]

Claude Lessard et Abdoulaye Anne [1]

Politique d’évaluation des apprentissages
et médiatisation d’une controverse
professionnelle : ou comment
la pédagogie et le « bon sens »
s’affrontent.

In revue Recherches en éducation, no 10, 2011, pp. 105-118. Numéro intitulé : “Les formes du travail scolaire entre conflits de méthodes et développement des pratiques.”


Résumé [105]
Introduction [105]

1. Légitimité et médias [106]
2. Contexte [107]
3. Méthodologie [109]
4. Analyse des données [110]
Identifier le problème [111]
Trouver des responsables et corriger le problème [112]

5. Une interprétation, ou la pédagogie malmenée par les médias hérauts du « bon sens » [114]

Bibliographie [115]
Annexe : extraits d’éditoriaux et de chroniques [117]


Claude Lessard, Professeur,
Faculté des sciences de l’éducation
Université de Montréal
Abdoulaye Anne
Doctorant, Sciences de l’éducation
Université Laval

Résumé

Cet article analyse le rôle des médias dans les controverses éducatives. Le cas à l’étude est le débat médiatique québécois autour de la politique d’évaluation des apprentissages associée à la réforme des programmes d’enseignement primaire et secondaire, initiée à la fin des années 90. Nous dégageons les termes de ce débat, tel qu’il a été construit par les médias, et en référant aux différentes dimensions de la légitimité de Suchman (1995). Le texte illustre des effets potentiels sur le travail enseignant de la remise en question de politiques et de normes pédagogiques définies par l’autorité ministérielle, par des acteurs extérieurs à l’éducation, ici des journalistes. L’analyse révèle qu’à l’occasion du débat sur l’évaluation des apprentissages, c’est le procès du ministère de l’éducation, de sa précipitation et de son impréparation qui est fait, donnant lieu à une critique de la légitimité pragmatique et cognitive de ce qu’il a proposé comme politique d’évaluation. Mais c’est aussi celui d’une conception pédagogique et morale de l’école qui est fait. Sous cet aspect, il dépasse le contenu spécifique et restreint de l’évaluation et semble vouloir s’attaquer à un ensemble d’idées - par ailleurs, réduites à une caricature - qui auraient dominé la seconde moitié du 20e siècle et qui seraient responsables des échecs répétés des réformes systémiques et des tentatives locales d’améliorer l’école.

Introduction

Cet article analyse le rôle des médias dans les controverses éducatives. Le cas à l’étude est le débat médiatique québécois autour de la politique d’évaluation des apprentissages associée à la réforme des programmes d’enseignement primaire et secondaire, initiée à la fin des années

Nous dégageons les termes de ce débat, tel que construit par les médias, et en référant aux trois dimensions de la légitimité de Suchman (1995). Ainsi, dans un premier temps, l’article pose des jalons d’analyse du rôle des médias dans les controverses éducatives ; dans un second temps, il analyse un corpus d’articles de journaux, soit des éditoriaux et des chroniques, rédigés par des journalistes professionnels. L’analyse met en évidence les dimensions de la critique des journalistes du projet ministériel – qui culmine triomphalement chez plusieurs dans un discours de la dérision. Le texte illustre, en ce sens, des effets potentiels sur le travail enseignant de la remise en question de politiques et de normes pédagogiques définies par l’autorité ministérielle, par des acteurs extérieurs à l’éducation, ici des journalistes. L’évaluation des apprentissages, son objet (des connaissances et des compétences), son mode de communication (bulletin chiffré, avec moyenne et pourcentages, ou critérié, avec des lettres), et ses conséquences (promotion, redoublement ou non-redoublement), sont au cœur du projet scolaire et du travail enseignant : ils influent sur les buts, l’organisation et le déroulement de ce travail. Les enseignants ne peuvent faire abstraction des prescriptions dans ce domaine et composent avec elles. Il n’est donc pas trivial que l’évaluation soit débattue sur la place publique, et qu’elle ne soit pas considérée comme du domaine exclusif des enseignants. De plus, l’évaluation est un enjeu de première importance pour les parents soucieux d’assurer la réussite scolaire et sociale de leurs enfants. C’est pourquoi, si l’évaluation « appartient » aux enseignants dans son application, elle relève dans notre société, pour ses orientations fondamentales et ses principes d’organisation, des instances politiques. Les périodes de réforme des programmes d’enseignement modifient plus ou [106] moins radicalement les représentations ancrées de l’évaluation au sein du corps enseignant, comme parmi la société civile. Cela engendre souvent un débat auquel les médias font écho, et que parfois ils animent, amplifient ou orientent, selon leur vision de l’éducation.

1. Légitimité et médias

Le champ éducatif est saturé de valeurs, d’intérêts et de représentations qui divergent. Il est difficile d’y tenir et d’y faire triompher un discours raisonnable, appuyé sur une vision commune, claire et partagée et/ou sur un savoir stabilisé et reconnu comme valable. En ce sens, la légitimité des politiques et des pratiques éducatives apparaît problématique, surtout si elle semble s’éloigner des représentations dominantes ou du « bon sens ».

Selon Suchman (1995), la légitimité doit être comprise comme une construction sociale qui reflète une congruence entre les actions de l’entité légitimée et les croyances partagées des groupes qui constituent l’environnement de l’organisation. Elle témoigne de l’enracinement dans un système de croyances institutionnalisées et de scripts d’action qui, dans le meilleur des cas, est pris pour acquis. Une organisation légitime est non seulement perçue par son environnement comme valable, mais aussi comme signifiante, prévisible et digne de confiance. Elle est en mesure de fournir à son environnement un compte rendu crédible et une explication rationnelle de ce qu’elle fait et de pourquoi elle le fait. Il y a donc dans la légitimité une dimension évaluative, mais aussi une dimension cognitive : ce que l’organisation fait a du sens (cela semble compréhensible et rationnel) et aussi de la valeur (c’est une bonne chose qui doit être faite). Aussi, elle est en mesure d’accomplir sa mission : ce qu’elle entend faire est « faisable », « praticable » et ancré dans une structure d’intérêts. Ainsi, il y aurait trois types de légitimité : pragmatique, morale et cognitive.

Pour Suchman, la légitimité d’une institution est « comme un parapluie qui protège des intempéries de la vie et permet de transcender certains événements négatifs ; elle est résiliente aux événements, tout en étant dépendante d’une histoire ou d’un récit » (Suchman, 1995, p.574). Dans le cas de l’école, au cours du 20e siècle, ce récit a continué à associer l’école au Progrès, aux Lumières, à la Démocratie et à l’Égalité. Ces dernières décennies, dans les sociétés modernes avancées, pluralistes et inquiètes de leur devenir, en période de changement accéléré et impulsé par les diverses dimensions (économique, culturelle, politique, juridique) de la mondialisation, de vifs débats ont déchiré le parapluie protecteur de la légitimité de l’école. En effet, pour certains, les politiques éducatives actuelles soumettent l’école aux impératifs de la mondialisation économique, elles instrumentalisent les savoirs au service de l’économie de marché, de la productivité et de l’efficience. Exit la culture et l’humanisme. Pour d’autres, par la décentralisation, la valorisation de la concurrence et du libre choix des parents, ces politiques accentuent les inégalités sociales existantes et créent des systèmes scolaires à plusieurs vitesses. D’autres encore dénoncent le « monstre » bureaucratique, coûteux et inefficace, coupé des réalités quotidiennes des acteurs de première ligne (enseignants, élèves, parents). Enfin, selon certains, par leur ouverture à la diversité culturelle et religieuse, les politiques éducatives ne joueraient plus leur rôle de creuset de la nation et de la citoyenneté laïque et démocratique. Il n'y a donc pas de consensus sur l’école, sa mission et ses priorités.

On peut penser que les médias « réfléchissent » ces débats, au sens physique du terme. Mais, s’ils le font jusqu’à un certain point, c’est en tenant compte de la nature, des contraintes et des règles qui régissent leur champ (Bourdieu, 1996). Le champ médiatique est peuplé d’entreprises soumises aux lois de la concurrence et dont l’activité récente est perturbée par l’évolution rapide des technologies. Ces entreprises cherchent donc à survivre et à se développer sur un marché. Elles ont des intérêts économiques, des orientations idéologiques et un « style » qui contribuent à définir leur identité et à assurer leur niche dans ce marché. Comme le rappelle Bourdieu (1996, p.18) à propos de la télévision, ce style est dramatique, ce qui implique une mise en scène, une simplification et une exagération de certains traits de l’événement ou de l’enjeu. Aussi, le champ journalistique n’est pas homogène, il comprend différents types de médias : il y a des journaux « qui donnent des news, des nouvelles, des faits divers, et les journaux qui donnent des views, [107] des points de vue, des analyses » (Bourdieu, 1996, p.48). Dans cet article, nous étudions le discours de journalistes (éditorialistes et chroniqueurs) qui expriment un point de vue (des views) et qui tentent d’influer sur le contenu des politiques éducatives et sur leur implantation. Les uns travaillent dans des journaux « généralistes » qui donnent des « news » et des « views » (La Presse et Le Soleil), les autres dans un journal d’opinion (Le Devoir).

Selon les politologues McCombs et Shaw (1972), les médias contribuent à définir un « agenda » politique : en effet, il y a une corrélation entre la « couverture médiatique » et la perception des enjeux politiques exprimée par les citoyens. Les médias n’imposent pas nécessairement une façon de penser, mais ils influencent certainement ce sur quoi nous pensons et à propos de quoi nous discutons. Ils structurent en quelque sorte la conversation publique sur des enjeux qu’ils contribuent à définir, à problématiser, à pousser à l’avant-scène et à dramatiser. Plusieurs auteurs (Levin, 2004 ; Blackmore & Thorpe, 2003) soulignent que les médias ont souvent tendance : 1) à simplifier (et dramatiser) les problèmes qu’ils contribuent à construire, d’abord en tant que problèmes sociaux, puis en tant que problèmes politiques ; 2) à attribuer des responsabilités (rechercher des coupables) ; 3) à envisager et prescrire des solutions dans le court terme. Cela rappelle la trilogie « naming, blaming, claiming » (nommer, accuser, réclamer réparation) de Festiner, Abel et Sarat (1981) dans leur étude de l’émergence et de la transformation de controverses ou de disputes pouvant mener à des poursuites légales.

Les médias contribuent à la politisation des questions éducatives. D’ailleurs, ainsi qu’on le constatera dans l’analyse qui suit, les éditorialistes et les chroniqueurs dont le métier est de commenter l’actualité s’adressent souvent directement aux partis politiques, aux gouvernements et aux décideurs afin qu’ils agissent « immédiatement » pour corriger une situation construite et dénoncée comme problématique. Les médias font pression sur les acteurs politiques afin qu’ils prennent position ou clarifient celle qu’ils ont déjà formulée publiquement, aussi afin qu’ils agissent dans tel sens et avec telle célérité. En ce sens, les médias contribuent à ce qu’une question jugée problématique pénètre le système politique, y soit éventuellement mise à l’agenda et y génère de l’activité partisane au sein et entre les partis politiques, de sorte qu’à terme une action soit entreprise et une solution au problème soit déterminée.

2. Contexte

Dans le cadre de la réforme québécoise du curriculum de l’enseignement primaire et secondaire, les autorités ministérielles ont choisi une approche dite par compétences. Si les anciens programmes s’inspiraient d’une approche dite par objectifs, les nouveaux ont été structurés autour d’un ensemble de compétences transversales et disciplinaires jugées prioritaires et dont le développement devait primer sur la simple acquisition de connaissances. Pour des raisons politiques et stratégiques, la réforme des programmes fut formellement enclenchée au tournant du millénaire, avant que le comité ministériel de rédaction des nouveaux programmes n’ait pu mener le processus d’élaboration des programmes jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à la fin du cursus secondaire, la validation sérieuse par le terrain et la spécification des modalités, des processus et des dimensions de l’évaluation des apprentissages conduisant à la certification des études (Gosselin & Lessard, 2007).

Pour autant que les nouveaux programmes rendaient impérieuse une transformation de l’évaluation des apprentissages, cela s’avéra une décision risquée. Les nouveaux programmes apparurent aussi différents des anciens en ce qu’ils ne spécifiaient pas une séquence dans les contenus à transmettre ; ils se contentaient de nommer les compétences et les savoirs essentiels et à partir de ce canevas, laissaient pleine et entière autonomie aux enseignants dans la planification individuelle et collective de l’enseignement. Le ministère aussi se montra peu empressé de passer commande aux rédacteurs de manuels, estimant que les enseignants devaient être moins dépendants de ceux-ci. Plusieurs enseignants, peu habitués à cette façon de faire, cherchèrent donc le mode d’usage du nouveau curriculum, y compris au plan de l’évaluation.

[108]

C’est ainsi que dès leur sortie, les nouveaux programmes apparurent à plusieurs comme incomplets et imprécis, en même temps que le discours qui les fondait fut critiqué pour son orientation socioconstructiviste et son accent sur les compétences. Les nouveaux programmes ne furent pas accueillis favorablement par les associations syndicales enseignantes. Dès leur parution, la légitimité des nouveaux programmes, surtout dans leur dimension cognitive et pragmatique, apparut problématique. Ces associations demandèrent des correctifs et des sursis dans l’implantation, le temps que des spécifications, des clarifications, des formations et du matériel soient fournis aux enseignants.

Les autorités ministérielles, soucieuses d’implanter rapidement la réforme de l’éducation, allèrent malgré tout de l’avant et exigèrent donc que les enseignants mettent en œuvre ces nouveaux programmes, sans indications précises sur l’évaluation des apprentissages (dans ce cas-ci, l’évaluation des compétences transversales et disciplinaires). On dit qu’en cours de route, l’évaluation serait explicitée. On sous-estima le problème de la perception de la nouveauté et de la difficulté d’une évaluation des compétences (surtout des compétences transversales), tout en appelant au professionnalisme des enseignants et en leur enjoignant d’exercer leur jugement professionnel. Sans la rechercher et sans être prêt à en gérer les conséquences, le ministère se mit ainsi dans une position de vulnérabilité, comme s’il demandait aux acteurs de mettre en œuvre une réforme des programmes ambitieuse et qui était présentée et perçue comme exigeant un grand virage (celui des compétences), sans s’être assuré de l’adhésion et de la capacité de ces acteurs d’être en mesure de rendre celui-ci opérationnel, notamment au plan de l’évaluation.

Le fait que le ministère se mit rapidement en mode correction ou suivant les termes de Suchman (1995), en mode de réparation de la légitimité, et qu’il rédigea rapidement une seconde version des programmes du primaire (sans cependant revoir ses choix fondamentaux, ni répondre à toutes les demandes des enseignants) en dit long sur la fragile légitimité de la réforme des programmes.

On le verra plus loin, les médias se sont faits l’écho de ces critiques et de ces demandes, auxquelles ils ajoutèrent celles des parents manifestant une certaine difficulté à s’approprier le langage des compétences et de leur évaluation.

Cette apparente précipitation et cette perception que les programmes mis en circulation étaient inachevés, notamment au plan de l’évaluation, nourrirent une certaine insatisfaction qui remonta du terrain vers les associations syndicales d’enseignants, les fédérations de parents d’élèves, les partis politiques et jusqu’à l’Assemblée Nationale du Québec qui se mit à débattre du contenu et de la forme des bulletins d’élèves. Dès lors, la question de l’évaluation des apprentissages devint fortement médiatisée et derrière elle, la réforme des programmes dans son entier.

Le débat se structura autour de trois enjeux : 1) la nature du bulletin à transmettre aux parents ; 2) le non redoublement dans le contexte de l’implantation des cycles d’apprentissage ; et 3) la place respective des compétences (notamment transversales) et des connaissances dans l’évaluation. Même si elles sont distinctes, ces questions sont liées : privilégier un bulletin comprenant des pourcentages et des moyennes a des conséquences pour l’évaluation des compétences.

Le débat pris une tournure politique dans le contexte d’un gouvernement minoritaire. En 2003, le gouvernement qui avait conçu et lancé l’implantation de la réforme, perdit le pouvoir au profit d’un nouveau gouvernement, au statut minoritaire. Le sous-ministre responsable de l’implantation quitta ses fonctions et trois ministres successifs, et notamment celle qui fut en poste de 2007 à 2010, prirent leur distance à l’égard des nouveaux programmes et du ministère de l’éducation. Cette réforme était celle d’un autre gouvernement, ce n’était pas la leur. Dès lors, la question de savoir si le gouvernement du Québec allait corriger les « ratés » de la réforme et donc en restaurer la légitimité, ou s’il allait entreprendre une « contre réforme », de manière plus ou moins transparente, commença à se poser et accru la confusion.

[109]

C’est dans ce contexte que les médias ont joué le rôle que nous analysons. Ce contexte n’est pas caractérisé par une forte légitimité de la réforme. Au contraire, celle-ci est fragile et les initiatives gouvernementales semblent osciller entre des amendements pour corriger et réparer ce qui apparaît mal fait ou inacceptable pour les enseignants et les parents, et des tentatives de se distancer de cette réforme et de proposer, sinon de nouveaux programmes, de nouvelles priorités éducatives (l’enseignement du français, la gestion axée sur les résultats).

3. Méthodologie

La période étudiée couvre la première décennie du 21e siècle (de janvier 2000 à mai 2010). L’analyse porte sur trois journaux francophones (La Presse, Le Soleil et Le Devoir). Les deux premiers sont à grand tirage (La Presse à travers tout le territoire québécois, Le Soleil circulant surtout dans la région de Québec) ; le troisième (Le Devoir) jouit d’un capital d’influence certain auprès des acteurs du champ éducatif, comme de ceux du champ politique. La Presse et Le Soleil appartiennent à la même entreprise, GESCA, l’un des trois grands joueurs dans le monde des médias québécois. Le positionnement de GESCA au plan politique est connu : l’entreprise est libérale (au sens philosophique, ainsi que politique) et fédéraliste. Le Devoir est nationaliste et à certaines périodes, il fut indépendantiste ; il soutient aussi politiquement le parti québécois. En matière d’éducation, les différences de positionnement entre les journaux sont plus nuancées : ainsi La Presse et GESCA semblent plus favorables à l’enseignement privé et à son financement public, au nom des bienfaits de la concurrence ; ils sont portés à dénoncer la bureaucratie en éducation et le corporatisme syndical ; ils ne s’opposent pas à tout investissement en éducation, mais insistent pour que celui-ci soit bien ciblé. Le Devoir manifeste une plus grande sensibilité à l’égard de l’école publique et des problèmes sociaux qui en perturbent le fonctionnement. Il est aussi très présent dans la discussion des enjeux associés à l’identité nationale : l’apprentissage du français, langue commune, la place de la religion à l’école, l’enseignement de l’histoire nationale et l’intégration scolaire des immigrants. Pour grossir le trait, on pourrait dire que la Presse est proche du discours économiciste actuellement dominant en Amérique du Nord, alors que le Devoir demeure fidèle au modèle québécois social-démocrate en éducation.

Notre base de données comprend un peu plus de deux cents soixante textes dont la majorité d’une seule page. Ce corpus a été extrait de la base bibliographique Euréka qui répertorie l’information et les archives de l’actualité. Y sont rapportés les positions des éditorialistes et des chroniqueurs, les comptes rendus des journalistes affectés à la couverture de l’éducation, des opinions de politiciens, des revendications des représentants syndicaux, des points de vue d’enseignants s’exprimant à titre individuel, et des opinions de parents et de citoyens ordinaires. Notons que l’information publiée par un des trois journaux est souvent reprise par l’autre, voire par les deux autres journaux.

Notre analyse s’est réalisée en plusieurs moments : d’abord, une lecture orientée vers l’identification des acteurs, des périodes et des moments critiques, ainsi que des controverses, et ensuite, l’extraction de l’information pertinente reproduite dans des tableaux récapitulatifs. Dans le cadre de cet article, notre analyse porte exclusivement sur le discours des éditorialistes et des chroniqueurs, i.e. celles et ceux qui expriment un point de vue sur l’évaluation. Cela représente 31 textes, dont nous avons exclu 6 chroniques dans lesquelles on retrouvait certes l’un ou l’autre mot-clé, mais qui ne traitaient pas de l’évaluation d’une manière un peu articulée. La base de données comprend donc 25 textes, 16 éditoriaux et 9 chroniques. Des 25 retenus, 12 ont été publiés dans Le Devoir, 11 dans La Presse et 2 dans Le Soleil. Des 11 textes publiés dans La Presse, 7 ont été rédigés par une seule et même journaliste, alors que dans Le Devoir, trois éditorialistes et deux chroniqueurs différents ont produit des textes sur la politique d’évaluation. Quant aux deux éditoriaux du Soleil, ils ont été rédigés par la même journaliste. La forte présence d’une journaliste dans l’analyse de la politique éducative faite par La Presse explique le ton très critique de La Presse.

[110]

Ce choix de limiter l’analyse aux éditorialistes et aux chroniqueurs se justifie ainsi : ces acteurs sont des faiseurs d’opinion, davantage que les journalistes censés rapportés la nouvelle sans l’analyser ou sans prendre position. Éditorialistes et chroniqueurs façonnent et influent sur la manière dont une question d’actualité est construite publiquement ; dans le cas d’une controverse, ces acteurs en dégagent et accentuent les termes ou, à tout le moins, en renforcent la structuration existante. Pour autant qu’il existe une conversation publique sur un enjeu donné, les éditorialistes et les chroniqueurs sont des participants importants de cette conversation, d’autant plus qu’ils interviennent à plusieurs reprises et sur une longue période de temps sur le même enjeu.

Les éditorialistes signent leurs textes et représentent le point de vue officiel du journal. Les chroniqueurs ne représentent qu’eux-mêmes. En cours de carrière, les journalistes peuvent changer de statut au sein de l’entreprise de presse qui les emploie. C’est ainsi que pendant la période étudiée, des journalistes affectés à l’éducation sont devenus éditorialistes, d’autres se sont vu confier une chronique ; d’autres encore ont assumé à des moments différents les deux statuts. Cette présence constante tout au long de la décennie dans la couverture et l’analyse critique de l’éducation leur donne une crédibilité et dans certains cas, une certaine stature publique. En effet, certains sont très connus, ont une présence dans les médias non-écrits, y discutent souvent de leur opinion sur les plateaux de télévision ou dans un studio de radio ; celle-ci est aussi parfois résumée sur les ondes de la radio, ou reprise par d’autres journalistes.

Nous avons fait une analyse thématique du corpus à partir des trois dimensions de la légitimité proposée par Suchman (1995).

4. Analyse des données

Il est difficile de dissocier les propos sur le bulletin de ceux portant sur le non-redoublement et l’évaluation des compétences (en particulier transversales). Nous les traitons donc ensemble, tout en reconnaissant que le bulletin a été le grand révélateur des deux autres enjeux. Même si beaucoup d’écrits parlent du bulletin, leurs auteurs traitent en même temps de l’ensemble de la question de l’évaluation. Les journaux sont unanimes dans leurs critiques du projet ministériel, mais ils se différencient dans les dimensions de leur remise en cause. Ainsi, La Presse dénonce la légitimité pragmatique et cognitive de la politique d’évaluation, ainsi que sa légitimité morale, associée à une idéologie pédagogique à laquelle ses journalistes s’opposent parce qu’elle leur apparaît contraire à la « vraie et dure vie » à laquelle il faut préparer les élèves (la performance, la compétition, la comparaison des performances et le classement) et dont l’école ne doit pas s’isoler. Même si les journalistes de La Presse critiquent la qualité technique du bulletin et son caractère incompréhensible pour les parents (légitimité cognitive) ou impossible à remplir pour les enseignants (légitimité pragmatique), la légitimité morale est aussi remise en cause. Dans le cas du Devoir et du Soleil, les textes révèlent une égale dénonciation des légitimités pragmatique et cognitive (les journalistes insistent beaucoup sur la confusion, l’impréparation et la précipitation du ministère), mais ils reconnaissent néanmoins que le non redoublement (ou le fait de considérer le redoublement comme une décision de dernier recours) et l’appréciation des compétences (une fois reconnue l’importance des connaissances et de leur évaluation) sont des orientations valables. En ce sens, Le Devoir et Le Soleil acceptent la légitimité morale de la politique d’évaluation, et limitent leurs critiques aux deux autres dimensions.

Les titres qui coiffent les textes analysés donnent une bonne idée de la position des médias sur la question de l’évaluation.

[111]

Tableau 1.

Les titres des éditoriaux et des chroniques consacrés à l’évaluation

Heureux mais ignorants
Bonnet d’âne
Bulletin scolaire – un autre virage…
Fin de la récréation !
L’épreuve de la classe
Note de passage
Un bulletin lisible
Vers une vraie réforme
Du travail bien fait
La guerre contre l’abandon scolaire
Sauve qui peut les notes
Bon départ !
Des bulletins fous
L’école en crise - la réforme de l’Éducation, une vision mal articulée
Finies les folies !
Une étoile à François Legault [le ministre]
Vers une vraie réforme
La dictature du faible
L’acte de compliquer
Le niveau baisse
Le désarroi de Madame Tartempion
Fausses notes
Le bulletin Transversal
Réforme de l’Éducation – Semer la confusion
La réforme réformée


Ces titres sont pour la plupart négatifs, indiquant au lecteur que tout ce qui entoure l’évaluation des élèves dans le cadre de la réforme curriculaire est obscur, pas très sérieux, empêtré dans un jargon pédagogique ridicule, confus, et inutilement complexe. Le ton des textes est souvent moqueur et plusieurs journalistes pratiquent avec brio la dérision. Ils se présentent comme étant soit du côté des parents qui souhaitent un bulletin clair et simple, qui donne l’heure juste à l’élève et à ses parents, soit du côté des enseignants qui se disent incapables d’évaluer des compétences (surtout transversales) formulées d’une manière abstraite.

Identifier le problème

Des extraits d’éditoriaux sélectionnés et reproduits en annexe permettent de voir comment le problème de l’évaluation est nommé et dramatisé. Il s’en dégage l’idée que le nouveau bulletin est incompréhensible (« des lettres au lieu des chiffres, des phrases alambiquées, un vrai capharnaüm, un charabia »), qu’il est ridicule dans sa forme (« les petits bonshommes, les feux de circulation, de ridicules pictogrammes ») comme dans ses ambitions (« évaluer des compétences au primaire, par exemple la compétence critique : ‘s’exprimer sur les œuvres d’art et le Patrimoine’ »). Aussi, il est moralement inacceptable dans son refus de l’échec (« le mot a été rayé du vocabulaire du Ministère »), du redoublement et de la comparaison des performances (« cette peur maladive de la comparaison a dénaturé l’évaluation »), dans sa non-valorisation de l’effort (« cette pédagogie complaisante vis-à-vis de l’élève-roi ; une pédagogie sans douleur et sans effort… une sauce bienveillante »), dans la prise en compte exagérée de l’estime de soi des enfants rois (« il ne faut pas le traumatiser le pauvre… ») ; aussi, il ne prépare pas les élèves à la vraie vie (« tout le monde est évalué…depuis des temps immémoriaux »). Enfin, il ne s’appuie plus sur des outils de communication qu’autrefois tous les parents comprenaient, comme les pourcentages et les moyennes.

[112]

Ces critiques portent sur les trois dimensions de la légitimité : cognitive (bulletin incompréhensible), morale (pédagogie sans douleur et sans effort) et pragmatique (ambition impossible à réaliser : évaluer des compétences, notamment transversales, au primaire). Étant ainsi construit comme illégitime, il y a peu à retenir de ce projet d’évaluation des apprentissages. Pour La Presse, il faut revenir aux « bons vieux bulletins ». Pour Le Devoir, qui limite ses critiques aux légitimités cognitive et pragmatique, il faut mettre fin à la précipitation, à l’impréparation, à la confusion, et aux tergiversations. Il importe de travailler non seulement sur la clarté et la cohérence de la politique, mais aussi sur les conditions qui en assureront la bonne réception par les parents et les enseignants.

Trouver des responsables et corriger le problème

Le responsable (ou le coupable) est identifié : il s’agit du ministère de l’Éducation, de ses fonctionnaires que les divers ministres qui se sont succédés à sa barre sont incapables de mettre au pas. Pour La Presse, derrière le ministère et ses fonctionnaires, il y a plus fondamentalement un système d’idées pédagogiques qui domine et qu’il faut remplacer. Cette situation problématique peut être corrigée et réparée : le ministre doit faire preuve de courage et de leadership, et se débarrasser de ces idées ainsi que de celles et ceux qui les épousent, et les remplacer par le « bon sens » partagé par les parents et les citoyens « ordinaires ». L’analyse des éditoriaux montre que le ministre a tenté de corriger la politique d’évaluation, mais éditorialistes et chroniqueurs lui reprochent néanmoins de ne pas être allé assez loin. Constatons qu’il est revenu aux « bons vieux bulletins avec pourcentages et moyennes », que réclamait La Presse.

Pour Le Devoir, ce n’est pas tant la pensée pédagogique qui fonde la réforme et la politique d’évaluation qui constitue le problème, encore que celle-ci soit critiquée dans ses excès ou dans son dogmatisme : c’est la précipitation dans l’implantation, le peu de préparation et de formation des enseignants, et le peu de souci pour la mise en place de conditions aptes à assurer la réussite du changement. En ce sens Le Devoir, tout en étant critique vis-à-vis du ministère et de sa politique d’évaluation apparaît moins porté sur une dénonciation idéologique que La Presse, qui, elle, s’attaque à un système de pensée pédagogique qu’elle estime être responsable de la crise de l’école.

Pour La Presse, le grand coupable, c’est « toute cette pédagogie complaisante vis-à-vis de l'élève-roi [qui] imbibe le document du ministère » :

« [Cette philosophie] évalue des compétences (la capacité d'un élève, satisfaisante ou non, d'écrire des textes variés) et non des connaissances, comme la syntaxe, la ponctuation, l'orthographe. L'enfant est toujours comparé à lui-même et non au reste du groupe. Car il ne faut pas le traumatiser, le pauvre. Et il n'y a pas de redoublement parce que le ministère de l'Éducation a décidé que les doubleurs n'existaient plus. Tellement pratique. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les décrocheurs ? La note la plus basse, E, signifie que l'élève développe sa compétence de façon "nettement insatisfaisante". Rien sur l'échec. Le mot a été rayé du vocabulaire du Ministère. » (« Le bulletin transversal », La Presse, 7 novembre 2006)

Cette pensée pédagogique qu’il faut, selon La Presse, combattre, empêche le ministre d’agir dans le sens attendu, ou plutôt, elle ne lui permet pas de véritablement opérer une rupture avec la pensée de la réforme : « Le ministre de l'Éducation, François Legault, a décidé de larguer les fameux bulletins descriptifs. Du même souffle, il a réhabilité les pourcentages et les moyennes tombés en disgrâce avec la réforme. En ramenant le bon vieux bulletin, François Legault a pratiqué une brèche dans l'esprit complaisant de la réforme. Et il a élargi l'ouverture en annonçant qu'il allait instaurer des examens nationaux à la fin du primaire en français, en mathématiques et en histoire. Mais tout en avançant d'un pas, le ministre recule. Il y aura des examens nationaux mais ils ne compteront pas. Si l'élève échoue, il pourra tout de même passer en première secondaire. Il recevra des cours d'appoint qui lui permettront de combler ses [113] lacunes. Cette proposition ne tient pas debout. Comment un enfant qui accuse un retard important pourra-t-il affronter le secondaire ? Il y a une limite à vouloir éviter à tout prix le redoublement. Le ministre n'ose pas mettre ses culottes jusqu'au bout. Il inculque de la rigueur et de la clarté à la réforme mais il s'arrête à mi-chemin. Pire, il envoie des signaux contradictoires. Il doit aller plus loin. Encore un petit effort, par exemple, pour tasser la pédagogie par projet et la réforme commencera à avoir de l'allure. » (« Finies les folies ! », La Presse, 20 juin 2001)

Pour Le Devoir, le ministère est responsable de la confusion actuelle, mais pour d’autres raisons que des raisons idéologiques : « Bien comprise, bien appliquée, la nouvelle politique d'évaluation est des plus exigeantes. C'est une avancée. Mais son implantation concrète au secondaire tient encore du mystère… Et c'est ici que les questions commencent, ou plutôt en page 42 de la politique. Le succès de la nouvelle évaluation a pour condition, y lit-on, « une collaboration efficace qui repose sur l'aménagement du temps de travail. Au primaire, la taille plus réduite de l'équipe-cycle [les professeurs !] incite à la concertation. Au secondaire, des modalités doivent être mises en place pour la favoriser ». En termes clairs, la nouvelle évaluation ne peut trouver place que dans une transformation radicale de l'école secondaire, aux cours morcelés et aux professeurs qui défilent. La réforme qui sera mise en place dans toutes les écoles en 2005 prévoit moins de matières à l'horaire et un travail d'équipe des professeurs. Mais le changement de culture sera tel - bien plus grand que le mini choc vécu lors de la réforme au primaire - que l'évaluation en pâtira dans certains établissements. » (« Note de passage », Le Devoir, 30 octobre 2003)

Tout au long de la décennie 2000, les médias ont critiqué sévèrement la politique d’évaluation au fur et à mesure qu’elle s’explicitait et se clarifiait. Ils en ont attaqué la légitimité dans sa dimension pragmatique et cognitive, mais aussi morale. Leur arme de combat préférée et efficace a été la dérision et le recours au « bon sens » : un vieux dicton veut que « le ridicule tue ». Le tableau ci-joint résume l’analyse en fonction des trois légitimités.

Tableau 2.

Les trois types de légitimité et la politique d’évaluation des apprentissages

Légitimité

Pragmatique

Morale

Cognitive

Évaluation

Bulletin

Prend trop de temps à faire.

Élimine classement et comparaison entre les élèves.

N’est pas clair (lisible) pour les parents mais aussi pour des enseignants.

Jargon incompréhensible ; les pourcentages sont plus précis que les lettres. Forme ridicule.

Redoublement

Son coût élevé (impératif économique) est la raison de son élimination.

Son élimination crée des enfants rois qui ne connaissent pas le sens de l’effort et du mérite.

Égalitarisme et anti élitisme dépassés.

Son élimination ne permet pas d’améliorer le niveau de l’élève.

Comparer et classer correspondent à la « vraie vie », à l’ordinaire adulte.

La « vraie » école prépare à la « vraie » vie.

Compétences

Pour les enseignants, elles sont difficiles à mesurer. Tâche impossible.

Nivellement par le bas, baisse de niveau, rejet de l’excellence

Les connaissances ne doivent pas disparaître au profit des compétences. Importance relative des compétences.

Abstraites et générales, elles sont difficiles à saisir concrètement.


[114]

À fin de la période étudiée, des éditorialistes soulignent que le Québec a gaspillé une décennie pour revenir au statu quo ante (« Que de chemins inutiles empruntés pour en arriver là ! »). Deux raisons sont évoquées pour expliquer cet échec : 1) « l'approche pédagogique préconisée par ce qu'on appelle désormais le ‘renouveau scolaire’ n'a tout simplement pas fonctionné », et 2) « l’indécision gouvernementale (qui serait la responsabilité non seulement de Québec [2], mais aussi des détracteurs de la réforme qui, par entêtement et parti pris, ont peut-être oublié qu'on parlait ici d'abord et avant tout des... élèves) ».

5. Une interprétation,
ou la pédagogie malmenée
par les médias hérauts du « bon sens »


À l’occasion du débat sur l’évaluation des apprentissages, c’est le procès du ministère de l’éducation, de sa précipitation et de son impréparation qui est fait, donnant lieu à une critique de la légitimité pragmatique et cognitive de ce qu’il a proposé comme politique d’évaluation. Mais c’est aussi celui d’une conception pédagogique et morale de l‟école. [3] Sous cet aspect, il dépasse le contenu spécifique et restreint de l’évaluation et semble vouloir s’attaquer à un ensemble d’idées – par ailleurs réduites à une caricature – qui auraient dominé la seconde moitié du 20e siècle et qui seraient responsables des échecs répétés des réformes systémiques et des tentatives locales d’améliorer l’école. En ce sens, le débat auquel participent les éditorialistes et les chroniqueurs a pris les allures d’un combat moral les opposant non seulement aux fondements de la réforme de la dernière décennie, mais aussi à toute la pensée éducative du dernier demi-siècle.

Que les autorités ministérielles se soient mises en position de vulnérabilité en lançant une vaste réforme ambitieuse sans d’entrée de jeu expliciter et expliquer aux acteurs comment les compétences seraient évaluées et par quoi le redoublement serait remplacé, est incontestable. Et les premières expérimentations des nouveaux bulletins produits par les commissions scolaires et les écoles donnèrent prise à une dénonciation de leur « ridicule ». Mais cela n’explique pas tout. L’analyse montre que, avec la couverture des médias, il s’est cristallisé très tôt une image « irréaliste » et « utopique » de cette réforme : dès lors, celle-ci est apparue illégitime parce qu’inadaptée à la vie d’aujourd’hui, la « vraie vie », celle qui est faite de concurrence et de dure compétition, et qui exige sans cesse des individus qu’ils performent mieux que les autres. La pédagogie qui est dénoncée est celle qui nie cette réalité, qui satisfait aux désirs des enfants-rois et par là, les prépare mal à la vie. Les éditorialistes et les chroniqueurs ne dénoncent pas l’approche par compétences parce qu’elle instrumentalise les savoirs scolaires et qu’elle soumet l’école au marché du travail [4], et qu’en ce sens elle ne valorise pas l’humanisme et la culture ; ils la dénoncent surtout dans son volet évaluation, pour son « irréalisme » et son absence de « bon sens ».

Cette interprétation est soutenue par l’importance que les classes moyennes actuelles accordent à la performance, ainsi que par celle de la « grammaire » de l’école (Tyack et Cuban 1995) : l’école classe et sélectionne les élèves en fonction de leur mérite ; les pédagogues qui pensent autrement sont en quelque sorte des utopistes dangereux parce qu’ils nient des réalités incontournables (le classement, la comparaison, la compétition, l’échec et l’excellence) et par là, préparent mal la jeune génération au monde d’aujourd’hui et de demain. Que la pédagogie actuelle soit réduite à cette caricature de la pensée soixante-huitarde et à l’humanisme non directif de Rogers et de ses disciples a surpris plusieurs réformateurs qui avaient tendance à justifier l’approche par compétences, et notamment les compétences transversales, en termes d’adaptation aux exigences de la société et de l’économie du savoir. Mais cette « simplification » médiatique fut efficace.

[115]

La dimension sociale de l’évaluation a été absente du discours médiatique. Pourtant, la recherche (Paul, 1996) montre que le retard scolaire, l’échec et l’abandon scolaire ne sont pas également répartis à travers les strates sociales et qu’une politique de maintien du redoublement n’est pas de nature à contribuer à une plus grande égalité des chances. Cet angle du débat ne fut jamais pris en considération par les médias, qui semblent ici exprimer leur ancrage dans les valeurs des classes moyennes.

Bibliographie

BLACMORE, J. & THORPE, S. (2003), « Media/ting Change : the Print Media’s Role in Mediating Education Policy in a Period of Radical Reform in Victoria, Australia », Journal of Education Policy, n° 18 (6), pp. 577-595.

BOURDIEU, P. (1996), Sur la télévision, suivi de l’emprise du journalisme. Paris, Liber, raisons d’agir.

COMEAU, R. & LAVALLÉE, J. (dir.) (2008), Contre le pédagogisme, Québec, éditions Vlb.

FESTINER, W. L. F., ABEL, R. L. & SARAT, A. (1981), « The Emergence and Transformation of Disputes : Naming, Blaming, Claiming », Law & Society Review, 1980-1981, n° 15 (3-4), pp. 631-654.

GOSSELIN, G. & LESSARD, C. (dir.) (2007), Les deux principales réformes de l’éducation du Québec moderne, Témoignages de celles et ceux qui les ont initiées, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. Formation et Profession.

LEVIN, B. (2004), « Media-Government Relations in Education », Journal of Education Policy, 19(3), pp. 271-283.

MCCOMBS, M. & SHAW, D. L. (1972), « The Agenda-Setting Function of Mass Media », Public Opinion Quarterly, n° 36, pp. 176-187.

PAUL, J.-J. (1996), Le redoublement : pour ou contre. Paris, ESF, coll. Pratiques & enjeux pédagogiques.

SUCHMAN, M. C. (1995), « Managing Legitimacy. Strategic and Institutional Approaches », Academy of Management Review, n° 20, pp. 570-610.

TYACK, D. & CUBAN, L. (1995), Tinkering Toward Utopia, A Century of Public School Reform, Cambridge, Mass., Harvard University Press.

[116]

Annexe :
extraits d’éditoriaux et de chroniques


Comment comparer un bonhomme souriant avec un A et un feu vert ? Un vrai capharnaüm. Qu'on le veuille ou non, la comparaison est incontournable. Toute la philosophie de l'évaluation a été bouleversée avec l'arrivée des bulletins descriptifs qui comparent l'élève non plus au reste de la classe, mais à lui-même. Fini les chiffres, fini les moyennes. Cette peur maladive de la comparaison a dénaturé l'évaluation. (Des bulletins fous, 3 - La Presse - 14 novembre 2000)

Finis les folies et les longs bulletins de plusieurs pages où l'élève est évalué avec des petits bonhommes qui sourient ou pleurent et des feux de circulation, rouges, jaunes ou verts. Exit le langage obscur où le parent doit deviner si son enfant a bien cheminé dans le développement de sa compétence transversale. (…) Dans sa réforme, le ministre prône une pédagogie sans douleur et sans effort où l'enfant apprend en s'amusant et en imaginant des projets. Le bulletin descriptif, qui éliminait scrupuleusement toute comparaison, s'inscrivait parfaitement dans cette sauce bienveillante. Le ministre va même plus loin en éliminant le redoublement. (Finies les folies ! - La Presse - 20 juin 2001)

Ceux qui croient aux vertus pédagogiques des couleurs et des bonshommes à la mine réjouie ou déconfite et ceux qui s'opposent à toute forme de comparaison entre élèves. Comme si les enfants ne se comparaient pas entre eux. (…) François Legault a enfin indiqué ce qu'il voulait voir inscrit aux bulletins des jeunes écoliers québécois. Certains lui reprocheront d'avoir opté pour un modèle hybride. Des milliers de parents lui seront cependant reconnaissants d'avoir épuré le bulletin des ridicules pictogrammes et des phrases alambiquées, pour en faire un outil qui les renseigne vraiment sur l'évolution scolaire de leurs enfants et sur les matières qu'ils doivent améliorer. Sa décision d'introduire des examens nationaux à la fin des études primaires permettra aussi aux parents de voir où se situent leurs jeunes et l'école qu'ils fréquentent, par rapport aux autres établissements au profil socio-économique similaire. (…) Après des mois de consultations, le ministre accouche finalement d'un modèle où tous y trouveront leur compte. (Une étoile à François Legault - Le Soleil - 21 juin 2001)

Le ministre de l'Éducation, François Legault, a enfin mis un peu d'ordre dans ses compétences transversales et disciplinaires. Le programme du primaire, colonne vertébrale de la réforme, a été réécrit. Même s'il s'enfarge encore dans des concepts un peu fumeux, il a été épuré et simplifié. Les professeurs vont enfin comprendre ce qu'ils enseignent depuis un an. (…) En dépit de ces bons coups, il reste tout de même quelques incongruités. Le ministre, par exemple, veut imposer un examen national à tous les élèves de 6e année. Bravo. Mais cet examen ne compte pas. Un enfant peut échouer et être tout de même admis au secondaire. Cette idée, qui ne tient pas debout, fait partie du grand mystère du redoublement que M. Legault veut éliminer simplement en offrant aux élèves des mesures de soutien. Le ministre gagnera-t-il son pari ? Pourra-t-il dompter son ministère et remettre la réforme sur ses rails ? Avec tous les changements qu'il a opérés depuis un an, il va peut-être réussir à transformer un cauchemar bureaucratique en vraie réforme. (Vers une vraie réforme - La Presse - 7 septembre 2001)

L'idée n'est pas nécessairement mauvaise. Après tout, le but de la réforme n'est-il pas de faire réussir le plus grand nombre d'élèves ? À l'heure actuelle, un élève sur trois quitte le secondaire avant d'avoir obtenu son diplôme, et le taux de décrochage dans certaines polyvalentes tourne autour de 60%. On l'a dit et redit, l'école secondaire a besoin d'un solide coup de barre et la réforme qui est à ses portes constitue une occasion à ne pas rater. En limitant les "reprises" de cours à leur plus simple expression, le ministère de l'Éducation espère encourager la persévérance. Mais une mesure de cette importance nécessite un cadre propice à son application. Instaurée dans l'improvisation, elle fera plus de mal que de bien. On a déjà abondamment parlé de la facilité avec laquelle, dans un univers sans redoublement, on peut rapidement réduire le taux d'échec et faire grimper en flèche les taux de réussite. Au ministère de l'Éducation, on répète que le non-redoublement n'est pas un passeport vers la réduction des exigences. Il s'agira de s'assurer que les lacunes diagnostiquées à la fin d'une année seront véritablement corrigées, et non oubliées, parce que l'organisation scolaire manque de souplesse. Il y a quelque temps, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) visait dans le mille en dénonçant la rigidité de la grille-horaire des étudiants, expliquant presque candidement que l'horaire échappait aux considérations pédagogiques. Cet horaire répond à des exigences d'ordre administratif dans lesquelles les ordinateurs et les conventions collectives occupent une très grande place. Va-t-on profiter de l'implantation de la réforme pour assouplir quelque peu l'organisation de la vie scolaire ? Cela sera nécessaire si l'on veut favoriser les projets d'apprentissage multidisciplinaires et le travail en équipe. Cela sera aussi indispensable si l'on veut permettre à l'élève de suivre son groupe tout en rattrapant son retard dans une matière. Évidemment, l'instauration de "bilans d'apprentissages" à la fin de chaque cycle - cycles dont on ignore encore le nombre, soit dit en passant - serait plus pertinent dans un contexte de retour du titulariat qui est aussi souhaité par le ministre de l'Éducation, Sylvain Simard. Car, qui mieux qu'un professeur ayant établi un lien de confiance avec l'élève peut convaincre ce dernier de suivre la formation d'appoint dont il a besoin ? On le voit, la réforme au secondaire ne sera pas exclusivement une refonte des programmes, tant s'en faut. L'organisation de la vie à l'école devra aussi être repensée, en accordant cette fois la priorité à... l'élève. Il est impérieux que le ministre de l'Éducation clarifie ses intentions [117] relativement à cette réforme. Et, s'il n'est pas prêt, mieux vaut attendre une année de plus au lieu que de s'obstiner à lancer des changements sans préparation suffisante. Enfin, ne l'oublions pas, les enseignants doivent eux aussi apprivoiser les changements à venir. (La guerre contre l’abandon scolaire - Le Devoir - 27 mai 2002)

L'évaluation est un mécanisme classique qui existe depuis des temps immémoriaux. Tout le monde est évalué : au travail, dans les sports, au cégep, à l'université. Pourquoi les élèves du primaire et du secondaire vivraient-ils dans un univers à part ? Sans tomber dans le délire de la surcompétition, on peut affirmer que les élèves doivent être évalués et, oui, oui, comparés au reste du groupe. L'évaluation permet aux cégeps et aux universités de trier les élèves, les forts dans des programmes exigeants et les faibles dans des domaines plus accessibles. Si on leur enlève cet outil - juste, équitable et transparent - comment pourront-ils choisir leurs élèves ? Pour l'instant, le Ministère n'a pas de réponse. Et ça, c'est inquiétant. (…) Ceux qui s'accrochent aux bons vieux bulletins avec notes, moyennes de groupe et pourcentages sont des dinosaures qui n'ont rien compris à la nouvelle pédagogie, laissent entendre les experts du ministère de l'Éducation avec un mépris à peine voilé. Les parents doivent donc se contenter de bulletins obscurs qui leur indiquent que leur enfant "chemine bien dans le développement de leur compétence". Ce qui compte, croit le Ministère, c'est le cheminement de l'enfant, sa progression dans "l'acquisition d'une compétence". Il ne faut jamais, au grand jamais, comparer un élève au reste du groupe, sinon on stigmatise les faibles. Et qu'un parent ne s'avise surtout pas de demander si son enfant est le premier de sa classe ou le dernier, car cette question est ringarde, dépassée et elle sent l'élitisme à plein nez. (La dictature du faible - La Presse - 29 septembre 2003)

Cette indécision, qui a coloré la réforme dès qu'elle fut lancée, est la responsabilité non seulement de Québec, mais aussi des détracteurs de la réforme qui, par entêtement et parti pris, ont peut-être oublié qu'on parlait ici d'abord et avant tout des... élèves. (Réforme de l'éducation. (Semer la confusion - Le Devoir, 3 octobre 2003)

Bien comprise, bien appliquée, la nouvelle politique d'évaluation est des plus exigeantes. C'est une avancée. Mais son implantation concrète au secondaire tient encore du mystère. Il est facile de caricaturer la Politique d'évaluation des apprentissages rendue publique mardi par le ministre de l'Éducation, Pierre Reid, et qui mise sur les « compétences ». Il est d'autant plus invitant de se gausser quand on enrobe une telle politique du bla-bla sur l'« estime de soi », que le ministre évoquait lui-même. Apparaît du coup l'ado terrible - avachi, frondeur et réfractaire à l'orthographe - qui aura dorénavant droit à son local pour être évalué et à qui on décernera un diplôme parce qu'il est full spontané et que ses graffitis ont du panache. Or la nouvelle politique fait l'inverse : elle ajoute à l'évaluation plutôt qu'elle ne retranche. L'élève doit non seulement acquérir des connaissances, il peut le faire à l'extérieur des cours. Et il doit être capable d'appliquer ce qu'il apprend hors du cadre formel d'examens aussitôt faits, aussitôt oubliés. C'est en fait la mise en place du « bulletin continu », comme le titrait Le Soleil hier. Le défi est stimulant pour l'élève, qui n'est plus réduit à une note sur deux pattes, mais exigeant pour les professeurs, appelés à porter ensemble un jugement global et constant sur un élève à suivre de près. Et c'est ici que les questions commencent, ou plutôt en page 42 de la politique. Le succès de la nouvelle évaluation a pour condition, y lit-on, « une collaboration efficace qui repose sur l'aménagement du temps de travail. Au primaire, la taille plus réduite de l'équipe-cycle [les professeurs !] incite à la concertation. Au secondaire, des modalités doivent être mises en place pour la favoriser ». En termes clairs, la nouvelle évaluation ne peut trouver place que dans une transformation radicale de l'école secondaire, aux cours morcelés et aux professeurs qui défilent. La réforme qui sera mise en place dans toutes les écoles en 2005 prévoit moins de matières à l'horaire et un travail d'équipe des professeurs. Mais le changement de culture sera tel - bien plus grand que le mini choc vécu lors de la réforme au primaire - que l'évaluation en pâtira dans certains établissements. (Note de passage - Le Devoir - 30 octobre 2003)

La bonne nouvelle : le ministère de l'Éducation a laissé tomber les interminables bulletins qui utilisaient des petits bonhommes et des feux de circulation. Les écoles pourront utiliser des notes et des chiffres. La mauvaise nouvelle : ce changement n'est que cosmétique. Dans les faits, le bulletin reste éminemment compliqué : on évalue des compétences transversales et disciplinaires et non des connaissances et toute comparaison est soigneusement évacuée. (…) Toute cette pédagogie complaisante vis-à-vis de l'élève-roi imbibe le document du ministère. Les fonctionnaires ont poussé plus loin l'exercice en ouvrant une nouvelle brèche : l'adaptation du bulletin selon les besoins de l'élève. S'il est aveugle – oups ! S’il souffre d'une "déficience visuelle" - il aura droit à une copie de l'examen en braille. Bien. Mais des "adaptations" peuvent aussi être faites pour les immigrants qui ne maîtrisent pas le français et pour des élèves "qui éprouvent des difficultés personnelles ou familiales". Bref, des examens à rabais avec des notes à rabais. (L'acte de compliquer - La Presse - 31 octobre 2003)

Au primaire, le portrait est moins sombre, mais plus vague. Avec la réforme, les pourcentages sont tombés en disgrâce. Les enseignants doivent évaluer si l'élève a "bien développé sa compétence". Les critères, plus subjectifs, baignent dans un flou artistique. Les " notes " ont légèrement baissé au cours des deux dernières années. En 2001, 78 % des élèves de quatrième année ont obtenu des cotes A et B (A correspondant à une "compétence développée de façon remarquable" et B à une "compétence développée"). En 2002, ils n'étaient plus que 75 %. Même chute légère pour les compétences en mathématiques comme "déployer un raisonnement à l'aide d'un réseau de concepts et de procédures" et "communiquer à l'aide du langage mathématique". Tout ce charabia brouille le portrait d'ensemble. Comment vérifier le taux réel de réussite ? Lorsque ce langage vaguement ésotérique atterrira au secondaire, le fouillis risque d'être complet. La CSDM pourra alors brouiller les [118] pistes et camoufler son incompétence. Le nombre d'élèves qui accusent un retard à la fin du primaire a chuté de façon remarquable, passant de 30 % en 1999 à 24 % en 2001. Miracle ? Non, volonté politique. Dans la réforme, le gouvernement a décidé que le redoublement n'existait plus. (Le niveau baisse - La Presse - 17 janvier 2004)

Vous savez, cette nouvelle façon de ne pas donner de vraies notes et d'assurer le flot continu des produits défectueux dans notre système scolaire...Comment évaluer un enfant qui souffre de graves problèmes d'apprentissage pour la compétence qui consiste à s'« exprimer sur les œuvres d'art et le Patrimoine » ? En fonction de son handicap, en fonction du groupe, en fonction de la compétence théorique, en fonction des pressions des parents qui voient des progrès ou de l'école qui ne veut pas se mettre les parents à dos ? Lourd dilemme. D'autant que nous ne sommes pas ici au département d'histoire de l'art de l'Université de Montréal mais en deuxième année du primaire. Question simple : ils fument quoi, les pédagogues qui demandent à un enfant de six ou sept ans de s'exprimer sur le Patrimoine ? (Le désarroi de madame Tartempion - Le Devoir - 9 octobre 2004)

Ne cherchez surtout pas d'évaluation rigoureuse des connaissances dans le nouveau bulletin. Ne cherchez pas à savoir avec précision si l'élève a des lacunes en syntaxe ou en histoire. Selon la réforme, c'est le développement de ses compétences qui prime. Comment savoir, alors, si votre ado réussit mieux ou moins bien que la moyenne ? Cette façon d'évaluer est dépassée, nous dit-on. N'essayez surtout pas de le comparer avec le reste du groupe. C'est, paraît-il, très mauvais pour l'estime de soi et peut-être même, allez savoir, pour la capacité de construire sa conscience citoyenne à l'échelle planétaire. Bref, pas vraiment de notes, ni de mauvaises notes dans ce nouveau bulletin. Mais pour le concert de fausses notes, avouez qu'on observe là un étalement de compétence pour le moins exceptionnel. (Fausses notes - La Presse - 5 juillet 2005)

La même philosophie : on évalue des compétences (la capacité d'un élève, satisfaisante ou non, d'écrire des textes variés) et non des connaissances, comme la syntaxe, la ponctuation, l'orthographe. L'enfant est toujours comparé à lui-même et non au reste du groupe. Car il ne faut pas le traumatiser, le pauvre. Et il n'y a pas de redoublement parce que le ministère de l'Éducation a décidé que les doubleurs n'existaient plus. Tellement pratique. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les décrocheurs ? La note la plus basse, E, signifie que l'élève développe sa compétence de façon "nettement insatisfaisante". Rien sur l'échec. Le mot a été rayé du vocabulaire du Ministère. Aux cinq pages du bulletin, il faut ajouter cinq pages de notes explicatives. La version simplifiée a donc 10 pages et non une, comme l'ancien bulletin. (Le bulletin transversal – La Presse - 7 novembre 2006).

Après la Suisse, c'est au tour du Québec de laisser tomber des grands pans de la réforme scolaire. L'approche pédagogique préconisée par ce qu'on appelle désormais le "renouveau scolaire" n'a tout simplement pas fonctionné. (…) Que de chemins inutiles empruntés pour en arriver là ! Les fameuses compétences transversales qui, soit-dit en passant, ont toujours existé, reprendront leur juste place dans l'évaluation… Le syndrome des parents-rois, qui exigent que l'école s'adapte à leur enfant-roi, a fait beaucoup de ravages dans nos écoles. Le fait est que l'éducation des enfants est un travail d'équipe composée de trois joueurs : le parent, l'enseignant et l'élève. Bref, on peut bien réformer la réforme, si la relation entre enseignants et parents est bancale, c'est toute l'école qui s'en trouve fragilisée. (La réforme réformée - La Presse - 5 février 2010)



[1] Professeur et doctorant, faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal.

[2] C’est-à-dire du ministère.

[3] Nous sommes conscients d’occuper une position dans le champ de l’éducation dont notre point de vue est tributaire. De plus, le premier auteur a publiquement pris position en faveur des orientations fondamentales de la réforme.

[4] D’autres le feront, notamment la Fédération Autonome de l’Enseignement et des professeurs de l’UQAM dans un récent ouvrage collectif (Comeau & Lavallée, 2008).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 12 avril 2022 6:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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