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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de René Depestre, “Jean Price-Mars et le mythe de l’Orphée noir ou les aventures de la négritude.” In revue L’Homme et la société, revue internationale de recherches et de synthèses sociologiques, no 7, janvier-mars 1968, pp. 171-181.

[171]

René DEPESTRE
Poète, romancier et essayiste haïtien.

Jean Price-Mars
et le mythe de l’Orphée noir
ou les aventures de la négritude
.”

In revue L’Homme et la société, revue internationale de recherches et de synthèses sociologiques, no 7, janvier-mars 1968, pp. 171-181.

I.

Il manque à Jean Price-Mars seulement neuf ans pour célébrer son centenaire. Tout laisse croire qu’il atteindra cet âge vénérable, car à ses 91 ans qu’il porte avec grâce et vigueur, il a ajouté un nouveau livre à une œuvre commencée aux premières années de ce siècle. Si Price-Mars est l’intellectuel haïtien le plus connu, il est aussi le plus discuté. Il est celui dont l’œuvre et les activités ont suscité le plus de polémiques. C’est qu’il existe un profond divorce entre ce que Price-Mars a écrit et ce qu’il a fait au cours de plus d’un demi-siècle de présence sur la scène idéologique et politique d’Haïti. Dans ses livres, il s’est souvent manifesté sous le jour d’un esprit ouvert, généreux, libéral, et parfois même progressiste, tandis que dans sa vie civique il est l’homme qui depuis 1903, appelé à des postes responsables, n’a jamais protesté contre les effroyables scandales de la vie économique et politique de son pays. On peut dire que le plus souvent c’est devant un miroir complaisant qu’il a exercé ses responsabilités et sa légitimité de sociologue de talent. Directeur d’idées et d’opinions, il a toléré que des disciples sans foi ni loi interprètent de la maniéré la plus absurde ses théories. Principal initiateur haïtien du mouvement d’idées qui devait prendre le nom de négritude, Price-Mars n’a jamais, au long des années, désavoué ceux qui, comme le tyran François Duvalier, se sont servis de son autorité intellectuelle pour utiliser le concept de négritude à des fins scandaleusement démagogiques et obscurantistes. Il suffit aujourd’hui de jeter un regard sur l’extrême détresse de la condition humaine en Haïti pour voir à quel point la négritude de Duvalier est une délirante mystification où les couches les plus réactionnaires de la société haïtienne ont trouvé leur idéologie et leurs méthodes d’action. La négritude, comme Duvalier et ses complices l’appliquent depuis dix ans en Haïti n’est pas autre chose qu’une forme antillaise de fascisme, un néo-racisme totalitaire dont les principales victimes sont les millions de paysans et de travailleurs noirs d’Haïti. Cela est si vrai que Jean Price-Mars lui-même, [172] parvenu à la fin de sa vie, a senti la nécessité, dans un sursaut de probité intellectuelle et de courage moral, de protester contre l’usage ténébreux que Duvalier a fait de ses idées. Cette tardive prise de position a valu à Price-Mars d’être à son tour persécuté par Duvalier ; au cours d’une descente de police, des tontons-macoutes ont saccagé sa bibliothèque et emporté ses manuscrits inédits. Ainsi, trente-neuf ans après la parution de ce livre, la négritude de Price-Mars lui revient comme un boomerang qui assombrit les derniers jours de sa longue existence.

Jean Price-Mars est né en 1876 dans le village de la Grande Rivière du Nord. Ses parents étaient des gens simples, honnêtes, portés à chercher dans la Bible les éléments d’une morale de la vie quotidienne. Il perdit très tôt sa mère, et ce fut son père qui s’occupa de sa première éducation. Il fit ses études primaires au collège Grégoire, du Cap-Haïtien. Il se rendit ensuite à Port-au-Prince, la capitale du pays, où en 1895, il obtint au lycée Pétion son baccalauréat. La même année, bénéficiaire d’une bourse de l’État haïtien, il se rendit à Paris pour entreprendre des études médicales. Mais cinq après, la bourse ayant été supprimée, il dut regagner Haïti sans avoir terminé ses études. Il passa son doctorat seulement en 1923, à la Faculté de Médecine de Port-au-Prince. Mais à partir de 1903 commença pour Price-Mars une carrière de diplomate qui devait durer plus d’un demi-siècle. Secrétaire d’ambassade à Berlin, à 27 ans, il était encore en poste, comme ambassadeur à Paris, à 85 ans. Il a rempli de nombreuses missions aux États-Unis et dans plusieurs autres pays. Il a également représenté Haïti aux Nations-Unies, et dans un grand nombre de rencontres internationales de caractère politique ou scientifique. Candidat à la présidence en 1930, il fut battu par Sténio Vincent, mais il fut élu sénateur. Chassé du sénat en 1932, il connut des années de retraite studieuse, avant de reparaître sur la scène politique au cours des années 40. En 1941, lorsque Jacques Roumain fonda le Bureau d’Ethnologie, Price-Mars fut chargé de la direction de cet organisme qui dans l’esprit révolutionnaire de Roumain était appelé à étudier d’un point de vue strictement scientifique le passé du peuple haïtien et les divers facteurs historiques qui ont conditionné le développement culturel de la nation. Mais après la mort prématurée de Jacques Roumain en 1944, Price-Mars appelé à d’autres fonctions, laissa l’Institut d’ethnologie sous le contrôle absolu de Lorimer Denis et de François Duvalier qui le détournèrent de sa mission scientifique et en firent" rapidement le centre de diffusion de leurs divagations idéologiques. En 1957, Price-Mars présida à la Sorbonne les travaux du premier Congrès des Écrivains et Artistes noirs. Il présida également le deuxième Congrès qui eut lieu à Rome du 26 mars au 1er avril 1959. Élu président de la Société Africaine de Culture, il est considéré par ses admirateurs comme « l’un des pères de la négritude dans le monde noir ».

C’est en 1928 que Jean Price-Mars réunit sous le titre de Ainsi parla l’Oncle les textes des conférences qu’il avait prononcées à partir de 1920, en pleine occupation militaire du pays par des troupes de l’infanterie de marine des États-Unis d’Amérique du Nord. Le livre eut un énorme retentissement sur les générations intellectuelles qui montaient alors, car il les invitait à se débarrasser des « préjugés qui les ligotent et les contraignent à des imitations plates de l’étranger ». Il leur proposait de faire usage « des matières qui sont à leur portée, afin que de leurs œuvres se dégagent, en même temps qu’un large souffle humain, ce parfum âpre et chaud de notre terroir, la luminosité accablante de notre ciel et je ne sais quoi de confiant, de candide et d’emphatique qui est l’un des traits particuliers de notre race ». Ainsi parla l’Oncle fut accueilli avec enthousiasme comme la meilleure défense et la meilleure illustration de la culture nationale haïtienne qui ait jamais été tentée par un intellectuel du pays. Le livre arrivait au moment où les jeunes haïtiens qui avaient alors du talent sentaient, sous [173] l’odieuse occupation étrangère, la nécessité de rompre définitivement avec l’imitation stérile des courants esthétiques importés de Paris et de courir à leurs risques et périls la grande aventure d’une littérature et d’un art étroitement articulés aux réalités et aux rêves d’Haïti. À la même époque, Normil Svlvain, l’un des nouveaux talents du pays, parlait d’éveiller chez nos intellectuels le « goût de la culture nationale »,et justifiait ce souci par le fait que « venu après des siècles de littérature française, la tête lourde, les oreilles pleines de musique entendue, on doit oublier les cadences connues et savantes, les images toutes faites reçues des autres, lire dans le livre de la nature, et découvrir le monde par nos yeux ». Dans Ainsi parla l’Oncle, Jean Price-Mars, bousculant avec force les préjugés et les tabous de la médiocre bourgeoisie haïtienne, osait découvrir Haïti, le peuple haïtien et son folklore, le vaudou et sa complexe mythologie, avec des yeux neufs et intelligents. C’était là le véritable mérite du livre, et c’est sans aucun doute ce qui fait sa valeur scientifique et littéraire et ce qui le rend encore digne d’être connu hors de notre pays. Il réalisait brillamment le premier inventaire cohérent de l’héritage africain en Haïti. Il ouvrait la voie aux nombreuses enquêtes scientifiques dont le vaudou et le folklore haïtiens devaient par la suite être l’objet. Il avait aussi le grand mérite de proposer une nouvelle articulation de l’expression littéraire et artistique aux singularités de la vie haïtienne. Cet effort d’enracinement de la pensée et de l’art dans notre réalité nationale était d’autant plus nécessaire que les membres de l’oligarchie haïtienne, agenouillés la plupart aux pieds de l’occupant yankee, manifestaient le plus profond dégoût à l’égard de tout ce qui porte en Haïti la marque indiscutable de la civilisation africaine. Contre toute vraisemblance, les bourgeois haïtiens surtout quand ils étaient mulâtres, ne cessaient de présenter Haïti comme on ne sait quel phare de la latinité en Amérique et s’adonnaient à un braconnage culturel cosmopolite et incolore dans les terrains vagues des cultures dominantes du terrible Occident chrétien.

Cependant cet ouvrage de Price-Mars, s’il faisait admirablement la lumière sur les origines et les traditions africaines du peuple haïtien, négligeait d’étudier nos problèmes sociaux et culturels dans leurs relations étroites avec le développement d’une société différenciée par la lutte des nouvelles classes issues de la Révolution qui libéra Haïti en 1804, après plus de douze ans d’actions armées contre le pouvoir colonial français. Price-Mars perdit aussi de vue le fait que l’apport africain métissé au contact des éléments culturels laissés par la colonisation française, intégré à une base économique nouvelle, brassé par un long processus national, avait doté le peuple haïtien d’une formation psychique, dans ses traits essentiels, fort distincte à la fois des cultures africaine et française. Pour n’avoir pas dégagé clairement ce phénomène de métissage culturel, qui se manifeste également dans le vaudou, Price-Mars a rendu possible les extrapolations extravagantes, les interprétations fantaisistes, les contorsions idéologiques auxquelles se sont livrés par la suite en Haïti de mauvais lecteurs de Ainsi parla l’Oncle, comme Duvalier et les autres tenants de la négritude totalitaire. De ce livre fourmillant d’observations souvent justes, d’analyses prudentes et sincères, de remarques pertinentes touchant la psychologie du peuple haïtien, ils déduisirent en toute hâte que c’est le facteur ethnique, racial, qui fonde le caractère national d’une culture, et non les conditions de développement historique propres à chaque pays. C’est là le caractère mystificateur du concept de la négritude quand il nie l’évidence de la lutte des classes et de la diversité des conditions matérielles d’évolution, et considère la sensibilité créatrice des peuples noirs comme un bloc culturel homogène, et interchangeable dans ses manifestations expressives. C’est là négliger l’importance des nouveaux rapports de classe qui depuis la traite et depuis l’abolition de l’esclavage se sont constitués en Haïti, et dans les [174] autres pays d’Amérique à formation multi-raciale. L’héritage africain, à la suite d’une longue cohabitation avec des éléments culturels venus d’Europe, plongé dans une vie économique nouvelle, a débouché sur une formation psychique, des particularités psychologiques, des formes d’aliénation, des états de conscience distincts dans leurs traits et dans leurs contenus, à la fois de l’Afrique et de l’Europe. Malgré leur berceau commun (Afrique-Europe), les cultures d’Haïti, de Cuba, du Brésil, de la Martinique, de la Guadeloupe, et des autres peuples de la Caraïbe, présentent des caractéristiques nationales propres, en raison de leur constitution historique sur des territoires différents, au sein d’une vie économique et sociale répondant à des facteurs non moins spécifiques. La communauté de culture pour être homogène et effective suppose des communautés de territoire, de langue, de vie économique et de formation psychique. Cela ne contredit pas pour autant l’existence de nombreux traits communs au fond de la psychologie des divers peuples d’Amérique dont la culture nationale participe du double héritage africain et européen. Et parmi ces traits, sans doute le plus évident et le plus décisif est le processus de métissage culturel auquel a été soumise pendant longtemps la formation de nos respectives cultures nationales ; c’est l’existence, dans l’histoire de nos diverses et singulières cultures, d’un processus d’élaboration syncrétique d’éléments européens, africains et indiens. Les erreurs souvent commises quand il s’agit d’apprécier à leur juste valeur les divers apports européens, africains et indiens, résultent habituellement d’une fausse interprétation de l’ensemble de la question nationale dans un pays sous-développé, d’une incompréhension des rapports dialectiques et internes qui existent entre les nombreux indices et facteurs qui définissent la catégorie historique qu’est la nation. Car, il est évident que ce n’est pas le fait d’appartenir à une même race, ni la couleur de la peau, la forme du nez ou l’épaisseur des lèvres, ni le déracinement brutal, la diaspora consécutive à la Traite, qui déterminent le caractère national d’une culture, mais les conditions concrètes de vie, les conditions de développement historiques propres à chaque peuple. En Haïti, l’Afrique manifeste sa présence à travers un ensemble de perception, de représentations, de réflexes, de particularités psychologiques, de formes d’aliénation religieuse, d’expériences de travail, de traditions orales, de rythmes de danses et de chansons qui se traduisent dans le vaudou, dans l’artisanat, la culture de la terre, le folklore, dans la structure de la langue parlée par le peuple haïtien (le créole), et dans d’autres manifestations de la sensibilité et de la vie psychique du peuple qui sont le résultat d’un long processus de métissage et de syncrétisme culturels. L’Afrique en premier lieu, l’Europe ensuite, sont présentes dans la conscience sociale et dans les mœurs du peuple haïtien comme l’expression métissée, syncrétique, en perpétuel changement, des diverses conditions d’existence sociale que les Haïtiens ont connues avant la Traite, durant l’époque tragique de l’esclavage, et sous le régime semi-féodal et semi-colonial issu de la Révolution de 1804. Ainsi ce serait une grave erreur à propos d’Haïti (comme à propos des autres pays qui participent d’un double héritage culturel) de considérer séparément, isolément, la culture africaine, ou la culture française, ou encore la culture indienne. Et c’est une erreur bien plus grave encore que de parler de culture noire et de culture blanche, ou d’autres catégories fantasmagoriques, insaisissables, mystificatrices, qui apparaissent chez ceux qui, du fait de leur idéalisme philosophique ou de leur égoïsme de classe, séparent l’évolution des idées du développement économique et social propre à chaque peuple.

[175]

II.

La négritude au pouvoir en Haïti


En Haïti, c’est à cette entreprise de mystification idéologique que s’est livrée toute une école de pseudo-sociologues qui s’est intitulée pompeusement : École historico-culturelle, Les Griots [1]. Les hommes de cette sinistre école, François Duvalier et les autres tontons-macoutes de l’esprit qui encombrent la Faculté d’Ethnologie d’Haïti, ont toujours salué en Price-Mars leur maître à penser, leur guide spirituel, leur mentor intellectuel, et ont toujours considéré Ainsi parla, l’Oncle comme le premier manifeste de leur négritude, le point de départ de leur conception du pouvoir, de leur idéologie politique et de leurs méthodes terroristes d’action. « L’axe de notre action, écrivaient Duvalier et Lorimer Denis, a été constamment orienté dans le sens d’une détection méthodique des éléments bio-psychologiques de l’homme haïtien afin d’en tirer la matière d’une doctrine nationale, qui par anticipation sur le processus biologique de l’homme haïtien hâterait la fusion indispensable à T épanouissement du génie haïtien dans tous les ordres de l’activité humaine. » Traduit en langage clair, cela voulait dire simplement qu’ils entendaient articuler leur action politique à un facteur ethnique, au concept de la négritude, qui, tout au long de la vie tourmentée de la nation, a été souvent la forme prise par la lutte des classes dans les consciences.

Ce concept de la négritude a été, à un moment donné de l’histoire de la décolonisation, la riposte affective de l’homme noir exploité et humilié, face au mépris global du colon blanc. Comme le colon blanc, partant de sa situation privilégiée dans la société esclavagiste et coloniale avait épidermisé sa prétendue supériorité biologique, de même le noir, en fonction de sa condition d’opprimé et de paria, sa condition d’homme aliéné dans sa peau même, fut porté, selon une toute autre perspective, à l’épidermisation de sa lamentable situation historique. Ainsi la négritude, dans sa meilleure acception, était l’opération culturelle par laquelle les intellectuels noirs d’Afrique et des deux Amériques prenaient conscience de la validité et de l’originalité des cultures négro-africaines, de la valeur esthétique de la race noire et de la capacité de leurs peuples respectifs d’exercer le droit à l’initiative historique que la colonisation avait complètement supprimé. La négritude ;, dans son sens le plus acceptable, légitime même, était à l’origine, la prise de conscience du fait que le prolétaire noir est doublement aliéné : d’une part aliéné (comme le prolétaire blanc) en tant qu’être doué d’une force de travail qui est vendue sur le marché capitaliste ; d’autre part, aliéné en tant qu’être au pigment noir, aliéné dans sa singularité épidermique. La négritude était la conscience de cette double aliénation et de la nécessité historique de la dépasser, à travers une praxis révolutionnaire. Il ne faut pas oublier que du fait du dogme raciste, aux yeux de la grande majorité des Blancs, le crime permanent du noir (outre son état de prolétaire) était celui de lèse-couleur. Cette odieuse mystification idéologique est encore l’arme à laquelle on continue de recourir aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Rhodésie, etc., contre les Noirs. La singularité épidermique de l’homme noir ou métissé au lieu d’être tenue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un des hasards objectifs qui fourmillent dans l’histoire de l’humanité, devint dans la conscience de tous les négriers, de tous les racistes de la terre, une essence maléfique, le signe d’un mal-absolu-de-l’être-social-du-nègre, la marque et le stigmate d’une infériorité [176] sans rémission. On donna une signification métaphysique et esthétique tant à la couleur du noir qu’à la couleur du blanc et on décréta pour l’éternité, comme un droit divin, que seul le noir est un homme de couleur, et que le blanc participe du privilège de la lumière, que, comme dit Sartre, la « blancheur de sa peau, c’était de la lumière condensée », et qu’il était de son destin historique d’éclairer tout le reste de l’humanité avec les vertus lumineuses de sa peau. Le souci commercial de chosifier le Noir trouva ses alibis et ses prétextes dans ce long processus colonial d’épidermisation de la situation historique des peuples nègres. « Le concept de négritude, écrit Fanon, était l’antithèse affective sinon logique de cette insulte que l’homme blanc faisait à l’humanité. Cette négritude ruée contre le mépris blanc s’est révélée dans certains secteurs seule capable de lever interdictions et malédictions. Parce que les intellectuels noirs se trouvaient confrontés avant tout à l’ostracisme global, au mépris syncrétique du dominateur, leur réaction fut de s’admirer et de se chanter... » La négritude, tant dans la littérature, dans l’art que dans l’ethnologie et l’histoire, a été à ses débuts, une forme de révolte légitime, un mouvement d’idées, un courant de la sensibilité noblement opposés aux manifestations méprisables du dogme raciste dans le monde. C’est la colonisation qui, par le fer, le feu et le sang, avait ouvert dans les flancs mêmes de l’histoire universelle la sanglante contradiction blanc-noir, pour dissimuler et pour justifier les rapports d’exploitation économique. La négritude posait la nécessité de dépasser cette contradiction, non par une nouvelle opération mythique, mais à travers une action, une praxis révolutionnaire collective. Malheureusement, le plus souvent le concept de la négritude est utilisé comme un mythe qui sert à dissimuler la présence sur la scène de l’histoire de bourgeois noirs, qui en Haïti, et dans de nombreux pays d’Afrique, se sont constitués en classe dominante, et comme toute classe qui opprime une autre, a besoin d’une mystification idéologique pour camoufler la nature réelle des rapports établis dans la société. Aujourd’hui, en 1967, le concept de négritude recouvre le plus souvent une telle opération mystificatrice aussi bien en Haïti qu’en Afrique, et ailleurs, et est employé à des fins opposées à celles qui ont légitimé l’apparition de ce mouvement de l’esprit et de la sensibilité des intellectuels noirs des deux continents. Aujourd’hui, chez les mystificateurs aussi bien noirs que blancs, la négritude implique l’idée absurde que le Noir est un homme doué d’une nature humaine particulière, doué d’une essence qui n’appartiendrait qu’à lui, et, en cette qualité, il est appelé, selon un publiciste comme Janheinz Jahn, à donner à l’Europe, et à l’Occident en général, on ne sait quel supplément d’âme dont aurait besoin maintenant la civilisation occidentale. Pour le président du Sénégal, le poète Léopold Sedar Senghor, l’émotion est nègre comme la raison est hellène, et à partir de cette affirmation absurde, il oppose la spiritualité africaine considérée comme un bloc émotionnel, à la rationalité blanche, tenu également pour un fait global, monolithique. De cette façon, toutes les contradictions de classe sont noyées dans l’abstraction de la négritude, et les bourgeoisies noires d’Afrique et d’Amérique peuvent, en toute sécurité, avec la bénédiction du néo-colonialisme, exploiter les travailleurs noirs, au nom d’une spiritualité commune. C’est la même conception de la négritude que nous trouvons chez l’essayiste belge Lilyan Kesteloot qui a fait une thèse de doctorat pour chercher à démontrer que la négritude est un en-soi, une essence particulière, un état permanent qu’il n’est pas nécessaire de dépasser. Lilyan Kesteloot, comme d’autres spécialistes européens de la négritude enferment le nègre dans sa noirceur et le blanc dans sa blancheur. L’âme noire, écrit-elle, ainsi comprise est de tous les temps et n’a pas être dépassée, comme l’a prétendu Sartre et d’autres qui furent influencés par lui. Pas plus que l’âme slave, l’âme arabe ou l’esprit français. Pour Lilyan Kesteloot la négritude est irréductible. Elle est une psychologie caractéristique due à une civilisation originale, élément auquel [177] s’ajoutent les cicatrices de la Passion de la race, qui resteront sans doute imprimées longtemps dans la mémoire collective. Pour singulariser encore plus le nègre, Lilyan Kesteloot a soin d’annoncer au monde que l’Africain est spontanément peu sensible à l’esprit cartésien, et si l’on croit cette logique élémentaire et insolente, l’Africain doit être encore plus spontanément allergique aux méthodes marxistes d’analyse et à la raison dialectique. Tous ces bavardages autour du concept de négritude définissent en fait un inacceptable sionisme noir, c’est-à-dire une idéologie qui, loin de s’articuler à une entreprise révolutionnaire de désaliénation et de décolonisation de l’Afrique et des deux Amériques noires, n’arrive plus à dissimuler qu’elle est l’une des colonnes qui soutiennent les astuces, les pièges et les actions perfides du néo-colonialisme. Frantz Fanon avait raison de dire que la « véritable désaliénation du Noir implique une prise de conscience des réalités économiques et sociales. Car s’il y a complexe d’infériorité, c’est à la suite d’un double processus : économique d’abord ; par intériorisation ou mieux, épidermisation de cette infériorité, ensuite. » Pour tous les nègres opprimés d’Afrique et d’Amérique, le dépassement de ce double processus aliénant a un nom et implique une activité bien concrète : faire la révolution. Séparé du contexte historique de la révolution dans l’ensemble du Tiers Monde, séparé arbitrairement des exigences immédiates de la lutte tricontinentale, globale, des peuples sous-développés contre l’impérialisme et le néo-colonialisme, la négritude est devenue une nuit où tous les chats sont gris... et à la faveur de laquelle on essaye d’éloigner les peuples noirs du devoir de faire la révolution.

Haïti est aujourd’hui le pays où l’on peut le mieux suivre les aventures de la négritude, parce que notre pays est l’endroit du monde, où comme l’a dit Aimé Césaire, elle « s’est mise debout pour la première fois », et où elle est maintenant l’idéologie où se nourrit la plus monstrueuse tyrannie de l’histoire contemporaine. C’est pourquoi une critique du concept de négritude, à la lumière de l’effroyable expérience haïtienne, peut avoir une signification efficace pour tous les opprimés noirs du monde.

On sait que toute idéologie, par sa représentation du réel, par les objectifs qu’elle poursuit, a tendance à donner aux aspirations particulières d’une classe une valeur imaginaire. Marx a appelé mystification ce processus de déformation de la réalité. En Haïti, les pseudo-sociologues comme Duvalier, étudiant le rôle de la négritude dans notre histoire nationale, ont toujours considéré ce concept en lui-même, au lieu de l’analyser dans ses relations avec l’histoire réelle des rapports sociaux. En séparant la question raciale du développement économique et social d’Haïti, en lui assignant un caractère absolu, mythique, ils ont ravalé notre histoire à une succession chaotique de conflits seulement ethniques entre les mulâtres et les noirs qui, dès les lendemains de notre première Indépendance, ont formé l’oligarchie dominante du pays. C’est ce qui se produit également, quand, sur un plan plus général, on sépare le dogme raciste du développement réel des diverses sociétés coloniales. On en vient à considérer l’histoire des peuples colonisés comme une succession de conflits raciaux entre les Blancs et les Noirs. Dans le cas d’Haïti, la question de couleur, loin d’être le facteur déterminant de l’évolution de la société haïtienne, n’a été que la forme mystificatrice qui, dans la conscience de deux aristocraties rivales, servit à dissimuler les intérêts et les mobiles réels de la lutte des classes.

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En Haïti, l’antagonisme entre les mulâtres et les noirs trouve ses origines historiques, sa base économique et sociale, dans la société esclavagiste de Saint-Domingue (nom d’Haïti à l’époque de la colonisation française). Les mulâtres, du fait qu’ils étaient liés par le sang à la classe des colons blancs, formaient, déjà au temps de l’esclavage, une caste privilégiée par rapport à la grande masse des esclaves noirs. Ils étaient légalement des affranchis ou hommes de couleur libres. Ils jouissaient d’une situation juridique qui leur permit de jouer un rôle dynamique dans l’économie de la colonie. Gela les amena tout naturellement à vouloir être des citoyens à part entière et à partager le pouvoir avec les colons blancs. Ces derniers s’opposèrent violemment à cette aspiration. Alors les mulâtres s’allièrent à la masse esclave (noire) qui luttait pour l’abolition de l’esclavage, pour une révolution qui émanciperait toute la société coloniale. Noirs et mulâtres formèrent ensemble une armée de libération nationale qui, sous la conduite d’abord de Toussaint Louverture, et ensuite de Dessalines, Pétion, Christophe, au bout d’une lutte extrêmement violente, s’empara du pouvoir et chassa les colons français de la partie occidentale de l’île. Immédiatement après la proclamation de l’Indépendance (1804), les péripéties de la révolution agraire mirent aux prises les deux couches ethniques qui avaient dirigé la lutte de libération nationale. Les mulâtres s’érigèrent en héritiers des anciens propriétaires blancs et n’hésitèrent pas, dans de nombreux cas, à exhiber de faux titres de propriété. La couche dominante des généraux et des officiers noirs ne se laissa pas faire. « Avant la prise d’armes contre Leclerc, s’est écrié Dessalines (le général en chef de la Révolution), les hommes de couleur fils de blancs ne recueillaient point la succession de leurs pères ; comment se fait-il, depuis que nous avons chassé les colons, que leurs enfants réclament leurs biens ? Les noirs dont les pères sont en Afrique, n’auront donc rien. » Ce drame agraire, si bien mis en évidence par Dessalines, ouvrit dans la vie nationale haïtienne la contradiction mulâtre-noir qui, dans la conscience tant des bourgeois mulâtres que des bourgeois noirs, a toujours joué le rôle illusoire de rideau de fumée qui cache les mobiles réels qui font agir les uns et les autres contre les intérêts du peuple haïtien. La foi dans la couleur remplaça la vraie couleur de la domination des uns et des autres sur la grande majorité des Haïtiens qui sont noirs.

Cette question de couleur est une réalité sociale très importante de l’histoire d’Haïti. On sait que Marx, tout en déniant aux dogmes spirituels un rôle décisif dans le processus historique d’une société déterminée, les tient toutefois pour des réalités sociales qui, si elles ne peuvent changer le cours général de l’histoire, ont la possibilité d’en modifier les contours, le rythme, les modalités. C’est pourquoi la question de couleur, l’idéologie coloriste est une réalité sociale, qui en tant que telle, a influé sur le développement de notre histoire nationale, et dans certains moments de grave crise sociale, a modifié le rythme et les modalités de la lutte des classes dans le pays. Depuis 1946, la société haïtienne étant la proie d’une crise générale, due fondamentalement à la mainmise nord-américaine sur l’économie du pays, la question de couleur occupe de nouveau l’avant-scène idéologique et politique, toujours pour voiler le contenu réel de la lutte des classes. Les petits-bourgeois noirs comme Duvalier qui, depuis 46, alliés à des latifundiaires noirs et à des compradores mulâtres, contrôlent le pouvoir politique, se servant hystériquement de la négritude, ont essayé de faire croire aux masses noires qu’elles sont désormais au pouvoir et que la révolution duvaliériste est une Victoire éclatante de la négritude. Tous les faits monstrueux de la gestion duvaliériste, depuis dix ans, ne font que détruire aux yeux du peuple haïtien les images mensongères de cette sinistre mythologie. L’épouvantable dictature de Duvalier a porté les Haïtiens à changer l’idée que pendant longtemps ils se sont faits [179] d’eux-mêmes ; à leurs yeux, Haïti a cessé d’être figée dans la figure mythique qu’à l’école, depuis toujours, on a patiemment imprimée dans la conscience de chaque petit haïtien : Haïti, première république noire des temps modernes, patrie idéale et mythique de l’homme noir, berceau et paradis de la négritude ! Les Haïtiens ont découvert, dans des souffrances inouïes, que, dans un système semi-colonial, le pouvoir, qu’il soit entre les mains de noirs, de blancs, de mulâtres, ou d’indiens, reste invariablement un instrument de déshumanisation féroce de l’homme et de ses rêves les plus humbles. Depuis dix ans, plus que jamais les Haïtiens voient ce dont sont capables des hommes à peau noire ou métissée comme eux, quand ils défendent par le fer et le feu, les intérêts d’une minorité de privilégiés et ceux d’un impérialisme totalitaire. Les Haïtiens se rendent compte du fait que la glorification de n’importe quelle race est une absurdité infinie qui voile toujours les désordres sanglants et attentatoires à l’unité de l’espèce humaine. Les Haïtiens voient des noirs et des mulâtres tyrans, criminels, sans vergogne, obscurantistes, nazis, tontons-macoutes, parce que justement ils n’ont aucune essence particulière et sont des bourgeois comme les autres, et à l’heure de la dictature terroriste du capital, ils peuvent être coupables de crimes aussi épouvantables que ceux qu’hier Hitler commettait dans les camps de concentration d’Europe, ou que ceux que commettent aujourd’hui les hommes du Pentagone yankee dans les eux Viêt-Nam. Naturellement, la tyrannie de Duvalier offre une caricature monstrueuse de la négritude, et il ne faut pas, jetant l’enfant avec l’eau sanglante du bain, conclure pour autant que ce concept était fatalement appelé à déboucher sur une entreprise d’annihilation de la condition humaine. Le socialisme est une doctrine de libération de l’homme, mais le national-socialisme fut un instrument d’extermination de l’homme. Tout dépend de l’usage qu’une classe sociale dominante fait d’une idéologie pour camoufler des desseins bassement égoïstes. Aujourd’hui des bourgeoisies noires, qui tiennent leurs privilèges des intrigues et des violences du néo-colonialisme en Afrique et en Amérique, se sont emparées hâtivement du concept de négritude pour en faire leur arme idéologique, parce que justement elles savent que ce concept à un moment donné de la lutte contre la colonisation, dans les livres de Price-Mars, de Du Bois, de Césaire, de Jacques Roumain, de Richard Wright, de Langston Hughes, de Claude MacKay, de Guillen, de Jacques S. Alexis, de Cheikh Anta Diop, de Frantz Fanon, etc., ce concept a exprimé avec force le double caractère de l’aliénation chez les noirs opprimés.

La prise de conscience des peuples noirs, en ce siècle, est passée par diverses étapes idéologiques. Au cours de la première étape, dans les œuvres des ethnologues, des sociologues, comme dans celles des écrivains et des artistes, l’aliénation du nègre opprimé ne se définit pas seulement par un ensemble de facteurs objectifs, car le dogme raciste définissait la condition du nègre par le facteur de la couleur qui s’il est objectif aux yeux du blanc raciste, est vécu par la victime du racisme comme une douloureuse et cruelle subjectivité.

Chez le travailleur blanc la conscience de classe peut être articulée uniquement à un critère économique objectif, à la nature du profit capitaliste, car le sentiment de supériorité de classe que le bourgeois blanc manifeste à l’égard de l’ouvrier blanc ne fait pas intervenir un facteur racial, ne le touche pas dans sa chair même. Chez le travailleur noir, sur la conscience de classe, du fait même de l’entreprise coloniale et des alibis qu’elle s’était forgée, s’était greffée une prise de conscience raciale. C’est la une réalité sociale que nul ne peut nier, et qui a trouvé son expression littéraire, artistique, idéologique, dans le mouvement de la négritude. Comme à l’oppression économique et sociale de la colonisation s’était ajoutée une oppression raciale, un mythe qui atteignait le nègre opprimé dans [180] son moi intime, qui l'aliénait dans sa peau et dans son cœur, et jusque dans son sang qu'on voulait noir, il est normal que l’être humain qui a vécu pendant des siècles une telle insulte à son humanité, ait cédé de toutes ses forces telluriques à la tentation de dresser contre le ciel obscur la torche de sa subjectivité blessée. Toute une riche littérature est née de cette opération que Jean-Paul Sartre, dans un essai célèbre, Orphée Noir, a décrit comme « une redescente aux Enfers éclatants de l'âme noire ». Et Sartre ajoutait : « Je nommerai Orphique cette poésie parce que cette inlassable descente du nègre en soi-même me fait songer à Orphée allant réclamer Eurydice à Pluton ». Mais ce texte exceptionnellement brillant de Jean-Paul Sartre définissait le concept de négritude en 1948, c’est-à-dire il y a de cela vingt ans. À l’époque, où que l’on tournait le regard, on pouvait voir que l'Orphée noir était surtout coupeur de cannes, cuisinier, balayeur, soutier, cireur, palefrenier, vidangeur, garçon de mille emplois subalternes, bras et muscles à tout faire, à tout décrotter, à tout rincer, à tout niveler, pour le bien-être des colons blancs. Où que l’on tournait le regard on voyait l’Orphée noir en train de tirer du feu des marrons destinés à la grande bourgeoisie coloniale blanche. En Afrique, l’Orphée noir n’achetait pas des actions dans les mines du Haut Katanga, il ne se mettait pas avec les pires aventuriers et tontons-macoutes de la haute finance internationale, pour prendre aussi des actions fort rentables sur le sang versé de Patrice Lumumba. En 20 ans, l’eau du Congo a coulé sous beaucoup de ponts, et ce n’est pas seulement avec la grande poésie lyrique d’Aimé Césaire que la négritude est descendue à la mer ! La négritude de Césaire était une patience dynamique qui pouvait trouer la chair du ciel et de la terre. C’était une explosion de la conscience rebelle du nègre opprimé ! C’était un devenir ouvert sur les exigences concrètes du mouvement de libération nationale. Et Sartre, à la fin de son inoubliable essai, posait la question suivante : « Qu'arrivera-t-il si le noir dépouillant sa négritude au profit de la Révolution ne veut plus se considérer que comme un prolétaire ? Qu'arrivera-t-il s’il ne se laisse plus définir que par sa condition objective ? » Vingt ans après, la marche de l’histoire fournit elle-même la réponse à ces questions. Nous disons à Jean-Paul Sartre : regardez Cuba et vous aurez la réponse ! Regardez comment la négritude a fait corps avec la révolution socialiste, et comment elle y a trouvé son dépassement à travers un processus historique désaliénant, où le blanc et le noir ont cessé d’être opposés les uns aux autres et où le drame de leur destin est dénoué dans une même éclatante vérité humaine : la révolution. Ce processus réel (et non plus seulement mythique) de décolonisation, de désaliénation, de tous les hommes colonisés, ce processus d’humanisation des relations humaines a maintenant pour théâtre trois continents, et c’est lui seul, et non plus la négritude, qui mobilise toutes les patiences des peuples sous-développés ; c’est lui qui enlève à tous les mythes leurs charmes magiques et pernicieux, c’est lui la forme la plus haute de conscience de soi, et qui permet à l’homme colonisé noir, blanc, indien, jaune, de jeter à la face de la terre le postulat suprême de la raison dans le Tiers Monde : je fais la Révolution, donc je suis ! C’est parce qu’un tel postulat correspond à une nécessité historique universelle que l'Oncle Price-Mars, à 91 ans, est sorti de son long silence coupable, et a fait savoir au tyran nègre Duvalier que la seule parole qui ait un sens humain maintenant en Haïti, est celle qui donne raison à l’indignation et à la révolte organisée du peuple haïtien opprimé. Qu’on nous permette d’ajouter que l’Orphée Noir, s’il y a un endroit où il est sûr de trouver l’Eurydice qu’il a perdue, ce n’est plus dans quelque enfer mythique, mais dans la révolution qui est seule capable de détruire, avec la force même du peuple, tous les enfers que les nommes ont construits pour les hommes ; dans la révolution qui est seule capable de rendre Eurydice à tous ceux qui l’aiment et la convoitent ; c’est la révolution le grand démiurge de l’homme nouveau [181] et du monde libéré où il est appelé à vivre. Le nouvel Orphée Noir, qu’on le sache, parle avec le même accent qu’Ernesto Che Guevara qui, dans son glorieux Testament, a laissé aux hommes du Tiers Monde un radar pour guider la vérité et le soleil au cœur de tous les peuples de la terre. Le nouvel Orphée Noir sera révolutionnaire ou il ne sera pas !

Cet article a été présenté sous forme de communication par René Depestre au congrès culturel de la Havane en janvier 1968.



[1] Le mot griot désigne, en Afrique occidentale, le troubadour traditionnellement chargé de la diffusion des chansons, poèmes et contes populaires.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 juin 2017 13:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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