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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les groupes socio-politiques progressistes dans le catholicisme québécois contemporain.” (1984)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Guy Vaillancourt, “Les groupes socio-politiques progressistes dans le catholicisme québécois contemporain.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Jean-Paul Rouleau et Jacaues Zybergerg, Les mouvements religieux aujourd'hui. Théories et pratiques, pp. 261-282. Les Cahiers de recherches en sciences de la religion, vol. 5, 1984. Montréal : Les Éditions Bellarmin, 1984, 382 pp. [Autorisation formelle accordée, le 23 mai 2005, par M. Jean-Guy Vaillancourt de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Les observateurs des phénomènes religieux, entre autres les sociologues des religions, ont été très préoccupés, durant la période qui va de 1950 à 1970 environ, par les questions de la déchristianisation, de la sécularisation et de la laïcisation de nos sociétés occidentales contemporaines (Le Bras, 1955 ; Wilson, 1969 ; (Aquaviva et Guizzardi, 1973). On retrouve une préoccupation semblable chez plusieurs auteurs au Québec, à peu près à la même époque (Moreux, 1969 ; Commission d'étude sur les laïcs et l'Église, 1971 : 76-84 ; Palard, 1976 : 4 ; Arès, 1981 : 294). Certains sociologues ont même eu alors l'impression qu'en étudiant la religion, ils étaient en train d'analyser un phénomène qui allait disparaître à plus ou moins brève échéance (Aquaviva, 1961 ; Moreux, 1969). Cependant, l'un des principaux acquis des recherches et de la réflexion des sociologues des religions durant cette période, c'est la distinction que ceux-ci ont graduellement réussi à établir entre les diverses dimensions du phénomène de la religion, c'est-à-dire entre les différentes façons d'être religieux (Glock, 1965), ainsi qu'entre les différentes dimensions du concept de sécularisation (Martin, 1978 ; Dobbelaere, 1981 ; Lapointe, 1981). Non seulement ont-ils alors constaté qu'il existait divers types de pratiquants et de croyants, mais ils découvrirent aussi que le concept de religion lui-même comprenait, à côté de ses dimensions de pratique et de croyance, d'autres dimensions importantes, telles les dimensions expérientielles, intellectuelles, éthico-morales et sociales. Le fait de comprendre que les mots « religion » et « sécularisation » ne sont pas des termes univoques leur a alors permis de mieux saisir les tendances ambiguës et parfois contradictoires de l'évolution des phénomènes religieux. La désaffectation religieuse au niveau de certaines croyances et de diverses institutions, et au niveau de la pratique dominicale par exemple, ne signifiait donc pas nécessairement un recul irréversible à tous les points de vue, mais pouvait aller de pair avec le statu quo ou encore avec un essor sur d'autres plans (Glock, 1965 ; Greeley, 1974). 

A partir des années 60, il y eut au Québec un fléchissement marqué de la pratique dominicale, une chute frappante des vocations sacerdotales et religieuses, une déconfessionnalisation rapide des institutions syndicales et hospitalières et de l'enseignement post-élémentaire, et un affaiblissement de plusieurs des organisations catholiques ayant eu passablement d'influence aux plans socio-économique, politique et culturel dans le passé. Mais au lieu de disparaître complètement avec l'ancien régime, le catholicisme, qu'il soit de droite, de centre, ou de gauche (on pourrait aussi parler de chrétiens assimilateurs, accommodateurs ou militants, comme le fait Roland Chagnon) a réussi à se maintenir et à se transformer, et même à participer d'une façon originale aux changements en cours, durant les années d'effervescence qui vont de la Révolution tranquille à nos jours. Pour ce qui est des catholiques de gauche ou des chrétiens militants, on n'a qu'à évoquer les noms des revues Maintenant, Relations, Communauté chrétienne, Présence chrétienne et Vie Ouvrière, se rappeler l'implication de nombreux prêtres et laïcs dans divers mouvements sociaux et politiques des années 60 et 70, pour se rendre compte que la disparition complète d'un catholicisme progressiste et de la religion en général de la sphère sociale et politique, anticipée par quelques-uns, ne s'est pas réalisée et ne se réalisera probablement pas de sitôt. 

Les années 60 ont été une période de changements considérables aux plans socio-économique, politique et culturel, au Québec. Au plan religieux, ce fut une période de crise profonde qui a été analysée avec justesse dans le Rapport de la Commission Dumont, et dans plusieurs essais de sciences sociales et de sciences religieuses. Mais parallèlement à la désaffectation religieuse d'un grand nombre, d'une laïcisation sur divers plans, et à la diminution du personnel sacerdotal et religieux, on a pu constater une réforme de la liturgie, de la catéchèse, des études théologiques et bibliques, et de la pastorale, et aussi un renouveau au plan des structures ecclésiales et des orientations socio-politiques des chrétiens, clergé et épiscopat compris. L'Église catholique au Québec est devenue en quelques années beaucoup moins autoritaire et moins sûre d'elle-même. 

Le fait que la Révolution tranquille a coïncidé en gros avec le pontificat de Jean XXIII et avec le Concile Vatican Il a sans doute contribué à rendre la crise religieuse québécoise moins grave qu'elle ne l'aurait été autrement. Et le renouveau religieux qui a commencé vers le début des années 70 un peu partout dans le monde a été accueilli avec sympathie par la population québécoise. Ce renouveau a sans doute contribué, par réaction, à l'essor de groupes de droite comme les Bérets blancs, le Mouvement scolaire confessionnel et l'Association des parents catholiques. Il existe un vaste réseau de ces groupes de nostalgiques de la chrétienté qu'il serait intéressant d'étudier, parce qu'ils constituent toujours une force importante dans le catholicisme québécois, au même titre que le réseau des groupes plus modérés et moins engagés socio-politiquement des centristes (on songe, par exemple, à des groupes comme le Renouveau conjugal, le mouvement charismatique, les Cursillistes) et que le réseau plus engagé des militants chrétiens de gauche. 

Dans le présent essai, c'est sur ce dernier réseau que je voudrais centrer l'attention, non pas pour essayer de donner l'impression que c'est le plus important des trois, mais plutôt pour montrer tout simplement qu'il existe et qu'il est bien vivant lui aussi à côté des deux autres. Durant les années 70, même si ce sont des phénomènes qui se sont manifestés sur une échelle relativement restreinte, les communautés de base d'une part, et les groupes chrétiens engagés dans les luttes ouvrières et populaires d'autre part, indiquent que nous sommes loin de vivre la disparition imminente de la religion parmi les personnes préoccupées par le besoin de transformations sociales et politiques en profondeur dans notre société (Reny et Rouleau, 1978). 

En un sens, donc, les années 60 et 70 marquent peut-être la fin d'une religion, c'est-à-dire d'un certain type de religion, mais ce n'est sûrement pas la fin de la religion catholique au Québec, ni la disparition d'une orientation progressiste à l'intérieur du catholicisme. La cité québécoise ne s'est pas complètement sécularisée et la mort de Dieu n'a pas eu lieu. Certes, il n'y a pas eu de grand retour à la pratique dominicale ni aux dévotions et croyances traditionnelles, mais on peut dire qu'il y a eu une certaine accalmie dans la dégringolade, et même un léger renouveau, qui a commencé avec l'essor du mouvement charismatique et des communautés de base et qui a pris depuis quelques années un tournant plus social et plus politique avec les groupes de chrétiens politisés désireux de bâtir une Église populaire. 

Le catholicisme québécois, comme c'est le cas en Amérique latine, a perdu un peu de son importance comme force socio-politique de droite (même si la droite catholique reste encore présente et bien vivante), mais il semble être en train de reprendre un peu d'influence comme force prophétique progressiste. Bien que les Bérets blancs et le Mouvement scolaire confessionnel, par exemple, soient des forces catholiques de droite importantes qu'on ne peut pas ignorer, il n'est plus possible d'établir une équation simpliste entre catholicisme et conservatisme comme certains étaient portés à le faire il y a quelques années. Non seulement n'y a-t-il plus de contradiction profonde entre catholicisme et engagement dans les luttes ouvrières et populaires, mais une certaine convergence, limitée bien sûr, mais réelle, semble en train de s'établir entre ces pôles, à tel point que l'on commence à entendre de plus en plus de critiques conservatrices des positions socio-politiques de gauche des chrétiens, et à voir de plus en plus de militants de gauche qui reconnaissent la contribution des chrétiens aux luttes pour la justice et la libération. 

La recherche en sociologie des religions au Québec a été fortement affectée par ces transformations à l'intérieur du catholicisme québécois et mondial. Dans le Québec des années 40 et 50, par exemple, alors que la pratique religieuse était encore très élevée et que la vie sociale et politique restait fortement influencée par les organisations et les professionnels religieux, la sociologie du catholicisme québécois a été lente à démarrer. La production a augmenté rapidement à partir du milieu des années 50, en centrant son attention sur les études paroissiales et régionales, sur les effectifs du clergé catholique, sur les attitudes et les opinions socio-religieuses des fidèles, et, bien sûr, sur la pratique rituelle en milieu paroissial. Avec le fléchissement de la pratique et l'affaiblissement des structures religieuses, la sociologie de la religion elle-même, avec quelques années de retard, a subi un déclin relatif dans l'enseignement et même dans la recherche, et cela malgré les recherches intéressantes qui ont été faites dans plusieurs domaines, par exemple sur les communautés religieuses (Denault et Lévesque, 1975), sur la religion populaire (Lacroix, 1972 ; Dumont, 1973), sur la sécularisation (Moreux, 1969) et sur l'expérience religieuse (Sévigny, 1971). Le Centre de recherche en sociologie religieuse de l'Université Laval a été le principal centre de production et de diffusion de travaux de haute qualité depuis une quinzaine d'années. Dans une communication présentée au congrès de la Conférence internationale de sociologie religieuse à Strasbourg en septembre 1977, Jean-Paul Rouleau a bien montré que la période 1966-1972 a été l'âge d'or de la sociologie des religions au Québec, et qu'il y a eu un déclin par la suite pour quelques années (Rouleau, 1977). C'est seulement depuis quelque temps, à mon avis, qu'il semble y avoir un nouvel essor de la sociologie de la religion au Québec. Cette reprise récente s'est manifestée dans les Cahiers du Centre de Recherche en sociologie religieuse, dans les numéros 30, 31 et 32 de la revue Critère, dans le Cahier du 8 avril 1982 du journal Le Devoir, dans les deux tomes de Situation et avenir du catholicisme québécois (Jean-Guy Bissonnette et al., 1982 ; F. Dumont et al., 1982) et dans plusieurs autres ouvrages et colloques. La sociologie de la religion québécoise centre maintenant son attention sur les phénomènes les plus frappants de la décennie qui vient de s'écouler, à savoir le renouveau charismatique et la prolifération des sectes et des cultes, les mouvements religieux, en somme. On perçoit aussi un intérêt grandissant pour l'étude du rapport entre la religion et l'engagement social et politique (Vaillancourt, 1981 : 854-857). 

Au milieu des années 1970, on a vu se développer au Québec un mouvement populaire et ouvrier qui a mis de l'avant des revendications radicales sur les questions d'indépendance nationale, de syndicalisme, de socialisme, de solidarité internationale, de bien-être social, d'écologisme, et de féminisme. Lentement, un projet de société est en train de s'élaborer après les excès du felquisme et de l'extrême gauchisme des années 60 et 70. 

Tout comme ça avait été le cas lors de la Révolution tranquille, il y a des chrétiens qui participent à ces nouveaux mouvements de transformation sociale et politique. Depuis quelque temps, on voit même naître une gauche chrétienne assez dynamique, parmi le clergé et aussi dans les organisations d'action catholique étudiante et ouvrière. L'on n'est plus surpris de voir des chrétiens, individuellement et en groupes, qui prennent partie dans les luttes les plus chaudes de notre société, par exemple dans les luttes ouvrières, populaires et féministes, dans les mouvements contre les centrales et contre les armes nucléaires, et surtout dans les groupes de solidarité avec les pauvres du Tiers Monde. 

Avec mes étudiants de sociologie des religions à l'Université de Montréal, je me suis intéressé depuis une couple d'années aux plus importants de ces groupes de chrétiens engagés dans le socio-politique, qu'ils soient de droite, de centre, ou de gauche. Ici, comme je l'ai mentionné plus haut, je porterai mon attention uniquement sur les groupes de gauche. Je tenterai de faire une espèce d'inventaire des différents groupes concrets de chrétiens qui constituent ce qu'on pourrait appeler le mouvement socio-politique progressiste dans l'Église québécoise contemporaine. À partir d'interviews que j'ai faites avec plusieurs des personnes impliquées, et à partir d'une analyse qualitative des écrits produits par et sur ces groupes, je présenterai de façon assez rudimentaire l'évolution et les caractéristiques principales de ces groupes, ainsi que leur orientation idéologique globale et certaines de leurs activités. En conclusion, je tenterai de présenter quelques hypothèses qui pourraient expliquer les raisons de cette nouvelle effervescence qui s'est manifestée dans ce domaine de l'implication socio-politique des catholiques québécois.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Guy Vaillancourt, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le samedi 16 décembre 2006 19:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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