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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre VADEBONCOEUR, « Chicane d'intellectuels ?... Réplique de Pierre Vadeboncoeur. "Il y a eu assez de gâchis depuis dix ans”. » Article publié dans le journal LE JOUR, Montréal, le 18 mars 1975.

« Chicane d'intellectuels ?...

Réplique de Pierre Vadeboncoeur.
"Il y a eu assez de gâchis depuis dix ans”.
 »

Pierre VADEBONCOEUR

In LE JOUR, Montréal, mardi, le 18 mars 1975 — le fond des choses.


Il ne faut pas perdre de vue la problématique de la gauche. Je sauterai donc par-dessus la rage de M. Gill contre moi ; elle n'a rien à voir avec le fond du problème. [1]

Il importe d'interroger la gauche, ce qui à gauche ne se fait plus, sauf entre chapelles ; il paraît que cela sied mal. M. Gill semblerait penser qu'on n'en a pas le droit, si ce n'est dans l'orthodoxie. Mais les questions se pressent de plus en plus dans l'esprit de pas mal de gens, beaucoup n'ont plus en effet l'intention de s'abstenir de discuter un certain type de comportements et d'opinions simplement parce que ceux-ci se recommandent d'une critique radicale. Il y a eu assez de gâchis depuis dix ans : cela devrait suffire. Parmi ceux-ci, j'ai oublié de mentionner, l'autre jour, le sabordage des syndicats étudiants, vers .1969, et les tentatives récentes que l’on a faites pour empêcher qu'ils ne renaissent. Il ne s'agit pas ici de M. Gill, mais je soutiens et répète que ce genre d'intentions coïncident avec celles de la droite. Il est à peu près temps qu'on s'en rende compte.

Purisme

Un des reproches que l'on peut faire à un certain purisme de gauche, c'est qu'il s'interdit un large éventail d'actions de gauche, d'actions limitées, d'actions tactiques, d'actions possibles, d'actions critiques, sur un front ou sur un autre, avec du monde réel et compte tenu du degré véritable de la conscience politique, dans la situation concrète. Je suis assez enchanté d'apprendre que M. Gill est contre le RCM. Cela est clair et cela vous classe un type. Pas de RCM ? Vraiment ? Eh bien ! autant dire qu'il est impossible de se mettre politiquement au travail, tout comme il le serait de se mettre syndicalement au travail si l'on exigeait de chaque syndicat qu'il fût le dernier mot de l'orthodoxie révolutionnaire. De telles évidences paraissent échapper à M. Gill. La complexité d'une action multiforme et à plusieurs degrés est-elle donc pour lui si difficile à concevoir, et lui faut-il absolument la réduire à quelque chose de simple comme un parti strictement révolutionnaire, sous peine de la condamner si elle n'a pas cette simplicité-là ? Penser que l'on peut s'attaquer au capitalisme par le seul biais du marxisme en toutes lettres, c’est aussi court que, pour un capitaliste, de penser que le capitalisme ne doit combattre que des marxistes et du marxisme, ce qui serait absurde.

Une contradiction

Le rejet du RCM n'empêche nullement d'ailleurs M. Gill de préconiser la fondation prochaine d'un parti de travailleurs. Un parti, vous avez entendu, et non pas un groupuscule. Or, dites-moi comment un tel parti pourrait exister — (un parti, à ce qu'il dit, et non pas un groupe, non pas quelques cellules, mais un parti), dites-moi comment un parti de travailleurs pourrait exister au Québec, d'ici longtemps, à moins d'être tout bonnement social-démocrate, réformiste, composite, nullement marxiste, bref une autre édition du RCM, chose que précisément M. Gill rejette. M. Gill veut une chose, et très précisément il veut une chose dont il ne voudrait plus si elle venait à exister, car la réalité ferait nécessairement que le rejeton serait bâtard sous peine de ne pas être.

M. Gill se trouve donc dans un parfait dilemme. Ou bien il pense à un parti selon ses vœux et ses idées, et alors ce parti ne peut exister comme parti ; ou bien il pense à un parti plus ou moins social-démocrate, mais alors, puisqu'il rejette le RCM, le voilà en pleine contradiction.

Je voudrais bien pouvoir lui donner mais j'en suis tout à fait incapable. Je ne puis m'empêcher de dire que le cheminement politique est sinueux, compliqué, fait d'éléments très divers, tributaire de courants multiples, et qu'il ne se paie pas seulement de doctrine pure et d'action puriste, mais aussi d'une foule de compromis, à commencer par l'action syndicale elle-même, avec sa grande variété d'intentions et de buts individuels et collectifs. Les choses sont en réalité si complexes et l'histoire est souvent si indirecte, qu'on pourra dire ce qu'on voudra dé la Révolution tranquille, mais on devra dire aussi que, si elle n'avait pas eu lieu, M. Gill ne serait même pas là pour enseigner ce qu'il enseigne !

Pourquoi se marginaliser ?

On ne peut pas tout dire dans un article et l'on se borne, sans trop de nuances d'ailleurs, à une petite partie de l'essentiel. N'empêche que je voudrais bien ajouter ceci. Parmi les questions qu'il faudra bien poser un jour ou l'autre, il y a celle que voici. Quand une révolution à peu près toute entière encore dans l'idée \ dépense une forte partie de son activité à essayer de défaire tout ce qui naît de plus ou moins progressiste autour d'-elle, elle fait le vide sans s'augmenter d'autant, et l'on peut se demander de quoi le socialisme ainsi pensé se coupe, quels contacts humains et culturels il s'aliène, et comment il se condamne de la sorte à n'exister qu'en marge, dans une marge d'ailleurs dont il s'exagère ridiculement les étroites dimensions. Des socialistes de cette sorte, loin de se répandre dans l'opposition et dans la vie réelle, font souvent tout, au contraire, pour se concentrer dans des camps retranchés. Ils ne s’aperçoivent même pas d'ailleurs que l'État fait lui-même son effort pour qu'ils se singularisent et se ramassent dans des noyaux restreints, parfaitement identifiables, culturellement étrangers, et à bonne distance de la politique commune : voilà autant de militants qui ne le prendront pas à revers dans une impasse imprévue, sans compter qu'ils rendront au gouvernement le service d'en éloigner d'autres, dont des jeunes, d'un certain nombre de lieux où l'action peut compter : le RCM, le PQ.

La question nationale

Il y a de plus la question nationale. M. Gill doit être de ceux qui en font bon marché, si ce n'est pour dire, peut-être, comme ses pareils le disent en tout cas, que l'indépendance doit être d'avance intégralement socialiste, c'est-à-dire proprement révolutionnaire, et que c'est là la condition pour qu'ils l'appuient. Cette position équivaut à parler pour ne rien dire, parce qu'il y a, pour que l'indépendance se fasse, des conditions électoralistes rigoureuses, auxquelles on ne peut échapper qu'en imagination. Cette attitude revient, en pratique, au surplus, à condamner le national et à isoler la gauche, une fois de plus, dans un ghetto. Je pense, d'ailleurs, envers et contre tous, qu'un peuple est dans l'absolue nécessité, comme peuple, et comme nation s'il est dans la situation voulue, de se tailler une place politique au soleil, sous peine d'une décomposition généralisée dont nous devrions pourtant pouvoir entrevoir les conséquences de tous ordres. En outre, je refuse, pour ma part, d'un point de vue large encore, la légèreté qui conduit à mettre au bazar, inconsidérément, d'innombrables aspects de la culture, selon une entreprise sectaire et étouffante qui donnerait lieu, à elle seule, à un examen en règle,

Enfin, on sait depuis un quart de siècle que le national, par rapport au social, nous fait une espèce d'hypothèque qui ne peut disparaître autrement que par la solution irréversible et positive du problème national, contrairement à ce qu'ont pensé les trois Colombes, qui voulaient radier l'hypothèque sans prendre possession de la maison. L'hypothèque subsiste, plus lourde que jamais : ceci devrait entrer pour quelque chose dans les cogitations de M. Gill, mais à force de repasser les textes sacrés et de s'hypnotiser d'économique, on finit par ne plus être capable de réfléchir d'une manière créatrice sur une réalité un peu ample, même quand on n'est pas un con.



[1] Je ne prends même pas la peine de répondre quand il dit que j'ai insulté des travailleurs. Toute ma vie me garantit, je pense, contre un fiel comme celui-là.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 juin 2015 13:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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