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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc-Adélard Tremblay, “Le rajeunissement du Code civil: une entreprise multidisciplinaire”. Communication présentée à la Journée d'étude organisée par la Faculté de droit de l'Université McGill, le 10 décembre 1966. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de J. Boucher et A. Morel, Le droit dans la vie familiale, pp. 67-73. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1970. [L'auteur nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres dans Les Classiques des sciences sociales.]

[67]

Marc-Adélard Tremblay (1922 - )

Le rajeunissement du Code civil:
une entreprise multidisciplinaire
”.

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de J. Boucher et A. Morel, Le droit dans la vie familiale, pp. 67-73. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1970.


Dans son exposé, le professeur Louis Baudouin vient d'inventorier les situations nouvelles qui contestent les normes juridiques contenues dans le Code civil au sujet de la structure familiale et des relations entre parents et enfants. Cet inventaire ayant été effectué de main de maître, il ne me reste plus qu'à apporter certaines précisions de détail suggérées par mon orientation disciplinaire particulière qui est celle de la sociologie et de l'anthropologie. Sur la très grande majorité des observations énoncées, nos jugements sont convergents lorsqu'ils ne concordent pas tout simplement.

L'étude de la famille nécessite l'examen de plusieurs niveaux d'analyse différents. On ne saurait dissocier, par exemple, la structure de la famille des fonctions familiales, ou encore, le processus d'apprentissage des membres, des systèmes de valeur opérant dans le milieu plus large. Ce principe des interrelations fonctionnelles est si vrai que si des changements s'enregistrent à l'un ou l'autre de ces niveaux, ils se répercuteront vraisemblablement sur tous les autres plus ou moins intensément. Par [68] ailleurs, l'analyse des faits de réalité à l'un ou l'autre de ces niveaux exige l'examen des tendances correspondantes dans les autres niveaux. Au surplus, il faut introduire dans ce genre d'analyse les moteurs de changement, les transformations qu'ils suscitent, et les conséquences qu'ils engendrent.

C'est sensiblement ce modèle qui constitue l'arrière-plan sur lequel viennent se greffer les diverses observations et recommandations du professeur Baudouin. Son exposé se divise en trois parties : 1) Un status questionis qui met en parallèle structures juridiques traditionnelles et situations sociales modernes et évalue la largeur des écarts qui existent entre les deux. 2) Ayant documenté la proposition que le Code civil codifie des situations sociales anachroniques, l'auteur examine, dans une seconde partie, différentes situations sociales, économiques et scientifiques qui justifient, selon lui, tout un ensemble cohérent de réformes juridiques. 3) Finalement, dans un troisième temps, on discute de la nécessité et de la valeur du « tribunal de famille ».

Il est incontestable que la famille est en pleine phase d'affranchissement de la tradition. Si quelques familles s'inspirent encore des valeurs traditionnelles, la plupart font l'expérience de nouvelles habitudes de vie dans le cadre familial. C'est ainsi qu'on voit apparaître des changements substantiels dans la nature des rapports conjugaux et dans les relations entre les parents et les enfants. Bien plus la notion même de « famille » et celle de « mariage » acquièrent de nouvelles significations. Celles-ci et ceux-là se traduisent également au niveau de la structure sociale globale. Comme le dit si bien M. Baudouin, ces transformations multiples sont la conséquence de l'avancement technique et de l'industrialisation, des nouveaux contacts de civilisation et, surtout, de l'influence pénétrante des idéologies étrangères à travers les communications de masse et la publicité commerciale. S'agit-il d'une « crise profonde de la famille » ? Est-elle menacée de disparaître ? Les patterns de désintégration familiale sont-ils le résultat de certaines mésadaptations passagères ? Iront-ils en s'accentuant ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous essaierons de répondre au cours de ce commentaire.

[69]

Nous remarquons, avec le conférencier, qu'il existe deux grandes tendances émancipatrices chez l'individu d'aujourd'hui : 1) une volonté de participation (et d'intervention) par rapport aux événements et aux situations qui encadrent leur action ; 2) une liberté de choix par rapport aux valeurs proposées et aux décisions à prendre. Ces tendances sont nettement visibles dans les relations parentales, dans la notion même de l'institution familiale et du mariage, et dans le planning familial.

Dans les relations entre les parents et les enfants on remarque l'apparition de relations de type fraternel au fur et a mesure que la structure traditionnelle d'autorité disparaît. On remarque également que les parents et la famille, en tant qu'agents socialisateurs, sont en concurrence avec les groupes d'amis et les mass media. Par ailleurs, si l'adolescent possède une plus grande compétence technique et une meilleure connaissance de situations sociales fort complexes, sa maturité affective ne se développe pas au même rythme. Cette distance entre la compétence technique et la maturité affective et le développement du jugement moral constitue un des éléments fondamentaux de la « crise de l'adolescence ».

Il devient également de plus en plus évident que l'individu entend jouir d'une plus grande liberté dans la conduite de sa vie affective. Les unions libres, les mariages à l'essai, les foyers désunis, les cas de séparation et de divorce, le flirt sous toutes ses formes, sont autant d'indices que la vie sexuelle est de moins en moins contenue exclusivement dans le cadre familial. Il n'est point alors étonnant que le mariage en tant qu'institution soit contesté dans plusieurs milieux. Un des résultats de cette très grande liberté dans le choix des partenaires sexuels et de cette nouvelle conception de l'union charnelle est l'accroissement du nombre des naissances en dehors du mariage, et la généralisation des expériences prémaritales hâtives. À ces nouvelles interprétations individuelles de l'usage de la liberté s'ajoutent de nouvelles pressions économiques et sociales qui compliquent les comportements individuels. On a noté, par exemple, que tous les individus définissent leurs besoins économiques sensiblement de la même manière, mais que leur capacité effective de les satisfaire dépend du niveau de leur revenu disponible. Or, on sait [70] qu'il existe des écarts considérables dans les revenus annuels. On connaît aussi les conséquences économiques, sociales et familiales du chômage et de l'insécurité financière sous toutes ses formes.

Ces quelques exemples suffisent à illustrer que le Code civil des années 1866 est tombé en désuétude et qu'il ne peut plus être un barème pour apprécier la conduite des individus, et pour orienter la marche des institutions sociales. Il convient donc de redéfinir ce Code en fonction des objectifs nouveaux de notre société et en fonction de l'instrumentation maintenant valorisée pour les atteindre - mais aussi en fonction des situations socio-économiques nouvelles : un système, économique fortement industrialisé et bureaucratisé ; un milieu de vie urbain; une, hétérogénéité des caractéristiques démographiques et sociales des individus ; une diversité des croyances, des conceptions de la vie et des visions du monde ; l'existence d'idéologies pluralistes concurrentes, etc.

Ces dernières considérations mettent en lumière la question centrale de l'exposé du professeur Baudouin : « Un code rénové de la famille doit-il suivre aveuglément les données du monde social, scientifique et économique... ? » J'imagine que les juristes répondront par la négative. Si le code doit refléter avec plus de fidélité les tendances majoritaires, il doit s'élaborer, par ailleurs, selon une certaine cohérence interne. Il ne doit pas, non plus, être le résultat d'un groupe de pression ou l'instrument d'une idéologie dominante qui avantagerait les uns et désavantagerait les autres. Ce dernier principe soulève la question des « jugements de valeur » dans l'énoncé des normes juridiques. À mon point de vue, cette prise de position, cette valorisation de certaines institutions et de certaines conduites est inévitable lorsqu'il s'agit de proposer des modèles, des normes à imiter. L'ordre et le progrès ne sont-ils point des valeurs tellement fondamentales qu'il faille organiser la vie sociale en harmonie avec ces valeurs sans nécessairement brimer indûment les libertés individuelles ou compromettre notre idéal démocratique ? Ne faut-il point alors juger des valeurs, des institutions et des hommes en fonction de certains critères acceptés librement par la majorité ? Ceci revient à dire qu'il faut se fixer sur certains [71] objectifs et qu'il faut valoriser les conduites qui les rendent réalisables. C'est le but d'un code bien construit. Mais comment réussir cette finalité et respecter la liberté et la justice dans un domaine aussi complexe que celui de l'institution familiale ? Autrement exprimée la question pourrait s'énoncer de la manière suivante : quelle est la structure familiale qui garantirait l'application la plus intégrale possible des droits de l'homme ? Quel genre de complémentarité pourrait alors s'établir entre les rôles masculins et féminins, entre les rôles parentaux et les rôles des enfants dans le cadre familial ? Il va de soi qu'un tel choix par rapport à cette structure et à ces fonctions familiales se répercutera sur l'ensemble de la société. Ne sommes-nous point rendus à ce stade ? Ne causons-nous point à un nombre incalculable d'individus des torts sérieux ?

Si j'ai bien compris notre distingué collègue, certaines injustices très grosses devraient être corrigées le plus tôt possible. Je suis en parfait accord avec lui sur la nécessité de séculariser les actes de l'état civil, sur l'obligation de réduire la puissance maritale de l'époux sur son épouse et sur l'obligation de changer le statut légal des enfants naturels. En ce qui a trait aux changements à effectuer dans les rapports entre les enfants mineurs et leurs parents, nous ne partageons point entièrement les vues exprimées par le conférencier. Il est bien sûr que nous favorisons une participation accrue des mineurs à la gestion de leur patrimoine. Mais, nous appuyant sur les données de la psychologie et de l'anthropologie, nous éprouvons beaucoup de difficultés à suggérer des changements dans la structure de la puissance paternelle. Nous aimerions invoquer les raisons explicitées lors d'un colloque précédent sur le même sujet :


... cette structure d'autorité, qui existe entre les parents et les enfants est une structure obligatoire de subordination dont aucune société connue de l'ethnologie n'a su encore se passer. Elle est d'ailleurs, fondée sur la psychologie la plus élémentaire, celle qui traite des appuis nécessaires à la maturité affective, intellectuelle et socio-culturelle. Cette subordination n'exclut pas, cela va de soi, que ces relations d'autorité doivent tendre vers des formes qui tiennent davantage compte des conditions de vie, des ambitions des jeunes par rapport à leurs besoins spécifiques. Si nous nous replaçons au plan des faits, parmi les tendances [72] que nous avons énumérées auparavant, tous les spécialistes (psychologue, pédagogue, anthropologue, travailleur social, médecin, etc.) déplorent l'absence physique et psychologique du père. Loin de vouloir réduire la puissance paternelle, il s'agirait plutôt de lui donner des orientations qui tiendraient davantage compte des nouvelles responsabilités que doivent assumer les jeunes. Car si on restreint encore davantage la puissance et l'autorité du père, on risque d'accentuer par la législation, à la limite bien sûr, des formes pathologiques naissantes que les spécialistes déplorent et considèrent dysfonctionnelles [1].


Les implications juridiques sur le droit de la famille, des connaissances nouvelles sur la génétique et l'hérédité, des données récentes sur la planification des naissances, y compris la possibilité de l'insémination artificielle, sont si nombreuses et complexes que nous n'avons point l'intention de les discuter ici. Il nous faudrait plus de temps que nous n'en disposons pour apporter les nuances nécessaires.

Quant à la section de la conférence consacrée au tribunal de la famille, nous la trouvons des plus intéressantes et des plus novatrices. Nous savons à l'avance qu'elle reflète l'opinion de la très grande majorité.

En conclusion, nous voudrions énoncer quelques idées maîtresses qui pourraient servir de guide dans la rénovation du Code civil : 1) Le principe du rajeunissement du Code civil est accepté d'emblée. Cependant, on ne voudrait pas qu'il ne fasse que refléter certaines tendances nouvelles, mais qu'il les oriente. De plus une analyse prospective devrait permettre une prévision à long terme des situations afin que la codification juridique ne soit pas dépassée trop vite. 2) Il nous paraît difficile d'introduire des transformations substantielles dans les législations familiales sans amorcer, au préalable, de nombreuses recherches systématiques sur les situations que les lois veulent gouverner. 3) Ces recherches seront valables si elles s'opèrent dans le cadre des études multidisciplinaires : philosophes, économistes, biologistes, sociologues, historiens, psychologues et juristes sont autant de spécialistes qui devront oeuvrer dans cette équipe afin d'en arriver à des solutions plus dynamiques, mieux équilibrées. [73] 4) Finalement, les comportements et les institutions que nous voulons instaurer doivent refléter avec plus de perfection l'universel humain tout en respectant ce qu'il y a de plus valable dans les traditions culturelles autochtones.

Communication présentée à la Journée d'étude organisée par la Faculté de droit de l'Université McGill, le 10 décembre 1966.


[1] Marc-Adélard Tremblay, « Le point de vue de l'anthropologue », pp. 87-88 de ce volume.



Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le jeudi 27 octobre 2011 12:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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