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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Élites politiques et démocratisation au Sénégal. Pour une lecture néo-machiavélienne (2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Antoine TINE, Élites politiques et démocratisation au Sénégal. Pour une lecture néo-machiavélienne”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction d’Elisabeth Annan-Yao, Démocratie et développement en Afrique de l’Ouest. Mythe et réalité, pp. 127-152. Dakar : CODESRIA, 2005. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 2 avril 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Les partis politiques, on le sait suffisamment aujourd’hui, symbolisent la démocratie pluraliste (Dahl 1979 ; 1982 ; Lijphart 1977 ; Lijphart 1984 ; Gaxie 1993), mais dès qu’on s’interroge sur leur rapport aux principe démocratique, on découvre qu’ils sont bien souvent entre les mains d’élites ou de « professionnels de la politique » (Weber 1959 ; Suleiman 1976), dont la préoccupation est de contrôler la scène politique. Il y a, pour ainsi dire, un curieux paradoxe dans l’idée que le phénomène partisan peut être à la fois une dynamique et un frein à la légitimité démocratique (Donegani et Sadoun 1994). 

Quand on relit l’histoire politique du Sénégal (Fall 1977 ; Hesseling 1985 ; Zucarelli 1987 et 1988 ; Johnson 1985, 1991, 1992 ; Ly 1992 ; Diop 1992 ; Diouf 2001 ; Diop 2002a ; Diop 2002b), il est difficile d’ignorer la préoccupation constante du pouvoir de quadriller l’espace public et d’acquérir la complicité explicite des partis d’opposition. La construction élitiste du politique conduit à ce que Aminata Diaw a appelé une « démocratie de lettrés » (Diaw 1992 : 299-329). Je parlerai, pour ma part, d’une démocratie politicienne détenue par les partis politiques. 

Une question essentielle se pose réellement –au Sénégal comme un peu partout ailleurs en Afrique-, celle de l’enracinement citoyen de la démocratisation [1] : comment créer les conditions nécessaires pour permettre la participation du plus grand nombre de citoyens, en l’occurrence des paysans et de ceux qui sont exclus des processus politiques dès qu’on sort des périodes électorales ? 

La démocratie libérale semble ne plus être tant le régime fondé sur la souveraineté du peuple qu’un type d’organisation concernant le pouvoir des élites politiques. Cela suscite deux interrogations : 1)- Jusqu’à quel point un gouvernement des élites est-il compatible avec les règles démocratiques ? 2)- Quel est le rapport entre les élites politiques partisanes et la société civile ? En l’occurrence, une large partie des citoyens, celle qui n’est pas dans les partis politiques, n’est-elle pas dépossédée de sa souveraineté ? 

Ces questions ont donné lieu à un affrontement entre théories élitistes monistes et pluralistes. Pour les unes, l’élite politique est une, unique et dominante. Pour les autres, c’est l’existence d’une diversité des élites politiques, opposées entre elles, qui doit être prise en compte et qui contribue au maintien du caractère partiellement démocratique des régimes représentatifs. Les élites politiques doivent être plurielles et entretenir entre elles des rapports sinon conflictuels du moins concurrents (Dahl 1979 ; 1982). C’est dans cette optique que Joseph Schumpeter parle de l’existence d’une élite démocratique et redéfinit la démocratie en privilégiant les dimensions procédurales. Pour lui, la démocratie est « le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple ». 

Par ailleurs, tout porte à penser que la démocratisation en Afrique ne concerne véritablement que les citadins privilégiés - professionnels de la politique, leaders et élus (parlementaires, municipaux) - et qu’elle est déconnectée de la société, instaurant ainsi un divorce profond entre les partis politiques et ceux qu’ils sont censés représenter. 

« Il est vrai que les démocratisations africaines semblent avoir comme point d’ancrage les espaces urbains. Tout laisse penser que la vie politique se limite aux villes où se concentrent les principales institutions et organisations politiques (partis politiques, syndicats, associations). Les sociétés rurales, pour leur part, ne sont sollicitées que pendant les campagnes électorales ou lors des tournées des leaders politiques, l’enjeu étant ici de capter leurs suffrages. » (Mahaman Tidjani Alou 2002 : 37) 

D’où le discrédit qui sape le système partisan. Les partis politiques, pouvoir et opposition au même titre, sont donc interpellés par l’exigence d’inventer d’autres pratiques face à une population exaspérée par l’absence de perspective sociale et économique. C’est le marasme, la crise à tous les niveaux…Les piètres performances économiques et sociales des régimes qui se sont succédés, de Senghor à Abdou Diouf, et maintenant avec Wade, limitent la portée des processus de démocratisation, aussi longtemps que les « maigres » ressources du pays ne profitent pas à tous, mais seulement à une minorité. Les Sénégalais pourraient bien se demander comme les Zambiens « Can we eat democracy » (« Pouvons-nous manger la démocratie ») (Daloz et Quantin 1997 : 243-262), tant la mise en place d’institutions démocratiques est loin d’impulser le développement tant espéré. Pour tenter de justifier leur difficulté à gérer les demandes sociales, les pouvoirs publics se réfugient derrière les politiques libérales d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale et le FMI (dégraissage de la fonction publique, privatisation tous azimuts des entreprises publiques, réduction du rôle de l’Etat dans les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé, crise de financement du secteur public) et négligent de prendre en considération leur responsabilité dans la conduite de politiques publiques improductives. 

« À cet égard, il faut se souvenir de l’incompétence tant décriée des pouvoirs en place, à qui il était reproché de produire des politiques qui ne prennent pas suffisamment en compte les attentes de la société. […]. Le problème qui se pose ici tourne autour de la capacité des nouveaux régimes démocratiques à répondre aux attentes sociales suscitées par la nouvelle situation politique. En somme, il s’agit de considérer leur capacité à gouverner la cité à travers une allocation efficiente des ressources publiques. » (Mahaman Tidjani Alou 2002 : 36) 

Il est loisible de constater le caractère éminemment urbain et élitiste des partis politiques sénégalais. Même s’ils revendiquent, pour la plupart, une implantation électorale nationale, ils ne se rappellent bien souvent au souvenir de la majorité des Sénégalais qu’à l’occasion des grandes tournées électorales qui conduisent les responsables dans les villages les plus reculés du pays. Ces partis sont entre les mains d’élites politiques accusées le plus souvent d’être incapables de penser les réalités sociales des classes les plus démunies et de proposer des projets de société adéquats. Au moment des indépendances africaines, les nouvelles élites politiques sont apparues auréolées d’une « mission messianique » de construction nationale ou de modernisation pour stimuler la croissance économique. L’Etat s’est présenté comme le « démiurge du développement » (Diouf 1992 : 233-278). Trois décennies après, bientôt quatre, le « développement » tant espéré n’a pas eu lieu. 

Il me semble nécessaire d’étudier cette problématique des élites dans les processus de démocratisation (Prewitt 1973 ; Putnam 1976 ; Blanchet 1977 ; Higley, Field and Groholt 1975 ; Higley and Burton 1989 ; Higley and Gunther 1992 ; Quantin 1995), non pas tant pour fustiger les classes dirigeantes et conclure à l’impossibilité de la démocratie, mais pour comprendre la stratification des pouvoirs dans la société et comment s’interpénètrent les logiques du « haut » et celles du « bas ». On se contente trop souvent de la généralité qui stipule que dans toute société, il y a toujours une « minorité gouvernante » et une « majorité de gouvernés » ou que l’oligarchie est l’essence même de tous les régimes, pour ne pas dire de toutes les organisations sociales. Du coup, l’extension du suffrage universel, laquelle a donné naissance aux partis politiques, aurait contribué à masquer que le pouvoir reste entre les mains d’une petite minorité qui s’exprime au nom d’une majorité toujours absente et silencieuse. Peut-on dire que l’institutionnalisation des partis politiques favorise l’inégalité en permettant la domination d’une aristocratie ? Les élites politiques au Sénégal ont-elles plus de pouvoir que les autres citoyens et règnent-elles sur une population indifférenciée et manipulée ?


[1]   Le problème de l’enracinement et/ ou de l’élargissement de la démocratisation en Afrique mériterait, à mon sens, d’être un axe majeur de recherche. Des institutions comme le CODESRIA (Council for the Development of Social Science Research in Africa), l’AAPS (African Association of Political Science) et les organisations de recherche disséminés à travers le Continrent Africain pourraient suivre cette problématique fondamentale pour voir comment les sociétés rurales s’approprient les principes démocratiques, comment « inculturer l’Etat » (Sindjoun 2002 : 325-327) et la République au village et repenser le développement. La parution récente, dans la série des livres du CODESRIA, de Peasant Organisations and the Democratisation Process in Africa (Mahmoud Ben Rhomdane & Sam Moyo, eds), va heureusement dans ce sens. Cette initiative mériterait d’être poursuivie et élevée au rang de priorité de recherche. Corrélativement, il y a aussi la question des expériences de décentralisations, dont l’enjeu est de vivifier la vie politique en impulsant des processus démocratiques au niveau local. Les chercheurs africains en sciences sociales pourraient utilement s’y pencher, car les tentatives en cours connaissent des dérives et sont souvent instrumentalisées par des élites partisanes pour organiser la circulation du pouvoir et de la richesse. Le plus souvent, les collectivités locales sont loin d’être des modèles de gouvernance locale et « qu’assez souvent prévaut la gestion patrimoniale et personnalisée des affaires partisanes » (Mahaman Tidjani Alou 2002 : 37). Pour le cas du Sénégal, lire Giorgio BLUNDO, « La corruption comme mode de gouvernance locale, trois décennies de décentralisation au Sénégal », in Afrique Contemporaine, 2001, pp. 115-127.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 avril 2008 19:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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