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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Anne Quéniart, “Présence et affection. L'expérience de la paternité chez les jeunes”. Un article publié dans la revue Nouvelles pratiques sociales, vol. 16, No 1, 2003, pp. 59-75. Montréal: UQÀM. [Autorisation accordée par Mme Quéniart le 7 août 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Anne Quéniart
Sociologue, professeure, département de sociologie, UQÀM 

Présence et affection.
L'expérience de la paternité chez les jeunes
”. 

Un article publié dans la revue Nouvelles pratiques sociales, vol. 16, no 1, 2003, pp. 59-75. Montréal : UQÀM.
 

Résumé / Abstract
Introduction
 
Quelques résultats d’études sur l’implication paternelle
Aspects méthodologiques de la recherche
 
Sélection et caractéristiques des répondants
Réalisation et analyse des entrevues
 
Résultats
 
Être père aujourd’hui, cela consiste en quoi?
 
Un père c’est une présence quotidienne
Un père c’est un guide
Un père, c’est quelqu’un sur qui tu peux compter
 
Comment sont répartis les tâches et rôles parentaux dans le couple?
 
Le père et la mère comme partenaires parentaux
Le pourvoyeur et de la ménagère : à chacun sa place
 
Le pourvoyeur et la ménagère… revu et corrigé
 
Conclusion
Bibliographie

Résumé

 

Les choses ont-elles changé en matière de conceptions et de pratiques paternelles ? Telle est la question à l’origine de ce texte. À partir d’une analyse de certaines dimensions du vécu de jeunes pères (moins de 25 ans), qu’elle met en perspective d’après les résultats de recherches effectuées il y a une dizaine d’années, l’auteure y répond par l’affirmative. En ce qui a trait aux représentations de ce qu’est un père ou une mère, la plupart des jeunes pères s’attribuent un rôle à multiples facettes, souvent identique à celui de leur conjointe. Selon les jeunes pères, la paternité est une expérience qui demande à la fois une présence au quotidien et une projection dans l’avenir et qui est faite de moments de tendresse, de soins, d’éducation au sens strict et, surtout, de partage avec la conjointe. De plus, l’implication professionnelle est examinée en regard même de l’implication auprès de l’enfant ; elle est mise en « compétition », pourrait-on dire, avec la présence auprès de l’enfant, ce qui dénote des changements par rapport aux générations précédentes. Enfin, en ce qui concerne le partage des tâches parentales, le modèle qui domine aujourd’hui leurs pratiques est celui de « partenaire parental » et non celui du pourvoyeur et de la ménagère ni même celui du « conjoint aidant ».
 

Abstract

 

Have things changed all that much in terms of how fatherhood is conceptualized and exercised in daily life ? That is the question underlying this article. The author compares the findings of a recent analysis on certain aspects of the lived experiences of young fathers (under 25 years of age) with the results of studies undertaken over the past ten years, and replies in the affirmative. First of all, when considering the representations held of fathers or mothers, most of these young fathers believe that their role is a multi-faceted one, and that it is often identical to that of their spouse. According to young fathers, fatherhood is a dual experience that requires them to be present on a daily basis while also casting their eye on the future. This is an experience that is constructed out of affectionate moments, child-care duties, education in the literal sense, and especially out of shared experiences with their spouse. In addition, they question the degree to which involvement in a career should take precedence over involvement in their child’s life. In other words, the former “competes” with their ability to be present in their child’s daily life, which denotes a change from the attitudes of previous generations. Lastly, in terms of sharing parental duties, the model that governs young fathers’ child-care practices nowadays is that of the “parental partner”, not that of the provider and homemaker or that of the “helpful spouse”. 

 

Introduction

 

«La paternité passe d’abord «par la tête »» (Delaisi de Parseval, 1981 : 14), rappelle la psychanalyse, soulignant par là qu’elle n’est pas une donnée purement biologique, mais qu’elle représente bien davantage un construit culturel. Au fil de l’histoire et selon les différentes sociétés à l’intérieur desquelles elle s’est inscrite, elle a pris différentes formes et rempli diverses fonctions. À cet égard, adoptant une perspective socio juridique, certains auteurs, surtout en Europe, font de l’histoire des pères celle «l’effritement de sa toute-puissance», le déclin de son autorité –scellé entre autre par le passage de l’affirmation de la puissance maritale à celle de l’autorité paternelle puis au partage de l’autorité parentale (Castelain-Meunier, 1997; Hurstel, 1996; Delumeau et Roche 1990). D’autres auteurs, cette fois-ci surtout en Amérique du nord, s’intéressent plutôt aux transformations des conceptions du rôle paternel (Lamb, 1995; Bozett et Hanson, 1991; Bronstein et Cowan, 1988; Chiland, 1983) et s’entendent pour reconnaître trois modèles associés à trois grandes périodes historiques. Le premier est celui du père conçu comme guide moral et formateur, dont l’idéaltype a été le «père colonial américain» (Rotondo, 1985) ou le «patriarche rural» (Castelain-Meunier, 2002) en Europe. Le second modèle, qui émerge avec la révolution industrielle, est celui du père chef de famille, qui pourvoit aux besoins des siens par son rôle économique. Le troisième modèle, qui apparaît à partir des années 60, se caractérise par la complexité de plus en plus grande du rôle paternel: il ne suffit plus d’être un bon travailleur pour un être un «bon père de famille», il faut aussi être un modèle pour son fils, et l’accent va alors être mis sur l’importance des pères dans le développement psychoaffectif des enfants. À partir des années 80, va s’ajouter à ces dimensions l’importance du «paternage» au quotidien : un père doit «s’impliquer» [1] avec son enfant et dans sa famille, c’est-à-dire être un père qui, à l’image de la mère, est capable à la fois de prodiguer de l’affection, d’être présent dans les tâches éducatives (aide aux devoirs etc.) et les soins quotidiens (bains, etc.) de même que dans «l’administration» des affaires familiales (planification des rendez-vous chez le médecin, le dentiste, organisation des vacances, etc.).

 

Quelques résultats d’études
sur l’implication paternelle

 

Mais qu’en est-il dans les faits? Les pères sont-ils réceptifs aux discours sur l’implication? Et si oui, comment s’impliquent-ils? Que recouvre la fonction paternelle? Les recherches effectuées depuis une vingtaine d’années sur la paternité ont apporté quelques réponses à ces questions. Dans le champ de la psychologie, notamment, on a voulu mesuré le degré d’implication des pères (Atkinson, 1987; Benokraitis 1985) puis mettre au jour les déterminants de l'implication paternelle (Volling et Belsky, 1991; Russel, 1982). Pourquoi des pères participent activement aux tâches quotidiennes associées aux soins de son enfant, alors que d'autres y participent peu ou pas du tout? Pourquoi un bon nombre de pères ne commencent-ils à s'intéresser à leur enfant que lorsqu'il atteint l'âge scolaire? Bien qu'il n'existe toujours pas de consensus clair sur cette question des déterminants, divers facteurs ont été identifiés d’ordre à la fois socioculturel, familial, conjugal et personnel, comme étant susceptibles de jouer un rôle, selon certaines combinaisons, sur le mode et le degré d'implication du père: ses représentations des rapports entre les sexes, de la famille et du rôle paternel (Crouter et al, 1987); son sentiment de compétence ou d'incompétence parentale (McBride, 1989); son rapport à son propre père (Barnett et Baruch, 1987); l'âge et le sexe de son(ses) enfant(s); la qualité de la relation conjugale (Perry-Jenkins et Crouter, 1990); le statut d'emploi de la conjointe (Benokraitis, 1985); son rapport au travail; etc. Dans le champ de la sociologie, les études ont plutôt cherché à donner la parole aux pères afin de dégager leurs propres définitions (Dycke et Saucier 1999; Dienhart, 1998; Delaisi de Parseval, 1982; Ferrand, 1981). Ainsi en a-t-il été de nos propres recherches menées il y a quelques années auprès de pères québécois de divers milieux sociaux (Quéniart, 2002a; Fournier et Quéniart, 1994). Nous faisions d’abord, comme d’autres, le constat d’une pluralité de conceptions et de pratiques paternelles chez les pères, pluralité dont nous avons voulu rendre compte par la construction d’une typologie. En fait, trois «manières d’être père», trois façons d’envisager et de vivre sa paternité ont été dégagées [2]. La première, désignée comme une paternité «familialiste», tournée vers la famille, regroupent des hommes pour qui la notion de père équivaut à celle de «père de famille» et renvoie à la seule fonction de pourvoyeur et de protecteur. Ces pères ont une vision très stéréotypée des rapports à l'intérieur de la famille, chacun y ayant une place et un rôle bien déterminés : à la mère, toutes les tâches associées aux besoins quotidiens des enfants et au bon fonctionnement de la famille et ce, même dans les situations où elle aussi travaille à l'extérieur ; au père l’autorité et la discipline. La relation père/enfant n’a pas une vie indépendante, elle n'a d'existence et de sens que dans le contexte des activités familiales. Une seconde forme de paternité a émergé, nommée parfois «nouvelle paternité», que nous avions pour notre part qualifiée de «paternité tournée vers l’enfant». Pour ces hommes, être père c'est être un parent, c'est-à-dire quelqu'un dont la responsabilité est d'abord à l'égard de l'enfant et non de la famille. C’est la dimension expressive de leurs pratiques qui est centrale pour eux, qui les définit comme pères. Si le rôle de pourvoyeur est aussi présent, il est perçu comme incombant autant au père qu'à la mère et ne structure pas leurs représentations de la paternité comme telle. Celle-ci est plutôt décrite en termes de présence, de proximité avec l’enfant. Une troisième forme de paternité est également ressortie de ces recherches, une paternité faite de tensions entre d'une part des représentations plutôt «nouvelles» - proximité, présence- et des pratiques plutôt traditionnelles –division sexuelle des tâches entre la mère et le père, dimension du pourvoi attribué principalement au père-. Nous l’avions qualifiée de «paternité flottante». Pour ces pères, la paternité est plus un «état» objectif qu'une expérience intériorisée. Ces pères se sentent responsables de l'enfant mais ne s'impliquent pas beaucoup concrètement avec lui, ou en tout cas de manière inconstante. Ils se définissent eux-mêmes comme étant écartelés entre leurs rôles de père et de pourvoyeur, comme s'il y avait une impossibilité à assumer les deux fonctions. Leur travail occupe une place fondamentale dans leur vie de même que leur vie sociale qu'ils voudraient «comme avant» les enfants. 

Qu’en est-il dix ans plus tard? Retrouve-t-on ces mêmes trois « modèles» de paternité? Les choses ont-elles changé? Pour répondre à ces questions, il nous a paru intéressant de nous tourner vers les jeunes pères, postulant que si changement il y avait eus, on les retrouverait dans les pratiques de cette nouvelle génération. Profitant alors des premiers résultats d’une recherche qualitative en cours portant plus généralement sur l’expérience de la parentalité à un jeune âge, nous avons «relu» les entrevues déjà effectuées dans la perspective d’une interrogation sur les changements dans la paternité.

 

Aspects méthodologiques de la recherche

 

La recherche [3] entreprise porte plus précisément sur l’expérience parentale de jeunes pères et de jeunes mères. Nous nous proposons d’analyser la place et le sens que prennent la paternité et la maternité dans la vie des jeunes, entre autres dans la transition vers l’âge adulte. Pour ce faire, nous avons opté, sur le plan méthodologique, pour l’approche qualitative de la théorisation ancrée [4] qui est appropriée dans le cas de phénomènes ou de groupes sociaux peu étudiés. Des entrevues en profondeur ont été menées auprès de jeunes pères et de jeunes mères provenant de divers milieux sociaux et ayant eu leur premier enfant avant l’âge de 25 ans.

Sélection et caractéristiques des répondants

 

En ce qui a trait au volet sur la paternité, l’échantillon se compose de 32 jeunes pères, qui ont été recrutés, sur une base volontaire, par le biais de diverses sources : annonces dans les journaux, dans les associations étudiantes, dans les écoles pour «raccrocheurs», dans les garderies, etc.. Conformément à la théorisation ancrée, les critères de sélection de l’échantillon ont été la diversité des situations en termes conjugal (mariée, conjoint de fait, séparé), parental (père d’un ou plusieurs enfants, etc.) et socioprofessionnel (au travail, à la maison, aux étude etc.). Les seuls critères que devaient rencontrer tous les jeunes étaient d’avoir moins de 25 ans et d’être un père d’au moins un enfant, âgé d’un an ou plus. 

Les répondants sont âgés de 19 à 25 ans au moment de l'entrevue et ont eu leur premier enfant entre 17 et 24 ans, la moyenne étant de 21.4 ans. Quinze d’entre eux ont un diplôme d'études secondaire ou une scolarité moindre (secondaire 4), sept ont un diplôme d'études collégiale ou d'études professionnelle, sept un baccalauréat, un a un certificat universitaire et deux poursuivent actuellement leur scolarité de maîtrise. Ils ont des revenus personnels variant de moins de 12, 000 à plus de 40¸000 dollars, 12 d'entre eux gagnant 15, 000 et moins, quatre d’entre eux gagnant plus de 30 000 dollars, les 16 autres ayant un revenu entre 15, 000 et 30, 000 dollars. Vingt-trois sont des travailleurs dont 14 à temps plein, 3 à temps partiel, et 6 combinent leur travail avec leurs études; cinq sont des étudiants à temps plein; quatre sont prestataires de la sécurité du revenu. Deux des pères interviewés avait deux enfants au moment de l’entretien. Cinq autres sont pères d'un enfant et en attendaient un second au moment de l'entrevue. Deux autres hommes sont membres d’une famille recomposée autour de la mère avec un enfant d’une union antérieure –dont qui a eu un second autre enfant. Les vingt-trois autres pères ont un seul enfant. Trois pères sont séparés de leur conjointe et un n’a jamais cohabité avec elle, et dans tous ces cas, ils ont une garde partagée de l’enfant. Les autres vivent en couple dont 8 étant mariés et 20 vivant en union libre.
 

Réalisation et analyse des entrevues

 

Les entrevues, d’une durée moyenne de 90 minutes, ont eu lieu à nos bureaux à l’université pour les deux tiers, au domicile des jeunes pour les autres. Un guide d’entrevue a été élaboré, comportant les principaux thèmes suivants : le contexte de la venue de l'enfant, les liens avec la famille d’origine, le rapport des jeunes pères à leur enfant et à la famille (représentations, pratiques quotidiennes), la place de leur vie personnelle et de couple, de leur vie professionnelle et de leur vie sociale. Toutes les entrevues ont été enregistrées puis retranscrites intégralement et soumises à une analyse qualitative de contenu comportant les étapes suivantes : 1) l'analyse verticale (contenu d'une entrevue) consistant à repérer et coder les thèmes et sous thèmes, à dégager les éléments organisateurs du récit, à effectuer des regroupements en catégories et à élaborer des hypothèses. 2) l'analyse transversale (comparaison des entrevues) visant à comparer les contenus des discours des jeunes pères selon les variables indépendantes pertinentes (situation conjugale, occupation, etc.), à vérifier les hypothèses de travail, notamment par la recherche de cas négatifs et à raffiner les catégories créées.

 

RÉSULTATS

 

Dans ce texte, nous nous proposons de faire état de certaines dimensions de l’expérience paternelle de jeunes hommes afin de répondre aux deux questions suivantes : En quoi consiste leur paternité (à quelles dimensions renvoie-t-elle)? Comment fonctionne la répartition des tâches et des rôles parentaux avec la conjointe? Peut-on constater des changements en regard de l’étude effectuée il y a dix ans?

Être père aujourd’hui, cela consiste en quoi?  

Un père c’est une présence quotidienne

 

À la question, «être père, cela consiste en quoi?», la présence auprès de l’enfant est revenue comme un leitmotiv chez tous les jeunes hommes interrogés, présence dans et par le jeu mais aussi dans les «soins de base», bref, présence au quotidien: 

Un père, à mon avis, c'est quelqu'un avec qui tu peux partager des affaires. C'est quelqu'un qui est présent, qui vit avec l'enfant, qui est là pour l'épauler, qui joue beaucoup avec. Un jeu vidéo, ça n'achète pas la présence d'un père, c'est ça que je pense. (Alexis, 19 ans, un enfant de 8 mois, secondaire 4).
 
Ça demande énormément d'amour et d'attention. Concrètement, c'est tout le temps être là, tout le temps avoir l'attention, pis du contact. Si tu ne le vois pas de la semaine, je crois pas à ça. Je pense qu'il faut que ton enfant apprenne à te connaître autant que toi t'apprends à la connaître, pis ça, ben ça se fait à tous les jours, pis ça se fait au quotidien, pis tout le temps rester disponible, garder une certaine présence tout le temps. (Charles, 19 ans, un enfant d'un an, DES, travailleur dans une usine de plastique) 

La présence à l’enfant, c’est aussi une proximité relationnelle, affective, qui s’exprime parfois autour de simples moments de tendresse : 

Quand elle, elle a le goût d’écouter la télé, ce n’est pas parce qu’elle a le goût d’écouter la télé que je vais faire du ménage pendant ce temps là, je peux aller m’écraser avec, m’asseoir avec pourquoi pas. L’émission est plate ce n’est pas grave, je me ferme les yeux, elle s’accote sur moi, je relaxe puis je suis avec. (Mathieu, 24 ans, baccalauréat, un enfant de trois ans, travailleur)  

Ce désir d’être présent se concrétise cependant de diverses façons au quotidien. Pour certains, leur présence auprès de l’enfant se limite, tout comme celle de leur conjointe d’ailleurs, aux soirs et aux fins de semaine et ce, en raison de l’emploi du temps chargé. On mise alors davantage sur la qualité de la relation et sur la présence d’une «bonne gardienne» ou «d’une garderie qui donne à l’enfant autant de tendresse qu’on pourrait lui donner, nous». Pour d’autres, cet impératif de la présence a entraîné des changements drastiques dans leur univers professionnel afin d’être plus disponibles: remise en question des plans de carrières à l’étranger, choix d’un travail à temps partiel ou à horaires plus flexibles» : 

Les six premiers mois, je m'en suis pas occupé beaucoup je veux dire je m'en occupais le soir, je travaillais comme soixante dix heures par semaine, j'étais dans la construction. C'est difficile, donc j'ai arrêté pis j'ai fait un cours d'agent d'immeuble. C'est payant, c'est valorisant comme travail et les horaires sont flexibles. Justement, pour aller chez le médecin l'après-midi, ben ça je peux y aller, je peux toujours me libérer. Il y a personne de plus disponible que moi, tu comprends-tu? (William 22 ans, un enfant de 3 ans, DEP, agent d’immeuble).
 
Un père c’est un guide 

 

Être père, c’est aussi, pour beaucoup de jeunes interrogés, être un guide, un «formateur» auprès de l’enfant: 

Moi je pense qu’un père c’est quelqu’un qui est là, qui les aide à leur développement (…) puis en leur offrant le plus de possibilités pour qu’ils puissent connaître la vie aussi de leur propre vision, qu’ils peuvent se faire eux autres même leur propre image du monde qui les entoure. Leur donner finalement les meilleurs outils que tu peux faire pour qu’ils puissent se développer. (Benoît, 24 ans, deux enfants de 2 ans et 2 mois, certificat universitaire, travailleur en garderie et étudiant)
 
Le rôle d'un parent, c'est de doter l'enfant, pas de lui imposer, mais de lui inculquer une certaine valeur, pis de cultiver son imagination (Richard, 24 ans, un enfant de 2 ans, DEC, étudiant à temps plein) 

Le père se voit comme un phare pour l’enfant, indiquant les chemins possibles, sans pour autant lui tracer la voie. Cette vision est d’ailleurs congruente avec les qualités mêmes qui sont, selon eux, à développer chez l’enfant, pour son évolution progressive en société, soit la confiance, l’autonomie, la capacité de choisir. Autrement dit, il semble ressortir du discours des jeunes pères que pour se mouvoir confortablement dans un monde marqué par l’autonomie et l’individualisation des parcours de vie, l’enfant doit au préalable apprendre à opérer des sélections. Voilà où apparaît la tâche du père : l’accompagner dans ces sélections, être présent lors de dilemmes décisionnels, inculquer l’idée de responsabilité. Le père apparaît donc comme un référent pour son enfant, un phare se voulant visible pour l’ensemble de sa vie, sans pour autant orienter son trajet. 

On sent ainsi, dans beaucoup d’entrevues, un mouvement de distanciation avec l’autorité à l’intérieur de la famille. En fait, même si les pères apparaissent comme ceux qui, à l’intérieur du couple parental, semblent appliquer davantage l’autorité [5], ce serait plutôt par dépit : soit qu’ils se jugent «trop impulsifs», pas assez outillés pour intervenir lors des crises de l’enfant («impatients» ont dit plusieurs), soit qu’ils le font parce qu’ils considèrent leur conjointe «trop permissive». Néanmoins, quelle qu’en soit la cause, cette attitude ne concorde aucunement avec leur idéal paternel. Au demeurant, la discipline pure et dure n’apparaît pas non plus être constitutive de leur pratique paternelle : elle semble plutôt être utilisée de façon occasionnelle et doit toujours être justifiable. Certains en effet ont exprimé le souhait de se départir de façons de faire qu’ils disent avoir acquises dans leur premier cercle de socialisation, soit leur famille d’origine. Plus spécifiquement, leur propre père sera parfois considéré comme un contre modèle et ce, non pas pour l’ensemble de leur pratique paternelle, mais plutôt en ce qui concerne justement la gestion de l’autorité. 

Cependant, s’il y a un abaissement de l’autorité, cela ne signifie en rien son effacement complet; il n’est pas apparu lors des entrevues qu’il y ait abdication des pères devant le recours à l’autorité ou que celle-ci se soit dissoute sous le poids des droits attribués à l’enfance. Il s’agit en fait d’en user s’il y a lieu mais de façon dosée et tout en favorisant au préalable l’usage de la parole entre les parties en litige. Une relation basée sur la communication vient également conforter un espoir que plusieurs ont exprimé, soit celui de préserver à long terme la proximité émotionnelle avec l’enfant.
 

Un père, c’est quelqu’un sur qui tu peux compter 

 

Par ailleurs, pour plusieurs jeunes interrogés, la paternité est vécue comme un processus de prise de responsabilités. C’est notamment le cas de ceux pour qui la venue de l’enfant n’était pas prévue [6]. L’expression «être responsable» recouvre pour eux plusieurs sens -qui correspondent bien à la polysémie même de ce terme qui a des connotations à la fois morales, juridiques et philosophiques. Tout d'abord, elle renvoie à son sens premier, courant, d'«obligation faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu'elle doit assumer et d'en supporter toutes les conséquences». Être responsable c'est ainsi, une fois l'enfant né, accepter d'en assumer la charge financièrement, en changeant de travail ou en retournant étudier. C'est donc «se prendre en main», dira l'un d'eux, car «un petit être dépend maintenant de soi pour vivre». Autrement dit, prendre ses responsabilités, se projeter dans l'avenir, avoir une vision à long terme de ce qu'implique la venue d'un enfant dans leur vie, et c'est d'ailleurs pourquoi certains sont amenés à faire des changements de carrière : 

À l'hôpital, c'est très émotif, fais que t'es comme dans un bain émotif, pis dès que tu sors de l'hôpital, pis que tu es avec l'enfant, là la vie quotidienne commence, il faut toute réorganiser. Il faut se trouver un emploi assez payant (…) pour pouvoir vivre à trois, il faut que tu fasses une pièce de plus, t'achète du linge, des couches, des biberons, et ci et ça. (…) (Samuel, 23 ans, un enfant de 4 ans, séparé, DES, prestataire de la sécurité du revenu)
 
Avant qu'elle me dise qu'elle était enceinte, j'avais commencé un DEC de trois ans en théâtre mais c'est ça, étant que le théâtre c'est rien de garanti comme revenu, moi, j'aurai vécu de ça mais il faut que tu penses au travail plus tard. Je me suis trouvé quelque chose d'autre, que j'aimais aussi pis que c'est ben payant, pour tout de suite je travaille dans le plastique pis je me suis inscrit pour l'automne en technologie de la maintenance industrielle. (Charles, 19 ans, un enfant d'un an, DES, travailleur dans une usine de plastique)
 
Disons que ça a tout remis en question. On voit toujours sa vie d'une certaine façon et quand il y a un enfant qui arrive, ça défait un peu les plans. On pensait partir deux fois en voyage, on pensait rester dans un petit appartement, pis aussi faire nos études plus rapidement, en finir rapidement avec la maîtrise. (…) A partir du moment où on a appris ça, on s’est mis aux études à temps partiel parce qu'il fallait qu'on travaille beaucoup plus pour ramasser de l'argent. (Adam 25 ans, un enfant d'un an, baccalauréat, assistant de recherche à l’université et étudiant) 

Chez ceux dont la grossesse était planifiée, les plus scolarisés et les plus âgés de l’échantillon, on retrouve aussi cette dimension de la responsabilité comme capacité à se projeter dans l'avenir. Ils insistent cependant moins sur les responsabilités financières futures que sur la dimension affective de leur responsabilité, comme l’exprime bien ce père quand il dit: «j'ai réalisé que tout d'un coup, tu comptes officiellement pour quelqu'un, ou plutôt, non pas que tu comptes pour quelqu'un, mais qu'il y a quelqu'un qui dépend de toi» (Richard, 24 ans, un enfant d'un an, DEC, étudiant temps plein). Autrement dit, être père c’est aussi une prise de conscience de soi comme étant un «autrui significatif» pour quelqu'un de dépendant ou de fragile. 

Pour clore cette section qui visait à dégager ce que recouvre la paternité pour les jeunes pères, on peut dire que les choses semblent donc avoir changé du point de vue des représentations du rôle paternel si l’on se reporte à la typologie établie il y a dix ans. En effet, les jeunes pères adhèrent tous à la seconde vision de la paternité que nous avions dégagée, soit celle caractérisée essentiellement par une relation de proximité, un lien personnel avec l’enfant, non médiatisée par la conjointe.

 

Comment sont répartis les tâches
et rôles parentaux dans le couple?

 

Mais les choses ont-elles également changé du point de vue de la répartition des tâches parentales et domestiques entre le père et la mère? Y a-t-il chez une répartition égalitaire ou équitable, non basée sur le genre, entre le père et de la mère, comme on pouvait le constater chez les pères adhérant à cette vision de la paternité dans la première typologie? Avant de répondre à cette question, il nous semblait important de faire état des situations «objectives» mêmes dans lesquelles sont les jeunes couples quant au travail. Or, ce ne fut pas chose facile, en comparaison de la recherche effectuée il y a dix ans, dans la mesure où les jeunes pères vivent toutes sortes d’arrangements en termes de conciliation famille/emploi, arrangements qui souvent sont temporaires, contextuels. Ainsi, mais sans entrer dans trop de détails, nous avons pu dégager, chez nos répondants, les situations suivantes : 1) les deux parents sont salariés [7], soit les deux à temps plein, soit les deux à temps partiel (notamment lorsqu’ils sont aussi tous deux aux études), soit encore l’un à temps plein et l’autre à temps partiel, soit encore en alternance selon les circonstances (arrivée d’un second enfant, retour aux études, etc.), 2) le père est salarié, la mère est à la maison (soit en congé de maternité, soit par choix), le père est salarié, la mère étudie à temps plein, le père étudie à temps plein, la mère est salariée, les deux étudient. À ces situations multiples, correspondent aussi des arrangements «financiers» divers : mères à la maison ou pères aux études qui reçoivent des prestations de la sécurité du revenu ou des prêts bourses, cohabitation des deux jeunes parents avec la famille d’origine en l’absence de revenus, cohabitation de la mère avec ses parents, père seul en appartement pour des raisons économiques, etc. 

En ce qui a trait à la répartition des tâches domestique et celles liées aux soins aux enfants de même qu’aux rôles qui incombent à chacun des membres du couple parental [8], deux modèles ont pu être dégagé du discours des jeunes pères interrogés, et notamment de la description qu’il nous faisaient de journées-types [9]. Le premier, nommé «modèle partenarial», est très majoritaire [10]. Le second, qualifié de «modèle inégalitaire» regroupe les pères les plus jeunes et les moins scolarisés de l’échantillon, mais se subdivise en deux sous modèles, soit «le modèle traditionnel du pourvoyeur et de la ménagère» et «le traditionnel revu et corrigé».

 

Le père et la mère comme partenaires parentaux 

 

Chez les couples du premier modèle, dit de partenariat, il y a absence de spécialisation sexuelle entre le père et la mère tant en ce qui a trait à l’enfant (soins, jeux, présence) qu’en ce qui concerne la vie quotidienne dans la maison (tâches domestiques). La distribution semble s’effectuer d’elle-même, selon la disponibilité de chacun, selon un arrangement strictement fonctionnel ou encore, selon les goûts de chacun : 

On fait pas mal tous les deux tout, il n’y a pas grand-chose que je ne sais pas à propos d’elle et il n’y a pas grand-chose que ma conjointe non plus ne sait pas. Quand un est pas là, l’autre est capable de combler correctement tout ce qu’il faut. Mais c’est sûr que c’est difficile question temps de se voir moi pis ma conjointe parce qu’on travaille tous les deux … (Charles, DES, 19 ans, un enfant d’un an, travailleur dans une usine de plastique) 

Comme là ma conjointe, par exemple, elle est remplaçante dans son travail donc l’été elle travaille plus, tant mieux moi je travaille moins. Donc pendant la semaine l’été je vais avoir toute mes journées de disponibles, je vais travailler le soir fait que je vais pouvoir passer toutes mes journées à jouer avec elle ou à faire mes trucs en dehors des activités dans la maison, comme faire le ménage je veux dire ce genre de choses-là. (…) Une journée-type dans l’année… ça dépend… si je suis en fin de session puis que je travaille trente heures puis qu’elle cette semaine là elle travaille huit heures, c’est la logique du temps. C’est pas parce que c’est elle la femme puis moi le gars, c’est plus la logique du temps qui joue. C’est sûr que c’est elle qui va être plus à la maison puis ça va être elle à ce moment-là. Mais cet été elle va travailler à temps plein, et là c’est le contraire, moi, j’aurai plus d’école je vais juste avoir à travailler mes dix heures semaine, et c’est moi qui reste à la maison qui s’occupe de la petite finalement et du reste. (Louis, 26 ans, un enfant, baccalauréat, agent de sécurité et étudiant) 

Ainsi s’opère une alternance homme/femme dans le rôle parental si l’un des deux à plus de travail pendant une certaine période ou encore une présence simultanée. On peut parler dans ce cas de « partenaires parentaux  interchangeables» (Dienhart 1998), de «couple parental» (Hurstel 1996) pour décrire la relation entre les conjoints car celle-ci est sous le signe de la complémentarité, celle-ci se construisant et se négociant à travers la communication. L’autre apparaît d’ailleurs comme un partenaire qui permet d’élargir sa perspective («on se donne des trucs», dira l’un d’eux), ou d’amoindrir  les angoisses ou les questionnements qu’amène sur sa route le quotidien de l’expérience parentale. De plus, la paternité ne s’articule pas ici en prenant la conjointe mère comme référent, comme modèle à imiter. Elle se construit plutôt au jour le jour à travers des échanges entre les deux parents. Il est cependant intéressant de noter qu’à l’intérieur de certains couples qu’on pourrait qualifier d’égalitaires en ce qui a trait à la répartition des tâches liées à la domesticité et à l’enfant, une «sous dimension» de la fonction de pourvoyeur semble demeurer opérante : l’administration des ressources financières à l’intérieur de l’entité familiale. Quelques répondants, en plus de participer pleinement à l’ensemble des facettes de la scène intime des rapports sociaux, affirment s’occuper du budget du foyer, gérer les finances de la famille. Cependant, ajoutent-ils, leur conjointe est toujours consultée, laissant apparaître la négociation comme nécessaire, constituant du même coup une illustration supplémentaire de l’importance du compromis à l’intérieur de la conjugalité contemporaine.

Le pourvoyeur et de la ménagère :
à chacun sa place

 

Chez quelques couples, c’est le modèle traditionnel du pourvoyeur et de la ménagère qui domine, modèle hérité rappelons-le, des années 50-60 alors que très peu de femmes avaient accès au marché du travail et étaient donc confinées à la maison. Quand les jeunes pères décrivent une journée-type, il ressort d’abord que leurs conjointes ont un rôle de ménagère à temps plein, notamment en ce qui a trait au travail domestique quotidien et ce, qu’elles soient sur le marché du travail ou non : 

Ben là je participe plus à peu près à aucune tâche, je veux dire, je ne la fais pas manger parce que quand je me lève c’est déjà fait, je ne lui donne pas son bain parce que je pars trop tôt pour travailler, fait que dans le fond tout ce que je fais avec c’est jouer avec puis essayer de passer un petit peu de bon temps avec, la gâter un peu. Fait que je ne fais plus aucune tâche ingrate si on veut. (…) Mais c’est ça moi, le jeudi, je lui transfert trois cent vingt, trois cent trente piasses, dépendant des semaines puis elle s’arrange avec, je ne sais pas comment elle le répartit. (David, 25 ans, DES, un enfant et un à venir, travailleur de nuit en usine et étudiant)
 
Quand on est les deux là dans une journée, je joue avec, je m’en occupe. Quand on parle de changement de couches pis ces affaires-là, la faire manger, c’est ma blonde, moi je joue beaucoup avec. Mais, j’essaie d’en prendre un peu plus, j’essaie de donner à manger, pour pas que la petite soit habitué à juste jouer avec moi (Alexis, 19 ans, un enfant de 8 mois, prestataire de la sécurité du revenu et étudiant raccrocheur). 

De plus, la relation père/enfant est médiatisée par la mère pour tout ce qui concerne les soins et l’éducation au quotidien. Il est cependant deux «domaines d’activités» dans lequel les pères prennent eux-mêmes l’initiative, c’est d’une part celui du jeu avec l’enfant, notamment du jeu d’extérieur (sports, etc.) et d’autre part, celui de l’autorité. Les différences entre le rôle paternel et le rôle maternel sont justifiés par la «nature» même de l’homme et de la femme, le premier étant peu doué, peu compétent pour les choses domestiques, la femme ayant au contraire «l’instinct maternel», étant plus apte à s’occuper des enfants car plus patiente, plus douce, etc. Tous ces pères croient cependant que leur rôle, tout en étant différent de celui de leur conjointe, n’en n’est pas moins important pour la famille.

 

Le pourvoyeur et la ménagère… revu et corrigé

 

Chez d’autres répondants, la division des tâches est inégale mais surtout en ce qui a trait au travail domestique, les pères ayant plutôt en ce domaine un rôle d’«aide à la conjointe», faisant peu preuve d’autonomie en cette matière, si ce n’est pour les tâches traditionnellement masculine (automobile, pelletage de la neige, etc.). Pour ce qui est des soins aux enfants, cependant, il y un partage qui tend vers l’égalité, les pères s’acquittant tout autant que la mère des soins de base quotidiens, tel le bain, et étant disponibles autant pour jouer que pour aller aux rendez-vous chez les médecin par exemple. 

Je travaille, je pars à 5 heures et je rentre vers 5 heures et demi, fait que jusqu’à temps qu’elle se couche, je m’occupe d’elle, je lui donne son bain, je sors, je l’amène au parc, je fais beaucoup de jeux. (Simon, 19 ans, un enfant d’un an, secondaire 4, travailleur dans une usine de colle industrielle).
 
Avec le petit, c’est moitié-moitié. Je m’en occupe, vraiment autant. Je lui donne son bain, je fais à souper, je vais patiner avec, je vais jouer avec lui (…) Dans la maison, heu, elle en fait un petit peu plus, mais en même temps, moi je m’occupe de la voiture, du duplex, on s’obstine toujours là-dessus sur qui en fait plus, mais comme la maison, moi je fais jamais le lavage, mais je fais la vaisselle, mais elle en fait plus. (William, 22 ans, un enfant de 3 ans, DEP, agent d’immeuble). 

Pour certains, c’est essentiellement le travail qui expliquerait leur peu d’implication dans les tâches domestiques, car «ne pouvant tout faire», on préfère «s’occuper du petit car «ça passe vite, pis tu réveilles et ton enfant est grand et il a pas connu son père», une vision des choses qui correspond bien à leur conception même du rôle paternel que nous avons décrite plus haut. À cet égard, leur propre expérience de fils dont le père était peu présent agit comme un contre modèle. Mais surtout, pour tous, ce n’est pas tant le genre mais bien le contexte et les priorités «de l’heure» ou encore les choix qu’ils ont faits, qui déterminent la répartition des tâches et des rôles : 

Elle s’occupe de toute la maison parce qu’elle ne travaille pas mais comme la fin de semaine, ou comme cette semaine où je suis en vacance, là on arrive à l’heure du dîner pis moi je donne à manger à la petite, pis tout (…) On a fait des choix, donc ça faisait que je devais retourner aux études pour me trouver un travail plus payant qui lui permettrait à elle de pouvoir rester à la maison avec les enfants et ainsi d’éviter de payer les garderies qui équivaut quasiment à un salaire. Elle, elle a d’autres projets, elle veut faire de l’ébénisterie, s’équiper, travailler à la maison, avoir un atelier, vendre des meubles, des trucs comme ça. Elle a d’autres projets, mais toujours dans l’optique où le revenu principal c’est moi qui l’amènerais. Ça aurait pu être le contraire, ça aurait facilement pu être le contraire, on aurait pu dire aussi c’est moi qui va rester à la maison mais ça ne lui tentait pas, elle préférait rester à la maison, ça été le choix qu’on a fait. (Joël, 25 ans, un enfant d’un an, étudiant temps plein). 

Cette répartition est donc amenée à changer avec le temps, par exemple si la conjointe retourne sur le marché du travail ou si eux-mêmes décident de ne travailler qu’à temps partiel.

 

Conclusion

 

Les choses ont-elles changé depuis dix ans en matière de conceptions et de pratiques paternelles? Telle était la question que nous posions au début de cet article et à laquelle on peut répondre par l’affirmative en regard des résultats de notre recherche. Celle-ci montre d’abord que l’expérience parentale ne se présente plus sous forme d’un modèle légué par la tradition, mais apparaît plutôt tel un arrangement à construire, voire à conquérir au quotidien et ce, en collaboration avec l’autre parent. Les rôles ne semblent pas pré-établis, les obligeant donc à construire eux-mêmes leur identité de père –et de mères. À cet égard, les représentations de ce que est un père ou une mère semblent effectivement en train de changer. Les jeunes pères s’attribuent un rôle à multiples facettes, se traduisant dans des pratiques parentales axées sur la complémentarité et le partage des tâches pour la plupart. De plus, pour la grande majorité de ceux que nous avons rencontrés, la paternité est une expérience qui, tout comme la maternité qui demande à la fois une présence au quotidien et une projection dans l’avenir et qui est faite de moments de tendresse, de soins, d’éducation au sens strict et surtout de partage avec la conjointe. On retrouve peu de jeunes pères adhérant à une vision «familialiste» de la paternité, marquée par une division stricte des rôles entre le père et la mère et par une définition du père comme pourvoyeur économique seulement. Cette paternité relationnelle, de proximité, est à mettre en relation avec les changements vécus dans la «culture masculine» qui tend à s’éloigner 

[…] des masques qui accompagnaient l’affirmation de la virilité et sommait l’homme de blinder son corps et sa sensibilité derrière des rôles publics, au nom du devoir-être masculin. La culture du sujet qui désormais valorise plus l’intime, représente aussi une valeur montante chez les hommes jeunes, qui conçoivent davantage de s’affirmer désormais de manière autonome dans le privé et dans une paternité de proximité. (Castelain-Meunier, 2002 : 153-154. 

Par ailleurs, si plusieurs jeunes ont abordé la dimension de la nécessité du «travail pour faire vivre la famille», c’est comme une des responsabilités qui découle de l’arrivée d’un enfant dans leur vie de jeunes et non comme un élément essentiel à la structuration même de leur identité paternelle. C’est surtout une responsabilité qui n’est pas le propre du père. Pour ces jeunes pères, voir aux besoins de la famille fait donc partie des obligations, des nécessités de tout parent, père ou mère, mais ne constitue pas ce qui les définit comme pères, contrairement aux hommes des générations précédentes. À l’inverse même, diront certains, le travail ne doit pas prendre trop de place : 

Avant on disait le père ça amène le pain dans la maison. Asteure, c’est plus vraiment ça, c’est pas mal partagé. Un père qui travaille trop. Qui n’est pas là pour ses enfants, ben, je ne trouve pas que c’est bien. (…) Un père, c’est quelqu’un qui travaille mais qui est là aussi pour son enfant, pour le voir, pour l’écouter s’il a besoin de parler, ses petits problèmes. (Alexis, 19 an, secondaire IV, un enfant d’un an, étudiant raccrocheur et prestataire de la sécurité du revenu) 

Autrement dit, pour les jeunes pères que nous avons interrogés, l’implication professionnelle est questionnée en regard même de l’implication auprès de l’enfant, elle est mise «en «compétition» pourrait-on dire, avec la présence auprès de l’enfant ce qui dénote des changements par rapport aux générations précédentes, au moins en ce qui a trait aux aspirations et aux normes en matière de paternité.

 

Bibliographie

 

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[1]    On peut en donner pour preuve la multiplication au Québec des projets communautaires pour «favoriser l’implication paternelle». Voir à cet égard le répertoire canadien des pratiques exemplaires en matière d’engagement paternel (www.graveardec.uqam.ca).

[2]    Ces trois «modèles» de paternité se retrouvaient chez des pères de tous les milieux et tous les âges mais, dans le cas du premier, plutôt chez les plus âgés venant de milieux moins scolarisés et avec des emplois laissant peu de possibilité d'initiative; dans le cas du second, plutôt chez des pères très scolarisés, vivant avec des conjointes qui ont toujours été sur le marché du travail ; et pour le dernier aussi bien chez des pères très scolarisés, dans des emplois très valorisés et dont les conjointes ne sont pas obligées, sur un plan financier, de travailler que chez des pères qui, à l'inverse, ont de la difficulté à intégrer le marché du travail ou à le réintégrer, après une période de chômage par exemple.

[3]    Il s’agit d’une recherche financée par le Conseil Québécois de la Recherche Sociale.

[4]    Voir entre autres Corbin et Strauss (1990).

[5]    Constat qui ressort également des entrevues menées auprès de jeunes mères.

[6]    Situation qui concerne les trois quarts des pères interrogés dans cette recherche. Voir pour plus de détails sur cette question : Quéniart (2002b).

[7]    C’est le cas en fait pour la grande majorité de mos répondants.

[8]    Les données qui suivent excluent les 3 pères séparés et celui qui n’a jamais cohabité avec la mère de son enfant.

            Il s’agit donc bien sûr ici d’une évaluation subjective puisque nous n’avons pas comptabilisé les tâches de l’un et de l’autre. Ce qui tend cependant à «valider» les modèles dégagés est qu’on les retrouve également chez les jeunes mères.

[10]   Il regroupe en fait 19 pères sur les 28 vivant en couple, indiquant peut-être une tendance sociologique.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 janvier 2009 13:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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