9.0 Introduction
Le sentiment d'impuissance ou de privation d'emprise sur sa destinée (powerlessness) constitue un facteur de risque pour la santé, tandis que l'habilitation (empowerment) peut être un facteur important de promotion de la santé (Wallerstein, 1992). L'autonomie décisionnelle au travail représente un des aspects associés au sentiment d'emprise.
L'autonomie décisionnelle au travail concerne deux aspects de la vie professionnelle. Elle porte d'abord sur l'autorité décisionnelle, soit la possibilité de choisir comment faire son travail et de participer aux décisions qui s'y rattachent, puis sur la capacité d'utiliser ses compétences et d'en développer de nouvelles (Karasek et Theorell, 1990). L'autonomie décisionnelle au travail est ainsi directement associée au continuum impuissance-puissance avec lequel une personne doit composer à son travail.
Des études longitudinales ont démontré que les personnes ayant un faible niveau d'autonomie dans l'exécution de leur travail et devant répondre à une demande psychologique élevée deviennent de plus en plus passives dans leur participation à des activités sociales, politiques ou de loisir (Karasek, 1976). A l'inverse, les personnes ayant un travail qui les engage activement ont également une vie sociale active, quelle que soit leur classe sociale (Karasek et Theorell, 1990). Les résultats de ces recherches contredisent une idée répandue au sujet du travail morcelé, selon laquelle l'individu pourrait compenser un travail ennuyant et monotone par des activités riches et stimulantes durant ses temps libres. La diminution des loisirs sociaux et le désengagement de la vie sociale pourraient également entraîner une baisse du soutien social, qui est un déterminant de la santé.
D'autres études démontrent que les travailleurs ayant un faible niveau d'autonomie décisionnelle au travail déclarent plus de symptômes d'anxiété ou de dépression que les autres travailleurs (Karasek et Theorell, 1990 ; Nadeau et al., 1990 ; Sauter et al., 1989 ; Vinet et al., 1986 ; Gardell, 1981).
Par ailleurs, plusieurs études ont démontré que les personnes ayant une faible autonomie décisionnelle au travail et devant répondre à une demande psychologique élevée ont un risque accru de maladie coronarienne ou d'élévation de la tension artérielle, un facteur de risque des maladies cardio-vasculaires (Schnall et al., 1994). Trois mécanismes biologiques ont été suggérés pour expliquer le lien entre les contraintes psychosociales du travail et les maladies cardio-vasculaires : l'augmentation de certains facteurs de risque tels que le cholestérol sérique ou le tabagisme, l'effet sur la coagulation et l'activité accrue du système neuro-humoral adrénergique. Chez les femmes, ces relations ont été peu étudiées.
La Politique de la santé et du bien‑être du Québec (MSSS, 1992) prévoit, dans les stratégies proposées, soutenir le milieu de travail par des actions favorisant une organisation du travail propice à la participation des travailleurs et des travailleuses à la prise de décision. La présente enquête pose un nouveau jalon par la mesure de l'autonomie décisionnelle au travail de la population québécoise.
L'étude de l'autonomie décisionnelle au travail dans l'Enquête sociale et de santé 1992-1993 touche une population importante répartie dans des milieux de travail diversifiés couvrant tous les secteurs de l'économie et tous les types d'emplois. Cela constitue une première au Canada. Ces données permettent d'examiner les différences entre les hommes et les femmes selon le niveau d'autonomie décisionnelle au travail ainsi que les différences reliées à l'âge, à la scolarité et à la catégorie professionnelle. Elles permettent également de mesurer le lien entre l'autonomie décisionnelle au travail et certains déterminants de la santé, soit le tabagisme, la consommation d'alcool, la pratique d'activités physiques, la satisfaction quant à la vie sociale et le soutien social.
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