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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques Pelletier, “Introduction. L’Université: intellectuel collectif ou entreprise.” Un article publié dans la revue Analyses et discussions, no 8, printemps 2006, pp. 1-6. Numéro intitulé: “L'Université contemporaine: un bateau à la dérive ?” Montréal: SPUQ, Le Syndicat des professeurs de l’UQÀM, 2006, 85 pp. [Autorisation formelle accordée le 19 août 2008 par le SPUQ, Le Syndicat des professeurs de l’UQÀM, de diffuser ce document dans Les Classiques des sciences sociales.]

INTRODUCTION

L’Université: intellectuel collectif
ou entreprise ?
 

Jacques Pelletier
Département d’études littéraires et président du SPUQ
 

Introduction. Jacques Pelletier, “L’Université: intellectuel collectif ou entreprise ?” [pp. 1-6 de l’édition originale.]

 

Racines d’une mutation
Une tendance incontournable ?

 

C’est dans les termes de cette opposition, inimaginables il y a vingt ans, qu’il faut formuler l’enjeu central auquel les universités sont confrontées aujourd’hui. Demeurer des lieux de réflexion indépendants ou se transformer en entreprises régies par le marché, c’est entre ces deux options qu’elles doivent choisir la figure de leur présent et de leur avenir. 

Plusieurs estiment même que cette alternative, à toutes fins utiles, n’existe plus et que les universités n’auraient d’autre destin que l’adaptation aux « réalités contemporaines », c’est-à-dire aux « lois économiques » qui régissent désormais notre monde. Leur mutation, sinon leur métamorphose, en organisation bureaucratique commandée par une logique utilitariste serait donc aussi incontournable qu’inéluctable : une fatalité annoncée et programmée. 

Cette transformation capitale a fait l’objet au cours des dernières années de travaux importants [1] dont on trouvera une évocation dans les contributions des collaborateurs de ce cahier Analyses et discussions. Le SPUQ lui-même s’intéresse à cette question décisive depuis longtemps. Déjà, au tournant des années 1990, notre Syndicat avait en effet créé un groupe d’étude, animé par Normand Baillargeon, qui avait produit son rapport dans un cahier Analyses et discussions [2]. Si le phénomène de reconversion de l’Université n’est ni nouveau ni récent, il s’est cependant approfondi et aggravé à l’ère du néolibéralisme triomphant. 

En créant dans le SPUQ-Info une chronique consacrée à « La mutation de l’Université » et aux enjeux et débats qu’elle soulève, notre Syndicat entendait apporter sa contribution à la réflexion sur la nature de la transformation en cours et sur les défis qu’elle nous pose comme universitaires et comme syndicalistes. Ce sont les textes publiés depuis deux ans dans cette chronique que nous avons jugé bon de réunir dans ce cahier, sous leur forme originale pour la plupart, modifiée pour d’autres ; cet aménagement permet une lecture d’ensemble qui met en lumière la convergence profonde des analyses par-delà la diversité des approches et des points de vue.

 

Racines d’une mutation

 

Dotée traditionnellement d’un statut d’institution de type communautariste vouée à la formation d’esprits libres et autonomes, l’Université devient, sous la poussée La recherche et la création universitaires à la recherche d’elles-mêmes. Analyses et discussions, no 4, hiver 1994.notamment de la mondialisation marchande, une organisation régie par la logique utilitariste et instrumentale qui inspire l’ensemble des entreprises dans nos sociétés modernes. 

C’est ce mouvement d’ensemble qu’ont mis en lumière récemment nos collègues Michel Freitag dans Le naufrage de l’Université [3] et Pierre Hébert dans La nouvelle université guerrière [4], montrant la subordination de plus en plus directe et massive aujourd’hui de cette « institution » aux valeurs et aux normes régnantes en régime néolibéral, dépendance que n’arrive plus à masquer ce qui demeure encore de l’autonomie et de la liberté qui la caractérisaient naguère. 

Cette dépendance nouvelle se manifeste en particulier sur le plan du langage, donnant lieu à l’émergence de ce que Pierre Hébert appelle une « novlangue » et Aline Giroux un « newspeak » – caractérisé par des métaphores « revampées » du vieux taylorisme mis au goût du jour : compétitivité, excellence, performance, etc. – dans un ouvrage de synthèse récent, Le pacte faustien de l’université [5], dont on ne saurait trop recommander la lecture à tous ceux qui se réclament de l’Université à un titre ou l’autre, qu’ils soient professeurs ou gestionnaires. Cette auteure reprend et prolonge, sur le terrain de l’analyse empirique, les propositions que Michel Freitag avait énoncées sur un plan plus général et elle les confirme à l’aide de données concrètes et chiffrées. 

Cette mutation majeure s’inscrit dans le prolongement d’une autre transformation capitale intervenue au cours du XIXe siècle alors que l’Université, jusque-là essentiellement un lieu de formation, prend en charge la recherche et en fait l’une de ses deux grandes missions constitutives. C’est sur ce processus – et sur son développement au cours du XXe siècle – qu’insistent Yves Gingras, notre collègue du Département d’histoire, et ses collaborateurs dans un numéro récent de la revue Actes de la recherche en sciences sociales [6]. 

Dans le texte liminaire du numéro, Yves Gingras fait remarquer que non seulement la recherche, au fil des années, a pris une place considérable dans l’Université, mais qu’elle est devenue très fortement associée aux entreprises qui en favorisent l’expansion. Plus encore, de nombreux groupes de recherche sont devenus eux-mêmes de « quasi-firmes » dont les animateurs se sont insensiblement transformés en véritables chefs d’entreprise, sacrifiant même leur propre recherche personnelle à cette nouvelle fonction. 

Cette tendance, devenue lourde, n’est pas apparue partout en même temps. L’Université allemande, par exemple, en est imprégnée depuis longtemps ; dès la fin du XIXe siècle, elle a le souci de mettre la science au service de l’industrie qui la subventionne en retour. Cette association demeurera très forte en Allemagne et dans les régions sous son influence comme l’Alsace-Lorraine jusqu’à la période de l’après-guerre, marquée par l’émergence du chercheur autonome et désintéressé qui demeurera la figure de référence durant la période des Trente glorieuses dans tous les pays de l’hémisphère occidental. C’est à la fin de cette période, au tournant des années 1980, que des rapports contractuels de plus en plus serrés interviennent entre les entreprises et l’Université, déterminant désormais dans une large mesure les priorités de recherche des établissements. 

C’est le cas depuis longtemps à l’Université de Strasbourg, qu’évoque Françoise Olivier-Utard dans sa contribution, et plus récemment de l’ensemble de l’Université française, à partir surtout de 1999 où est adoptée une loi – portant le nom de son parrain, Claude Allègre – qui incite les universitaires à collaborer avec les entreprises et à s’engager résolument dans la commercialisation des produits de la recherche. Il faut rappeler ici que Claude Allègre est un ministre socialiste, membre du gouvernement de Lionel Jospin, et que cette initiative ne provient donc pas de la droite, comme on aurait pu s’y attendre, mais de la gauche sociale-libérale. C’est dire à quel point la tendance qui pousse dans cette voie est puissante. 

On la retrouve aussi, bien sûr, au Canada, note encore Yves Gingras, où la commercialisation devient un enjeu majeur au cours des vingt dernières années, posant notamment de manière urgente la question de la propriété intellectuelle. Au-delà de cette problématique qui affecte plusieurs d’entre nous, la commercialisation et l’entrepreneurship qu’elle suppose soulèvent enfin l’enjeu beaucoup plus large et crucial des finalités de l’Université, de sa mission, de son statut et de son rôle dans nos sociétés. 

 

Une tendance incontournable ?

 

À partir du moment, en effet, où le savoir – qui n’est pas toujours une connaissance au sens fort du terme – devient l’objet et le coeur d’une « économie » à laquelle il est lié de manière indissociable sur le mode de ce qui apparaît de plus en plus comme un asservissement, que reste-t-il de l’Université comme foyer de culture et de civilisation ? Qu’en reste-t-il comme lieu d’une pensée libre et autonome, comme espace privilégié de formation d’un « honnête homme » capable d’appréhender le monde globalement et de s’y situer par-delà sa spécialisation étroitement professionnelle ? 

C’est la question décisive qu’aborde Pierre Milot dans son étude du discours de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) qui lie l’avenir des universités à leur capacité de s’adapter aux demandes et aux contraintes des entreprises, qui fait de cette adéquation nécessaire une condition de salut. Comme le disait brutalement Michæl Gibbons, un temps secrétaire général des universités du Commonwealth : « Si les universités ne s’adaptent pas, on se passera d’elles ». Il semble bien que le message ait été compris par plusieurs qui ne cessent, au Québec comme ailleurs, de s’ajuster au nouveau discours dominant, derrière les parades rhétoriques qui masquent tant bien que mal leurs pratiques effectives. 

Yves Gingras et ses collaborateurs ne tirent pas de conclusion proprement politique au terme de leurs analyses, mais ils ont le mérite de mettre en évidence les véritables paramètres et les enjeux centraux de la mutation en cours. 

Au terme du bilan que j’ai évoqué précédemment, Gilles Gagné paraît, pour sa part, étonné par le fait que cette transformation majeure et radicale, qui remet en question les fondements mêmes de l’Université, n’ait pas suscité jusqu’à maintenant plus de résistances. C’est qu’il oublie sans doute que la fonction critique elle-même, qu’il croit consubstantielle à cette institution, ne va plus de soi dans les universités et qu’elle est d’autant plus survalorisée sur le plan discursif qu’elle n’est plus guère pratiquée, et surtout pas à l’endroit de l’Université elle-même ; son effacement progressif constitue, parmi d’autres symptômes inquiétants, un indice particulièrement révélateur de sa métamorphose récente. 

Acteurs principaux de cette institution en procès, il nous revient d’accepter ou non le caractère soi-disant incontournable et irréversible de cette transformation. Il nous appartient aussi de tirer les conséquences qui s’imposent de la réponse que nous donnerons à cette appréciation : l’acceptation, enthousiaste ou résignée, ou la résistance au nouveau modèle hégémonique. Le débat est lancé. 

Jacques Pelletier
Président du SPUQ


[1] Gilles Gagné en a proposé une excellente synthèse dans un récent numéro de la revue Société, vol. 24-25, hiver 2005, sous le titre : « La restructuration de l’Université : son programme et ses accessoires ».

[2] La recherche et la création universitaires à la recherche d’elles-mêmes. Analyses et discussions, no 4, hiver 1994.

[3] Michel Freitag, Le naufrage de l’Université et autres essais d’épistémologie politique, Québec et Paris, Nuit Blanche éditeur, Éditions La Découverte, 1995 (Coll. Essais critiques).

[4] Pierre Hébert, La nouvelle université guerrière, Québec, Éditions Nota Bene, 2001 (Coll. Interventions).

[5] Aline Giroux, Le pacte faustien de l’université, Montréal, Liber, 2006.

[6] « Entreprises académiques », Actes de la recherche en sciences sociales, no 148, juin 2003.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 15 février 2011 14:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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