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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Françoise Morin, “Les premiers congrès Shipibo-Conibo dans le contexte politique et religieux des années 60-70.” Un article publié dans la revue Journal de la Société des Américanistes, LXXVIII-II, 1992, pp. 59 à 77. [Autorisation accordée par l'auteure le 28 février 2009 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[59]

Françoise Morin

Anthropologue, Université Toulouse Le Mirail
professeure associée, dép. d'anthropologie,
Université Laval et chercheure associée, CIERA.

Les premiers congrès Shipibo-Conibo
dans le contexte politique et religieux
des années 60-70
.

Un article publié dans la revue Journal de la Société des Américanistes, LXXVIII-II, 1992, pp. 59 à 77.



Résumé

C'est à la fin des années 60 que plusieurs groupes indigènes d'Amazonie Péruvienne, conscients de la situation coloniale qui les domine, commencent à s'organiser pour revendiquer leurs droits territoriaux, politiques et culturels. Entre 1971 et 1972 quatre congrès sont organisés par les Shipibo-Conibo de l'Ucayali au cours desquels ils discutent de leurs multiples problèmes, font connaître leurs revendications auprès des responsables gouvernementaux et décident de s'unir en se dotant d'autorités politiques nouvelles. Pour comprendre le succès de cette mobilisation ethnique, il faut la resituer dans la conjoncture politique et religieuse des années 60-70 où des missionnaires catholiques s'indigénisent à la suite des bouleversements de Vatican Il et des anthropologues se mobilisent pour s'investir dans les nouvelles politiques indigènes du gouvernement révolutionnaire du Général Velasco.

Resumen

Los primeros congresos Shipibo-Conibo
en el contexto político de los años 60-70.


Conscientes de la dominación colonial que les aflige, a fines de los años 60, diversos grupos indígenas de la Amazonia Peruana deciden organizarse para reivindicar sus derechos territoriales, políticos y culturales. Así, los Shipibo-Conibo organizan cuatro congresos entre 1971 y 1972, en el curso de los cuales discuten de sus multiples problemas, dan a conocer sus reivindicaciones a los responsables gubernamentales y deciden unirse, al mismo tiempo que designan nuevas autoridades políticas. Para comprender el éxito de esta movilización, es necesario situarla en la coyuntura política y religiosa de los años 60-70, época en que misioneros católicos se indigenizan - al influjo de los cambios aporqados por Vaticano II - y muchos antropólogos se movilizan en función de las nuevas políticas indígenas del gobierno revolucionario del general Velasco Alvarado.

Abstract

The first congress Shipibo-Conibo
in the political and religious context of the 60-70's.

At the end of the sixties, several Peruvian Amazonian Indian groups, conscious of the domination of the colonial situation, began to organize themselves in order to assert their [60] territorial, political and cultural rights. Between 1971 and 1972, the Shipibo-Conibo from the Ucayali organize four different congress during which they discussed their numerous problems, expressed their claims to the governmental authorities, and decided to join together under a renewed political leadership. In order to understand the success of this ethnic-based organization, one has to consider the political and religious context of the 60-70's. During this period, radical changes in the Vatican II led to the emergence of a pro-native stance among the catholic missionaries and anthropologists became actively involved in support of the new policies in favour of the indigenous populations.



En Août 1990 à Genève, lors de la 8e session du Groupe de Travail sur les Populations Autochtones de l'O.N.U. à laquelle participent plus de 400 délégués indigènes du monde entier, Elie Sanchez représente l'Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana (A.I.D.E.S.E.P.), organisation nationale regroupant 29 fédérations indigènes de l'Amazonie Péruvienne. Il est shipibo, a 34 ans, appartient à la 2e génération de maîtres bilingues, est engagé depuis plus de dix ans dans les activités de plusieurs organisations shipibo-conibo (syndicat des maîtres bilingues, fédération des « communautés indigènes de l'Ucayali ») et depuis quelques mois, est l'un des responsables de l'organisation nationale. Il vient pour la première fois àl'O.N.U. présenter la situation des peuples indigènes d'Amazonie Péruvienne, souvent dramatique dans le cas des Ashaninka dont plusieurs leaders viennent d'être assassinés par le M.R.T.A. (Movimiento Revolucionario Tupac Amaru), et participer aux discussions de différents articles de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones en cours d'élaboration (Morin, 1992) et qui devrait être terminée en 1993. Et ceci, près de vingt ans après que des Shipibo-Conibo aient pris l'initiative de se réunir pour la première fois dans leur histoire, en 1971 à Santa Rosa de Dinamarca, village du Haut Ucayali, pour mettre en commun leurs problèmes, « s'unir pour être plus forts » et trouver des stratégies de lutte pour défendre leur territoire et leur culture.

Quels sont les facteurs qui contribuent dans les années 60 à l'émergence de cette prise de conscience indigène en Amazonie Péruvienne, et notamment chez les Shipibo-Conibo dans la province de l'Ucayali ? Y a-t-il une conjoncture socio-politique qui favorise l'organisation de ces premiers congrès shipibo-conibo ? Les transformations dans l'Église Catholique post-conciliaire et l'idéologie vélasquiste ne contribuent-ils pas àforger de nouvelles politiques indigènes qui respectent leurs cultures, défendent leurs droits et collaborent à la mise en place de leurs organisations ? Et dans ce contexte « révolution­naire » le missionnaire et l'anthropologue, traditionnellement ennemis (Stipe, 1980), ne sont-ils pas les nouveaux médiateurs qui collaborent et luttent pour la libération des peuples indigènes ?


UNE ÉGLISE MISSIONNAIRE
QUI S'INDIGÉNISE
 [1]

Avec le Concile de Vatican Il et les bouleversements qu'il provoque dans l'Église Catholique nous assistons dans les années 60 à un renouvellement de l'approche missionnaire. Elle ne doit plus imposer de façon coloniale une foi chrétienne et une civilisation occidentale mais construire un dialogue avec les [61] différents peuples en écoutant, partageant et en respectant leurs cultures. Ceci implique que « les missionnaires parlent non seulement les langues des groupes où ils vivent mais apprennent leur histoire, connaissent leurs structures sociales et coutumes... leurs valeurs religieuses, leurs représentations de Dieu, du monde et des hommes.. » (Décrets Concilaires, 1961-1965 : VII).

Pour étudier et connaître ces cultures, les missionnaires doivent faire appel aux travaux de différentes sciences sociales comme l'ethnologie, la linguistique, l'histoire, la sociologie, l'histoire des sciences religieuses. Cet apprentissage de l'altérité doit permettre une meilleure adaptation de la vie chrétienne, selon le caractère de chaque culture, comme elle doit aussi « nourrir l'unité catholique des traditions spécifiques et des qualités propres à chaque peuple » (Décret Ad Gentes, 1963-1964, 6, 3).

En Amérique Latine, après la conférence de Medellin [2] (Colombie) en août 1968 qui avait placé « la libération de l'homme américain » au centre de sa réflexion, les autorités religieuses vont travailler à mettre en œuvre cette vision nouvelle de l'action missionnaire. Et pour cela, elles vont organiser des réunions par grandes aires culturelles, en commençant par la région amazonienne où les problèmes semblent les plus urgents. La première rencontre pastorale a lieu à Iquitos en mars 1971 et réunit des évêques et missionnaires travaillant dans cinq pays du bassin amazonien (Venezuela, Colombie, Pérou, Équateur et Bolivie), ainsi que des anthropologues et sociologues, invités à présenter leurs analyses des sociétés amazoniennes. Certains, comme Stefano Varese, feront des critiques très sévères de l'œuvre missionnaire en Amazonie Péruvienne. Depuis quelques années en effet, de nombreux anthropologues dénoncent l'ethnocide résultant de l'action missionnaire en Amérique Latine. Trois mois avant cette réunion d'Iquitos, Varese est l'un des onze signataires de la fameuse « déclaration de Barbade 1 » (janvier 1971) dont nous parlerons plus loin et qui dénonce le colonialisme et l'ethnocide dont l'État, les missions religieuses et les anthropologues sont responsables.

Préparés depuis Vatican Il à comprendre et accepter ce genre de critiques, les missionnaires reconnaissent dans le document final de la rencontre pastorale d'Iquitos « l'état de désintégration culturelle des peuples de la forêt amazonienne, résultat de différents contacts ethnocentriques... notamment ceux des missionnaires qui méprisaient les cultures indigènes et ne se préoccupaient que de conquêtes spirituelles... » [3]. Dorénavant les missionnaires doivent s'incarner, s'immerger dans les cultures indigènes et avoir pour priorité la revalorisation de leurs identités ethniques avant de leur offrir le baptême et une identité chrétienne.

Une deuxième rencontre à Pucallpa en octobre 1972 va préciser au niveau régional cette pastorale indigéniste en assignant comme tâche aux missionnaires « la libération des autochtones » et ceci de trois manières :

- en dénonçant la discrimination et les injustices dont ils souffrent,
- en respectant et en valorisant leurs spécificités culturelles,
- en les aidant à « s'organiser » pour défendre leurs cultures.

Dans l'Ucayali, c'est un Québécois, le Père Gaston Villeneuve, qui va incarner cette nouvelle politique missionnaire. Il jouera un rôle clef dans l'émergence des organisations communautaires shipibo-conibo.

[62]

Alors qu'il s'occupe depuis plusieurs années des populations paysannes métis, il est, à la fin des années 60, de plus en plus sollicité par des Shipibo qui viennent à Masisea ou au Vicariat de Pucallpa lui exposer leurs problèmes en lui demandant d'intervenir auprès des autorités compétentes. Il découvre alors tout un monde culturel, jusque là ignoré par l'Église Catholique de Pucallpa, car « l'Instituto Lingüístico de Verano était là pour s'en occuper » [4]. En répondant aux appels des Shipibo, le Père Gaston Villeneuve découvre du même coup toutes les injustices et les discriminations dont ils sont l'objet : c'est la chaîne des intermédiaires qui transforment les Shipibo-Conibo [5] en véritables esclaves sous la complète dépendance économique des patrones qui leur allouent de maigres biens de consommation en échange de centaines de billes de bois, c'est l'invasion constante de leurs territoires et lieux de pêche par les colons qui profitent de leur analphabétisme et de la non-reconnaissance juridique de leurs terres, ce sont les fonctionnaires du Ministère de l'Agriculture qui ne répondent pas à leur demande de démarcation et titularisation de leurs terres [6], ce sont les abus des autorités locales qui refusent l'inscription de leurs enfants dans les écoles, qui leur vendent des vivres reçus gratuitement pour aider les victimes des inondations, qui les obligent à venir nettoyer les villages métis, qui leur font payer un prix démesuré un acte de naissance ou des papiers d'identité, etc.

Le Père Gaston Villeneuve enregistre par écrit toutes les plaintes provenant de très nombreux villages du haut et bas Ucayali et cherche à canaliser ces revendications en projetant une réunion de délégués shipibo et conibo au cours de laquelle des leaders pourraient être élus, dont il faudrait ensuite assurer la formation. Il en parle même à Stefano Varese qu'il rencontre en mars 71 à Iquitos lors de cette réunion pastorale mentionnée plus haut. Fin avril, il propose aux curacas de cinq villages shipibo de se réunir pour discuter de ce projet. Cette initiative sert de véritable catalyseur car, après une journée et une nuit d'échanges et de discussions entre les 5 chefs de villages, le premier congrès shipibo-conibo est programmé du 20 au 26 mai et son organisation élaborée de façon très détaillée. La langue officielle sera le shipibo, le lieu ne sera pas Pucallpa comme l'avait proposé le Père Villeneuve mais un village shipibo, Nueva Santa Rosa de Dinamarca, à 100 kms en amont de la capitale provinciale et dont l'un des 5 participants de cette réunion est curaca, chaque caserío shipibo et conibo sera représenté par 3 délégués, parmi les plus capacitados, enfin ce premier congrès devra se terminer par l'élection d'un jefe máximo. Après avoir dressé une liste de la cinquantaine de villages qu'ils connaissent sur le haut et bas Ucayali (sur une centaine qui existent en réalité à cette époque) ils décident que deux équipes vont se répartir les invitations à ce grand stinquiti (réunion, congrès). Craignant d'être soupçonnés de subversion par les autorités de la région, ils demandent l'appui moral de l'Église. Le Père Gaston Villeneuve accepte de rédiger une lettre d'invitation portant le sceau du Vicariat de Pucallpa et qui sera signée par les cinq euracas. Il leur offre 30 gallons d'essence qui permettront aux deux embarcations de visiter la cinquantaine de caseríos répartis sur l'Ucayali. Quant aux invitations officielles, celles des responsables gouvernementaux, les Shipibo s'en remettent au Père Villeneuve. Celui-ci écrit le 24 avril 1971 à Stefano Varese, alors Chef de la Division des Communautés Indigènes au Ministère de l'Agriculture, pour le mettre [63] au courant de tout ce qui se prépare et l'inviter à participer à ce premier congrès qui sera « une grande date dans l'histoire des Shipibo », tout en lui demandant quels fonctionnaires il serait bon d'inviter, « ceux qui veulent réellement faire quelque chose pour les indigènes ». Cette lettre révèle qu'une confiance et une volonté de collaboration existent entre les deux hommes. Ils se sont tout récemment rencontrés à Iquitos, et les propos très critiques de l'anthropologue semblent avoir beaucoup impressionné le missionnaire. Ils vont jusqu'en 1973 (date à laquelle Stefano Varese quittera le SINAMOS) travailler en étroite collaboration. « À cette époque les responsables gouvernementaux de Lima pensaient que le nombre de nativos vivant en forêt était très faible... il fallait donc les inviter à venir se rendre compte sur le terrain... c'était un des buts qu'on se donnait avec Stefano Varese... » [7]. La Division des Communautés Indigènes apporte tout son soutien moral à ce premier congrès shipibo mais Stefano Varese, retenu au dernier moment à Lima, ne peut y participer. Dans une lettre du 18 mai il félicite le Père Gaston Villeneuve pour son travail d'organisation des communautés shipibo qui correspond à ce que la Division des Communautés Indigènes est en train de faire dans d'autres régions avec les Aguarunas et les Amueshas. Stefano Varese lui annonce enfin une bonne nouvelle, le Gouvernement Révolutionnaire est en train d'élaborer une loi qui garantirait à toutes les Communautés Indigènes la possession de leurs terres. Quelques mois plus tard, il sollicite ses commentaires et critiques sur l'avant projet de ce qui deviendra le décret-loi No 20653 des Comunidades Nativas voté en 1974.

Dans une longue chronique envoyée le 10 juin, et qui est le seul document existant sur ce premier congrès shipibo, le Père Villeneuve raconte à Stefano Varese le déroulement de cette réunion, tout en lui faisant part de ses impressions et analyses des différentes revendications et problèmes évoqués, de l'attitude « intégrationiste » de certains maîtres bilingues et du discrédit des autorités provinciales qui, en ne répondant pas àl'invitation des Shipibo pour la cérémonie de clôture, « manifestèrent une fois de plus leur mépris pour les indigènes ». Le Père Villeneuve n'hésite d'ailleurs pas à prendre la plume avec trois autres prêtres du Vicariat de Pucallpa pour dénoncer dans le journal local [8] cette absence de considération des autorités provinciales pour les initiatives indigènes (et cela sera repris dans La Prensa de Lima quelques jours plus tard).

Pour sensibiliser des responsables politiques et des fonctionnaires ministériels de Lima aux problèmes soulevés lors de ce premier congrès shipibo-conibo, le Père Villeneuve va faire parvenir les conclusions de cette réunion à différentes personnalités dont la liste lui a été envoyée par Stefano Varese. Quant à l'épiscopat péruvien, réuni à Lima en Août 91 pour une conférence sur « La justice dans le monde », il se définit comme « le porte-voix des protestations de nombreuses tribus d'Amazonie Péruvienne qui crient désespérément dans des langues que les « civilisés » ne veulent pas et ne peuvent pas comprendre » [9] ; il dénonce très sévèrement dans un document final (très inspiré des conclusions du premier congrès shipibo) toutes les injustices dont sont victimes ces groupes amazoniens et s'engage à faire pression sur le gouvernement pour que soit voté un statut des Communautés Indigènes qui leur garantisse des droits individuels et collectifs.

En servant d'intermédiaire entre les Shipibo-Conibo et les hauts responsables politiques, administratifs et religieux, le Père Gaston Villeneuve réussit peu à peu [64] à sensibiliser et mobiliser les principaux représentants de l'État péruvien. C'est ainsi que le Général Leónidas Rodríguez, Directeur du SINAMOS et troisième personnage du Gouvernement Révolutionnaire, accepte, sur son invitation, de participer au 2e congrès shipibo à Puerto Nuevo les 15-19 décembre 1971. Alors que les autorités provinciales ont encore une fois refusé de venir à cette réunion de indios, ce général va passer deux jours dans ce petit village du haut Ucayali où sont réunis près de mille délégués shipibo-conibo. Tout en leur rappelant que la Révolution entreprise par l'armée péruvienne doit mettre fin aux injustices des autorités locales et à l'exploitation des patrones, il leur promet de résoudre les problèmes les plus urgents par la reconnaissance juridique de leurs terres et de leur état civil. Et, fidèle au modèle politique vélasquiste qui est de construire une « démocratie sociale de pleine participation » et aux objectifs du SINAMOS [10] (Sistema de Apoyo a la Movilización Social), créé six mois auparavant, il les encourage à poursuivre leur effort d'organisation et à multiplier leurs congrès car « seul le peuple organisé peut se défendre contre les injustices ».

Si les Shipibo-Conibo ont réussi à capter l'attention des hautes autorités de l'État et si une loi est en préparation pour les défendre, il reste à gérer les nombreux problèmes quotidiens, et là encore, le Père Gaston Villeneuve va servir d'intermédiaire pour plaider leur cause auprès des différents représentants de la société dominante. Il leur sert ainsi de secrétaire pour informer le Ministre de la Pêche de la disparition du poisson dans les lacs (résultat de la pêche au filet pratiquée par les colons), et lui réclamer l'attribution exclusive de ces lieux aux Shipibo-Conibo ; pour demander au Ministre de l'Agriculture l'octroi de licences d'exploitation du bois pour les nombreuses communautés qui veulent rompre leurs liens de dépendance avec les patrones ; pour réclamer au Ministre de l'Éducation la création d'écoles qui font gravement défaut dans des dizaines de villages ; pour informer les autorités de PETROPERU des prix payés par les Shipibo-Conibo pour l'achat de carburants et dénoncer la spéculation des commerçants itinérants qui multiplient par dix la valeur effective de ces produits, etc. Le Père Gaston Villeneuve sert aussi d'informateur des réalités shipibo-conibo auprès des media : soit en fournissant aux journalistes, acquis à la cause indigène, des dossiers qui leur permettent d'écrire des articles percutants, soit en écrivant lui-même dans des journaux régionaux et nationaux et en participant à des émissions de radio et télévision. Les articles de Pierre de Zutter et de Roger Rumrill dans l'Expreso entre 1972 et 1975 sur Los condenados de la selva, ou La « civilización » y los nativos ou encore El combustible de Curiaca peuvent servir d'exemples de la collaboration très efficace entre ce missionnaire-informateur et des journalistes, qui veulent dénoncer toutes les formes d'exploitation de ces peuples indigènes et combattre un certain nombre de stéréotypes de la société péruvienne à leur égard, auxquels contribue une certaine presse. Ainsi dans La Prensa de Lima du 27 juin 1971, on peut lire que « les Shipibo ne sont plus des sauvages.. (que) la majorité d'entre eux ne sont pas agressifs... et (qu'ils) tendent à s'assimiler à la civilisation ». De telles affirmations font réagir le Père Gaston Villeneuve qui répond aussitôt dans le journal Ímpetu en s'interrogeant longuement sur la valeur de cette prétendue « civilisation » qui se solde en réalité par un ethnocide des Shipibo-Conibo et dans certains cas par un génocide. C'est aussi pour combattre un certain nombre de clichés comme « l'indien est un [65] obstacle au développement régional » qu'il écrit trois longs articles dans l'Expreso en Février 1974 à la veille de la promulgation de la loi sur « Las Comunidades Nativas ». Que ce soit dans le commerce du bois, des peaux, dans l'exploitation du pétrole, dans l'ouverture des routes... » le travail des indigènes est irremplaçable, écrit-il,... (et) s'ils décidaient le boycott de leurs activités, l'économie de Pucallpa serait en grande partie paralysée ». Si la prochaine promulgation de certaines lois « préoccupent » certains secteurs, c'est en réalité parce qu'ils « veulent garder la propriété privée de leurs indiens pour continuer à les exploiter de façon féodale ... comme ils veulent également conserver la propriété des meilleures terres ». Ainsi le Père Gaston Villeneuve devient-il, à cette époque, « la voix des hommes sans voix » en intervenant auprès des media, des administrations, des responsables politiques, des autorités locales afin de défendre les droits des Shipibo-Conibo et les aider à s'organiser.


UNE ANTHROPOLOGIE
QUI SE MOBILISE

Les années 60 marquent aussi un tournant dans l'histoire de l'anthropologie. Aux États-Unis d'abord, où des anthropologues comme Gerald Berreman, Gutorm Gjessing et Kathleen Gough soulèvent le problème de la responsabilité sociale des chercheurs en anthropologie en montrant que les sciences humaines ne sont pas neutres et qu'elles ont des implications idéologiques et politiques. Les questions d'éthique qu'ils posent, les relations qu'ils établissent entre anthropologie et impérialisme donnent lieu à tout un débat entre « libéraux » et « radicaux » dans la revue Current Anthropology (1968).

Dans les pays scandinaves ensuite, où des anthropologues bousculent les pré-supposés conceptuels qui ont régi jusqu'alors la discipline et proposent une nouvelle approche du groupe ethnique et de l'identité ethnique au cours d'un symposium qui réunit à Bergen en Février 1967 le Norvégien Fredrik Barth et quelques-uns de ses disciples et dont les résultats sont publiés en 1969 dans le livre Ethnic Groups and Boundaries. En montrant qu'un groupe ethnique est « une forme d'organisation sociale qui résulte de l'interaction du groupe et de son environnement », Fredrik Barth (1969 : 13) propose une approche dynamique et situationnelle de l'ethnicité qui n'est plus un donné mais un construit. Au lieu de prendre le groupe ethnique comme unité d'analyse et d'en étudier le contenu culturel comme l'ont fait jusqu'ici les anthropologues, il montre la nécessité d'un renversement de perspectives. Ce qu'il faut saisir, ce sont les situations dans lesquelles les groupes se trouvent en interaction ; celles-ci engendrent des « frontières ethniques » qui président aux identités qu'un groupe se donne et lui sont assignées par l'Autre. Cette approche, en privilégiant les dynamiques interactionnelles qui élaborent, maintiennent ou remettent en question ces frontières ethniques et qui engendrent différentes stratégies identitaires, permettait notamment de mieux comprendre les revendications des minorités lapones qui réclamaient leur reconnaissance comme peuple Saami et posaient un réel problème aux pays scandinaves. Cette nouvelle problématique de l'ethnicité était également un outil très précieux pour des anthropologues comme Helge Kleivan qui allait servir [66] d'intermédiaires entre États, instances internationales et peuples autochtones au sein d'organisations humanitaires. Tout en étant un spécialiste des Inuit du Labrador et du Groenland, cet anthropologue norvégien s'intéressait tout autant aux problèmes des autres peuples autochtones, en particulier ceux d'Amérique du Sud où travaillaient ses collègues scandinaves comme Lars Persson qu'il accompagne en août 1968 au XXXVIIIe Congrès International des Américanistes à Stuttgart. Dans plusieurs ateliers, des ethnologues qui reviennent du terrain racontent les massacres de populations indiennes, les invasions de leurs terres, les violations de leurs droits les plus élémentaires comme toutes les formes pernicieuses d'une assimilation forcée. Sur la proposition de plusieurs anthropologues, une motion est votée qui condamne les atrocités contre les peuples indiens et recommande la création d'une organisation qui concentre et diffuse l'information sur toutes ces violations de droits et qui coordonne des actions pour défendre les droits de ces peuples. L'International Work Group of Indigenous Affairs (IWGIA) était né, avec Lars Persson comme président et Helge Kleivan comme secrétaire général, assistés de nombreux supporters dont la plupart des auteurs du livre collectif de Fredrik Barth (IWGIA 1989 : 13). La motion de Stuttgart sera reprise un mois plus tard à Tokyo lors du VIIIe Congrès des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques (septembre 1968) et unanimement votée.

En France, des américanistes dénoncent non seulement les massacres d'Indiens dans de nombreux pays d'Amérique Latine mais proposent des analyses approfondies des politiques indigénistes. Robert Jaulin, membre d'un comité élu à Stuttgart qui est chargé de l'organisation, pour le prochain congrès américaniste, à Lima en 1970, d'un symposium ayant pour thème « l'ethnocide », rencontre de multiples difficultés dans sa réalisation et décide d'organiser à Paris un pré-colloque en février 1970 sur « l'ethnocide à travers les Amériques » auquel vont participer plus de cinquante chercheurs. Le succès de cette réunion scientifique était, selon Jean Monod (1972 : 370), « l'expression d'une prise de conscience collective du rapport négatif de notre civilisation aux autres ... mais elle restait, dans son ensemble, assez peu efficace ». Il faut reconnaître qu'à cette époque, les anthropologues français semblaient très peu concernés par les questions soulevées par leurs collègues américains ou scandinaves, même si Jean Copans en traduisant, résumant et commentant l'important dossier de la revue américaine citée plus haut, pour Les Temps Modernes (1970), essaye de « réveiller » et de mobiliser les chercheurs français. Mais il constate que la grande majorité des anthropologues « font leurs travaux (de terrain), et retournent en France sans se préoccuper du devenir des populations étudiées ».

Au Pérou, les militaires ont pris le pouvoir en octobre 1968 et le Général Juan Velasco Alvarado est à la tête d'un gouvernement révolutionnaire qui manifeste un souci de réforme sociale. Ce sera d'abord la loi de Réforme Agraire promulguée en juin 1969 qui concerne la Côte et la Sierra et donne la terre à ceux qui la travaillent. Une autre loi est en chantier pour la Selva quand Stefano Varese prend « la direction d'un bureau ministériel chargé de la politique de l'État pour les minorités tribales » (Varese 1973 : 32). Il est l'un des rares anthropologues péruviens ayant travaillé à cette époque dans les sociétés de la forêt. Alors qu'il existe de nombreuses études sur les sociétés andines ou sur celles des régions côtières, [67] réalisées notamment par les chercheurs de l'Institut d'Études Péruviennes dirigé par Jose Matos Mar, on constate à cette époque une véritable impasse sur les sociétés de la forêt, comme si elles ne faisaient pas partie de l'histoire nationale. « Leurs recherches s'arrêtent dès qu'ils ont traversé la barrière des Andes » remarque Stefano Varese (1972a : 118) qui critique cette marginalisation de l'aire selvatique par les anthropologues et montre que leur vision stéréotypée des groupes tribaux, isolés dans la forêt et complètement étrangers au développement économique et social du Pérou, est totalement fausse. Depuis 1535, la Selva est considérée comme une terre de conquête, une sorte de colonie interne pour le Pérou et « les sociétés tribales ont été soumises au flux et reflux des politiques et des économies nationales et internationales »(1972a : 119). On ne peut donc comprendre leur histoire qu'en les resituant dans un « processus qui n'a cessé de les entraîner dans une chaîne de constellations sociales, économiques et politiques s'étendant jusqu'à Lima, le centre nerveux de la société péruvienne, et même plus loin, jusqu'aux centres du commerce international... c'est à dire l'Espagne du 16e au 18e, puis l'Angleterre au 19e, enfin les États-Unis au 20e » (1972b : 4). Or, l'anthropologie s'est trop souvent réfugiée dans une vision monographique des groupes ethniques en négligeant cette approche globale, plus sociologique qui permet d'analyser les relations des groupes ethniques minoritaires avec la société nationale.

Présent au congrès de Stuttgart en 1968, Stefano Varese vote non seulement la motion qui dénonce le génocide des populations indiennes mais il devient l'un des membres fondateurs d'IWGIA. Il appartient à ce réseau international d'anthropologues en train de naître qui veut agir, se mobiliser pour apporter des solutions aux problèmes résultant des politiques d'intégration forcée des peuples indigènes dans différentes régions du monde. Pour collaborer à cet objectif, les membres d'IWGIA sont invités à fournir les informations dont ils disposent sur ces différentes situations minoritaires et Stefano Varese y participe, en 1972, en produisant un document, The Forest Indians in the Present Political Situation of Peru, dans lequel il synthétise un certain nombre de données présentées au Symposium sur « les conflits interethniques dans les régions non-andines d'Amérique du Sud » organisé à La Barbade en janvier 1971. Ces données résultent notamment d'un premier diagnostic socio-économique sur les différents groupes ethno-linguistiques de la Selva mené dans le cadre de ses nouvelles fonctions au sein de « La División de las Comunidades Nativas ». Avant de proposer une politique pour ces groupes ethniques de la forêt, ce travail préliminaire était en effet indispensable pour connaître leur nombre, leur distribution géographique, leur type d'activités économiques et leur degré d'intégration dans la société nationale. Mais ces données démographiques et anthropologiques ne suffisent pas pour comprendre les relations entre les minorités indigènes et les autres segments de la société nationale. Ces relations entre Indiens et non-Indiens sont à analyser, selon Stefano Varese, en terme de classes, les unes ayant accès aux ressources naturelles, aux moyens de production, aux marchés financiers, aux centres du pouvoir et s'appropriant le travail des autres qui occupent, eux, la base de cette structure pyramidale et asymétrique.

Pour rompre avec ce système de dépendance, avec ces relations de type colonial, Stefano Varese refuse d'adopter une politique d'intégration, remède si souvent [68] prôné par ses collègues « indigénistes ». Car l'intégration ne mène qu'à la prolétarisation des populations indigènes. L'intégration « fait perdre à l'Indien son originalité culturelle, sociale, linguistique qui lui permettent de s'identifier et de s'agglomérer socialement, sans lui donner en échange aucune nouvelle identité culturelle et sociale, sauf de continuer à être un « Indien » avec de faibles possibilités de se reconnaître comme membre d'une classe exploitée » (1972c : 766). Contre l'action intégrationiste, il propose en échange « le tribalisme »comme « chemin de développement des minorités ethniques de la forêt et de la région même de la forêt, y compris les colons ». Il sait que « certains collègues considéreront (ceci) comme irréalisable et utopique » et que « pour la majorité des techniciens chargés, de quelque manière, de la planification, cette affirmation peut avoir la valeur d'un blasphème puisqu'on nous a toujours dit et démontré que l'intégration de la population indigène à la communauté nationale était basée sur le processus de détribalisation » (1972c : 764).

Stefano Varese est conscient d'une grave crise idéologique dans les sciences anthropologiques : il y a ceux qui veulent continuer, à la suite des pères mexicains de l'anthropologie indigéniste classique, à penser en termes d'acculturation et d'intégration, et il y en a d'autres, comme lui, qui ont beaucoup appris des processus de colonisation et décolonisation des pays africains, et qui proposent simplement l'inversion du postulat intégrationiste :

« nous nions que le chemin de l'intégration (euphémisme qui cache un véritable meurtre social, culturel et économique) soit celui de la détribalisation et de l'acculturation ; nous affirmons que c'est seulement en soutenant, consolidant et renforçant la tribu et chaque communauté locale que l'on peut aller vers une unité dans la diversité, vers cette union et cohésion pour des objectifs communs à toute la nation.... L'unité et le développement national ne se construisent pas sur les décombres de sociétés indigènes attaquées, détruites et anéanties et sur la suppression honteuse des langues propres, des traditions et de l'organisation sociale » (1972c : 767).

Cette nouvelle anthropologie, pour qui le pluralisme et l'ethnicité sont des richesses utiles au développement de l'identité nationale, réunit en Amérique Latine Stefano Varese, mais aussi Darcy Ribeiro, Guillermo Bonfil Batalla et tous ceux qui ont signé avec eux la fameuse « Déclaration de La Barbade » le 30 janvier 1971, à la suite du symposium cité plus haut, et dans laquelle ils s'engagent à lutter pour la libération des Indiens. Ils observent qu'une prise de conscience ethnique se manifeste de plus en plus dans les sociétés indiennes de tout le continent américain et ils réaffirment le droit pour les populations indiennes de revendiquer leur autonomie et d'adopter des politiques de développement qui ne correspondent pas forcément aux exigences nationales dans les domaines économiques et socio-politiques.

Ces anthropologues engagés dans l'action politique, comme au Pérou dans les années 70, vont avoir une double tâche. D'une part, inciter les sociétés indiennes à s'organiser pour se défendre, car ils sont convaincus que la mobilisation et l'organisation politiques sont les seuls moyens pour ces groupes minoritaires de rompre avec le système de dépendance régionale. D'autre part, servir de médiateurs [69] entre ces sociétés indiennes et les différents corps de l'administration qui les ignorent. On trouve un bon exemple de ce rôle dans un document de travail rédigé par Stefano Varese en juin 1970 pour la commission chargée de la rédaction d'un projet de statut des Communautés Indigènes de la Selva (qui deviendra le fameux décret-loi No 20653 voté en juin 1974) et dans lequel il explique le fonctionnement politique traditionnel des communautés, leur conception de l'autorité et leur pratique d'une sorte de « democracia de participación » puisque chaque membre de la communauté peut s'exprimer et avoir accès à la chefferie. Il recommande par conséquent au législateur de « tenir compte de ces mécanismes traditionnels de l'organisation sociale et de l'autorité » tout en remarquant qu'un dirigeant moderne, comme l'instituteur, pourrait jouer un rôle complémentaire (1974 : 74). Ce travail pédagogique des anthropologues auprès des cadres administratifs des différents ministères de Lima va permettre la reconnaissance juridique des communautés indigènes dont l'intégrité des propriétés territoriales va être garantie par l'État.

Mais si l'idée que la société péruvienne doit être reconnue comme multiethnique progresse et si des mesures politiques sont adoptées dans ce sens, Stefano Varese reconnaît que les préjugés racistes, les attitudes ethnocentriques mais surtout les intérêts des fonctionnaires des administrations provinciales, très liés à ceux des pouvoirs économiques locaux, compromettent bien souvent leur application (1973 : 32).


DES CONGRÈS SHIPIBO-CONIBO
QUI S'ORGANISENT

« Discuter des différents problèmes dont souffrent les Shipibo-Conibo pour trouver des solutions et s'unir pour être plus forts »tel est le but du premier grand stinquiti organisé du 21 au 25 mai 1971 dans le village de Santa Rosa de Dinamarca. C'est sans doute la première fois dans leur histoire que 150 délégués représentant 19 communautés shipibo-conibo du haut et du bas Ucayali se trouvent ainsi réunis. Certains ont remonté l'Ucayali pendant 5 à 6 jours pour arriver jusqu'à Dinamarca. Beaucoup découvrent, en rencontrant certains délégués pour la première fois, que les communautés shipibo-conibo sont beaucoup plus nombreuses qu'ils ne le pensaient. En se voyant ainsi regroupés, ils prennent conscience qu'ils peuvent constituer une force et cela explique sans doute pourquoi, sept mois plus tard, lors du 2e congrès, ils seront près de mille. Pendant un jour et demi les délégations vont tour à tour présenter les nombreux problèmes de leurs communautés, ce sont surtout des hommes qui parlent, mais sept femmes vont demander à être entendues. Elles se plaignent des longues absences des hommes qui partent travailler avec les patrones, ce qui déstabilise la vie de la communauté et celle de la famille. Elles réclament une meilleure organisation pour que les familles puissent vivre de l'agriculture. L'une d'entre elles dénonce l'exploitation des intermédiaires qui leur achètent à très bas prix leurs poteries et leur vendent très cher les marchandises dont elles ont besoin. Elles demandent enfin aux hommes de leur apporter tout ce qui est nécessaire pour le foyer : du matériel de cuisine, du tissu, une machine à coudre, du fil et des perles pour leurs travaux d'artisanat. Ces [70] revendications féminines traduisent bien le dysfonctionnement apportée dans cette société matrilocale par le système de l'enganche qui oblige les hommes à aller couper du bois dans la forêt pour le patron lequel les endette à vie pour quelques biens de consommation. L'absence des hommes entraîne un déséquilibre dans la division sexuelle du travail et les femmes, qui doivent faire face à cette situation, en souffrent beaucoup.

Autre sujet abordé pendant ce premier congrès, celui de l'autorité communale. Les uns, plus traditionalistes, pensent que l'unique autorité est celle du curaca qui devrait être officiellement reconnu par le gouvernement. Les autres, plus légalistes comme les maîtres bilingues, insistent pour que les communautés aient un teniente gobernador et un agente municipal afin d'être reconnues par la loi et par la justice. Formés par l'Instituto Lingüístico de Verano (I.L.V.), les maîtres bilingues de cette époque [11] sont plus souvent les agents de l'intégration à la société nationale que des hommes revendiquant la valeur de leurs coutumes et de leurs traditions qu'ils trouvent obsolètes et qu'ils ont appris à renier pendant leur formation. Fascines par la modernité, ils sont souvent les seuls dans la communauté, grâce à leurs salaires, à arborer certains biens de consommation tels qu'un radio-transistor, une machine à écrire, des vêtements neufs et constituent en quelque sorte un embryon de classe sociale. Ils ne sont donc pas prêts às'opposer à l'ordre qu'ils ont appris à faire respecter ou à imaginer que les lois péruviennes pourraient tenir compte de leur différence culturelle.

L'élection d'un Jefe Máximo va clôturer ce premier congrès. Le vote se fait à main levée et celui qui remporte le plus de suffrages (85 sur 150) est Teobaldo Ochabano. Il ne fait pas l'unanimité car certains lui reprochent d'être enseignant, donc moins disponible. Cinq ans plutôt, lors d'une enquête auprès des maîtres bilingues de l'I.L.V. au cours de laquelle je l'avais rencontré, il m'était apparu comme un homme plus vieux que les autres et qui combinait les vertus charismatiques d'un curaca et les qualités d'un maître bilingue. Il avait voyagé a Lima et savait parler aux Shipibo de cette expérience très rare à cette époque, ce qui lui valait beaucoup de prestige. Il était par ailleurs en plein conflit avec les autorités de l'I.L.V. qui lui reprochaient d'être toujours polygame, de continuer à boire du masato et menaçaient de le suspendre de ses fonctions d'enseignant. C'est sans doute ce profil « d'entre deux » (la parole associée au prestige du savoir, de l'expérience) qui séduisit une majorité de Shipibo-Conibo réunis à ce premier congrès. Ils décident donc de l'élire comme leur autorité suprême. Ayant pris conscience, lors de la préparation de cette réunion, de l'étendue de leur territoire (plus de 800 kms de Contamana à Bolognesi), certains proposent l'élection de deux autres chefs, l'un élu par les Conibo et responsable des communautés du haut Ucayali, l'autre élu par les Shipibo et chargé de celles du bas Ucayali. Une véritable euphorie fait suite à ces élections, certains participants déclarent ce jour du 23 mai 1971 comme leur premier jour de liberté et proposent de le célébrer chaque année en tenant un congrès à cette même date ... l'équivalent en quelque sorte du 28 juillet pour les Péruviens. Une grande fête avec chants, musiques et danses traditionnelles termine ce premier congrès.

Quant aux conclusions qui reprennent l'essentiel des multiples doléances présentées pendant ces trois jours, elles sont d'abord d'ordre juridique. Les [71] Shipibo-Conibo réclament la démarcation et la titularisation des terres de leurs communautés afin qu'ils puissent se défendre contre les colons qui envahissent sans cesse leur territoire. Cette démarcation doit tenir compte de leurs cochas (lacs) où des métis viennent pratiquer une pêche commerciale au filet ou à la dynamite qui met en péril leur pêche quotidienne à la flèche et au harpon, comme de leurs barrizales (terres émergées pendant l'étiage) où ils sèment et récoltent du riz et qui sont chaque année l'objet de litiges avec les colons qui veulent les occuper.

Autre vide juridique qui les marginalise, la majorité des Shipibo-Conibo n'ont aucun papier d'identité parce qu'ils ne sont inscrits dans aucun registre civil. Or, chaque fois qu'ils veulent aller dans une administration défendre leurs droits, ils sont rejetés parce qu'ils ne peuvent pas produire de carte d'identité. Ils demandent donc de pouvoir s'inscrire dans n'importe quel registre civil sans devoir recourir à la justice ni payer des amendes, d'avoir dans chaque communauté shipibo-conibo un registre civil dont serait responsable l'Agent Municipal, de pouvoir inscrire leurs enfants dans les écoles même s'ils n'ont pas d'acte de naissance, enfin de pouvoir voter bien qu'analphabètes.

Dans le domaine économique, ils demandent au gouvernement de les libérer de l'exploitation des patrones et des regatones (commerçants itinérants) en créant une sorte d'entrepôt où ils pourraient à la fois s'approvisionner et vendre leurs produits aux prix du marché.

Enfin pour répondre aux nombreuses demandes d'écoles, laissées sans réponse par les autorités provinciales qui négligent les dossiers indigènes et donnent la priorité aux non-Indiens, les Shipibo-Conibo demandent au Ministère de l'Éducation une école bilingue dans chaque communauté et du matériel scolaire qui fait largement défaut.

Le 2e congrès a lieu à Puerto Nuevo, organise par Jose Gómez, chef des communautés conibo. Il dure près d'une semaine, du 15 au 19 décembre 1971, avec de très nombreux participants, près de mille délégués de 50 communautés. L'intendance pose beaucoup plus de problèmes et, bien que des vivres aient été donnés par le gouvernement pour la réunion, il est demandé dans la lettre d'invitation, toujours écrite et signée par le Père Gaston Villeneuve, d'apporter poisson salé, bananes et manioc. Pour la première fois, des représentants officiels du Ministère de l'Agriculture (le directeur des Communautés Paysannes), du SINAMOS (le responsable des Communautés Indigènes, Stefano Varese) et trois ingénieurs agronomes affectés à cette région vont participer au congrès, sans oublier le Général de Brigade Leónidas Rodríguez (chef du SINAMOS) qui assistera à la cérémonie de clôture. Leur présence traduit une volonté gouvernementale de s'informer des réalités indigènes, de prendre en considération les injustices dont ils souffrent pour y remédier par des mesures politiques et juridiques mais surtout de mettre en oeuvre leur politique de participación popular pour laquelle le SINAMOS vient précisément d'être créé et qui correspond à la deuxième phase d'expansión du processus révolutionnaire entamé en 1968. Mais pour atteindre cette participation, il faut d'abord traiter les nativos comme des Péruviens à part entière et non comme des chunchos ou des chamas [12], valoriser leurs langues et leurs cultures, et les encourager à s'organiser. Le discours du chef du SINAMOS est à ce propos très explicite : « Je vous demande de ne pas avoir honte d'être des [72] indigènes de la Selva. Vous devez être fier de vous habiller comme vous le faites, et comme l'ont fait avant vous vos parents et vos grand parents. Quand nous regardons des hommes ainsi vêtus, qui n'ont pas honte de leur race, nous enlevons notre chapeau et les saluons comme des frères... nous sommes des hommes comme vous et vous devez avoir confiance en nous, parce que nous sommes frères ». Et comme pour concrétiser ce discours égalitariste en actes, il ajoute qu'il va passer la nuit dans leur village en dormant dans une de leur maison, en se faisant piquer par les mêmes moustiques et en partageant le même repas...

Les problèmes évoqués à Puerto Nuevo par les différents délégués sont les mêmes que ceux du premier congrès. En raison de la présence de responsables gouvernementaux, ils dénoncent néanmoins, avec plus de force, le mépris avec lequel les traitent les autorités administratives locales qui ne prêtent pas attention à leurs plaintes parce qu'ils soutiennent les intérêts des patrones et regatones. Ils les accusent même d'avoir détourné et revendu les vivres envoyées par le gouvernement pour les victimes des inondations du début de l'année.

Dans l'histoire des organisations shipibo-conibo, ce 2e congrès revêt une grande importance car il leur permet pour la première fois de « se visibiliser » aux yeux de différents responsables gouvernementaux et de faire connaître le point de vue indigène sur les multiples problèmes soulevés, dont beaucoup seront directement repris dans la formulation de la loi sur les Communautés Indigènes de 1974. Et Alberto Chirif, autre anthropologue péruvien qui s'est beaucoup investi dans cette « anthropologie-action » et dans les activités du SINAMOS, souligne à juste titre que « si le projet de loi sur les Communautés Indigènes a été rédigé par des fonctionnaires, il a en réalité été « dicté » par les indigènes eux-mêmes, à partir des conclusions de leurs propres congrès » (1974 : 38).

Le 3e congrès a lieu 4 mois plus tard en avril 1972 dans la communauté de Porvenir, organisé par Abran Inuma, chef des communautés shipibo. Après avoir boycotté les deux premiers congrès, les autorités locales et provinciales sont cette fois-ci présentes et le journal impetu de Pucallpa consacre même quelques lignes pour annoncer la venue de nombreux fonctionnaires ministériels à ce congrès. Ils sont effectivement une vingtaine représentant les Ministères de l'Éducation, de l'Agriculture et du Travail. Ce dernier envoie trois personnes pour non seulement inventorier les différents problèmes des 35 communautés représentées, mais procéder aussi à une enquête par questionnaire sur 15 d'entre elles [13] afin de faire quelques propositions en matière de formation professionnelle.

Le 4e congrès, organisé par le Jefe Máximo, Teobaldo Ochovano, dans la communauté de San Francisco de Yarinacocha, proche de Pucallpa, du 29 septembre au 4 octobre 1972, coïncide avec la venue du Président Velasco Alvarado qui choisit de fêter le 4' anniversaire de la Révolution en se rendant dans la Selva. Grâce à l'acharnement du Père Gaston Villeneuve qui participe à la réunion d'organisation de la visite du Président à Pucallpa et bien que les autorités locales s'y opposent, le Général Velasco se rend dans la communauté de San Francisco où près de deux mille Shipibo et Conibo sont réunis, geste symbolique que beaucoup de métis désapprouvent. Et dans son discours, le Président dénonce les quelques familles de Pucallpa qui exploitent et esclavagisent les indigènes et affirme que la Révolution Péruvienne va mettre fin à cette exploitation de type [73] féodal. Deux ans plus tard, la Ley de Comunidades Nativas y de Promoción Agropecuaria de las Regiones de Selva y Ceja de Selva (D.L. 20653) est promulguée. Dans toute l'histoire du Pérou, c'est la première loi qui garantit l'existence légale des « communautés indigènes » et va permettre la démarcation et la titularisation de leurs terres. Elle assure également un certain transfert de pouvoir puisqu'elle leur donne le contrôle de leur état civil, de leur police et de leur justice de paix. Si l'on peut aujourd'hui mieux mesurer « les conséquences de l'application de la loi sur la fragmentation des « territoires ethniques »(puisque ne sont prises en compte que les communautés locales et non « les ethnies » dans leur ensemble) », il n'en reste pas moins vrai, comme le remarque à juste titre Jean-Pierre Chaumeil (1990 : 98), « qu'elle signifia une étape importante dans l'évolution de la politique indigène ».


SUR LA VOIE
D'UNE STRUCTURE FÉDÉRATIVE

Ces premières formes de mobilisation ethnique, que représentent les quatre congrès shipibo-conibo organisés en 1971 et 1972, ne sont pas, comme on l'a souvent dit, les manifestations d'un « réveil indien » car la résistance de ces deux groupes n'a jamais cessé depuis l'arrivée du premier missionnaire en 1661. Elle a pris la forme de rébellions armées contre les reducciones franciscaines sous la conduite des chefs Runcato et Rumirato entre 1760 et 1767 et contre le pouvoir colonial en participant au grand soulèvement pan-indien de Juan Santos Atahualpa dans le Bas-Piémont central entre 1742 et 1761. Puis pendant deux siècles, cette résistance a pris des formes plus passives, tout en adoptant parfois un caractère messianique comme en 1942, lors de l'inauguration de la Carretera Central. Cette route, reliant Lima à Pucallpa, ouvrait le pays à des milliers de colons qui, végétant dans les villes de la côte, allaient envahir les terres « vierges » de l'Ucayali et contraindre les Shipibo-Conibo à se replier sur des terres plus éloignées et moins riches. Située au milieu de leur territoire, la ville de Pucallpa qui avait 1.000 habitants en 1940, en comptera, vingt ans plus tard, plus de 50.000. Comme pour conjurer cette nouvelle invasion de leur territoire, des émissaires incaïques approchaient les villages shipibo-conibo en avion, hélicoptère ou bateaux à moteur pour annoncer le prochain retour de l'Inca afin de les sauver des violences qui allaient éclater entre indiens et « civilisés ». Et comme les Shipibo-Conibo avaient tout abandonné en 1742 pour suivre Santos Atahualpa dans le Piémont Central et combattre les soldats du vice-roi, certaines familles du Bas Ucayali laissaient en 1942 maisons et chacras pour remonter le fleuve et habiter près de leur dieu Inca (Morin,] 976). D'autres types de résistance se manifestent dans les années 60 chez les femmes, notamment les épouses des maîtres bilingues, qui refusent de remplir certaines tâches domestiques pour protester contre les changements imposés par les missionnaires linguistes de l'I.L.V. Ces derniers tentent en effet d'introduire, sous couvert de message biblique, un système de résidence néolocale et de prescrire l'autorité paternelle sur la cellule familiale pour éradiquer la matrilocalité et la matrilinéarité des Shipibo-Conibo (Morin, 1973). Cette résistance traduit par conséquent une certaine prise de conscience de leur domination tant économique que politique, sociale et religieuse par une société métis et blanche mais elle [74] s'accompagne souvent d'une identité négative, produit des discriminations et des formes de racisme dont ils sont les victimes. En 1967, il est très rare qu'un Shipibo ose adresser la parole à un métis. Pour ne pas être traité de chama, il préfère se taire ou même passer pour un non-indien en cachant par exemple la large cicatrice de sa nuque, signe manifeste d'un combat au huishate et donc de son indianité.

Pour passer de cette identité stigmate à une identité revendiquée, pour transformer cette résistance passive en mobilisation active, il faut qu'une conjoncture socio-politique se produise, que différents facteurs se combinent et servent de catalyseurs et que des médiateurs gèrent cette dynamique identitaire. Les transformations d'une Église, jusqu'ici garante d'une domination de type colonial et qui, désormais, se donne pour tâche prioritaire la libération des groupes indigènes, comme l'arrivée d'un gouvernement vélasquiste qui cherche à construire « une nouvelle société » en détruisant le système d'exploitation féodale, en reconnaissant les spécificités culturelles de ces « communautés indigènes » et en les aidant à se mobiliser et à s'organiser, constituent un contexte politique favorable pour que se développent ces revendications et affirmations indigènes. Comme nous l'avons montré ailleurs (Morin, 1983) le Vélasquisme sert en ce sens de « creuset àl'indianité ». Et ceci, malgré l'échec politique, quelques années plus tard, de ce gouvernement révolutionnaire et en particulier du SINAMOS. Conçu à l'origine pour participer à l'organisation des communautés de base et faciliter la communication entre la direction du pouvoir politique et les organisations populaires, le SINAMOS recrute des promoteurs et des formateurs, appartenant souvent à une gauche très radicale, et plus habitués à travailler avec les communautés paysannes des Andes. Au lieu de laisser les Shipibo-Conibo s'organiser à leur manière, ils vont leur imposer des plans de développement et des structures de travail élaborés ailleurs, comme celles des Ligas Agrarias. Celles-ci reflètent toute l'ambiguïté de l'idéologie du SINAMOS qui utilise la mémoire collective la plus émotionnelle, celle des héros culturels, pour mieux enraciner la mobilisation politique (ainsi La Liga Agraria du Haut Ucayali porte le nom de Santos Atahualpa), tout en imposant des changements « décrétés »d'en Haut.

Dans l'histoire des organisations shipibo-conibo les quatre congrès, que nous venons de resituer dans la conjoncture politique et religieuse des années 60-70, représentent non seulement le premier temps fort de cette dynamique qui les entraînera jusqu'à représenter, vingt ans plus tard, l'AIDESEP auprès des instances internationales, mais ils sont aussi les révélateurs de deux processus importants :

- le premier permet aux « conflits » latents, qui résultent des changements induits par la « situation coloniale » dans cette société matrilocale et matrilinéaire, de se manifester pour la première fois au niveau du groupe ethnique : ainsi les femmes critiquent l'actuelle division sexuelle des tâches qu'elles ne veulent plus accepter, comme « les anciens » invoquent leur conception du politique et s'opposent en cela aux « modernes » ;

- le second est le produit de cette dynamique identitaire qui conduit les Shipibo-Conibo à dépasser leurs identités « locales » (de telle ou telle communauté) pour s'unir afin de forger ensemble une identité « ethnique » plus stratégique. Ceci les amène notamment à se doter d'autorités politiques nouvelles, dont la conception utilise, semble-t-il, certains résidus des temps [75] anciens. Ces « nouveaux chefs » du bas et haut Ucayali rappellent en effet les chefs de guerre du 17e et du 18e, qui unifiaient sous leur unique autorité mais pour un temps donné, des familles étendues vivant de façon dispersée. Avec l'organisation de ces quatre congrès, la première phase de ce « bricolage identitaire »vient de se réaliser. Il faut attendre dix ans pour qu'une deuxième phase se développe. Celle-ci enrichit leur identité ethnique d'une dimension « régionale et interethnique » avec la création en 1981 de la FECONAU (Federación de las Comunidades Nativas del Ucayali) et leur adhésion àl'AIDESEP (Associacion Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana). A ces identités « emboîtées » à la manière de poupées russes s'ajoute en 1984 une dimension « transnationale » avec la création de la COICA (Coordinadora de las Organizaciones Indigenas de la Cuenca Amazónica) qui regroupe cinq organisations nationales dont l'AIDESEP.

Les congrès shipibo-conibo représentent donc le début d'un processus politique et identitaire qui leur permet aujourd'hui de participer au « mouvement indigène amazonien » et de se revendiquer comme « nation » et « peuple autochtone » tout en conservant, contrairement aux « indianistes » des Andes, une forte relation identitaire avec leurs communautés locales.

[76]

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[1] Les données de cet article ont été recueillies sur le terrain en 1985 et 1986 grâce aux crédits de recherche alloués par le Leg Lelong (CNRS) et complétées en 1988 lors d'une mission de recherche financée par le Groupe de Recherche sur l'Amérique Latine (GRAL, CNRS). Cette première synthèse des données fait partie d'une « Histoire des Organisations Shipibo-Conibo, 1970-1985 » en cours d'élaboration. Sur le terrain nous avons bénéficié de l'accueil très chaleureux du Père Gaston Villeneuve que nous voudrions ici remercier. En nous accordant plusieurs entretiens en 1986 et en nous ouvrant ses archives de Masisea en 1988, il nous a permis de retracer l'histoire de ces organisations shipibo-conibo. Nous voudrions aussi remercier Cecilio Soria, jeune leader shipibo, qui a participé très activement à la recherche et grâce à qui de nombreuses données ont été recueillies et analysées pendant nos deux séjours.

[2] La conférence de Medellin est organisée par le CELAM (Conférence Épiscopale Latino-américaine) et porte sur le thème « L'Église dans la transformation de l'Amérique Latine, à la lueur de Vatican II ». Au cours de cette conférence, les évêques proclament : « Nous sommes au seuil d'une époque nouvelle de l'histoire de notre continent, époque clé du désir ardent d'émancipation totale, de libération de toute espèce de servitude » (Vayssière, 1991 : 263-64).

[3] In Justicia, un clamor en la selva, 1972, p. 74.

[4] Entretien avec le Père Gaston Villeneuve, Lima, 8 mai 1986.

[5] Les Shipibo et les Conibo font partie du groupe linguistique Pano, ils parlent une même langue et partagent une même culture. Plus différenciés dans le passé, les Shipibo, de tradition plus guerrière, ont eu tendance à dominer et englober les Conibo. En 1976, la population Shipibo-Conibo est de 16 000 habitants (SINAMOS-ONAMS, Cuadro de distribución de Grupos Etnolingüísticos de la Selva Peruana, 1976) et vit dans les villages (maximum 250 habitants) en amont et en aval de Pucallpa, sur les rives de l'Ucayali et de ses affluents.

[6] À la fin des années 60, sur une centaine de villages shipibo-conibo, 3 seulement (San Francisco, Utucuro, Saposoa), avaient reçu un titre de « réserve territoriale » selon le décret-loi 03 de mars 1957 qui accordait 10 hectares de terre par personne âgée de plus de 5 ans sans discrimination de sexe. Ces 3 villages représentaient à la fin des années 60 environ 240 habitants.

[7] Entretien avec le Père Gaston Villeneuve, Lima, 8 mai 1986.

[8] Ímpetu, año 2, No 292, martes 1 de junio 1971 ; repris dans La Prensa, 20 de junio 1971.

[9] In Justicia, un clamor en la Selva, 1972, pp. 5-7.

[10] Le SINAMOS (Sistema Nacional de Apoyo a la Movilización Social) est créé en juin 1971 pour que la Révolution ne soit pas exclusivement conçue « d'en haut » et qu'elle vienne aussi « du bas » par un vaste mouvement de « participation populaire ». Pour plus d'informations, voir Franco (1979).

[11] Dix ans plus tard, une nouvelle génération de maîtres bilingues deviendront beaucoup plus mobilisés et plus conscientisés politiquement. lis créeront leur propre syndicat et seront souvent les leaders de la fédération shipibo-conibo, (FECONAU).

[12] Termes péjoratifs utilisés par les blancs et les métis pour parler des indiens.

[13] Ce travail par R. Garcia-Blásquez, Milagro Luna et Samuel Verastegui (1972) est suivi d'une enquête plus approfondie quelques mois plus tard sur 6 communautés shipibo et conibo dont les résultats sont publiés dans un document du Ministère du Travail (1973) et qui suggère quelques propositions en matière de formation professionnelle, notamment dans le domaine du travail du bois et de la mécanique.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 7 janvier 2013 9:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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