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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L’école à temps partagé et le partage du travail. (1997) [1999]
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Alain Massot, L’école à temps partagé et le partage du travail. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1997, 3e tirage, 1999, 202 pp. Avec une préface de l'auteur à l'édition numérique de 2014. [Autorisation accordée par l'auteur le 11 septembre 2014 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales en accès libre et gratuit à tous.]

[xi]

Préface

Guy Aznar

Juin 1997


« L'école à temps partagé, le partage du travail », ce qui frappe dans le titre du livre d'Alain Massot, c'est au premier abord, le redoublement du mot partage ; c'est ensuite la volonté de relier, à juste titre, les deux séquences majeures de notre vie : l'école, le travail.

Parlons de la notion de « partage ».

Je suis de ceux qui ont lancé, vulgarisé, depuis près de vingt ans le thème du « partage du travail » et bien que l'urgence de sa mise en œuvre soit de plus en plus évidente, je dois dire que je suis parfois gêné par le mot « partage ». Non pas que le mot manque de générosité, de chaleur. Mais précisément parce qu'il en a trop, parce qu'il donne à penser que nous sommes dans une démarche charitable, caritative, comme s'il fallait, s'il vous plaît, nous priver d'une part d'un gâteau pour le donner aux pauvres démunis du travail.

Il faut dire et redire que ce n'est pas le cas. Il y a du travail utile autour de nous pour tout le monde mais nous ne le voyons pas ; nous vivons dans des sociétés riches, qui font partie du G7, le club sélectif des pays milliardaires et la croissance de notre richesse augmente chaque année.

Il se trouve que pour produire cette richesse, une prodigieuse mutation technologique fait que l’on n'a pas besoin des mêmes métiers, des mêmes compétences, des mêmes tournures mentales et que l'école n'a pas encore eu le temps de s'en apercevoir. La civilisation de la « seconde vague », comme disait Toffler, est en train de disparaître (on ne la regrettera pas éternellement) et la suivante, celle de l'informationnel déferle sur les écrans. Plus de paysans, plus d'ouvriers, plus d'emplois à faible qualification où tout le monde pouvait se caser même si l’on avait raté quelques cours, mais des internautes, des étranges mutants, accrochés à leur portable, branchés avec leur petite valise qui contient le savoir de la bibliothèque d'Alexandrie dans un mouchoir de poche. Un maelström effrayant où chacun doit changer sans cesse de lieu, de métier, de compétence, d'outils ; une agitation anxieuse comme si une tornade avait dévasté la ville et on ne retrouverait plus sa propre maison.

Dans ce mouvement brownien qui caractérise la mutation de nos systèmes de production, certains, les plus agiles, les plus adroits, les plus intelligents, retrouvent facilement leur nouvelle place. Les autres errent désespérément, sont rejetés sur la touche, exclus.

[xii]

Vous souvenez-vous du jeu des quatre coins dans la cour de récréation ? Certains un peu nigauds restaient des heures au milieu, punis ou effrayés, tandis que les malins tournaient d'arbres en arbres à toute vitesse. S'arrêter trois mois de travailler, si l'on sait que l'on va retrouver une place ; s'arrêter une année pour une pause sabbatique, cela n'est rien. Mais s'arrêter sans savoir si l'on va retrouver le mouvement de la vie, c'est un drame abominable.

Nous ne vivons pas dans des sociétés de misère, nous vivons simplement dans des sociétés rigides, coincées, qui figent les gens dans des poses immobiles et font courir les autres comme des fous.

Plutôt que partager, donc il faut harmoniser, réguler, redistribuer, fluidifier, faire circuler. Le discours sur le « partage » du travail n'est pas un discours paupériste, c'est un discours de bien-être, de légèreté, de mouvement. Il consiste à dire que rien n'est plus idiot que de gaspiller des aides publiques en dépenses passives plutôt que de se servir de ces mêmes sommes pour permettre à chacun de travailler moins et de laisser ainsi de la place pour tous. Il consiste à dire qu'une société avec une masse importante d'exclus et qui risque d'exploser, est moins agréable, moins intelligente, moins « rentable », à coût égal, qu'une société où chacun a sa place. Redistribuer le travail de manière harmonieuse, ce n'est pas une stratégie de dame patronnesse, c'est une stratégie qui est meilleure pour le business.

Bien entendu, redistribuer l'emploi, suppose de partager les richesses. Mais c'est moins dramatique qu'on ne pourrait le croire. Nous sommes riches. Si l'on tient compte de l'aide sociale, de la santé, de la sécurité et d'un manque à gagner dû à une faible consommation et à l'angoisse, le bilan d'une incitation intelligente au « partage » du travail est un excellent placement pour les finances publiques.

On peut régler le problème du chômage de deux manières, par le bas ou par le haut. Par le bas, c'est retourner au XIXe siècle, comme aux États-Unis, où l'on a remplacé le mot chômage par le mot « extrême pauvreté ». Par le haut, c'est aller vers le XXe siècle, c'est rechercher une société harmonieuse où chacun pourra tourner dans le jeu des quatre coins, alternant des périodes de plein temps et des périodes de temps partiel ; des périodes de surchauffe et des périodes sabbatiques ; des périodes d'investissement professionnel et des périodes de retour à l'université. Aller vers le futur, c'est globalement travailler moins, bien entendu, mais tous ensemble. Soyons clair, il n'y a de réduction du temps de travail crédible que si elle est réaliste pour l'entreprise et sans perte de salaire pour le salarié ; par conséquent si une troisième personne intervient pour payer la différence. C'est-à-dire si la collectivité assure son rôle qui est [xiii] de prélever la valeur ajoutée produite par des systèmes informationnels consommant moins de travail humain et de redistribuer cette valeur ajoutée afin de financer une réduction de la durée du travail sous une forme ou une autre. C'est l'esprit en France de la loi de Robien ; c'est l'esprit de toutes les mesures en Europe qui financent en partie le temps partiel, le congé parental, le congé formation, le congé sabbatique, etc. Nous ne sommes pas dans une période pauvre où il faudrait partager des guenilles. Nous allons vers une période éventuellement faste où le travail sera peut-être réinventé et redistribué.

À condition de faire un effort, à condition d'y voir clair. C'est là que des livres tels que celui d'Alain Massot ont un rôle important à jouer pour éclairer ce tournant décisif.

En redoublant le mot partage, il nous invite à réfléchir deux fois plutôt qu'une sur l'organisation de la redistribution.

Mais son originalité tient plus encore au fait de lier l'école et le travail. Toute notre pédagogie, écrit-il, « repose sur l'esprit individualiste, compétitif, ségrégatif ». C'est-à-dire sur la sélection des « rapides » et l'exclusion des autres, de vous, de moi qui ai toujours été lent dans mes études. « L'impossible relation formation-emploi n'a fait qu'enfoncer le clou du décrochage et de l'exclusion », poursuit-il. L'égalité des chances qu'il revendique, ce n'est pas la suppression des différences, c'est la base démocratique d'une société équilibrée. Il faut faire notre deuil des cases rigides école/travail/retraite. Il faut faire notre naissance d'une société fluide à inventer où nous pourrons tourner toute notre vie entre les arbres, nous partageant le soleil et l'ombre, de l'arbre école à l'arbre d'activités, puis à l'arbre formation, tour à tour salarié, entrepreneur, étudiant, formateur, changeant de statut comme on change de cravate, changeant de rythme comme changent les couleurs du soleil.

Guy Aznar
Juin 1997

[xiv]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 11 octobre 2014 13:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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