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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LES DIMENSIONS HUMAINES DU TRAVAIL.
Théories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations
(2010)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction d'Éric Brangier, Alain Lancry et Claude Louche, LES DIMENSIONS HUMAINES DU TRAVAIL. Théories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations. Nancy, France: Les Presses duniversitaires de Nancy, 2010, 649 pp. [Autorisation accordée par Claude Louche et Alain Lancry le 26 avril 2011.]

[9]

Préface

Claude Levy-Leboyer

Professeur émérite à l’Université René Descartes - Paris V


C’est en France que débute la psychologie du travail, au commencement du vingtième siècle, avec les recherches d’Alfred Binet sur l’intelligence, et avec les premiers travaux de Jean-Marie Lahy à la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) et dans les transports Parisiens. Tous deux répondent à des problèmes concrets : dépister les enfants retardés et les orienter vers un enseignement spécialisé ; sélectionner le personnel dans des entreprises où la sécurité est impérative. Tous deux aussi abordent ces problèmes de manière objective, en s’efforçant de procéder à des mesures précises et de les valider par rapport à des comportements observés. Et tous deux insistent sur le rôle de ce qu’on appellera plus tard les aptitudes cognitives, Lahy en s’insurgeant contre ce qu’il nomme « la sélection des boeufs », fondée sur les seules aptitudes physiques et Binet en insistant sur le fait que l’intelligence est une caractéristique dont la variance est forte, plus forte que celle qui caractérise les processus élémentaires, comme la sensation, objet des premiers tests psychologiques déjà publiés, notamment par le psychologue américain Mc Keen Cattell.

Après la première Guerre mondiale, c’est encore Lahy qui participe à la création de l’Association internationale de psychotechnique (qui deviendra l’Association Internationale de Psychologie Appliquée) et en est le secrétaire général. Et c’est aussi lui qui crée en 1932 « Le Travail Humain » et dirige cette revue jusqu’à sa mort. Pendant cette période, la psychologie du travail se développe aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, avec, pour ne citer que quelques noms, Münsterberg en Allemagne, Mira en Espagne, Myers et Burt en Grande-Bretagne et Viteles aux États-Unis. En France, on assiste au développement de services de psychologie du travail, dans l’industrie automobile, à la SNCF, dans les sociétés de transport. Les recherches universitaires sont très ralenties pendant la seconde Guerre mondiale, mais les besoins de l’armée américaine et de l’armée anglaise créent un terrain expérimental sans précédent et, revenus à la vie civile, les psychologues du travail développent activement recherches théoriques et applications pratiques. La Division 14 de l’American Psychological Association est créée en 1946 et deviendra plus tard SIOP, la Société de Psychologie Industrielle et Organisationnelle, qui tient des Congrès annuels, [10] rassemblant actuellement plusieurs milliers de chercheurs et de praticiens.

Le onzième congrès de l’Association Internationale de Psychotechnique se tient à Paris en 1953 sous la présidence de Bonnardel qui a succédé à Lahy au Travail Humain et est à la fois responsable du service de psychologie des usines Peugeot à Sochaux et directeur de Laboratoire à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, avec Suzanne Pacaud, ancienne collaboratrice de Lahy, comme directeur adjointe. Pourtant, la place tenue par la France en psychologie du travail tend à diminuer et les recherches en psychologie comme leurs applications se développent plutôt dans les domaines clinique, scolaire et en psychologie expérimentale. Pour être plus précis, seule l’ergonomie, fille spirituelle de la psychologie expérimentale, est un domaine actif de la psychologie du travail française. Par contre, les méthodes et les instruments destinés à la sélection professionnelle, les thèmes propres à la psychologie des organisations, la motivation, la satisfaction au travail, le leadership, ne donnent lieu à aucun programme de recherches important, alors que ce sont des champs d’investigation actifs dans les pays de langue anglaise. Plusieurs raisons à cela : la place centrale prise par la psychologie expérimentale, sous l’impulsion de Piéron, puis de Fraisse, le courant actif en psychologie du développement créé par Wallon et par ses collaborateurs. Et probablement aussi le fait que la France a été pendant longtemps un pays de petites entreprises, donc peu préoccupé par les problèmes psychologiques que posent les grandes organisations. En 1974, quand j’ai publié le premier ouvrage en français sur la psychologie des organisations, il n’y avait en France qu’une trentaine d’entreprises employant plus de 5000 personnes, et ce chiffre n’avait pas varié depuis la guerre...

Mais, dans les vingt-cinq dernières années, le monde du travail, en France comme dans les autres pays industrialisés, a changé, à tous points de vue : économique, social, technologique. D’une part les besoins des entreprises en matière de gestion des ressources humaines se sont affirmés, pour de nombreuses raisons. Citons quelques exemples, bien illustrés par la liste des chapitres de cet ouvrage : le progrès technologique et la nécessité de disposer de personnel apte à poursuivre sa formation à travers la vie adulte et d’organiser cette formation ; l’arrivée de travailleurs migrants dont l’intégration pose des problèmes interculturels ; le développement de grandes unités industrielles et commerciales justifiées par des économies d’échelle mais qui soulève des problèmes de communication, de motivation, de gestion de la mobilité ; les fusions acquisitions qui requièrent une harmonisation des cultures organisationnelles ; la prise en compte de problèmes sociaux, comme la préparation à la retraite, l’intégration des handicapés ; la création de filiales à l’étranger qui pose des problèmes spécifiques d’acculturation et de gestion à distance ; la complexité des processus de production et l’importance croissante du secteur des services qui donnent une place prépondérante aux ressources humaines ; le développement des équipes de projet qui force à repenser la dynamique sociale du travail dans des groupes rassemblant des compétences différentes et complémentaires...

[11]

Les praticiens de terrain, en France, ont répondu aux demandes des entreprises, bien souvent avant que la recherche fondamentale ne reprenne vigueur. Ce qui s’est inévitablement traduit par le développement d’initiatives et de procédures pas toujours valides : le monde du travail attend des réponses réalistes et disponibles, pas des propositions de recherche dont le résultat se fera attendre et ne peut être garanti à l’avance. Mais la demande, sur le marché du travail, de praticiens compétents a conduit les universités françaises à créer de nombreux cursus de spécialisation en psychologie du travail, alors qu’il n’en existait qu’un, à l’Institut de Psychologie de la Sorbonne. Les DESS orientés vers ce type d’application ont alors eu besoin d’enseignants qualifiés... Et une nouvelle génération d’enseignants-chercheurs a fortement contribué au développement de recherches en psychologie du travail dans la majorité des universités françaises. En même temps, depuis vingt-cinq ans, grâce au soutien de la Maison des Sciences de l’Homme, c’est en France qu’a été créé et qu’est toujours géré l’ENOP (European Network of Organizational Psychology), sur l’initiative conjuguée de Bernhard Wilpert, de Charles de Wolff, et de moi-même, et avec l’appui de Sylvia Shimmin, de Jacques Leplat et de Maurice de Montmollin. Ce groupement d’enseignants chercheurs Européens, tous spécialistes de psychologie du travail, au sens le plus large, a sans aucun doute contribué à une meilleure connaissance par les chercheurs français des travaux effectués en Europe et aux États-Unis.

Mais les initiatives locales restaient peu coordonnées, financées de manière ponctuelle, souvent coupées des recherches internationales. Il devenait urgent de donner une identité à ce groupe d’enseignants chercheurs français spécialisés en psychologie du travail, actifs, mais trop isolés dans leurs Universités, et mal connus aussi bien des praticiens que des entreprises elles-mêmes. Avec un double souci : leur donner des occasions de se rencontrer, de discuter entre eux et de faire circuler les résultats de leurs recherches ; les aider à développer, auprès des entreprises une image de marque qui contribue à lutter contre des pratiques trop souvent erronées et qui facilite le développement de recherches appliquées. Pour rendre aussi crédible que possible cette action, j’ai suscité la création, avec la collaboration de Vincent Rogard, et avec le soutien du Ministère de l’Enseignement Supérieur où nous étions consultants, un réseau d’enseignants chercheurs en psychologie du travail. Pour cela une information a été envoyée en 1996 à toutes les UFR de psychologie de France, leur indiquant l’objectif poursuivi et leur demandant, si cela les intéressait, de présenter un dossier sur leurs activités de recherche en psychologie du travail. Il importait que la qualité de leurs travaux soit garantie par des évaluations faites non pas à l’échelle locale, mais avec un cadre de référence international. Aussi ces dossiers ont été expertisés par quatre professeurs de psychologie du travail Européens, appartenant tous à l’ENOP, chaque dossier étant évalué par deux d’entre eux. Bernhard Wilpert (Berlin), Paul Coetsier (Gand), José Ferrero-Marquès (Lisbonne) et José Peiro (Valence) ont accepté de nous rendre ce service et le Ministère a couvert leurs frais de déplacement. Une réunion de travail a permis d’atteindre un consensus total et de faire la liste [12] des équipes de recherche appartenant à une université française et destinées à constituer le noyau du réseau.

Des représentants de ces équipes se sont réunis en 1997, au Ministère de l’Enseignement Supérieur. Cette rencontre a montré la motivation et l’intérêt des participants. Des objectifs, un programme d’action et la constitution d’un bureau ont fait l’objet de discussions et de décisions communes. Le réseau a ensuite volé de ses propres ailes, multiplié les réunions, les publications, les contacts internationaux. Il y a quelques années, Goldberg [1], décrivant le rôle croissant de la personnalité dans les évaluations professionnelles, a dit de manière ironique « Once upon a time, we had no personalities ». Et Goldberg ajoute : « Fortunately, times change ». De la même manière, j’ai envie de dire : « once upon a time we had no work psychology,- heureusement, cela a changé ». La psychologie du travail a traversé dans notre pays une période terne. C’est le passé. Cet ouvrage est un témoignage vivant des progrès réalisés et du vigoureux renouveau de la psychologie du travail et des organisations en France.

Claude Lévy-Leboyer.



[1] Goldberg, L.R., (1993). The structure of phenotypic personality trait, American Psychologist, 48, 26-34.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 21 juin 2011 7:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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