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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges-Henri Lévesque, “Sciences sociales et progrès humain”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 228-232. Montréal: Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Texte originalement publié dans Revue de l’Université Laval, septembre 1948, pp. 37-??.

[228]

Georges-Henri Lévesque

Sciences sociales
et progrès humain
”.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Roger-J. Bédard, L’essor économique du Québec, pp. 228-232. Montréal : Librairie Beauchemin, 1969, 524 pp. Texte originalement publié dans Revue de l’Université Laval, septembre 1948, pp. 37-??.



Progredi, c'est-à-dire avancer. Tout progrès n'est pas autre chose qu'une marche en avant. Le progrès humain, c'est un accomplissement de l'homme en tant que personne individuelle et membre des communautés naturelles et surnaturelles dans lesquelles il est nécessairement engagé.

On peut dire que cet accomplissement de l'homme et, par lui, de l'humanité se réalise dans la mesure même où il se cultive, c'est-à-dire, où il connaît et perfectionne son être et les relations que cet être dit essentiellement aux autres qui l'entourent. Le progrès de l'humanité consiste donc avant tout dans la culture personnelle et sociale des humains. Le progrès humain, en effet, précisément parce qu'il implique et suppose la culture intégrale de l'homme, est inconcevable sans sa culture sociale. Et c'est ici que s'insèrent les sciences sociales comme éléments de culture et donc condition du progrès.

Parce qu'il est de sa nature un animal social et que l'association est un des grands faits de sa vie, l'homme doit pour bien vivre avoir non seulement conscience mais science de cette vie sociale. Pour cela il doit en connaître les conditions, les formes et les exigences. Bref, il y a une science de la vie en société, et le progrès humain exige que les lois en soient connues et les impératifs appliqués.

Dans l'université, institution de culture « universelle », c'est le rôle d'une Faculté des sciences sociales d'étudier cet aspect particulier et très important de la vie humaine qu'on appelle la vie sociale. C'est ce que la Faculté des sciences sociales de Laval a pour sa part essayé de faire le moins imparfaitement possible. Et pour que l'étude de la vie sociale soit vraiment scientifique, objective et scrupuleusement fidèle à toute la réalité des choses, on a voulu que son enseignement couvrît tous les aspects possibles de cette vie.

C'est pourquoi, dans l'expression « sciences sociales » nous donnons au mot « sociales » l'extension la plus large possible. Il s'agit en effet d'étudier la vie en société (in genere) qui est une vie en plusieurs sociétés (in particulari). Par vie sociale nous entendons donc [229] la vie dans toutes les sociétés possibles : formes primaires de la famille, de la profession, de l'État (municipal, provincial, fédéral), de la société internationale, de la société religieuse, etc., et formes secondaires artistiques, sportives, etc. Nous entendons aussi l'étude plus profonde et plus large du fait de la vie en société sous quelque forme que ce soit. Pour nous, l'objet des études sociales c'est donc la vie sociale intégrale, c'est-à-dire toute la vie de toutes les sociétés.

C'est en fonction de cet objet, c'est-à-dire de la vie sociale entendue dans sa compréhension la plus profonde et son extension la plus large que nous avons bâti la structure actuelle de notre Faculté.

C'est ainsi que, pour faire une étude approfondie de la vie sociale comme telle dans les différentes sociétés nous avons fondé notre Département de sociologie et de morale sociale qui constitue à cet égard, si on le compare aux autres départements, le plus important et celui qui est à la base de tous les autres.

Mais en étudiant ainsi la vie des différentes sociétés qui s'offrent à notre observation nous constatons que l'économique y joue un grand rôle et en conditionne largement la vie ; c'est pourquoi nous avons créé notre Département de l'économique, qui se spécialise dans l'étude de ces questions. Et à côté de ce département se trouve l'École de commerce rattachée récemment à la Faculté et où, en plus d'un enseignement théorique et pratique des matières commerciales, on donne aux étudiants un entraînement direct aux affaires.

Nous constatons aussi que, parmi les grands problèmes que pose la vie en société, il y en a un qui, de nos jours, est particulièrement important : c'est celui des relations interprofessionnelles notamment celles du Capital et du Travail dans l'industrie ; c'est pourquoi nous avons établi notre Département des relations industrielles, dont le rôle propre est de connaître à fond les conditions de travail dans le monde actuel.

En regardant vivre nos contemporains, nous constatons de plus que la vie sociale moderne pose pour l'individu, les familles et l'État des problèmes humains pratiques d'adaptation, d'assistance et de bienfaisance ; c'est pourquoi nous avons fondé notre École de service social qui se consacre à l'étude de ces problèmes particuliers et à la formation d'un personnel suffisamment équipé pour une solution satisfaisante de ces problèmes.

[230]

Enfin, un regard sur les sociétés modernes nous révèle que le peuple a encore un grand besoin d'éducation sociale pour atteindre un niveau de vie conforme à sa dignité naturelle et aux exigences de la démocratie. Et comme cette éducation sociale populaire doit être faite scientifiquement, c'est le devoir de l'Université de s'y intéresser. Notre Faculté a donc mis sur pied son Service extérieur d'éducation sociale (Extension Department) qui, en plus de remplir son rôle éducateur auprès de la masse, permet à notre institution de garder un contact réaliste avec le Peuple pour le service duquel elle vit.

Et pour assurer une base et un caractère scientifique aux études qui se font dans les différents départements et écoles que je viens de mentionner, nous avons créé un Centre de recherches qui constitue en quelque sorte le centre coordinateur, le clearing house de tous les offices spéciaux de recherches qu'on trouve à l'intérieur et à la base de chaque département ou école.

L'expérience nous a démontré que cette forme de structure universitaire qui, tout en laissant à chacun de ces divers départements, école, service et centre de recherches leur autonomie et leur rôle propres les unit dans une même Faculté, offrait de grands avantages. Elle permet d'éviter les doubles emplois, de faire une utilisation plus économique et d'obtenir un rendement plus efficace des ressources financières, de donner en commun aux étudiants de tous les départements durant leur première année d'études à la Faculté une formation sociale basique identique, de développer une collaboration interprofessorale plus fréquente et plus continue, de garder les spécialisations dans le cadre naturel de l'ensemble des connaissances sociales où elles ont la chance de se compléter et de se corriger mutuellement, bref, d'assurer une heureuse division du travail tout en gardant à l'institution sa nécessaire homogénéité. N'est-ce pas, en effet, le souci naturel d'une université que de vouloir réaliser ainsi la diversité dans l'unité ?

Dans cette étude de la vie sociale conçue dans toute son extension, nous avons voulu saisir également deux aspects fondamentaux dont le réalisme scientifique nous impose la considération : l˚ l'aspect positif : c'est la vie sociale en tant que vécue dans le passé et le présent, autrement dit ce sont les faits sociaux pris comme tels ; 2˚ l'aspect normatif : c'est la vie sociale en tant que future, la vie que les hommes [231] devront nécessairement mener et que, puisqu'ils ont une raison, ils devront organiser rationnellement selon des règles de conduite que nous appelons devoirs sociaux. Ce sont là les deux aspects fondamentaux de la vie sociale, et les deux doivent être considérés sans quoi la connaissance de la vie sociale est forcément incomplète et manque de réalisme.

Pour être réaliste, en effet, c'est-à-dire pour être fidèle à la nature des choses elles-mêmes et saisir toute leur réalité, celui qui fait des études sociales doit absolument connaître d'abord les faits, leur explication et les lois qu'ils révèlent. C'est là le domaine de ce que nous appelons les sciences sociales proprement dites. La connaissance des faits sociaux, des réalités sociales qui existent ou qui ont existé est donc le premier pas à faire, car il faut nécessairement partir du positif si on ne veut pas construire dans les nuages.

Mais, après qu'on a méthodiquement pris connaissance de ce qui a été et de ce qui est, et qu'on est parfaitement au courant des faits sociaux et des lois qui les régissent, il faut aussi savoir ce qui doit être, connaître quels sont les devoirs sociaux. Et ces derniers constituent à leur tour l'objet propre d'une discipline spéciale qu'on appelle la philosophie sociale et dont le rôle spécifique est de déterminer quelles sont les fins et les normes de l'activité sociale.

Et nous estimons que, sans ces deux disciplines essentiellement distinctes mais nécessairement complémentaires, il ne peut y avoir de connaissance intégrale de la vie sociale. La science sociale et la philosophie sociale ne sont donc pas deux ennemies mais plutôt deux sœurs, deux lumières qui éclairent chacune à sa manière la vie sociale des hommes. Ainsi donc, l'étudiant qui veut être réaliste et qui veut posséder une formation sociale complète doit s'enquérir à la fois des faits et des devoirs sociaux, il doit connaître non seulement la physiologie des sociétés mais aussi leur téléologie. Et cette double connaissance nous la considérons très importante, car la vie sociale de tous les jours nous démontre abondamment que les savants sans principes sociaux ne sont guère plus souhaitables que les philosophes sans contact avec les faits ; que l'absolutisme étroit des théoriciens qui cultivent les principes sans se préoccuper des faits est aussi loin du réel, et donc aussi néfaste pour l'esprit humain, que le relativisme exagéré des positivistes qui ne veulent considérer que les faits sans rien savoir [232] des principes directeurs de la vie sociale. Redisons-le, ce qui importe, à notre avis, c'est d'être tout simplement réaliste, de voir les choses telles qu'elles sont. Et puisque la vie sociale implique des faits et appelle des principes, les deux ayant, quoique à des titres différents, une importance capitale, il est nécessaire, si l'on veut rester objectif, d'accorder aux uns et aux autres toute l'attention qu'ils méritent. Et c'est pourquoi nous pensons que si la vie sociale nous les montre constamment liés les uns aux autres dans une nécessaire interdépendance et une inévitable corrélation, l'esprit n'a qu'à les accepter tels quels et àles étudier non pas les uns à l'exclusion des autres mais ensemble, tels qu'on les rencontre dans la vie et d'en faire la synthèse la plus fidèle possible.

Disons donc, pour résumer, que ce que nous entendons par la fin des études sociales, c'est la connaissance intégrale de la vie sociale c'est-à-dire, d'abord et en premier lieu, la constatation expérimentale positive et l'explication des faits complétés ensuite par la connaissance normative des devoirs sociaux ; c'est-à-dire, en deux mots, une science et une philosophie de la société.

C'est en donnant ainsi une connaissance complète de la vie sociale que les sciences sociales contribuent véritablement au progrès humain, progrès qui n'est pas seulement le triomphe de l'homme sur la matière par la perfection de la technique mais aussi et surtout la victoire de l'homme sur lui-même, sur son ignorance de tous ses préjugés, ses fanatismes et ses égoïsmes meurtriers.


Georges-Henri LÉVESQUE, O.P.

Doyen Faculté des sciences sociales
Université Laval



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 décembre 2011 7:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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