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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La Souveraineté est-elle dépassée ?
Entretiens avec des parlementaires et intellectuels français autour de l'Europe actuelle. (1992)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Mme Anne Legaré (1941- éd.), La Souveraineté est-elle dépassée ? : entretiens avec des parlementaires et intellectuels français autour de l'Europe actuelle. Montréal: Éditions du Boréal , 1992, 164 p. Texte téléchargeable ! [Le 11 juillet 2004, Mme Légaré nous reconfirmait son autorisation de diffuser ce texte.] Mme Anne Legaré (1941-) est professeure titulaire au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal et directrice de recherche de la Chaire Raoul-Dandurand.
Introduction

Au moment où j'écris ces lignes, la conjoncture politique liée au référendum québécois est encore parsemée d'incertitudes. C'est là le lot de la démocratie qui, pour le meilleur et pour le pire, est, en ces périodes référendaires, tout entière livrée à la logique du nombre. Mais la politique est bien autre chose que ces résultats transitoires. Elle est moulée à des mouvements plus profonds et c'est en cela qu'elle importe.

Sans négliger l'importance du décompte des appuis au «oui» comme au «non», d'un côté comme de l'autre, sa perspective se situe sur une durée plus longue.

Dans les deux cas, qu'il s'agisse du référendum français sur le traité de Maastricht ou du référendum québécois sur les offres constitutionnelles, la portée des choix doit s'évaluer sur quelques décennies passées. Les alternatives de changement significatif se préparent toujours sur le long terme.

Au Québec, si l'association est aisément esquissée, ce qui manque, c'est la souveraineté. En France, la situation est inverse: c'est l'association qui a soulevé des craintes. Dans les deux cas, les forces conservatrices sont à l'œuvre, le statu quo se vend toujours à vil prix.

Mais en politique, il n'est jamais de dernière chance. Surtout dans ce contexte québécois où se succéderont, après le référendum du 26 octobre, des élections fédérales et provinciales et, enfin, fort probablement, un autre référendum, sur la souveraineté celui-là, qui aura alors été attendu et demandé depuis trois ans.

La souveraineté, à l'horizon québécois, est donc une volonté suffisamment profonde et répandue pour qu'elle ne cesse de s'élargir et d'occuper la scène politique de façon prédominante. En France, comme le rappelle plus loin Élisabeth Guigou, actuelle ministre des Affaires européennes, «il s'est clairement dégagé [à l'occasion de la révision constitutionnelle sur l'adoption du Traité] un large accord sur le constat que la souveraineté nationale n'est nullement mise en cause de même que l'État français n'était pas menacé par la construction de l'Europe». C'est pourquoi la souveraineté nationale et l'association sont de part et d'autre des voies convergentes. C'est aussi ce qui donne à ces entretiens sur l'Europe et la souveraineté une actualité prolongée.
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Les enjeux politiques qui sous-tendent la construction de l'Europe ont une signification qui déborde le strict cadre européen. D'ailleurs, les débats suscités par le processus de ratification du traité de Maastricht ont éveillé un intérêt légitime dans tous les milieux concernés par l'avenir de la démocratie aussi bien que d'une Europe politique plus forte et économiquement mieux structurée. On a pu être frappé, dans un premier temps, par la sensibilité des Québécois à l'endroit du «non danois» et du débat animé qui a divisé les rangs des forces politiques en France. Le Traité a en effet suscité un questionnement sur le rôle de la souveraineté des États dans le cadre du projet de Communauté européenne et, par voie de conséquence, sur la démocratie. Au-delà des résultats du référendum en vue de la ratification, ce qui déborde ce débat en lui-même et fait son intérêt, c'est la réflexion qu'il a déclenchée. C'est, en effet, l'éclosion sur la scène politique de thèmes comme la nation, la citoyenneté, l'État et la souveraineté.

On pourrait dire que le traité de Maastricht, à l'insu de ses concepteurs et même de ses protagonistes, a provoqué à l'horizon politique de l'Europe le retour en force du refoulé, de ces coordonnées premières de la vie politique, ces clés de la démocratie que sont les liens entre citoyenneté, souveraineté nationale et État. Ces voies par lesquelles le citoyen élabore son rapport au politique et à la vie démocratique.

Il n'est pas question ici d'entrer dans les dimensions franco-françaises d'un débat dont les suites iront bien au-delà de son issue apparente. Mais on ne peut qu'être frappé par la résurgence de ces thèmes fondamentaux à l'occasion de la ratification du Traité. C'est donc cet aspect que nous choisissons de retenir, dans la mesure où cette réactualisation des enjeux liés à la démocratie qu'a suscité le plébiscite autour du traité de Maastricht se trouvait, en France, au centre des positions du oui comme du non.

En effet, à la lecture des entretiens qui suivent, on verra que les liens qui unissent citoyen et État, souveraineté nationale et communauté interétatique sont au cœur des interrogations sur l'Europe actuelle tout comme au centre des propositions esquissées dans le traité de Maastricht. L'Europe en formation, parce qu'elle est en quête d'une voie conforme aux exigences de la vie démocratique, de l'interdépendance économique et de la coopération politique, inaugure une ère nouvelle. Espérons qu'elle soit ouverte sur l'avenir plutôt que nostalgique du passé.

De plus, l'attention de l'opinion québécoise a été attirée de façon inattendue vers les transformations européennes à partir du moment où Robert Bourassa, encore inspiré par la conception de l'Europe de jean Monnet, a suggéré d'y souscrire pour en tirer un quelconque «modèle» de fédéralisme. Robert Bourassa tentait d'éviter un référendum sur la souveraineté dans le sens du droit international, un statut qui permettrait au Québec d'être seul à faire ses lois, à prélever ses impôts et à signer les traités qu'il entend. Mais bien d'autres raisons encore justifient cet intérêt.

Parmi ces raisons, de nombreux recoupements entre la reformulation de ce grand ensemble interétatique qu'est le projet de C.E. et le processus d'intégration et de coopération continentale nord-américaine sautent effectivement aux yeux. De plus, la nécessité d'évaluer des formules d'association avec le Canada, dans un contexte de souveraineté du Québec, s'impose et sollicite l'imagination. Au centre de ces rapprochements, une question surgit avec force: dans un tel contexte, la souveraineté nationale, traduite dans la souveraineté de l'État, est-elle nécessaire? En quoi la souveraineté pleine et entière est-elle conforme à la logique des grands ensembles? Poser ces questions, c'est se demander ce que représente la souveraineté nationale ou la souveraineté de l'État, entendue dans le sens du droit international (impliquant la reconnaissance internationale et la participation aux Nations Unies). Que fournit-elle dans l'association avec d'autres partenaires au sein de grands ensembles intégrés?

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C'est cette double question qui a inspiré le présent livre. Pour y chercher réponse, je me suis tournée vers des acteurs totalement engagés dans l'actuelle phase d'implantation européenne. Des acteurs engagés tant par la réflexion et la critique que par l'action. S'ils approuvent le développement de la Communauté, ils en possèdent déjà une vision critique. je les ai interrogés pour en savoir davantage sur cette question qui, ici, au Québec, continuera de nous concerner: la souveraineté nationale du Québec, entendue dans le sens que lui confère le droit international, outre le fait de correspondre à un choix de société, est-elle conforme à la logique et à la rationalité des processus de formation de grands ensembles? Si oui, quelle est cette signification? Et quelle est alors la fonction spécifique de la souveraineté nationale dans ces processus, si tant est que, dans ce contexte, elle soit porteuse d'une signification propre et compatible avec la mise en place de communautés d'intérêts et de structures qui associent plusieurs États? Bien sûr, entreprendre une telle enquête n'est pas une démarche neutre. C'est parce que le principe de la souveraineté nationale au sens du droit international a été mis en cause au Québec que j'ai voulu vérifier ce qu'il signifie dans le cadre européen.

Certes, de nombreuses distinctions interdisent de confondre totalement la construction de l'Europe et le continentalisme nord-américain. Mais, si toute analogie superficielle se révèle abusive, des parallèles importants peuvent être esquissés entre les deux cas. Après un tel exercice, on voit se recouper des lignes de force liées aux conditions du communautarisme.

Le Québec a plusieurs raisons d'essayer de comprendre et de soupeser les enjeux de l'unification européenne, car l'équilibre qui cherche à s'esquisser entre des États souverains et la Communauté représente pour lui un motif supplémentaire dans la construction de son propre avenir politique.

Premièrement, le projet de Communauté européenne illustre une tendance actuelle vers la formation de grands ensembles, appuyée sur l'intégration économique et la coopération politique entre États souverains. Cette concertation entre États est commandée par des convergences d'ordre structurel et de longue durée. Son caractère impératif n'échappe pas à la conscience de la majorité des Québécois. Tant souverainistes que fédéralistes sont gagnés à la logique de l'interpénétration des économies continentales. Reste à savoir ce qu'il faut penser des axes plus proprement politiques qui accompagnent, de façon relativement autonome, les modalités d'association économique. Sont-ils inéluctables, quel est leur fondement, leur rationalité? Contribuent-ils à l'essor démocratique des nations ou conduisent-ils à la disparition des États et des souverainetés nationales?

Le débat autour de la ratification du Traité l'a bien démontré. C'est la formation d'une Europe politique (autour de l'Union européenne) qui a sou-levé le plus d'opposition. On ne saurait d'ailleurs esquiver quelques critiques à l'endroit des négociations effectuées «par le haut», au-dessus des citoyens, et qui ont conduit à indisposer ceux-ci face à la promesse que constitue cette communauté d'États souverains.

De plus, de nombreux commentaires l'ont montré, le texte du Traité lui-même est difficile et il gagnera à être enrichi par la pratique de mécanismes accrus de concertation avec les parlements nationaux, tel que le prévoit la «Déclaration relative au rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne» (p. 52 du Traité).

Le traité de Maastricht traduit plusieurs compromis. C'est d'ailleurs là que réside son intérêt, qui a consisté à opérer une synthèse entre ces pôles multiples que sont les intérêts des citoyens, ceux des nations, ceux des États et les rouages de l'association. Ce qui compte encore, ce sont les forces qu'il a éveillées, les débats qu'il a suscités, les prises de conscience qu'il provoque et les consensus nouveaux qu'il induira, au fur et à mesure de sa confrontation aux enjeux réels. Le politique déborde toujours le juridique.

Expression d'une évolution amorcée par le traité de Rome en 1957 et qui s'est progressivement éloignée de la conception des origines formulée par jean Monnet, l'actuel projet de C.E. sollicite l'intelligence politique par les délicats équilibres qu'il veut instaurer. En fait, en mettant en jeu et en réunissant des polarités diverses, il force l'esprit de progrès et l'oblige à se resituer dans un monde en changement. L'élargissement prévu de l'actuelle Communauté à divers pays de l'ancienne Europe de l'Est, que l'on souhaite voir se réaliser d'ici moins de dix ans, viendra de plus, à moyen terme, en enrichir et en complexifier la dynamique.

Le récent projet de C.E. vise donc à réaliser ce syncrétisme politique que d'autres ensembles régionaux tenteront sans aucun doute de mettre en place au cours des prochaines décennies. C'est ce caractère exemplaire par sa complexité qui attire d'abord l'attention.

On l'a dit plus haut, ce processus à long terme, amorcé déjà depuis quarante ans, recoupe plusieurs tendances de la dynamique spécifique nord-américaine telles la libéralisation des échanges et la nécessité de partager des intérêts communs, sur les plans tant géostratégique et politique qu'économique. Cependant, comme pour l'Europe, ces intérêts politiques entre partenaires nord-américains devront, à chaque fois, être évalués et négociés à la lumière de l'histoire, des intérêts et des volontés propres de chacun des États susceptibles de faire partie de cette association. Mais il n'empêche que ce champ de coopération existe et qu'il sera sans doute, comme le champ économique, à nouveau mesuré et repensé.

De plus, on voit poindre un intérêt supplémentaire de la part du Québec à l'endroit de l'actuel processus européen, lié aux conséquences de l'unification européenne sur la recomposition des équilibres à l'échelle internationale. C'est dans ce sens que Maastricht a été qualifié d'«élément essentiel du nouvel ordre mondial (1)». Entre en cause ici la signification politique et économique que contient pour d'autres régions la consolidation de la nouvelle Communauté et tout particulièrement pour les États-Unis. Cet intérêt est dû à une conjoncture internationale dans laquelle le Québec est étroitement lié à son voisin immédiat, les États-Unis, tout en étant tourné vers le nouvel essor européen par des affinités de toutes sortes et par des intérêts économiques importants.

Toutes ces dimensions de l'Europe des Douze, structurelles et conjoncturelles, externes et internes, expliquent l'immense ressort que fournit le traité de Maastricht à notre propre réflexion, bien au-delà de son issue immédiate. S'y ajoutent des préoccupations à couleur locale, tant il a été question d'un prétendu «modèle» que le Québec et le Canada pourraient y trouver pour sortir de l'impasse canadienne sans avoir à sortir du fédéralisme. Nous y reviendrons. Mais avant, pour bien comprendre l'intérêt que présentent les formes concrètes de la consolidation européenne pour les nouvelles relations que le Québec vise à instaurer avec ses voisins le Canada et les États-Unis, il importe d'examiner trois de ses éléments que sont les liens entre le fédéralisme, l'État et la souveraineté.

La problématique de la nouvelle Communauté européenne met en scène trois thèmes privilégiés par les débats politiques. Le premier rejoint tout d'abord l'actualité du débat autour du fédéralisme. Le fédéralisme est en effet une notion souvent utilisée pour décrire les nouvelles structures de coopération entre les États de la Communauté. Quel modèle de fédéralisme a inspiré la C.E. à l'origine, et quelle est la parenté des structures visées avec ce premier modèle? Qu'est-ce qui caractérise ces structures projetées dans le Traité? Sont-elles uniques? Comparables? Exportables? Quelles sont les conceptions diverses de la C.E. qui président à son évolution actuelle? Comment ces conceptions diverses de la Communauté y coexistent-elles et à travers quelles instances propres s'expriment-elles?

Le second thème, nœud de la problématique européenne et qui nous intéresse au plus haut point, est celui de l'État. Au sein de la future Communauté, l'État demeure-t-il souverain? Les transferts de compétences vers la Communauté modifient-ils le rôle de l'État? Sur quoi s'appuiera dès lors le lien de ce nouvel État à la société?

Répondre à ces questions exige que l'on se réfère à deux définitions distinctes de l'État qui opposent deux visions bien différentes de ce que devrait être la C.E. La première définition, surtout véhiculée par les commissaires de Bruxelles, identifie l'État avec une série de compétences que l'ordre juridique ou constitutionnel permet de partager avec d'autres instances, que ce soit par le haut ou par le bas, c'est-à-dire au niveau interétatique (ou superétatique) et infra-étatique. L'État, selon cette représentation, ne désigne de façon empirique que cet ensemble de compétences et devient ainsi, au sein de la C.E., largement tributaire des émanations de la Cour de justice, gouvernement des juges.

La seconde conception de l'État va plus loin. Sans exclure les juridictions et les autres dimensions empiriques, elle désigne plutôt les relations de pouvoir qu'entretiennent les forces politiques avec les divers ensembles d'une société donnée. L'État est donc, selon cette conception, un rapport à la nation et aux diverses forces sociales qui la traversent.

Ces deux définitions de l'État sont à l'œuvre dans les processus de transformation de l'Europe communautaire. Certains y verront en effet un nouveau ressort pour l'État-nation dans la mesure où le projet de C.E. fait appel à l'engagement des parlements nationaux et sollicite une citoyenneté plus dynamique. Soit parce que la conception technocratique de l'État pré-domine et réduit le rôle de la citoyenneté, soit parce que la conception démocratique prévaut et lui accorde plus d'importance, dans les deux cas, la nouvelle configuration du rôle de l'État met au premier plan le questionnement sur la souveraineté, car, selon la conception de l'État qui est retenue, la souveraineté perd ou gagne en signification. Par ricochet, à travers la souveraineté, c'est la démocratie qui ressort comme troisième thème de la problématique européenne.

En effet, les rapports qui unissent l'État et la souveraineté nationale, mis en relief dans le débat soulevé autour de Maastricht, s'éclairent différemment selon qu'ils traduisent la présence ou l'absence de liens avec les forces vives de la société, avec la ou les nations, bref avec la formation d'un sujet politique susceptible de se reconnaître dans ces structures et à travers les lois qui en émergent. C'est donc de la démocratie qu'il s'agit. Dans cet esprit, la nouvelle Europe des Douze appelle les questions suivantes: Quelles structures, quelles médiations sous-tendent les liens entre le citoyen, l'État et la future Communauté? Quelle place et quelle autonomie y conserve la nation? En quoi la nation reste-t-elle un acteur démocratique dans le relais qui associe les parlements nationaux et les structures communes de la C.E.? Quelle place y occupent l'État et la souveraineté? Quel sujet politique préside à la formation européenne? Quelles sont les possibilités et les limites du renouvellement démocratique et de la citoyenneté à l'intérieur des structures élaborées par le Traité? Quelle est, dans ce contexte, la signification de la souveraineté nationale?

Car, alors que la nouvelle Communauté européenne apparaît comme une construction élaborée par les technocrates et les juristes puis sanctionnée par les dirigeants politiques, tout se passe comme si elle produisait déjà son effet contraire, un sursaut de conscience démocratique au sein des États qui la constituent. On le verra à la lecture de ces entretiens, l'État et la souveraineté nationale sont au cœur des interrogations de tous les partenaires européens. Cette question est au centre des propos de tous ceux qui réfléchissent sur la signification politique du traité de Maastricht et sur son devenir.

La souveraineté nationale est-elle une notion dépassée? La diversité des commentaires que cette question a suscités révèle en effet la richesse de sens que recouvre cette notion pour les Européens. C'est ce qu'expriment, en abordant des thèmes en apparence éloignés, les interlocuteurs que j'ai rencontrés à Paris et à Londres en mars 1992 (2). Chacun aborde à sa manière les composantes de l'Europe communautaire. Tous, ils invitent à la réflexion: la notion de fédéralisme, les institutions européennes et les divers volets du traité de Maastricht. Le rôle des États et de l'État-nation dans la nouvelle formation européenne. La souveraineté, sa définition, son statut, sa raison d'être. La démocratie, enfin, ses dimensions intrinsèques; la citoyenneté, sa légitimité; la nation, le peuple, ses valeurs, sa langue et sa culture.

Pour aborder ces questions, il était utile, tout d'abord, de réunir un ensemble de propos qui permettraient de cerner le contenu institutionnel, les structures, les avenues, les promesses, les limites du traité de Maastricht et leurs liens avec les perspectives de souveraineté du Québec. La première partie du livre vise donc à décrire les processus en cours tout en rétablissant les concepts appropriés et leur sens. Ainsi le fédéralisme, comme catégorie du droit constitutionnel, est-il resitué, tant historiquement qu'à travers ses modèles types et par comparaison avec l'actualité des structures européennes. Le lecteur découvrira par lui-même ce qu'il faut penser de l'application au Québec et au Canada du concept de fédéralisme à l'européenne.

Dans un deuxième groupe d'entretiens, les propos recueillis prennent davantage de distance par rapport à l'objet «Europe des Douze». C'est alors une percée plus large qui est effectuée, faisant appel à toutes les dimensions de la vie politique pour évaluer le nouveau profil de la Communauté à l'égard des exigences de la démocratie. En marge des critiques qui doivent lui être apportées, le traité de Maastricht cristallise des enjeux importants et opère une synthèse entre les intérêts propres d'États souverains et les intérêts des autres composantes de la Communauté. C'est en cela surtout, parce qu'il réunit à la fois des États souverains et des intérêts communautaires, qu'il mérite d'être examiné.

On l'a dit, les entretiens ont été réunis en deux groupes. Le premier présente surtout les structures, les institutions, les règles de fonctionnement de la Communauté et les enjeux qu'elles sous-tendent. Le deuxième aborde les dimensions politiques internes, les limites, voire les impasses à corriger et parle du devenir sensible et des perspectives porteuses d'un renouveau démocratique au sein d'une Europe communautaire.

Mes interlocuteurs sont tous favorables au Traité, ou «pro-européens». Il ne s'agit donc pas pour eux de remettre en cause le Traité, mais bien plutôt d'en dégager les lignes de force, les points plus faibles et le devenir. Ce dénominateur commun a le mérite de donner une perspective concrète à leurs propos: ce sont tous des acteurs, parlementaires ou intellectuels, engagés au plus haut niveau dans la réalisation d'une «Europe politique», et plusieurs sont déjà inspirés, tels Maurice Duverger et Paul Thibaud, par une vision de l'après-Maastricht. Ajoutons aussi que les propos recueillis traduisent des points de vue largement partagés, selon le cas, soit par les formations politiques auxquelles appartiennent leurs auteurs soit par leur vaste audience intellectuelle.

On constatera, comme il fallait s'y attendre, que le débat implicite qui s'instaure entre les participants à ce forum imaginaire révèle des points de vue parfois opposés. Les avis diffèrent sur des modalités concrètes: caractère secret des débats de politique étrangère européenne élaborée au sein du Conseil des ministres de la Communauté, caractère volontaire ou involontaire des transferts de compétences des États vers la Communauté... Ils diffèrent aussi sur la portée de concepts tels que celui d'État-nation, celui de supranationalité, etc.

D'autres questions n'ont pu être qu'effleurées, comme les rapprochements prochains et souhaitables avec certains États d'Europe centrale ou orientale, et la nature des institutions qui en découleront et ne manqueront pas d'infléchir le processus en cours. De plus, cette échéance prometteuse que constituent les futures Conférences des parlements nationaux et du Parlement européen n'est, elle aussi, qu'à peine évoquée.

Ce qui est certain, c'est que ces échanges, tout comme le débat autour de la ratification du traité de Maastricht, ont tous reflété une même volonté, une même conviction. Ils ont évoqué la souveraineté nationale comme étant la pierre angulaire de l'édifice communautaire. Dans cet esprit, si une clé nous est offerte à la lecture de ces réflexions sur l'Europe, c'est sans doute qu'à travers cette défense de la souveraineté, ici comme là-bas, c'est de la démocratie qu'il s'agit.

Notes:

(1) Le Monde, 28 mai 1992, p. 2
(2) Seul l'entretien avec Élisabeth Guigou, ministre des Affaires européennes a été réalisé par écrit.

Retour au texte de l'auteure: Mme Anne Legaré, département des sciences politiques, UQAM Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 20 août 2004 13:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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