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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Devoir, Montréal, samedi, 19 juillet 1986, page A 7 - Idées- événements.

Pierre-Yves Laurin

Le miroir aux alouettes
du libéralisme moderne
”.


RÉPLIQUE 

PIERRE-Y. LAURIN 
L'auteur est historien de formation, spécialiste informatique de profession et collabore occasionnellement au DEVOIR 

L’été porte traditionnellement en lui le calme, non la tempête. Malheureusement, les rapports sur l'administration gouvernementale présentés par les ministres Fortier, Scowen et Gobeil ont eu l'effet d'une douche froide sur les chaleurs timides de la saison estivale. Hormis leur contenu, l'implication strictement politique de ces documents semble avoir été mal jugé. M. Bourassa, qui les a commandés, s'est empressé d'en nuancer d'emblée les conclusions. Il a donc réussi à satisfaire une certaine droite inquiète de la taille de l'État, tout en se réservant la possibilité de faire exactement ce qu'il veut des suggestions des “sages”. Il fallait s'attendre aux réactions négatives et immédiates des syndicats. Mais la critique la plus “musclée” viendra de la droite. 

M. Pierre Lemieux, dans quatre grands articles qu'a publiés LE DEVOIR (du samedi 12 juillet au mercredi 16), décerne au groupe libéral à Québec de vigoureuses remontrances mêlées de timides encouragements. Il pose, en liminaire, la question suivante: y a-t-il un gouvernement libéral à Québec ? La réponse est non. Pourquoi ? Parce que les autorités en place sont mal conseillées. Où devraient-elles chercher l'inspiration ? Chez de vrais libéraux. Mais où diable sont-ils donc ? Selon M. Lemieux, surtout au sein de l'Institut économique de Paris à Montréal. Et qui est le directeur de cette organisation ? Mais ... Pierre Lemieux en personne ! Devons-nous en conclure qu'il est bien marri de ce qui se trame dans les bunkers de la Grande Allée parce qu'il ne s'est pas vu offrir le poste de conseiller du Prince ? Sûrement pas: ce serait faire preuve d'une mesquinerie d'une petitesse qui ne sont certainement pas des traits de caractère de notre auteur. 

Tout au long de ses quatre textes il cherche un peu partout les raisons de ces carences gouvernementales. Et tout compte fait le principal problème est la “faiblesse philosophique” des membres du pouvoir en place. Il note par ailleurs que les hommes d'affaires ne sont guère plus ferrés à cet égard. Il reproche à tout ce beau monde le pragmatisme de leur approche. A preuve, les a sages” ont regardé la rentabilité et la viabilité des organismes publics: ils ont commis l'erreur de ne pas suggérer qu'ils soient tous balayés. Ils ont timidement recommandé que l'État soit plus ou moins géré comme “une business” : M. Lemieux, lui veut que l'on fasse de la société tout entière un laboratoire. Car ses thèses néo-libérales, jamais éprouvées, nous proposent d'élaguer toutes les réglementations, d'abattre tou|tes les barrières. “L'économie, comme telle, n'existe pas.” À ce compte toute la pensée économique de Ricardo à Marshall, en passant par Pareto et Leontiev, n'est que “morale économique pour république de bananes”. Il souhaite que “chaque individu soit libre de s'occuper pacifiquement de sa propre compétitivité et l'économie s'arrangera bien toute seule”. Fini les lois de protection des consommateurs, les chartes des droits de l'homme. Ainsi, le citoyen, libre de toute tutelle, de nouveau plongé dans son creuset originel, accéderait au vrai bonheur. En relisant ces articles, on s'interroge songeusement si de tels propos méritent seulement un seul mot de réplique ! Car, avec ses constructions fallacieuses, notre auteur nie simplement la société elle-même qui, de toute histoire, a dû se créer des règles pour être viable. Il nous apparaît donc logique que la théorie anarcho-capitaliste (que dans un accès étrange de modestie, il ne fait que citer au passage) soit le fruit d'une imagination aussi fertile (voir Du libéralisme à l'anarcho-capitalisme PUF, Paris 1983). 

La critique hautaine que fait M. Lemieux du pragmatisme se révèle, elle intéressante dans la mesure où elle pose aux gouvernants et aux intellectuels qui s'en réclament des questions précises. Au passage nous remarquons que l'économiste n'a pas peur des amalgames. Il cite Benito Mussolini : “Le fascisme est pragmatique: il n'a pas d'a priori ni de buts lointains.” Robert Bourassa qui semble penser que la politique est l'art du possible plutôt que celui de rêver, qui paraît vouloir gérer et aménager l’État, au lieu de le faire capoter, est-il un fasciste en puissance ? Laissons à Pierre Lemieux le soin de répondre. Mais les hommes d'affaires alors ? Pour diriger une entreprise, il faut avoir le sens des réalités. Ainsi, si on pousse la logique, les entrepreneurs sont aussi des fascistes en puissance ? 

Tout bien considéré, je ne vois pas pourquoi le pragmatisme ne serait pas une position philosophique tout à fait soutenable (surtout si nous la comparons au miroir aux alouettes que nous offre notre philosophe-économiste). L'équipe Bourassa, loin d'être parfaite, fait figure de modèle de modération après les coups de griffes de Pierre Lemieux (on doit avoir particulièrement goûte ces articles, dans les officines…). Quand nous y regardons de près, la tâche de dégraissage entamée (malgré les bavures maladroites…) est parfaitement valable. L'État doit se défaire des firmes nationalisées qui s'avèrent à l'occasion être des tonneaux des Danaïdes. Et cela à condition que le secteur privé puisse prendre le relais (ce qui n'est pas toujours le cas). Après tout, il s'agit ici de l'argent de tous les contribuables: on se doit de bien l'administrer. 

A part la question des libertés et des entreprises étatiques, celle des impôts aux particuliers est chère au coeur de notre auteur. Son esprit en flèche nous dresse le portrait d'un peuple en grogne, perclus de taxes, en combat virtuel permanent avec l’État. Si cela était bien vrai, Pierre Lemieux serait un intellectuel écouté, le “Sartre” de notre temps au lieu de l'agitateur de la pensée que ses a idées” ont fait de lui. D'ailleurs, on a qu'à poser la question à la population. Bien sûr nous aimerions tous payer moins d'impôts: mais les services qui nous sont offerts sont à la hauteur, malgré les problèmes inhérents aux grandes machines. Dans le monde troublé de notre auteur, un fils d'ouvrier pauvre, nécessitant des interventions chirurgicales coûteuses, n'est pas sûr de s'en sortir vivant. On n'arrive pas au a libéralisme” sans casser des oeufs ! Dans notre monde, le problème ne se pose pas : nous sauvons ce malheureux. Nous payons tous la note, et la majorité le comprend aisément. L'économiste Serge-Christophe Kolm a déjà brillamment exposé l'essence de ces comportements altruistes que l'on retrouve partout dans la société (Le Contrat social libéral PUF, Paris 1985, chap. 25). 

Le libéralisme moderne (non pas celui de notre auteur, mais celui de la réalité) est sans conteste l'idéologie la plus complète et la plus adéquate que nous ait fourni l'histoire. Mais elle n'est pas la propriété de quelques iconoclastes qui prêchent dans le désert: elle est le bien, le vecteur de toute la population. Elle assure à un groupe social en mutation perpétuelle les moyens de se défaire des scories du passé, et ceux d'appréhender l'avenir. C'est la thèse de la a destruction créatrice, défendue par Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démocratie, édition de 1979 chez Payot). Mais de cet écrémage constant, le libéralisme moderne tente de préserver des citoyens fragiles, facilement bousculés par les changements économiques. Cette préoccupation a fait naître les politiques sociales. 

“Le libéralisme n'est pas un dogme, mais il peut le devenir [...]. Un signe en serait qu'il évacuât la politique et prétendit confier à des mécanismes impersonnels, à une main invisible, le soin de résoudre tous les conflits.” (Alain Besançon, L'Express, 11 juillet 1986, p. 21.) À n'en pas douter, Pierre Lemieux n'a rien a faire de l'avertissement du soviétologue français Besançon. Non, il continuera, avec quelques autres, à psalmodier des litanies, à nous resservir les mêmes poncifs éculés qui nous assurent qu'il suffit de raser l'Etat au niveau des fondations pour régler le problème. Regardons-les amusés, parcourir leur itinéraire d'aveugle qui les mène tout droit à un abîme de la pensée. “Il n'y aura plus d’État, plus d'exploitation”: ne croyez pas que je cite ici M. Lemieux. Cette phrase nous vient plutôt d'un dénommé Vladimir Oulianov, mieux connu sous le nom de Lénine. Décidément, tous les extrêmes se rejoignent... 

FIN


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 10 septembre 2008 7:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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