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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Simon LANGLOIS, “Quatre décennies d'études sur la stratification sociale au Québec et au Canada: tendances et illustrations.” In revue Lien social et Politiques, no 49, printemps 2003, pp. 45-70.

[169]

Simon LANGLOIS
professeur, département de sociologie, université Laval,
et chercheur, Institut québécois de recherche sur la culture.

Quatre décennies d'études
sur la stratification sociale
au Québec  et au Canada:
tendances et illustrations.”

In ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Questions de culture, no 11, “Devenir chercheur-e : itinéraires et perspectives”, pp. 169-174, POSTFACE. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1986, 185 pp.

Résumé
Introduction [45]
Contexte : le Canada et le Québec [45]
La mesure du statut et de la classe sociale [46]
Les nomenclatures socioprofessionnelles [46]
La classification selon le statut [47]
-  Les échelles de prestige [47]
-  L’indice socio-économique [49]
-  Comparaisons entre le Québec et le Canada [49]
La catégorisation selon les classes sociales [49]
La mesure de la position sociale des femmes [53]
Mobilité sociale et stratification sociale [54]
Travaux québécois fondateurs [54]
-  La théorie de la modernisation [54]
-  La « classe ethnique » [55]
-  Les analyses en termes de classes sociales [55]
-  La mobilité collective d'une minorité [56]
Études sur la mobilité sociale et la stratification au Canada [56]
La mobilité sociale des anglophones et des francophones [57]
La mobilité sociale des femmes [58]
Sexe et classe : le projet. Comparative Class Structure and Class Consciousness [59]
Le projet CASMIN [59]
Mobilité sociale et reproduction sociale [60]
Origine ethnique et mobilité sociale : le Canada est-il (encore) une « mosaïque verticale » ? [60]

Nouveaux aspects de la stratification sociale [61]

La polarisation [61]
L'effet de génération [63]
La représentation des inégalités [64]
L'exclusion et la marginalité [64]
La pauvreté [65]
Conclusion [66]
Bibliographie [66]

Résumé de l'article

L'article passe en revue les différentes approches développées au Canada et au Québec pour analyser empiriquement la structure sociale et la mobilité sociale de 1960 à 2000. Deux cadres conceptuels principaux ont inspiré ces travaux : les approches en termes de statut et les approches en termes de classes. La sociologie canadienne apporte plusieurs contributions spécifiques : l'élaboration de mesures originales, l'étude du lien entre caractéristiques individuelles et société globale, le concept de mobilité collective d'une minorité, la thèse de la mosaïque verticale. L'étude de la place des femmes et celle des groupements linguistiques et ethniques ont occupé une place importante. Au tournant du siècle, la contribution canadienne a été marquante pour l'étude de la polarisation sociale, un aspect nouveau dans le champ de la stratification, sans oublier les effets de génération.

[45]

Introduction

Deux traits caractérisent les études sur la stratification sociale réalisées au Québec et au Canada durant les années 1960 et 1970 : la place qu'y tient l'analyse de la relation entre classe et nation, et la diversité des approches théoriques et méthodologiques. Outre la difficulté de définir une approche théorique et de construire des instruments de mesure adaptés à l'analyse des classes sociales, les sciences sociales québécoises et canadiennes devaient résoudre celle de circonscrire leur objet : existe-t-il au Canada deux espaces sociaux distincts à l'intérieur desquels les citoyens ne circulent pas de manière identique ? Convient-il d'étudier le Québec dans son ensemble, en tant que société globale incluant une minorité de langue anglaise ? Ou seulement le Québec français ? Ou tout le Canada français ? Peut-on appliquer la même échelle de prestige socioprofessionnel au Canada anglais et au Canada français ? Les réponses ont différé d'un groupe linguistique et d'une période à l'autre, et les sociologues québécois n'ont pas été les seuls à soulever la question des liens entre nation et stratification sociale : durant les années 1970 et 1980, les sociologues canadiens-anglais se sont également intéressés à l'influence de la dépendance économique du Canada envers les États-Unis sur la stratification sociale au Canada (Clément, 1977).

On n'utilise plus guère dans la sociologie canadienne actuelle les concepts de société dépendante et d’oppression nationale qui étaient associés à ces problématiques. Néanmoins, en contexte de mondialisation, il n'est pas inutile de rappeler ces débats : avec l'avènement de l'Union européenne, l'appartenance à une société particulière pourrait devenir un facteur à retenir pour analyser la stratification sociale en Europe.

On trouvera ici un tour d'horizon des principales approches utilisées au Canada et au Québec depuis les années 1960 pour mesurer la position sociale et étudier la mobilité et la stratification sociales, complété par une présentation des approches de la stratification sociale apparues au Canada durant les années 1990. Mais il convient, en premier lieu, d'expliquer brièvement pourquoi, surtout dans les années 1970 et 1980, le Québec et le Canada sont apparus comme des espaces distincts en ces matières [1].

Contexte : le Canada et le Québec

Outre l'apport des Amérindiens, le Canada a été constitué par deux [46] grands groupements nationaux qui lui ont donné deux langues officielles, et par de nombreux immigrants qui ont adopté l'une ou l'autre de ces langues, le plus souvent l'anglais. L'existence historique de la thèse des deux nations — chère à André Laurendeau mais contestée par certains intellectuels de langue anglaise — a d'importantes conséquences pour l'étude de la stratification sociale dans ce pays. Au plan sociologique, le Québec apparaît au sein de l'État canadien comme une nation ou comme une société distincte dotée de caractéristiques propres en matière de langue, littérature, idéologies, historiographie et production culturelle. À l'intérieur de cette société, la majorité francophone se définit comme un peuple et jouit d'une identité nationale forte, distincte de la nouvelle identité nationale canadienne en gestation [2]. C'est pourquoi, sans doute, l'existence de la société québécoise en tant qu'objet d'interprétation est le postulat le plus implicite et le plus évident pourtant de notre sociologie » (Laurin-Frenette, 1984 : 531 ; voir aussi Laurin-Frenette, 1989).

Les francophones ont toujours conçu la « Confédération de manière dualiste, comme l'œuvre de deux peuples fondateurs, et considéré le Québec comme le cœur du peuple francophone » (McRoberts, 1997 : xiv). L'idée de la dualité canadienne, soutenue et perpétuée depuis la Confédération (1867) par des générations de francophones pour qui le Canada compte deux peuples et deux cultures, s'est évanouie à la fin des années 1960. McRoberts a bien montré que la stratégie d'unité nationale du Premier ministre Trudeau l'a heurtée de front, constituant même une « négation des bases historiques de l'adhésion des Canadiens français au Canada » (McRoberts, 1997 : xvi).

Mais le Canada est une terre d'immigration et une société multi-culturelle, et cela peut aussi expliquer l'évolution de ses rapports avec le Québec. Comptant plus de trente millions d'habitants en 2003, soit une population équivalant à la moitié de celle de la Grande-Bretagne, de la France ou de l'Italie, il accueille près d'un million de nouveaux immigrants tous les cinq ans. Dans ce contexte de forte immigration, les nouveaux citoyens ont tendance à s'identifier, non comme Canadiens anglais ou Canadiens français, mais simplement comme Canadiens. Au Québec, les choses sont un peu plus complexes, mais il faut noter que la nouvelle identité québécoise se veut nationale plutôt qu'ethnique, donc inclusive et ouverte aux nouveaux arrivants (Langlois, 2002). Deux sentiments nationaux distincts sont donc apparus, correspondant, l'un à une  nouvelle  identité  purement « canadienne » (sans qualificatif ni trait d'union), l'autre à une identité « québécoise ». Ajoutons que le caractère multiethnique de la société canadienne est plus prononcé hors du Québec, où peu d'immigrants s'établissent à l'extérieur de la région montréalaise.

La mesure du statut et de la classe sociale

On a utilisé au Canada et au Québec des instruments de mesure très divers pour caractériser les positions sociales individuelles. En fonction des prémisses et des problématiques sous-jacentes, on peut en distinguer trois types. Le premier est descriptif : c'est en fait une classification des professions établie par Statistique Canada, l'agence fédérale de la statistique. Le deuxième relie la position sociale au statut, et le troisième la définit par la classe sociale. Nous allons passer les trois types en revue, en distinguant les approches respectives des sociologues québécois et des sociologues canadiens et en illustrant les divers découpages par des exemples tirés des textes. Après quoi nous examinerons les problèmes posés par la mesure du statut social des femmes.

Les nomenclatures socioprofessionnelles

La classification socioprofessionnelle de la main-d'œuvre utilisée par Statistique Canada est une typologie combinant la profession et le secteur d'activité. En 1971, l'agence a défini pour l'ensemble des professions (chacune identifiée par un code à sept chiffres) trois niveaux  d'agrégation  croissants [47] (codes à quatre, trois et deux chiffres respectivement) : les groupes de base, au nombre de 486, les sous-groupes (81) et les grands groupes (22). D'abord descriptive avant tout, cette classification s'est révélée difficile à utiliser dans les études sociologiques, les groupes étant « trop indifférenciés et trop hétérogènes », de l'aveu même de Pineo, Porter et McRoberts. « Dans la mesure du possible, écrivent-ils, il vaut mieux éviter d'utiliser les grands groupes et construire des catégories de groupes de base plus propres à mesurer le statut socio-économique » (1977 : 95). Dans le même sens, de Sève (1986) est d'avis que les 22 grands groupes ont un pouvoir discriminant moindre que d'autres classifications qu'il a examinées. De leur côté, Drouilly et Brunelle (1988) proposent de regrouper les professions de Statistique Canada en 17 catégories, selon deux dimensions : les rapports de pouvoir et la détention du savoir.

La nomenclature de Statistique Canada a surtout servi à des études sur l'évolution à long terme de la structure de la main-d'œuvre, par exemple eu égard à la situation des femmes et aux inégalités entre groupements linguistiques ou ethniques. Ainsi, Myles (1988), à propos des processus de requalification et déqualification de la main-d'œuvre, fait valoir que la distinction traditionnelle entre secteur des biens et secteur des services n'est pas adaptée à l'étude de la redistribution des qualifications au sein de la structure professionnelle ou de la structure de classes. Ses données montrent que la qualification de la main-d'œuvre a crû à un rythme accéléré durant les années 1960 et 1970, puis a eu tendance à diminuer. On a aussi utilisé la classification des professions pour étudier l'inégalité structurelle entre femmes et hommes dans la main-d'œuvre au Canada (voir par exemple Fox et Fox, 1986, 1987 ; Renaud et Bernard, 1985) ou mettre en évidence les transformations de la hiérarchie professionnelle et la dispersion croissante de la main-d'œuvre dans un éventail de professions (Bernard, 1984). Ainsi le Québec polarisé des années 1950 est-il devenu, dans les années 1970, une société stratifiée (Bernard, 1984). Là où coexistaient deux groupes — « un groupe fort et compact de "gens ordinaires", très semblables les uns aux autres et se situant nettement en dessous de la moyenne ; et un groupe beaucoup plus restreint et beaucoup plus dispersé d'individus jouissant d'une situation supérieure » (Bernard, 1984 : 577) — évoluaient désormais des groupes sociaux distribués le long d'un continuum.

La classification selon le statut

Les travaux qui abordent la stratification sociale sous l'angle du statut utilisent deux types principaux d'instruments de mesure de la position sociale : les échelles de prestige, qui ordonnent les professions selon leur prestige social, et les indices socio-économiques, qui les ordonnent essentiellement en fonction du revenu et du niveau d'instruction. De Sève (1986) a minutieusement examiné et comparé diverses classifications en usage au Québec et au Canada [3].

— Les échelles de prestige

Les sociologues québécois et les sociologues canadiens ont élaboré des échelles de prestige différentes, postulant que les perceptions à cet égard pouvaient différer dans les deux sociétés. C'est Guy Rocher qui a proposé la première échelle durant les années 1950, dans le cadre de ses cours à l'Université Laval. Le « Code Rocher » (connu par des rapports de recherche) hiérarchisait les professions en huit catégories, en fonction du prestige dont elles jouissaient dans la société québécoise : les professionnels (professions libérales : médecins, avocats, etc.) occupaient le sommet, et les ouvriers non qualifiés [4] et les cultivateurs l'échelon le plus bas. Dans une première étude sur la mobilité sociale inspirée de l'approche de Rogoff, de Jocas et Rocher (1957) se servent d'une version légèrement modifiée de cette échelle pour comparer la mobilité sociale des francophones et celle des anglophones au Québec. Dofny et Garon-Audy (1969) appliquent la même échelle à des données comparables pour 1964, et font ressortir la rapidité avec laquelle la distribution des fils dans les catégories professionnelles a changé. Deux catégories, celle des semi-professionnels et des cadres moyens et celle des ouvriers (qualifiés et non qualifiés), ont connu une forte augmentation, et deux autres, celle des cols blancs et celle des services personnels et publics, une augmentation modeste. Le tableau 1 présente les distributions et illustre les différences entre les deux groupes linguistiques.

[48]

En 1965, deux sociologues canadiens, Pineo et Porter (1967), entreprennent une étude dans laquelle ils vont chercher à mesurer le prestige des professions au Canada en demandant aux répondants d'ordonner 204 professions selon ce critère. Ils constatent que la hiérarchie observée « au Canada français diffère légèrement de celle du Canada anglais [...] La corrélation entre l'échelle des francophones et l'échelle des anglophones est de 0,95 » (p. 32). Dans un article ultérieur où il relate l'évolution des mesures du prestige et de la mobilité au Canada, Pineo (1981) ajoute qu'il avait postulé une différence entre les échelles de prestige canadienne et américaine mais constatait une étroite similitude entre les deux (r = 0,98). Il en conclut que la modernité a fait son entrée au Canada français, et que le Canada n'est « plus un pays de fermiers, de pêcheurs et de [coureurs de bois]. On peut dire plus justement que c'est un nouvel État industriel moderne » (p. 621). Avec deux autres  sociologues,  il entreprend alors de réviser l'échelle socioprofessionnelle canadienne : les professions sont regroupées en 16 catégories, allant des professions libérales aux travailleurs agricoles (Pineo, Porter et McRoberts, 1977). Cette classification, dite PPM, sera de nouveau révisée à l'aide des données du recensement de 1981 (Pineo, 1985). Les seize catégories professionnelles sont les suivantes (d'après Laroche, 1997) :

Tableau 1. Distribution (%) des pères et des fils entre les catégories professionnelles,
en 1954 et en 1964 pour l'ensemble de la population,
et en 1954 pour la population urbanisée francophone et anglophone (Québec)

Professions

Ensemble de la population, 1954

Population urbanisée, 1954

Ensemble de la population, 1964

Pères

Fils

Francophones

Anglophones

Pères

Fils

Pères

Fils

Pères

Fils

Professions libérales et haute administration

3,2

5,8

3,2

6,8

11,8

17,3

2,2

4,7

Semi-professionnels et cadres moyens

5,1

5,7

5,6

5,2

5,5

10,0

5,1

15,2

Cols blancs

6,2

11,3

9,0

15,6

9,1

22,7

5,7

15,8

Ouvriers qualifiés et semi-qualifiés

22,2

27,3

27,4

34,2

26,4

23,6

22,4

32,3

Manœuvres

28,0

33,5

30,5

26,0

17,3

7,3

24,1

20,1

Services personnels et publics

4,5

7,6

6,4

10,2

11,9

18,2

5,6

8,0

Cultivateurs

30,8

8,9

17,4

2,0

18,2

0,9

34,9

3,9

Total

100

100

100

100

100

100

100

100

Source : De Jocas et Rocher, 1957, tableaux 2 et 4 ; Dofny et Garon-Audy, 1969 : 281.


1. Membres d'une profession libérale (travailleurs autonomes)

2 Membres d'une profession libérale (salariés)

3. Cadres supérieurs

4 Semi-professionnels

5. Techniciens

[49]

6. Cadres intermédiaires

7. Surveillants

8. Contremaîtres

9. Employés de bureau qualifiés, vendeurs qualifiés et employés qualifiés du secteur des services

10. Travailleurs des métiers qualifiés

11. Exploitants agricoles

12. Employés de bureau, vendeurs et employés du secteur des services de spécialisation moyenne

13. Travailleurs manuels de spécialisation moyenne

14. Employés de bureau non qualifiés, vendeurs non qualifiés et employés non qualifiés du secteur des services

15. Travailleurs manuels non qualifiés

16. Travailleurs agricoles.

Cette classification contient encore trop de groupes pour se prêter facilement à des analyses, et les chercheurs l'ont abrégée de diverses manières, notamment en s'inspirant de l'échelle socio-économique de Blishen, dont nous allons dire quelques mots.

— L'indice socio-économique

Le deuxième instrument de mesure du statut peut être salué comme une contribution importante des sciences sociales canadiennes : il s'agit de l'indice socioéconomique — ou échelle — de Blishen (1958, 1967, 1970), révisé en 1976 à l'aide des données du recensement de 1971 (Blishen et McRoberts, 1976), et de nouveau  en   1987   avec  celles  du recensement de 1981 (Blishen, Carroll et Moore, 1987). Suivant l'approche de l'Américain O. D. Duncan, l'indice ordonne les professions en fonction du revenu et de l'instruction. La dernière version distingue 514 professions présentant un score moyen de 42,7 sur l'échelle et un écart type de 13,3. Ce sont les médecins et chirurgiens qui ont le score le plus élevé (101,3) et les vendeurs de journaux le score le plus faible (17,8).

L'indice socioéconomique de Blishen ne coïncide pas exactement avec l'échelle socioprofessionnelle de Pineo, Porter et McRoberts (PPM). Les professionnels salariés se situent plus haut que les cadres sur l'échelle de prestige mais non sur l'échelle socioéconomique ; de même, les surveillants et les contremaîtres jouissent d'un plus grand prestige mais présentent un score socioéconomique plus faible que les cols blancs de niveau supérieur ; les exploitants agricoles se trouvent au milieu de la distribution selon le prestige mais aux échelons inférieurs de la distribution selon le statut socioéconomique. Statistique Canada a donc modifié l'échelle de prestige PPM en fonction des scores de Blishen pour analyser les données sur la mobilité sociale de l'Enquête sociale générale de 1986 (Creese, Guppy et Meissner, 1991). Dans la classification modifiée, les cadres supérieurs occupent l'échelon le plus élevé, suivis des membres d'une profession libérale (indépendants et salariés). Le tableau 2 présente la distribution des pères, des fils et des filles dans les huit groupes professionnels redéfinis, et la moyenne de l'indice socio-économique de Blishen pour chaque groupe.

— Comparaisons entre le Québec et le Canada

Échelles de prestige et indices socioéconomiques reposent sur la prémisse qu'un système de stratification sociale est représentatif d'une société. Au Canada, on s'est demandé si une typologie définie pour l'ensemble du pays pouvait convenir à la société québécoise. En 1967, nous l'avons vu, Pineo et Porter ont conclu à l'absence de différences notables entre l'échelle de prestige des francophones et celle des anglophones. De la même façon, de Sève (1994) décèle peu de différences entre le Québec et le reste du Canada (voir les tableaux 3 et 4). Les catégories socioprofessionnelles construites à partir de données canadiennes seraient donc adaptées à l'étude de la stratification sociale au Québec, dans la mesure où « le Québec se distingue moins du reste du Canada par la distribution de sa population entre les positions sociales ou par le revenu moyen correspondant à ces positions, que par le plus grand impact des positions sociales sur les inégalités de revenus » (de Sève, 1994 : 25).

La catégorisation selon les classes sociales

Les échelles de prestige et l'indice socioéconomique s'appuient sur des dimensions quantitatives et ordonnent les professions en fonction d'au moins une de ces dimensions. A la fin des années 1970 apparaissent de nouvelles approches, fondées sur la notion de classes sociales, qui visent à organiser [50] les professions en typologies renvoyant à l'espace social au lieu de les situer sur une échelle. La classification bien connue de Goldthorpe est sans doute le meilleur exemple de ce courant de recherche. Encore une fois, le développement de cette approche donne lieu à des travaux distincts au Québec et au Canada.

Au Québec, la sociologue Muriel Garon-Audy, à l'aide de sources de données (les registres d'état civil) exploitées auparavant par de Jocas et Rocher (1957), élabore une typologie des classes sociales dont il faut saluer l'originalité. Mettant de côté la notion de prestige, elle propose de prendre plutôt en considération le contrôle exercé par les divers groupes sur l'accès à certaines places ou fonctions. Avec ses collaborateurs, elle construit une nouvelle base de données pour les années 1954, 1964 et 1974 et reprend certaines études classiques sur la mobilité sociale au Québec, distinguant entre francophones et anglophones (Garon-Audy et al., 1979). Elle adapte librement l'approche de Wright et privilégie deux dimensions pour construire sa typologie : le pouvoir lié à une profession et les tâches accomplies. « Pouvoir » renvoie à l'autonomie dont on jouit dans l'exercice de l'emploi et à la capacité de décider ; « tâche » renvoie au contenu de l'emploi. Sont ainsi distingués 23 groupes de professions (de la haute administration aux manœuvres), agrégés en huit catégories que nous appellerons, dans la suite du texte, « typologie des classes de Garon-Audy » (voir le tableau 5).

Tableau 2. Indice de Blishen par catégorie professionnelle
(huit groupes, agriculture exceptée), pères, fils et filles, Canada, 1985 (%)

Groupes professionnels (modifiés)

Indice de Blishen

Pères

Fils

Filles

Cadres supérieurs

3

4

3

4

Membres d'une profession libérale

1-2

8

10

9

Cadres intermédiaires

6

8

9

6

Semi-professionnels et techniciens

4-5

4

8

11

Cols blancs de niveau supérieur

7-9

7

8

18

Cols bleus de niveau supérieur

8-10

31

19

2

Cols blancs de niveau inférieur

12-14

8

14

40

Cols bleus de niveau inférieur

13-15

31

29

12

Total (%)

100

100

100

N

4 582

4 582

3 502

Source : Creese, Guppy et Meissner, 1991 : 46.

Issue des mêmes données, cette typologie ne jette pas sur l'évolution des structures sociales le même éclairage que les échelles de prestige. Par exemple, le nombre de membres des professions libérales et techniques paraît avoir crû au Québec entre 1954 et 1974, et la proportion de travailleurs qualifiés n'est pas aussi faible en 1954 que l'étude de Rocher le laissait croire. Par ailleurs, il est possible de regrouper les 23 catégories détaillées de Garon-Audy pour tenir compte du prestige, dans la mesure où celui-ci est lié aux groupes socioprofessionnels, comme Béland et de Sève (1986) l'ont montré dans leur étude des inégalités entre francophones et anglophones.

[51]

Tableau 3.
Stratification sociale en 1981 au Québec et dans le reste du Canada,
classification PPM et typologie de Wright

Catégories socioprofessionnelles
PPM

Québec

Reste du Canada

Typologie des classes
de Wright

Québec

Reste du Canada

Professionnels

11,5

11,8

Bourgeoisie

2,1

3,2

Cadres

6,4

7,5

Travailleurs indépendants

6,3

6,3

Semi-professionnels et techniciens

7,2

10,2

Petite bourgeoisie

5,9

7,9

Surveillants et cols blancs spécialisés

17,1

14,7

Cadres

13,6

13,7

Petits cols blancs

20,4

17,9

Surveillants

7,6

12,2*

Contremaîtres et cols bleus spécialisés

13,6

11,3

Travailleurs semi-indépendants

28,4

18,9*

Petits cols bleus

22,0

21,3

Ouvriers

36,1

37,8

Agriculteurs

1,7

5,3*

Total

100

100

Total

100

100

Source : De Sève, 1994 : 27-28. * p < 0,05.


Tableau 4. Stratification sociale en 1981 au Québec et dans le reste du Canada,
échelle Blishen-McRoberts et typologie des classes de Goldthorpe

Échelle socioéconomique
(Blishen-McRoberts)

Québec

Reste du Canada

Typologie des classes
de Goldthorpe

Québec

Reste du Canada

1 (Bas)

10,2

13,3

Emplois de service

26,0

28,9

2

14,6

12,0

Emplois non manuels routiniers

25,2

23,2

3

10,8

12,2

Petite bourgeoisie

9,4

8,9

4

15,2

11,7*

Agriculteurs et autres propriétaires exploitants du secteur primaire

2,0

4,9*

5

14,2

12,2

Contremaîtres, techniciens de niveau inférieur et cols bleus qualifiés

15,7

14,4

6

9,6

14,1*

Ouvriers qualifiés et semi-qualifiés

20,1

15,9*

7

15,3

12,1

Ouvriers du primaire

1,6

3,9*

8 (Sommet)

10,0

12,4

Total

100

100

Total

100

100

Source : De Sève, 1994 : 27-28. * p < 0,05.

[52]

Tableau 5. Évolution des classes sociales au Québec,
d'après la typologie des classes de Garon-Audy, 1954-1974 (%)

Typologie

1954

1964

1974

1. Propriétaires et administrateurs

4,0

3,5

5,7

2. Agriculteurs et petits propriétaires

11,6

5,0

2,8

3. Professions libérales et techniciens

7,8

15,7

19,1

4. Contremaîtres

4,7

5,2

6,5

5. Cols blancs subalternes

12,8

14,7

11,5

6. Ouvriers qualifiés

33,8

32,8

32,6

7. Employés des services

7,2

7,2

7,6

8. Manœuvres

16,8

14,6

12,5

Non précisé

1,1

1,4

1,4

Total

100

100

100

Source : Garon-Audy et al. (1979 : 21).

De son côté, Céline Saint-Pierre (1974) a tenté en 1970 d'opérationnaliser l'approche de Poulantzas. À ma connaissance, une seule grande enquête a appliqué sa typologie, en 1977, sans en tirer des résultats concluants (Belley, Hamel et Masse, 1980). Les auteurs, ayant comparé trois classifications (l'indice socioéconomique de Blishen, la classification selon le prestige de Rocher et la typologie de Saint-Pierre), reconnaissent aux deux premières une puissance discriminante supérieure.

Les travaux de Wright comptent pour beaucoup dans l'intérêt des chercheurs canadiens envers les classes sociales. Les analyses de mobilité sociale réalisées dans le cadre du projet « Social Change in Canada » (1977, 1979, 1981) empruntent à ce chercheur (voir Baer, Grabb et Johnston, 1987 ; Johnston et Ornstein, 1985). De nombreux travaux sur la classe et le revenu d'emploi (par exemple Ornstein, 1983) et sur les comportements électoraux (Nakkaie et Arnold, 1996, notamment) utilisent également les classifications de Wright, originales ou modifiées. De même, une équipe de chercheurs canadiens participe à un programme international de recherche, le Comparative Project on Class Structure and Class Consciousness (Black et Myles, 1986 ; Boyd, Mulvihill et Myles, 1991 ; Clément, 1990 ; Clément et Myles, 1994), débouchant sur une analyse comparative des structures et de la mobilité sociales dans les pays développés au début des années 1980. Signalons que Clément et Myles ne suivent pas Wright quand il passe d'une typologie des classes fondée sur le concept de domination à une typologie fondée sur celui d'exploitation ; les rapports de domination demeurent la pierre angulaire de leur typologie des classes. À l'intérieur d'un cadre conceptuel inspiré de l'analyse des classes de Wright, Clément propose une structure de classe très réduite qu'il centre sur la nouvelle classe moyenne, par opposition à l'idée de position de classe contradictoire de Wright. « La nouvelle classe moyenne exerce un certain pouvoir sur la force de travail d'autres catégories sociales, mais non sur les moyens de production [...] Contrairement à Wright, nous posons que la capacité   de  prendre   des   décisions [53] fermes touchant les moyens de production équivaut à la propriété économique véritable, et que le fait de commander à la force de travail est une forme de propriété » (Clément, 1990 : 466). Clément distingue ainsi deux dimensions — le pouvoir sur les moyens de production et le pouvoir sur la force de travail d'autrui — dont le croisement produit quatre classes sociales (voir le tableau 6).

Les données sur l'importance respective de ces classes au Canada en 1982 apparaissent au tableau 7. On remarque immédiatement que la structure de classe des femmes diffère de celle des hommes : elles sont sous-représentées chez les « capitalistes » et les « dirigeants » et dans les « anciennes classes moyennes ».

La mesure de la position sociale des femmes

Au début des années 1980, la présence croissante des femmes sur le marché du travail a sensibilisé de nombreux chercheurs à leur « invisibilité » dans les travaux sur la stratification sociale (voir Guppy et Siltanen, 1977 ; Boyd, 1982, 1986 ; Boyd et McRoberts, 1982). Pour pallier cette déficience, certains chercheurs ont postulé l'existence de hiérarchies professionnelles sexuées, et créé des indicateurs distincts pour les segments masculin et féminin de la main-d'œuvre. À l'aide des données du recensement de 1971, Blishen et Carroll (1978) ont conçu un indice des professions exercées surtout par les femmes qui devait faire pendant aux échelles déjà construites par Blishen pour les hommes. Très vite, cette idée a été écartée, et on a calculé un nouvel indice à l'aide des caractéristiques de l'ensemble de la main-d'œuvre, hommes et femmes compris. Blishen et al. (1987) exposent le raisonnement qui a dicté ce choix : « On ne peut résoudre ce problème sans bien comprendre que l'indice socioéconomique que l'on cherche à construire s'applique, non à la personne qui occupe le poste, mais au poste lui-même » (p. 468).

Tableau 6. Typologie des classes de Clément (1990)

Pouvoir sur les moyens de production

Pouvoir sur la force
de travail d'autrui

Types de classes

oui

oui

Capitalistes, dirigeants

oui

non

Anciennes classes moyennes

non

oui

Nouvelles classes moyennes

non

non

Classe ouvrière


Tableau 7. Typologie de Wright, par sexe, Canada, 1982

Classes

Hommes

Femmes

Total

Capitalistes, dirigeants

8,8

2,7

6,2

Nouvelles classes moyennes

25,2

24,4

24,9

Anciennes classes moyennes

15,7

5,1

4,3

Classe ouvrière

50,3

67,9

57,6

Total (%)

100

100

100

N

2115

Source : Clément, 1990 : 469 et 472.

La composition des professions selon le sexe influence-t-elle implicitement le prestige qui leur est accordé ? De nombreuses études répondent par un non catégorique. Deux variables — le revenu et l'instruction — rendraient compte de presque toutes les variations du prestige, qu'on utilise les données par sexe ou les données pour la population dans son ensemble (Boyd, 1986 ; Fox et Suschmigg, 1988 ; Boyd, Mulvihill et Myles, 1991). Plusieurs travaux publiés aux États-Unis durant les années 1980 corroborent ces conclusions. Étant donné que les échelles de prestige ne permettent pas de capter les disparités professionnelles [54] entre hommes et femmes, les chercheurs intéressés à la stratification sociale tendent à les bannir de ce domaine de recherche.

Mobilité sociale et stratification sociale

Après avoir passé en revue les différentes approches utilisées pour mesurer les positions sociales individuelles, nous dégagerons les résultats de recherche auxquels a conduit leur emploi dans les travaux empiriques. En matière de mobilité et de stratification sociales, la sociologie canadienne aborde des thématiques, approches ou concepts qui constituent dans la discipline un apport spécifique, différent de celui que l'on trouve dans d'autres sociétés. Ils concernent notamment les différences entre francophones et anglophones, le concept de mobilité collective d'une minorité, et la thèse de la mosaïque verticale (thèse de Porter).

Travaux québécois fondateurs

La sociologie québécoise a exploité presque toutes les méthodes et tous les angles d'approche utilisés pour l'étude de la mobilité sociale, de la théorie de la modernisation aux notions de classe ou de statut. Nous avons vu que la sociologue Muriel Garon-Audy a créé une typologie inédite des classes. D'autres sociologues ont défini un concept original, celui de mobilité collective d'une minorité nationale. Voici, brièvement présentés, des travaux importants réalisés autour de quelques thèmes.

— La théorie de la modernisation

Le premier modèle québécois d'analyse de la mobilité et de la stratification sociales s'est inspiré de la théorie de la modernisation formulée par l'École de Chicago. Le paradigme du passage d'une société traditionnelle à une société moderne a servi à éclairer les transformations du Québec contemporain.

Les auteurs de la première étude de mobilité réalisée au Québec appliquent la classification professionnelle de Nathalie Rogoff à leurs données pour l'année 1954. Il ressort que les anglophones occupent des positions plus élevées que les francophones et jouissent d'une mobilité sociale plus forte (de Jocas et Rocher, 1957) ; cela confirme les observations d'Everett C. Hughes (1943) à Drummondville. De Jocas et Rocher remarquent également que la progression des Canadiens français dans la hiérarchie socioprofessionnelle se fait échelon par échelon : en quittant la ferme, les fils de cultivateur deviennent manœuvres ; les fils de manœuvre délaissant la profession de leur père se font généralement ouvriers qualifiés ; et ce sont les fils de col blanc qui accèdent le plus facilement aux postes de plus haut niveau. À cette époque, on gravit très rarement plus d'un ou deux échelons. Contrairement aux Américains étudiés par Rogoff, les fils de Canadiens français qui abandonnent la ferme dans les années 1950 ne se distribuent pas uniformément dans les autres catégories professionnelles : ils se concentrent surtout dans les emplois non qualifiés. De Jocas et Rocher concluent que ces fils de cultivateurs n'ont pas ce qu'il faut pour entrer dans le monde industriel. Par contre, toujours par rapport aux Américains, les fils de Canadien anglais passent de façon exceptionnellement rapide des professions manuelles aux professions non manuelles.

Dofny et Garon-Audy vont reprendre cette étude en 1969 afin de comparer la mobilité sociale de 1954 et celle de 1964. Ils obtiennent cinq résultats importants. Premièrement, il y a eu diminution radicale de la proportion d'ouvriers non qualifiés chez les fils, ce qui signifie que les francophones sont mieux intégrés à l'économie industrielle. Deuxièmement, les données témoignent d'une mobilité intergénérationnelle ascendante très forte, bien supérieure à celle qu'on observait dix ans plus tôt. Troisièmement, les distances couvertes par les individus mobiles sont beaucoup plus considérables qu'en 1954 : la moitié des francophones mobiles se sont hissés de deux échelons ou plus dans la hiérarchie professionnelle. Quatrièmement, en lien avec les trois premiers constats, le fossé entre francophones et anglophones s'est notablement rétréci. Enfin, les groupes jouissant d'une position supérieure ont également plus de chances qu'auparavant [55] de connaître la mobilité et de parcourir une plus grande distance sociale.

Dans une autre étude, Jean-Charles Falardeau (1966) s'inspire de l'approche de Warner pour étudier les élites et définir les classes sociales en termes de prestige. Il met en lumière l'existence de deux systèmes de stratification au Québec, l'un basé sur la culture traditionnelle et l'appartenance à un même univers social (la société canadienne-française de l'époque), l'autre typiquement américain, basé sur la place qu'occupe l'individu dans la sphère économique.

— La « classe ethnique »

La notion de classe ethnique contient l'idée de prolétarisation de la société québécoise et celle de superposition, ou recouvrement, de la classe et de la nation. Pour Dofny et Rioux (1962), les Canadiens français se situent sur une double échelle de stratification — sociale et ethnique — et forment une société globale, en même temps qu'une minorité au sein du Canada. La société québécoise apparaît ainsi à la fois comme un système de groupements sociaux ou de classes sociales et comme une société dominée (par le Canada). Les deux auteurs expliquent que, d'une part, cette société

se considère et est considérée comme une société globale, comme une nation, et qu'à ce titre le problème des classes sociales se pose comme dans toute société globale en voie d'industrialisation et d'urbanisation ; que, d'autre part, les Canadiens français se considèrent et sont considérés comme une minorité ethnique reconnue qui, à l'intérieur du Canada, envisagé à son tour comme société globale, joue le même rôle que celui d'une classe sociale à l'intérieur d'une société globale (p. 291).

Pour désigner le statut du Québec français dans la structure sociale canadienne, Dofny et Rioux utilisent le terme « classe ethnique », qui va alimenter la controverse dans les années subséquentes. Ils veulent souligner que la majorité des Canadiens français est concentrée dans les échelons inférieurs de l'échelle sociale, tandis que les Canadiens anglais occupent les échelons supérieurs, d'où le fait que la classe et l'origine ethnique se recouvrent. Cette approche postule que le statut des individus est influencé, non seulement par leurs caractéristiques personnelles — instruction et origine sociale et ethnique notamment — mais aussi par leur société, celle-ci étant « tricotée serré ». En d'autres termes sont postulés un lien entre classe et nation au niveau macrosociologique et une relation entre classes sociales et groupes linguistiques au niveau microsociologique. Comme l'expliquera Dofny : « un système de rapports de classe peut se trouver imbriqué dans un système plus large dominé par les forces sociales d'une autre société » (1978 : 99). La littérature nous a fait connaître d'autres concepts qui renvoient à cette double référence, tels ceux de bourgeoisie compradore, proposé par des sociologues latino-américains, et de bourgeoisie coloniale, utilisé dans les années 1960.

Non sans noter que les critères de définition de la classe et de l'origine ethnique ont changé depuis le début des années 1960 et que Dofny et Rioux ne rendent pas justice à la complexité de la composition d'une strate sociale, Bernard (1984) leur reconnaît le mérite d'avoir voulu montrer que « conscience ethnique et conscience de classe sont susceptibles de se masquer l'une l'autre » (p. 561). Ainsi, à l'époque, les travailleurs du Québec ne se percevaient pas comme une grande classe ethnique. Laurin-Frenette tente de trouver un compromis en soulignant la pertinence des deux concepts :

Dans ce contexte, il est possible que les deux camps aient raison, à tout le moins qu'aucun n'ait tout à fait tort. En effet [...] le Québec est partie intégrante de la société capitaliste occidentale : urbanisée, industrialisée, prolétarisée. Il est tout cela, et plus [...] c'est une société traditionnelle encadrée par une idéologie rurale, religieuse et communautaire qui définit ses institutions religieuses et civiles. Les deux dimensions de cette organisation sont compatibles malgré leur opposition apparente (Laurin-Frenette, 1989 : 460).


— Les analyses en termes de classes sociales

Inspirée par Touraine, Althusser, Poulantzas et Bourdieu, plus tard par Giddens et Wright, une nouvelle génération de chercheurs propose durant les années 1970 une représentation de la société québécoise basée sur la notion de rapports de classe. Le lecteur intéressé trouvera de nombreuses recensions de ces travaux (voir notamment Fournier et Houle, 1980 ; Legaré, 1980 ; Bernard, 1984 ; Laurin-Frenette, 1989 ; Bourque, 1993). Nous avons décrit plus haut la typologie originale de Garon-Audy et al. (1979). Leur recherche montre qu'en raison de la croissance rapide tant des professions libérales et techniques que des fonctions de gestion et de surveillance, [56] les changements structurels ont été plus prononcés au cours des années 1960 que des années 1970, et que l'héritage de statut est plus marqué chez les cadres et les professionnels que chez les ouvriers (environ 2,5 fois plus en 1974). De nouvelles analyses de ces données (Béland, 1982, 1987) vont révéler que l'hérédité de statut s'est accrue entre 1954 et 1974 dans certains groupes (haute administration, propriétaires et dirigeants, classe ouvrière), tout en restant relativement stable dans d'autres catégories.

Mais la mobilité sociale a aussi augmenté avec le temps, en particulier pour les fils de professionnels, d'agriculteurs et surtout de cols blancs. Après 1964, les fils d'ouvriers ont joui d'une plus forte mobilité vers les emplois de cols blancs : au Québec, la frontière entre cols blancs et cols bleus n'était peut-être pas aussi étanche que McRoberts et al. (1976) avaient pu le supposer.

— La mobilité collective d'une minorité

Le développement du réseau public d'éducation au Québec et en Acadie (Nouveau-Brunswick) a joué un rôle clé dans la mobilité sociale ascendante des francophones durant les années 1960 et 1970. L'instruction a été pour eux un instrument de rattrapage et d'accession à des positions plus élevées : un instrument de mobilité collective.

Il faut faire écho ici à une analyse pénétrante rédigée durant les années 1960 par Hubert Guindon. La classe moyenne en gestation y apparaît comme le fruit d'un processus de modernisation lié au rôle croissant de l'État québécois. Celui-ci a mis des institutions en place et créé des emplois dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation (niveau universitaire compris). La Révolution tranquille a engendré une nouvelle classe de technocrates et de bureaucrates qui a remplacé les élites traditionnelles et forme le cœur de la nouvelle classe moyenne. « Dorénavant, le langage récemment importé par la classe moyenne salariée façonnera le langage politique. Cette classe a nettement acquis une importance politique décisive. Je prévois que son premier geste, lorsqu'elle prendra vraiment le pouvoir, sera d'organiser une fonction publique très compétente, ce qui était impossible dans le cadre des anciennes règles politiques rurales. Il va de soi qu'une fonction publique très compétente signifie des rouages bureaucratiques efficaces ainsi qu'un statut supérieur pour la nouvelle classe moyenne » (Guindon, 1990 : 57).

Études sur la mobilité sociale
et la stratification au Canada


On doit à Statistique Canada trois importantes enquêtes sur la mobilité sociale au Canada. Réalisées en 1973, 1986 et 1994, elles suivent toutes la même approche. La première — la Canadian Mobility Survey (CMS) — a été conçue pour faire pendant à la célèbre enquête de Blau et Duncan, menée en 1962 et reprise en 1973 par Featherman et Hauser : elle visait à mesurer la mobilité professionnelle et les chances de mobilité des divers groupes (Boyd et al., 1985). L'accès à un statut et le rôle de l'instruction y sont des dimensions importantes, de même que l'origine ethnique (on veut vérifier si la thèse de la mosaïque verticale de Porter demeure valide), la langue et le sexe. Selon la CMS, la corrélation entre le statut du père et celui du fils ou de la fille témoigne d'une influence moyennement déterminante, et en diminution lente. Dans l'ensemble, le Canada et le Québec peuvent donc être considérés comme des sociétés plutôt ouvertes, où l'accès à une position n'est pas trop affaire d'héritage, et où le statut est acquis plutôt que reçu (Boyd et al., 1985). La croissance de la mobilité totale est principalement due à l'évolution de la structure sociale. Les changements causés par l'industrialisation et l'urbanisation ont entraîné le déclin de l'emploi agricole et l'ouverture de places dans les services, l'administration, les techniques et les professions (Goyder, 1985 ; Goyder et Curtis, 1977).

[57]

La deuxième enquête nationale canadienne (1986) montre, en fonction d'une typologie en huit groupes, que les trois quarts des positions sont occupées par des personnes mobiles, tant au Québec qu'au Canada (Creese, Guppy et Meissner, 1991). Aucun groupe, sauf celui des agriculteurs, ne peut être décrit comme une classe sociale qui s'autoreproduit. Fait plus remarquable, la moitié de la classe formée des cols blancs les plus qualifiés ou exerçant des fonctions de surveillance est issue du groupe des cols bleus. En outre, parmi ces derniers, une majorité substantielle des ouvriers qualifiés ou exerçant des responsabilités provient, soit de cette classe supérieure de cols blancs (43 pour cent), soit des petits cols bleus (33 pour cent). La diversité de la composition sociale des classes devient patente : presque huit hommes sur dix ont connu la mobilité intergénérationnelle, et souvent celle-ci a été substantielle : au moins trois classes franchies, pour environ la moitié des personnes mobiles dans les cas d'ascension et pour le tiers des personnes mobiles dans les cas de régression. Wanner et Hayes (1996) ont appliqué l'échelle de prestige de Pineo et Porter à la même base de données, pour comparer la mobilité sociale au Canada et en Australie. Deux faits ressortent : le système canadien recèle une plus grande part de mobilité structurelle que le régime australien, ce qui explique en particulier la mobilité des agriculteurs, et au Canada un diplôme universitaire neutralise l'effet du statut d'origine sur le statut professionnel atteint.

Selon l'enquête menée en 1994, les modèles de mobilité se stabilisent (H. Gauthier, 1997). À l'intérieur des huit classes de sa typologie, cette enquête fait état d'un taux de mobilité de 73 pour cent pour les Canadiens et de 84 pour cent pour les Canadiennes (les proportions sont identiques pour le Québec). L’autoreproduction est assez faible au sommet de la hiérarchie (18 pour cent en 1986, 20 pour cent en 1994), plus sensible dans la catégorie des employés du secteur des services (35 et 38 pour cent), et encore plus chez les cols bleus, qualifiés ou non (46 et 41 pour cent).

Des chercheurs ont exploité les données des deux dernières enquêtes sur la mobilité sociale de Statistique Canada pour distinguer la mobilité structurelle de la mobilité « de circulation ». Entre les deux dates, étant donné une classification en sept groupes, la mobilité de circulation est passée au Canada de 54 à 57 pour cent pour les hommes (de 51 à 54 pour cent au Québec) et de 35 à 38 pour cent pour les femmes (mais de 34 à 33 pour cent au Québec). La mobilité de circulation est plus forte chez les hommes que chez les femmes parce que, des pères aux filles, la structure de la main-d'œuvre a beaucoup changé : une grande part de la mobilité féminine tient à cette évolution, mais l'écart s'atténue d'une enquête à l'autre. Déjà faible, la part de la mobilité due aux transformations structurelles diminue pour les femmes et pour les hommes ; dans le cas de ces derniers, elle passe de 20 pour cent du total au Canada en 1986, à 16 pour cent en 1994 (Laroche, 1997).

Le plus souvent, les études des années 1970 et 1980 ont abordé la mobilité sociale sous l'angle des probabilités et de l'inégalité des chances inhérente aux différences d'origine sociale, et non sous l'angle de la mobilité totale (Myles et Turegun, 1994). L'intérêt de la plupart des sociologues allait, semble-t-il, aux contraintes structurelles et à l'évolution des structures sociales plus qu'à la mobilité des personnes inscrite dans les tables de mobilité ou d'origines-destinées. La « circulation » et les « chances » sont les deux faces du phénomène de mobilité, mais les secondes ont capté presque toute l'attention. Il faut dire que, loin d'être particulière au Québec ou au Canada, cette tendance a été observée ailleurs, comme le montrent, par exemple, les études de Kingston (1996) aux États-Unis et de Ringen (1996) en Grande-Bretagne.

La mobilité sociale des anglophones
et des francophones


Diverses approches ont été proposées pour examiner la mobilité chez les francophones. Les auteurs d'une première grande enquête (Boyd et al., 1981, 1985) ont étudié les francophones du Québec en tant que groupement. Cette approche a été écartée par Statistique Canada pour l'étude de 1986, qui porte sur la mobilité sociale des francophones de tout le Canada. Puis, pour le « Comparative Class Structure Project » (Clément et Myles, 1994), on a décidé d'étudier tous les répondants de la province de Québec, y compris la minorité anglophone.

[58]

Il est établi que, de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la fin des années 1970, la mobilité sociale totale (inter- et intragénérationnelle) a fortement augmenté, et considérablement atténué les écarts entre anglophones du Canada et francophones du Québec (Garon-Audy, Dofny et Archambault, 1979 ; McRoberts et al., 1976). La mobilité structurelle, en particulier, a été nettement profitable aux francophones (et aux femmes, comme nous le verrons). Les écarts entre francophones et anglophones ont diminué, qu'il s'agisse de répartition entre les classes ou de mobilité :

Dofny et Garon-Audy soutenaient que les modèles de mobilité des Français et des Anglais avaient tendance à se rapprocher, cette convergence étant toutefois liée plus aux changements de la structure de la main-d'œuvre québécoise et à la mobilité structurelle qui en découle, qu'à un décloisonnement des classes (mobilité d'échange) : les différences à ce sujet se maintiendraient au contraire (McRoberts et al., 1976 : 62).



La mobilité sociale des femmes

Le concept de « genre » constitue un autre apport au développement de nouvelles approches à l'étude de la stratification sociale (Lemieux, 1996). Les travaux de cette mouvance, spécialement ceux qui concernent la place des femmes dans la société, forment deux grandes catégories : la plupart portent sur les inégalités et les différences entre les sexes au niveau microsociologique ; mais quelques-uns attribuent au genre le même statut macrosociologique qu'à la classe ou à l'origine ethnique. Ce dernier courant a pris de l'élan dans les années 1990, avec la parution d'un certain nombre d'analyses macrosociologiques traitant le genre comme un facteur structurant des rapports sociaux.

Il vaut la peine de rappeler que les premières études sur la stratification sociale portaient seulement sur les hommes ; les femmes étaient négligées pour des raisons nombreuses et maintes fois critiquées. La situation a commencé à changer au début des années 1970, avec la croissance rapide du domaine des études féminines, soutenue par des subventions de recherche spéciales et la création d'agences gouvernementales chargées de promouvoir l'amélioration de la condition féminine. Beaucoup d'auteurs se sont mis à mesurer et à analyser l'accès (rapide) des femmes au marché du travail, la ségrégation dont elles souffraient sur ce marché et les changements lents mais constants touchant la structure de la main-d'œuvre au point de vue de ses différences entre les sexes.

La Canadian Mobility Survey livre un portrait où les femmes sont moins liées à leur statut social d'origine que les hommes et jouissent d'une plus forte mobilité sociale intergénérationnelle, d'après la comparaison entre la profession de leur père et la leur, au début de leur vie active ou plus tard dans leur carrière (Boyd, 1982). En d'autres termes, le lien entre le statut des pères et le statut des filles paraît plus faible que le lien entre le statut des pères et le statut des fils, essentiellement à cause de la structure des emplois occupés par les femmes, plus concentrées chez les cols blancs et dans le secteur des services. Ces positions sont synonymes de mobilité sociale pour les filles d'ouvrier. Si on isole les effets de la différence de structure professionnelle entre les hommes et les femmes, les écarts de mobilité entre les sexes diminuent beaucoup d'une génération à l'autre, au point de devenir infimes, ce qui donne à penser que la mobilité intergénérationnelle nette (ou mobilité d'échange) est presque identique pour les deux sexes. C'est plutôt la mobilité structurelle — la ségrégation dans l'emploi — qui rendrait compte de presque tout l'écart. L'enquête de 1986 de Statistique Canada a de nouveau confirmé que les femmes jouissent d'une forte mobilité sociale.

Bien que les femmes soient plus mobiles que les hommes eu égard à leur milieu d'origine, elles sont moins sujettes à de nouveaux mouvements en cours de carrière. En d'autres termes, la mobilité intragénérationnelle est moins probable pour elles que pour les hommes (Boyd, 1982). Une fois qu'elles ont atteint une position, les femmes risquent davantage d'y rester, en particulier parce que beaucoup travaillent dans des « ghettos féminins »   d'où   elles   sortent   difficilement. [59] Si on considère seulement les individus mobiles, la mobilité des hommes est proche de celle des femmes aux niveaux inférieurs de la hiérarchie professionnelle, où les modèles de mobilité sont assez semblables pour les deux sexes. Le fossé s'élargit aux niveaux supérieurs, où les hommes sont plus susceptibles d'être mobiles. Goyder (1985b) attribue les différences de mobilité durant la vie active aux interruptions de carrière, puisque la mobilité des femmes célibataires et des femmes qui n'ont pas quitté le marché du travail est beaucoup plus proche de celle des hommes.

Les enquêtes de 1986 et de 1994 de Statistique Canada confirment le haut niveau de mobilité structurelle des femmes, qui occupent pour la plupart des emplois de cols blancs alors que leurs pères étaient ouvriers. Cette mobilité structurelle est cependant moindre en 1994, où plus de femmes sont filles d'un col blanc. Au niveau macrosociologique, des chercheurs ont relevé le caractère sexué des rapports de production sur le marché du travail canadien de l'ère postindustrielle : « Pour les femmes, [ce passage] a surtout signifié le remplacement d'un travail domestique non rémunéré par un emploi rémunéré dans les industries de service » (Boyd, Mulvihill et Myles, 1991 : 408). Les modèles d'emploi masculins relèveraient donc surtout de l'économie industrielle traditionnelle, les modèles féminins de l'économie postindustrielle des services.

Sexe et classe : le projet
Comparative Class Structure and Class Consciousness


Une équipe canadienne a participé au projet Comparative Class Structure and Class Consciousness, inscrit dans une vision néomarxiste de la structure de classes. Boyd, Mulvihill et Myles (1991) ont exploité cette enquête pour montrer que la prédominance des femmes dans les emplois de services n'a aucunement modifié le fossé entre les sexes au chapitre de l'accès aux positions de pouvoir et d'autorité. Dans l'économie des services comme dans la production traditionnelle, les hommes dominent. Clément et Myles, dans un important ouvrage intitulé Relations of Ruling (1994), soutiennent que dans toutes les sociétés capitalistes avancées les nouveaux rapports de pouvoir s'édifient sur la classe et le sexe. La féminisation de la structure de classe a eu un impact important sur les revendications ouvrières et les problèmes liés au travail. Traditionnellement, les grèves opposaient entre eux des hommes, les travailleurs et les patrons, à propos de salaires et de conditions de travail. L'avènement de l'ère postindustrielle et la féminisation du marché du travail ont suscité de nouveaux enjeux : l'équité salariale (question importante au Canada), les garderies, les congés parentaux et sociaux, les horaires flexibles, le harcèlement sexuel et ainsi de suite. Pour Clément et Myles, la féminisation du marché du travail a eu deux conséquences. Elle a modifié les intérêts matériels de la classe ouvrière et les conditions de la négociation du rapport salarial entre le capital et le travail. Et elle a imposé un nouvel ordre du jour : « Les luttes des femmes sur les lieux du travail ne sont pas réductibles à un combat contre les patrons pour obtenir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail ; ce sont aussi des luttes contre les hommes. La cible des politiques de discrimination positive, d'équité salariale et de lutte contre le harcèlement sexuel n'est pas la classe, mais le pouvoir mâle » (Clément et Myles, 1994 : 245). Selon ces auteurs, les rapports de pouvoir, qui se construisent surtout autour de la classe et du sexe, incluent aussi, dans le cas de la société québécoise, les clivages sociaux selon la langue.

Le projet CASMIN

Même si on trouve un large éventail de typologies inspirées des travaux de Wright dans les nombreuses études empiriques qui ont porté sur la stratification sociale au Canada, il faut remarquer qu'aucune équipe canadienne n'a participé au célèbre programme de recherche lancé par Erikson et Goldthorpe (1989), le projet CASMIN. Cependant, de Sève (1994) nous offre un examen comparatif fort intéressant des classifications de Wright et de Goldthorpe, basé sur les données de l'enquête « Social Change in Canada » (1981). Ses principales conclusions sont qu'il n'est pas évident que les approches en termes de classes sociales ont plus de pouvoir explicatif que les classifications selon le statut (échelles de prestige de Pineo), et que la notion de classe n'est pas indispensable pour étudier, [60] par exemple, les différences de revenu. « En étudiant les relations entre le revenu et chacune des caractéristiques qui servent à définir les classes, l'analyste obtient une perception plus riche et plus précise des différences entre deux sociétés ou deux périodes » ajoute de Sève (1994 : 25). Dans un autre texte (de Sève, 1998), en combinant les données de deux enquêtes (Social Change in Canada, 1981 ; Class Structure and Class Consciousness, 1982), le même auteur construit une typologie en sept catégories inspirée de l'approche de Goldthorpe pour effectuer des comparaisons avec les données du projet CAS-MIN. Il analyse alors la fluidité et la mobilité sociales afin de voir si le concept de fluidité sociale qui est au cœur de la théorie de Goldthorpe s'applique à des sociétés comme les États-Unis, l'Australie et le Canada. Les résultats préliminaires montrent que ces trois pays non européens présentent une variante du modèle de fluidité sociale caractéristique des pays européens. Le Canada paraît plus proche des États-Unis sur plusieurs aspects (de Sève, 1998).

Mobilité sociale et reproduction sociale

À la fin des années 1960 et durant les années 1970, sous l'influence de Bourdieu, on attribue un rôle central au système d'éducation dans la reproduction des classes sociales, et on voit en lui un instrument au service de la classe dominante (Cuneo et Curtis, 1975). Ces analyses sonnent un peu faux pour ce qui est du Canada dans la mesure où, durant cette période, le système d'éducation se caractérise par une grande ouverture et une forte croissance grâce auxquelles les études supérieures deviennent accessibles aux étudiants d'origine modeste, et en particulier aux femmes. Au Québec, par exemple, le nombre de femmes ayant accédé à une instruction post-secondaire passe de quelque 2000 à la fin des années 1960 à près de 100 000 quinze ans plus tard. Nous avons sans doute là un exemple de ce que certains appellent « colonisation intellectuelle » : on importe une problématique (la théorie de la reproduction sociale) pertinente à l'analyse d'une société — ici la société française — sans l'adapter convenablement à la société d'arrivée, en l'occurrence le Canada et le Québec, où le système scolaire est en mutation.

Origine ethnique et mobilité sociale :
le Canada est-il (encore) une « mosaïque verticale » ?


L'ouvrage de John Porter sur les rapports entre origine ethnique et stratification sociale (The Vertical Mosaic, 1965) est un classique dans ce domaine au Canada. Son principal constat est que le Canada est une mosaïque (plutôt qu'un « melting pot ») à l'intérieur de laquelle les groupes ethniques s'organisent hiérarchiquement en fonction de la classe et du pouvoir. « Au Canada, écrit Porter, une ségrégation et de ferventes loyautés ethniques sont nées de la séparation entre Anglais d'une part, et Français, Écossais ou Irlandais d'autre part. Elles ont fini par devenir un modèle pour tous les groupes culturels » (1965 : 71). L'analyse des données censitaires de 1931 à 1961 l'amène à conclure que les différences ethniques se perpétuent dans les structures de classe.

De nouvelles analyses ont ébranlé ce diagnostic en faisant ressortir le très faible effet de l'origine ethnique sur la situation professionnelle des personnes nées au Canada durant les années 1970 :

Porter exagère-t-il les effets de la seule origine ethnique sur le statut socioéconomique au Canada ? Il semble que oui, dans la mesure surtout où ces effets concerneraient indistinctement tous les natifs du Canada dans tout l'éventail des positions comprises entre le haut et le bas de la hiérarchie [...] À elle seule, la variable origine ethnique permet très mal de prédire le statut professionnel des personnes nées au Canada, sauf si elles sont d'origine juive ou française ; les juifs sont regroupés dans les postes de professionnels ou de dirigeants, et les francophones demeurent surreprésentés dans les catégories à faible statut (Vallée, 1981 : 645).

De fait, la Canadian Mobility Survey (1973) met en lumière des différences de parcours professionnel entre les groupes selon qu'ils sont nés au Canada ou à l'étranger, ou selon qu'ils sont anglophones [61] ou francophones, mais elle montre aussi que ces différences sont moins prononcées qu'on l'avait cru ou constaté. La mosaïque verticale décrite par Porter pour la période antérieure à 1961 semble avoir perdu de sa réalité eu égard à la classe, mais non en ce qui concerne l'accès aux positions de pouvoir et de prestige. Sur ce plan, l'égalité paraît résulter d'un lent processus (Porter, 1979 ; Clément, 1990 ; Olsen, 1981).

Les travaux des dernières décennies montrent que l'origine ethnique n'est plus un frein à la mobilité, ni en matière d'instruction ni sur le plan professionnel. Tous les groupes étudiés ont fait des gains significatifs à ces deux points de vue au fil des générations (Darroch, 1979 ; Herberg, 1990 ; Li, 1996 ; Wanner, 1986, 1998). Ils n'en étaient pas tous au même point lors de leur entrée en lice, mais sont devenus de plus en plus semblables avec le temps. « Les différences initiales entre groupes d'origines ethniques diverses s'effacent en quelques générations de vie au Canada [...] Voilà qui dément tout à fait la vieille thèse de Porter, qui prédisait la cristallisation des écarts observés à l'entrée en des positions et statuts relativement permanents » (Isajiw, Sev'er et Driedger, 1993 : 191). Ce jugement est excessif. Certes, à l'époque, Porter a conclu à l'existence d'une mosaïque verticale. Mais, après avoir vu les premiers résultats de l'enquête sur la mobilité sociale révélant que l'origine ethnique ne faisait pas obstacle à la mobilité, il a pensé, au dire de Pineo (1981), que son diagnostic aurait sans doute dû être plus nuancé. En tout cas, Wanner (1998), sans trouver de fondement sérieux à l'idée d'une discrimination économique due à des préjugés répandus à l'égard des minorités ethniques immigrées au Canada, constate que les immigrants scolarisés à l'étranger touchent effectivement moins de dividendes sur leur investissement en éducation.

Nouveaux aspects de la stratification sociale

Au début des années 1990, on ne trouve à peu près plus trace des approches des années 1960 axées sur l'oppression nationale du Québec et la dépendance du Canada envers les États-Unis. De nouveaux aspects de la stratification sociale retiennent l'attention : la polarisation, les effets de génération, la représentation des inégalités, l'exclusion, la pauvreté. Faisons brièvement ressortir quelques tendances, et les résultats de certains travaux.

La polarisation

La polarisation de la société et le déclin de la classe moyenne sont des aspects de la stratification sociale qui ont fait l'objet d'études et de débats depuis plus d'une décennie. La société canadienne s'est beaucoup transformée entre 1960 et les années 1990. Le nombre d'agriculteurs a radicalement diminué (presque tous se sont mués en petits entrepreneurs généreusement soutenus par les gouvernements), l'emploi a bondi dans l'économie des services, et les catégories professionnelles hautement qualifiées se sont diversifiées et ont gagné des effectifs : professionnels, cadres intermédiaires et supérieurs, techniciens qualifiés. L'économie canadienne a continué à subir de profonds changements : effondrement des rapports de travail de type fordiste, montée du néolibéralisme, pressions pour la réduction de la taille et du rôle de l'État, libéralisation du commerce sur le continent nord-américain dans la foulée des accords de libre-échange.

Selon Myles (1988), la qualification de la main-d'œuvre a augmenté au début de cette période, durant les années 1960 et 1970, grâce à l'expansion du réseau d'enseignement ; ce progrès a contribué au développement d'une nouvelle classe moyenne composée de divers types de professionnels, techniciens, scientifiques et gestionnaires. Mais, contrairement au processus décrit par Guindon au Québec dans les années 1960, cette nouvelle classe moyenne trouve ses emplois dans le secteur privé. Dans la foulée de ces changements, Myles, Picot et Wannell (1993) observent un déclin de la main-d'œuvre manufacturière, lié au mouvement de désindustrialisation qui va de pair avec le déclin absolu et relatif du secteur secondaire. Ils soulignent, en même temps, la croissance et le caractère évolutif de l'emploi du secteur des services, où se multiplient les emplois mal payés et peu qualifiés, typiques du marché privé souvent moins syndiqué que le secteur public. Selon eux, cependant, la désindustrialisation et la prolifération des emplois de mauvaise qualité dans les services ne sont pas la cause du déclin de la classe moyenne. Ils croient plutôt que ces emplois faiblement [62] rémunérés sont des points de départ ou d'accès pour les personnes qui font leur entrée sur le marché du travail, et des points de chute pour les travailleurs plus âgés. Ils proposent une nouvelle lecture de cette situation qui pourrait se résumer ainsi : on assiste à un vaste mouvement de restructuration et de redistribution des emplois au sein des entreprises plutôt qu'entre les entreprises, accompagné d'un important effet de génération. Les jeunes absorbent le coût de la restructuration des entreprises, et leur mobilité ascendante est menacée :

Toutes les études canadiennes et américaines sur la restructuration de l'emploi font état de pertes d'emplois. Les gains résultent avant tout de la redistribution des emplois entre entreprises d'un même secteur industriel plutôt qu'entre secteurs industriels [...] Les conséquences de la restructuration risquent d'être encore plus graves que ne l'avaient envisagé les théoriciens de la désindustrialisation. Comme la restructuration se déroule entre les firmes et à l'intérieur des industries, la distribution des salaires et des gains se polarise au sein même de chaque secteur industriel et au sein des professions, c'est-à-dire dans toute l'économie (Myles et al, 1993 : 174).

Pour Myles et ses collaborateurs, le scénario des « MacJobs » colle à la réalité, mais il détourne l'attention de changements en cours plus fondamentaux, en particulier la restructuration intra-industrielle et la prolifération dans tous les secteurs, services compris, des petites entreprises offrant des emplois à bas salaires, surtout aux nouveaux venus : les jeunes. Plusieurs auteurs font remarquer que les petites entreprises accroissent leur part de l'emploi dans beaucoup de secteurs importants, mais spécialement dans la production de biens. Myles et ses collaborateurs imputent à cette évolution « une influence plus grande sur la distribution des gains salariaux et sur l'égalité des chances » (1993 : 189). La disparition prévisible de la production de masse fordiste et des hauts salaires qui y étaient associés freinera également la mobilité économique ascendante des jeunes. Au total, cette étude, basée sur les caractéristiques professionnelles des individus, appuie la thèse du déclin de la classe moyenne.

Le concept de polarisation a certes été l'un des apports les plus importants à l'étude de la stratification sociale durant les années 1980 et 1990. Wolfson (1993) pense toutefois que les chercheurs ne choisissent pas toujours les meilleures méthodes pour illustrer le déclin de la classe moyenne ; le revenu personnel, en particulier, ne convient pas à cette démonstration, et la confusion entoure les concepts d'inégalité et de polarisation. Ce chercheur a donc créé une nouvelle mesure de la polarisation basée sur la courbe de Lorentz, l'indice P. La proportion d'unités ou d'individus situés entre 0,75 et 1,50 par rapport à la médiane est aussi, malgré son caractère fruste, une mesure satisfaisante de la polarisation.

Les études sur les revenus individuels montrent clairement l'existence d'une polarisation ou d'un déclin, entre 1974 et 1995, de la proportion des individus, femmes ou hommes, situés au centre de la distribution, tant au Canada qu'au États-Unis. Mais le portrait est tout à fait différent lorsqu'on prend le ménage comme unité d'analyse et lorsqu'on considère les revenus disponibles (après impôts directs). Cette fois, la thèse du déclin de la classe moyenne, du moins en termes de revenu, ne se vérifie pas au Canada. « Une fois ajustée en fonction de la taille et de la composition, la polarisation du revenu des familles a régressé au Canada entre 1985 et 1995, mais elle a augmenté au cours des deux décennies aux États-Unis » (Wolfson et Murphy, 1999 : 21). La polarisation paraît en effet plus marquée aux États-Unis qu'au Canada, les indices P passant de 0,272 à 0,264 au Canada entre 1985 et 1995, et de 0,304 à 0,350 dans la société américaine au cours de la même période. Une étude de Morris et al. (1994) confirme ce diagnostic pour les États-Unis, de même qu'une recherche menée par l'Institut C. D. Howe, qui conclut, après examen de données sur le revenu disponible des familles canadiennes, que la classe moyenne ne diminue pas (Beach et Slotsve, 1996). Enfin, Langlois (1994) obtient des résultats similaires dans une étude sur le Québec : un certain déclin de la classe moyenne ressort des données [63] individuelles, mais non des données sur les familles où vit au moins un enfant, ni des données sur les ménages sans enfants.

Ces recherches montrent clairement la nécessité d'étudier les ménages et non pas seulement les individus. Jusqu'au milieu des années 1980, la plupart des études empiriques sur la stratification sociale utilisent des données sur les individus. On traite la mobilité sociale comme une caractéristique individuelle, et les principaux indices d'inégalité reposent sur des données individuelles. Avec la multiplication des familles à double revenu et des familles monoparentales, il devient clair que le ménage doit aussi être pris en considération dans les travaux sur les structures sociales. L'évolution des revenus illustre la pertinence de cette troisième approche. Des années 1960 au milieu des années 1970, le revenu individuel disponible (en dollars constants) a augmenté de façon continue. Après 1975, l'ascension s'arrête, et le revenu individuel disponible moyen reste à peu près le même durant une vingtaine d'années ; il croît ensuite légèrement. Le revenu familial disponible a augmenté davantage, grâce surtout à l'augmentation de la proportion des épouses travaillant hors du foyer. Dans la deuxième moitié de la décennie 1970, le ménage à deux revenus devient la norme. S'ensuit une accentuation des différences entre les divers types de ménages et de familles. Le niveau de vie des ménages dépend du nombre de pourvoyeurs ; il y a dégradation de la situation socioéconomique relative des familles monoparentales, des ménages formés d'une personne seule et des familles à revenu unique. Dans les années 1960 et 1970, le double revenu exerce un effet égalisateur sur le revenu familial. Cet effet bien connu a été observé dans de nombreuses études réalisées dans plusieurs pays ; il s'est manifesté surtout quand le nombre de ménages à double revenu a commencé à augmenter. Lorsque le double revenu est devenu la norme, comme c'est désormais le cas, l'augmentation de la participation des femmes au marché du travail a engendré un déséquilibre, surtout dans les catégories de revenu faible et moyen (Wolfson, 1986).

Les travaux qui viennent d'être cités portent sur les années 1980 et le début des années 1990. Des études en cours montrent cependant que la polarisation sociale guette la société canadienne au tournant de l'an 2000 puisque la part des ménages qui se trouvent au centre de la distribution régresse légèrement. De même, les inégalités de revenus de marché sont en nette hausse, et les mécanismes de redistribution que sont l'impôt et les paiements de transferts parviennent tout juste à freiner cette augmentation. Nous avançons l'hypothèse que ces phénomènes sont dus à l'apparition d'un important effet de génération qui touche les jeunes ménages avec enfants présents.

L'effet de génération

À la fin des années 1980, les chercheurs se sont vivement préoccupés de l'effet de génération, sensible sur le marché du travail (M. Gauthier, 1994 ; H. Gauthier, 1997) ainsi que dans le revenu (Myles, Picot et Wannell, 1993 ; Jean, 1997) et le niveau de vie des familles (Langlois, 1994 ; Bernard, Meunier et Boisjoly, 1994). Les jeunes travailleurs en général et les jeunes familles ont des revenus moindres que des cohortes plus anciennes comparables au même âge. Cette tendance semble s'être enclenchée vers 1980. Dans la décennie qui a suivi, la situation relative des jeunes s'est nettement détériorée : ils ont été plus nombreux à se retrouver pauvres et sans travail ; les jeunes familles payaient plus cher pour se loger (en termes réels autant que relatifs) et ainsi de suite. La polarisation, plus visible chez les moins de 40 ans, relevait en grande partie, de ce fait, de l'effet de génération. De nouvelles méthodes de recherche (comme les analyses de pseudo-panel) ont permis d'étudier le cycle de vie et les effets de génération avec des données longitudinales.

Un tel effet de génération est particulièrement visible au sein des classes moyennes lorsqu'on analyse les changements dans la structure de leurs besoins révélés par les dépenses de consommation (Gardes, Gaubert et Langlois, 2000). À mesure que les ménages de classe moyenne avancent en âge, la structure de leurs besoins se modifie de manière très importante, ce qui n'est pas le cas pour les autres types de ménages. La classe moyenne est donc caractérisée par un fort dynamisme de la consommation. Or, nous avons observé que cet effet du cycle de vie ne cessait de diminuer dans les années 1980 et au début des années 1990, ce qui va dans le sens d'un [64] changement dans la position relative des classes moyennes. La structure de leur consommation se caractérise alors par une plus grande inertie au cours du cycle de vie, ce qui les rapproche des comportements des classes moins bien nanties. Contrairement à celles des générations précédentes, les nouvelles classes moyennes paraissent moins en mesure d'améliorer leur niveau de vie à mesure que leurs membres avancent en âge.

La représentation des inégalités

Les chercheurs canadiens se sont également intéressés à la représentation sociale des inégalités et à la perception de l'identité collective. Cuneo (1996), à partir de données recueillies par l'ISSP en 1992, constate que les personnes qui occupent le bas des diverses échelles socio-économiques sont plus susceptibles de trouver que la société est pleine de clivages et d'inégalités, tandis que les gens plus privilégiés inclinent davantage à retenir des images plus égalitaires de la société. Saunders (1996) réfléchit sur la sensibilité au genre et sur ses rapports avec le sentiment d'égalité chez les Canadiennes, et fait une découverte qui peut surprendre : ce ne sont pas toutes les femmes qui font entendre une « autre voix » quand il est question de genre et d'inégalité. Décelant même des différences plus grandes entre les femmes elles-mêmes qu'entre hommes et femmes, elle écrit : « Le genre ne confère pas d'emblée une identité qui jouerait un rôle prééminent dans la genèse des attitudes ; il interagit avec bien d'autres variables » (Saunders, 1996 : 158).

Laczko se signale par ses travaux sur le bien-être subjectif. Il se sert des données d'enquêtes menées en 1970, 1977, 1985 et 1991 pour examiner la perception des inégalités sociales au Québec : « les francophones, constate-t-il, sont beaucoup plus prompts à percevoir les inégalités que les anglophones et, au sein de chaque communauté, on est d'autant plus sensible aux inégalités qu'on est plus instruit » (Laczko, 1995 : 126). Dans une autre publication où il exploite les données d'une enquête sur les inégalités menée par l'ISSP en 1992, il note que les Québécois sont plus favorables aux interventions de l'État contre les inégalités (Laczko, 1998). En référence à la typologie des régimes d'État-providence d'Esping-Andersen, comme cet auteur, il rattache le Canada au modèle « libéral » anglo-saxon, à cette réserve près que les Québécois lui paraissent plus proches du modèle « corporatiste » européen représenté, notamment, par la France, l'Allemagne et l'Italie. Cette étude confirme la nécessité de tenir compte du palier « national » à l'intérieur de l'État canadien.

L'exclusion et la marginalité

On trouve dans la littérature des travaux toujours plus nombreux sur les phénomènes d'exclusion. C'est une différence marquée par rapport aux années 1960 et 1970, où l'intérêt portait sur les positions occupées au sein de la hiérarchie sociale. Actuellement, on accorde plus d'attention aux divers aspects de l'inclusion et de l'exclusion : inégalités d'accès au marché du travail et chômage, chez les jeunes surtout, relégation des travailleurs vieillissants, précarité, augmentation du nombre de sans-abri et des clientèles non protégées par le filet de sécurité sociale, problèmes d'intégration et de participation à la vie de la société chez les immigrants.

Dans les sociétés industrialisées, l'emploi est le facteur clé de l'intégration sociale et sans doute aussi du statut socioéconomique. Mais l'avènement de l'ère postindustrielle fait surgir de nouveaux facteurs d'inclusion et d'exclusion. Le type de ménage auquel on appartient est du nombre. Le double revenu devient la norme pour un nombre croissant de familles, surtout les plus jeunes, et de lui dépend l'accès à un niveau de vie décent. C'est pourquoi le divorce est souvent un drame, du moins à court terme, pour les femmes qui ont de jeunes enfants et peuvent difficilement travailler hors du foyer. Une majorité de familles monoparentales vit effectivement sous le seuil de faible revenu.

Le rôle de l'instruction aussi a changé. Il importe désormais d'avoir un diplôme pour prendre part à la société. Un nouvel aspect [65] du rôle du système d'éducation est ainsi devenu objet d'étude au cours des années 1980 : le processus d'acquisition d'un diplôme. Le diplôme détermine de plus en plus l'accès aux emplois (Murphy et Welch, 1992). Dans les années 1960 et 1970, bien des gens sans diplôme atteignaient des positions assez élevées sur le marché du travail, car les besoins de main-d'œuvre évoluaient rapidement et les syndicats parvenaient à donner aux travailleurs un grand pouvoir de revendication. Puis le système d'éducation a produit des contingents de diplômés dans toutes les disciplines, et le diplôme est devenu un critère pour l'obtention d'un nombre croissant d'emplois, son effet pervers étant de bloquer les parcours de mobilité des gens sans instruction ou sans formation adéquate. La relation entre instruction et inégalités est moins prononcée au Canada qu'aux États-Unis, Freeman et Needel (1991) le soulignent, mais il est clair qu'elle augmente, comme le constatent Fréchet et Bernier (1991). Durant les années 1990, le lien entre diplôme et qualité de l'emploi était plus étroit, et les gens dépourvus d'un minimum d'instruction étaient plus vulnérables sur le marché du travail. Depuis la fin des années 1980, même les étudiants moyennement instruits ont éprouvé des difficultés sur le marché du travail. C'est un effet inattendu du développement du système d'éducation : l'accès à de nombreux emplois dépend de la scolarité, et les écarts de revenu entre les personnes nanties d'un diplôme universitaire et les autres tendent à se creuser (Morissette, 1995).

La pauvreté

Durant les années 1990, le problème de la mesure des degrés de pauvreté a alimenté les travaux scientifiques et les débats publics. Il n'existe pas de mesure officielle du seuil de pauvreté au Canada. On croit souvent à tort que le seuil de faible revenu de Statistique Canada en est une, mais il renvoie à un autre concept : l'inégalité. La confusion dans le débat public vient du fait que certains groupes se servent quand même du seuil comme s'il mesurait la pauvreté. Sarlo (1992) a proposé une nouvelle mesure fondée sur le coût d'un panier de biens essentiels : nourriture, logement, transport, divers biens de première nécessité. Son travail, soutenu par un institut de recherches économiques indépendant connu pour ses orientations de droite, le Fraser Institute, a été la cible de critiques qui le soupçonnaient d'avoir conçu cette mesure de manière à abaisser artificiellement le taux de pauvreté au Canada. En 1998, Statistique Canada et Développement des ressources humaines Canada ont décidé de définir un véritable seuil de pauvreté correspondant au coût d'un panier de consommation rempli de produits et de services essentiels, afin d'évaluer l'efficacité des efforts du gouvernement pour combattre la pauvreté. Ce travail se poursuit.

Gardes et Langlois (suivant une approche développée par Gardes pour caractériser la pauvreté en France) proposent un « indice multi-dimentionnel de pauvreté-richesse » fondé sur trois dimensions : la non-satisfaction des besoins de base, le degré de participation à la vie en société (ou le degré de marginalisation) et l'insuffisance du revenu. L'indice mesure le statut socio-économique des ménages au sein de la société et il distingue en particulier deux groupes de ménages pauvres, les pauvres et les quasi-pauvres (Gardes et Langlois, 1995). L'originalité de cet indice tient au fait qu'il décrit la position des ménages en fonction d'un groupe de référence, ce qui amoindrit les risques de déformation inhérents aux analyses longitudinales, et il permet l'analyse des comportements de populations pauvres dans le temps. Il repose sur le postulat que les ménages n'évoluent pas tous ni toujours dans le même espace social, et définissent leur position sociale en référence à différents groupes.

Une analyse des données provenant d'enquêtes budgétaires canadiennes de 1969 à 1996 a permis de dégager un résultat empirique important. Quand un poste de consommation est dynamique temporellement (son coefficient budgétaire augmentant rapidement lorsque le revenu croît entre deux périodes), il est plus différencié socialement qu'il ne croît temporellement. Ce résultat signifie que l'évolution temporelle des revenus des ménages les moins nantis ne leur permet pas d'atteindre les positions acquises par les ménages les plus riches (Gardes, Gaubert et Langlois, 2000 : 23). Autrement dit, les ménages riches augmentent encore plus vite leur consommation de biens de luxe que ne le font les ménages occupant une position moins élevée. Un résultat semblable a été obtenu pour la France.

[66]

Conclusion

L'âge d'or de la recherche sur la stratification sociale au Canada et au Québec a duré du milieu des années 1970 à la fin des années 1980. Deux cadres conceptuels principaux ont dominé la scène intellectuelle : les approches en termes de statut et les approches en termes de classes. Les sociologues canadiens et québécois ont construit séparément leurs mesures du statut social et des classes sociales, adaptant parfois au contexte canadien des théories sociologiques élaborées ailleurs. Au Québec, les marxistes français ont eu de l'influence durant les années 1970, mais les sociologues ont aussi créé des classifications socioprofessionnelles originales, notamment une échelle de prestige (Code Rocher) et une approche en termes de classes spécifique à la société québécoise (la typologie de Garon-Audy). Au Canada, c'est la notion de statut qui a fondé l'approche prédominante, et inspiré la construction d'échelles et d'indices nouveaux par les sociologues. Les théories marxistes ont également joui d'une grande faveur, et les classes d'Olin Wright ont inspiré beaucoup de travaux sur la stratification.

En outre, on a abordé la stratification à un niveau macroscopique, en rattachant les statuts individuels à la situation de la société dans son ensemble, face à une autre société (le Canada pour le Québec, les États-Unis pour le Canada). La notion de mobilité collective d'une minorité constitue un apport original de la sociologie canadienne à l'étude de la mobilité sociale. Enfin, et ce n'est certes pas négligeable, les travaux réalisés au Canada ont illustré l'importance de l'unité d'analyse à retenir pour l'étude de la mobilité et de la stratification sociales.

Simon Langlois
Département de sociologie
Université Laval

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[1] Merci à Michel de Sève, Nicole Bousquet et Paul Bernard, qui ont commenté la première version de ce texte.

[2] On trouvera des informations supplémentaires et l'expression de divers points de vue sur les identités nationales canadienne et québécoise dans Dumont (1993), Bourque et Duchastel (1996), Langlois (1995, 1999) et McRoberts (1997).

[3] Soit la classification du recensement, l'échelle de Rogoff, le Code Rocher et les classifications de Garon-Audy et de Pineo et al. Selon lui, l'échelle de Blishen caractérise les professions de la même manière que le revenu ou le niveau d'instruction.

[4] Les sociologues nord-américains emploient les termes skilled, semi-skilled et unskilled workers pour catégoriser les ouvriers. Les sociologues québécois utilisent de leur côté les termes ouvriers qualifiés, semi-qualifiés et non qualifiés. En France, on emploie le qualificatif « spécialisé » au lieu de « qualifié », comme dans l'expression connue « O.S. » (ouvrier spécialisé), qui correspond à la désignation québécoise « ouvrier non qualifié ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 9 novembre 2020 6:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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