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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Yvan Lamonde, Territoires de la culture québécoise.
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Yvan Lamonde, Territoires de la culture québécoise. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1991, 293 pp. [Avec l'autorisation conjointe de l'auteur et du directeur des Presses de l'Université Laval accordée le 9 juin 2021 de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

Territoires de la culture québécoise

Introduction

La méthode : le chemin une fois parcouru.
Georges DUMÉZIL.


En ce temps-là, l’enseignement de la philosophie à la Faculté de philosophie de l’Université de Montréal était d’une indicible intemporalité. Descartes, Hume, Kant, Heidegger avaient avalé leur acte de naissance. Seul un cours sur la philosophie américaine, mal vu d’ailleurs dans la Faculté, invitait quelques étudiants à lire Perry Miller sur l’esprit de la Nouvelle-Angleterre, H. W. Schneider sur l’histoire de la philosophie aux États-Unis ou Henry David Thoreau, le philosophe dans les bois. Nous y découvrions l’espace et le temps dont Kant faisait pourtant les catégories à priori de l’entendement ! Le professeur Roland Houde, titulaire du cours sur la philosophie américaine, entreprit, l’année du centenaire de la Confédération canadienne, une recherche sur la philosophie au Canada à laquelle il associa quelques étudiants. Puis la maîtrise en philosophie terminée, ce fut l’inscription en histoire à l’Université Laval où œuvraient alors les historiens intéressés par l’évolution sociale et culturelle.

Un défi clair s’imposait : faire l’histoire de la philosophie au Québec [1] et mener à terme une histoire des idées, du XVIIIe siècle à la Révolution tranquille, comme en connaissaient la France, l’Italie, les États-Unis et bien d’autres pays.

Cette histoire de la philosophie passait principalement par celle de l’éducation mais, déjà, une recherche plus ample s’imposait pour retracer la philosophie dans les imprimés, dans les bibliothèques personnelles ou publiques, dans la librairie, dans des conférences. L’histoire des idées philosophiques allait cette fois descendre au ras du sol, au niveau des hommes, des institutions, de la diffusion.

[2]

Premier défi : délimiter un territoire, placer les points cardinaux, déterminer les appellations : histoire des idées, histoire intellectuelle, histoire culturelle, histoire des mentalités. La première étape consistait à prendre acte de l’arpentage déjà effectué, à faire le point sur l’état des connaissances de l’histoire de la culture québécoise [2].

Des historiens travaillaient certes sur des aspects de la culture - l’éducation, les relations France-Québec, les idées libérales ou ultramontaines -, sans toutefois cadastrer ce vaste domaine, sans trop se préoccuper de cartographier ce territoire, de repérer les terrains, d’observer leur juxtaposition. Il fallait s’engager, partir dans les pays d’En-Haut et d’En-Bas de la culture et montrer l’organisation et la cohérence de cet immense territoire de la culture.

La recherche des imprimés philosophiques mena à l’histoire de l’imprimerie [3] au Québec et à l’histoire de la librairie [4] ; celle des bibliothèques [5] conduisit à des associations volontaires où la bibliothèque semi-publique était apparue. Il fallait explorer aussi à l’extérieur des murs des collèges, de ce groupe déjà privilégié de la bourgeoisie qui avait accès à l’éducation classique ; il convenait d’ouvrir socialement le « domaine » de la culture.

L’association se révéla d’abord propre à la ville ou au village. Ses activités typiques - conférences publiques et débats, bibliothèques et salles de journaux - mettaient d’ailleurs en valeur les deux médias du XIXe siècle : la tribune et la presse [6]. On entrait là dans un territoire nouveau, celui de la culture urbaine ; un terrain d’enquête s’imposait, Montréal [7]. Marquée socialement, la culture l’était aussi spatialement.

Nouveau départ, nouvelle exploration. La culture observée dans les associations du genre de l’Institut canadien de Montréal était celle, entre 1840 et 1870, de Québécois et de Montréalais instruits, lecteurs, parfois orateurs et écrivains. Mais il fallait baliser d’autres pistes, avancer dans le XIXe siècle, aller vers la fin du siècle et vers des Montréalais qui ne privilégiaient pas une culture de l’imprimé ou de l’éloquence. Le cinéma qui associait technologie et spectacle visuel parut un domaine prometteur pour explorer à la fois la culture urbaine et la culture dite de masse [8]. Par cette recherche quantitative sur la production, la distribution et la consommation du [3] cinéma, une trajectoire était chronologiquement franchie jusqu’à l’apparition de la radio et de la télévision. Le territoire de la culture n’était plus seulement celui des collèges, des bibliothèques, des associations. Ce n’était plus seulement le territoire réservé d’une élite ou d’une bourgeoisie libérale plus démocratique : la culture concernait, sur le mode du loisir offert et de la consommation, la majorité des citoyens. Avec la mise en place, en cette fin de siècle, d’un système de production, de distribution et de consommation de masse, il importait de dégager la signification des expressions culture de la majorité, culture populaire, culture ouvrière [9], culture commerciale et culture de masse [10]. L’étude d’un parc d’attractions - le parc Sohmer - fut le moyen de comprendre le destin de la culture dans une société où l’économie tertiaire se développait et où la culture-loisir était devenue un bien offert au même titre que le journal ou le tramway [11].

L’histoire des idées, l’histoire intellectuelle avait dégagé l’axe européen, français, de la culture québécoise et le privilège consenti dans ses médias au savoir, au livre, à la revue, au verbe. L’histoire culturelle avait non seulement sensibilisé aux formes d’expression d’autres groupes sociaux et au fait radicalement nouveau que la culture commerciale et le loisir créaient une société de consommateurs, mais elle avait surtout révélé l’axe nord-américain d’une culture visuelle du spectacle ou du cinéma. Il fallait donc aller plein sud, du côté des États-Unis, pour explorer non pas les « menaces de l’américanisation » mais la signification de l’américanité, de l’appartenance non seulement économique mais aussi culturelle du Québec au continent [12].

La « vocation de la race française en Amérique » du théologien-philosophe Louis-Adolphe Pâquet prenait une tout autre signification [13]. Il fallut faire un bivouac et penser à la direction à prendre pour suivre l’évolution des idées au début du XXe siècle. La culture et le loisir de la majorité des Montréalais paraissaient tout à fait de leur époque, bien arrimés à la culture étatsunienne en pleine expansion occidentale. Comment le XXe siècle entrait-il dans les courants d’idées ? Direction : la modernité, c’est-à-dire la place, souvent faite de façon batailleuse, à l’innovation dans la création artistique ou scientifique [14].

[4]

La prospection de ce souci d’innovation en sciences sociales conduisit à la poursuite d’un destin intellectuel, celui du dominicain Georges-Henri Lévesque [15] et à la poursuite d’une piste belge, celle de l’origine de l’intérêt de Québécois pour la question sociale et pour les sciences sociales [16]. La biographie intellectuelle du père Lévesque bouclait chronologiquement un long circuit de biographies d’intellectuels - les abbés Odelin (1789-1841), Raymond (1810-1887) et Désaulniers (1811-1868), Louis-Antoine Dessaulles (1818-1895), l’abbé Louis-Adolphe Pâquet ( 1859-1942) [17] - sans cesse parallèle à une recherche de l’expérience autobiographique québécoise qui dirait la conscience qu’eurent certains de leur itinéraire [18].

Cette longue exploration a permis de cartographier le territoire de la culture québécoise et a mené à l’ouverture de grands chantiers : l’histoire sociale des idées au Québec, l’histoire socio-culturelle de Montréal.

[5]

NOTES

[6]



[1] Voir : Yvan Lamonde, Historiographie de la philosophie au Québec (1853-1971), Montréal, HMH, 1972 ; La philosophie et son enseignement au Québec (1665-1920), Montréal, HMH, 1980 ; « Classes sociales, classes scolaires. Une polémique sur l’éducation en 1819 », dans Société canadienne d’histoire de l’Église catholique, Rapport 1974-1975, p. 43-59 ; Yvan Lamonde et Benoît Lacroix, « Les débuts de la philosophie universitaire à Montréal. Les Mémoires du doyen Ceslas-Marie Forest, o.p. ( 1885-1970) », Philosophiques, 3 (octobre 1976) : 55-79 ; Yvan Lamonde, « L’histoire de la philosophie au Canada français (1920 à nos jours) », Philosophiques, 6 (octobre 1979) : 327-339 ; « Le destin de Descartes au Québec (1665-1920) et la tradition philosophique occidentale », La Petite Revue de philosophie, 8, 2 (printemps 1987) : 151-158.

[2] Voir, dans le présent ouvrage, les textes nos 1 et 2. Voir aussi : Yvan Lamonde, « Histoire, sciences humaines et culture au Québec (1955- 1970) », Revue d'histoire de l’Amérique française, 25, 1 (juin 1971) : 106-113 ; L’histoire des idées au Québec (1760-1960). Bibliographie des études, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1989 ; « L’histoire culturelle et intellectuelle du Québec (1960-1990) : bibliographie des études », Littératures, 4 (1989) : 155-189.

[3] Voir : Yvan Lamonde, « La recherche récente en histoire de l’imprimé au Québec », dans Yvan Lamonde (éd.), L'imprimé au Québec : aspects historiques (18e-20e siècles), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, p. 9-24 ; « Les revues dans la trajectoire intellectuelle du Québec », Écrits du Canada français, 67 (1989) : 25-38 ; Manon Brunet, Yolande Buono, Yvan Lamonde et André Vanasse, Bibliographie des études québécoises sur l’imprimé (1970-1987), Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1991.

[4] Voir, dans le présent ouvrage, le texte no 8. Voir aussi Yvan Lamonde, La librairie et l’édition à Montréal (1776-1920), Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1990.

[5] Voir : Yvan Lamonde, Les bibliothèques de collectivités à Montréal (17e-l9e siècles) : sources et problèmes, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1979 ; « Social Origins of the Public Library in Montréal », Canadian Library Journal, 38, 6 (décembre 1981) : 363-370 ; Yvan Lamonde et Daniel Olivier, Les bibliothèques personnelles. Inventaire analytique et préliminaire des sources, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1983 ; « A Universal Classification for the Study of Nineteenth-Century Libraries and Booksellers », Libraries and Culture, 24, 2 (printemps 1989) : 158-197 ; « Une classification universelle pour l’étude des bibliothèques et de la librairie au XIXe siècle », Documentation et bibliothèques, 35, 2 (avril-juin 1989) : 53-58. Voir aussi, dans le présent ouvrage, le texte no 6.

[6] Voir, dans le présent ouvrage, les textes nos 5 et 7. Voir aussi : Yvan Lamonde, « Le membership d’une association au XIXe siècle : le cas de l’Institut canadien de Longueuil (1857-1860) », Recherches sociographiques, 16, 2 (mai-août 1975) : 219-240 ; Gens de parole. Conférences publiques, essais et débats à l’Institut canadien de Montréal (1845-1871), Montréal, Éditions du Boréal, 1990.

[7] Voir, dans le présent ouvrage, les textes nos 3 et 4.

[8] Yvan Lamonde et Pierre-François Hébert, Le cinéma au Québec. Essai de statistique historique (1896 à nos jours), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1981.

[9] Yvan Lamonde, Lucia Ferretti et Daniel LeBlanc, La culture ouvrière à Montréal (1880-1920). Bilan historiographique, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1982.

[10] Yvan Lamonde, « Pour une histoire de la culture de masse et des médias », Cultures (UNESCO), 8 (1981) : 9-17.

[11] Yvan Lamonde et Raymond Montpetit, Le parc Sohmer de Montréal (1889-1919). Un lieu urbain de culture populaire, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986.

[12] Voir, dans le présent ouvrage, le texte n° 10. Voir aussi : Yvan Lamonde, « Un voisin qui fait écran : le cinéma au Canada et au Québec et les États-Unis », dans Les grands voisins, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1984, p. 227-249 ; « Possibles et impossibles du nationalisme québécois », Possibles, 9, 3 (printemps 1985) : 125- 129 ; « Le cheval de trois », Possibles, 9, 4 (été 1985) : 15-19.

[13] Voir, dans le présent ouvrage, le texte n° 9. Voir aussi Yvan Lamonde, Louis-Adolphe Paquet (1859-1942), Montréal, Fides, 1972.

[14] Voir, dans le présent ouvrage, le texte no 11.

[15] Voir, dans le présent ouvrage, le texte no 12.

[16] Yvan Lamonde, « La trame des relations entre la Belgique et le Québec (1830-1940) : la primauté de la question sociale », dans Ginette Kurganvan Hentenryk (éd.), La question sociale en Belgique et au Canada (19e-20e siècles), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1988, p. 173-183.

[17] Voir : Yvan Lamonde et Louise Marcil-Lacoste, « Jacques Odelin », Dictionnaire biographique du Canada, Québec, PUL, 1988, volume VII, p. 710-712 ; Yvan Lamonde, « Joseph-Sabin Raymond », ibid., 1982, volume XI, p. 803- 805 ; « Isaac Lesieur-Désaulniers », ibid., 1977, volume IX, p. 512-513 ; Jean-Paul Bernard et Yvan Lamonde, « Louis-Antoine Dessaulles », ibid., 1990, volume XII, p. 274-279 ; Yvan Lamonde et Éliane Gubin, Un Canadien français en Belgique au XIXe siècle. La correspondance d’exil de Louis-Antoine Dessaulles (1875-1878), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1991.

[18] Voir : Yvan Lamonde, Je me souviens. La littérature personnelle au Québec (1860-1980), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983 ; « L’autobiographie et l’autoportrait au Québec », Romantisme, 56 (1987) : 123-125 ; « Psychanalyse et topique historique », Frayages (revue de psychanalyse), 3 (1987) : 15-22.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 25 juillet 2021 19:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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