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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Labelle, « RACE » ET RACISME : RÉFLEXIONS SUR LE POUVOIR DES MOTS.” Un article publié dans Directions. Recherche et politique sur les relations raciales au Canada, LE POUVOIR DES MOTS, no 7, hiver 2016, pp. 58-70. Ottawa : Fondation canadienne des relations raciales. [L'auteure nous a accordé le 13 novembre 2015 son autorisation de diffuser électroniquement cette publication dans Les Classiques des sciences sociales.]

[58]

Micheline Labelle

« RACE » ET RACISME : RÉFLEXIONS
SUR LE POUVOIR DES MOTS
.”

Un article publié dans Directions. Recherche et politique sur les relations raciales au Canada, LE POUVOIR DES MOTS, no 7, hiver 2016, pp. 58-70. Ottawa : Fondation canadienne des relations raciales.

Biographie [58]
Résumé [58]
Introduction [58]

Les institutions internationales face à la notion de « race » et au racisme [59]
Le poids et le pouvoir des classifications coloniales [60]
Les débats dans les milieux de recherche face à la notion de « race » et au racisme [61]
L'État canadien et l'État québécois face à la notion de « race » et au racisme [64]
Les organismes de défense des minorités face à la notion de « race » et au racisme [65]
L'antiracisme et/ou multiculturalisme, interculturalisme [65]

Conclusion [67]
Bibliographie [68]


BIOGRAPHIE

Micheline Labelle a obtenu son doctorat en anthropologie à l'Université de Montréal et est professeur émérite de sociologie à l'Université du Québec à Montréal. Elle a été titulaire de la Chaire Concordia-UQAM en études ethniques (1993-1996 ; 2006-2008) et de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l'UQAM (2008 à 2014). En 2003, elle a mis sur pied l'Observatoire sur le racisme et les discriminations, unique au Canada, auquel sont associés plusieurs partenaires. À la demande de l'UNESCO, elle a participé comme experte à l'élaboration du Plan d'action de la Coalition internationale des villes unies contre le racisme. Elle est membre de la Commission sectorielle, Sciences naturelles et sociales de la Commission canadienne pour l'UNESCO. Elle a publié plusieurs ouvrages et articles sur la citoyenneté, le transnationalisme, l'interculturalisme, la question nationale et les minorités. Récipiendaire du Prix Thérèse Casgrain en 1989, elle est également lauréate du Prix Hommage - 40 ans de la Charte des droits et libertés de la personne, remis par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec en 2015 pour son travail dans le domaine du racisme et de la lutte aux discriminations.

RÉSUMÉ

Dans cet article, l'auteure procède à une analyse critique du discours sur le racisme, tel que véhiculé par les institutions internationales, les chercheurs, l'État, les ONG et les associations de minorités. Elle démontre la multiplicité de ce discours, les variations et les controverses théoriques qu'il suscite, ainsi que sa forte imprégnation de la « pensée raciale ». Elle soutient que l'on peut analyser et combattre le racisme sans avoir recours au mot « race », produit même de l'idéologie raciste qui a pour effets pervers de fixer, d'essentialiser les identités en des totalités indifférenciées. Pour elle, l'antiracisme requiert des interventions spécifiques et devrait être tenu distinct des idéologies politiques du multiculturalisme, de l'interculturalisme ou de tout autre discours de promotion de la diversité, des diversités ou de la super-diversité.

Mots clés : antiracisme, catégorisation, classification, discours, États, modèles nationaux, minorités


ARTICLE :

Veuillez noter qu'il s'agit ici de la version française originale de l'article. Les citations issues de sources anglaises y ont été reproduites dans leur version originale.


Au cours de la dernière décennie, divers rapports des Nations Unies ont signalé les difficultés et les confusions liées à l'analyse du racisme, le renforcement des partis d'extrême droite et l'inefficacité des interventions des États démocratiques en matière d'antiracisme. L'augmentation et la diversification des migrations à l'échelle planétaire et le contexte géopolitique ont exigé un renouvellement de la réflexion théorique, des actions de l'État et des [59] stratégies des organisations de défense des cibles du racisme.

Dans le champ d'études du racisme, plusieurs questions font l'objet de débats : la définition même du racisme, la distinction entre racisme colonial et néo-racisme ou racisme culturel, l'islamophobie présentée comme une forme de racisme, la « blanchitude », le recours aux termes « race » et « minorités visibles ».

On pourrait croire que l'idée de « race » a disparu dans les mentalités, mais ce serait faire erreur. Le mot « race » et les qualificatifs qui y sont associés imprègnent encore le discours universitaire, étatique, médiatique, ainsi que celui des mouvements sociaux et des organismes communautaires. Comment cela est-il possible puisque la notion de « race » est un dérivé de l'idéologie raciste, laquelle a servi à justifier le colonialisme, l'esclavage et l'apartheid ? L'idéologie raciste a enfermé des populations entières dans des identités désignées, dénigrées et méprisées. Comment légitimer aujourd'hui les prolongements terminologiques et catégoriels de la période coloniale ? Pourquoi reproduire un regard racisant sur l'altérité, une sorte de race-centrism comme fondement de la pensée ? Poser la question ainsi implique que l'on accorde aux mots un pouvoir certain.

Ce texte propose une analyse critique de l'utilisation de la notion de « race » dans le discours scientifique, le discours gouvernemental et celui des organisations de la société civile qui s'attaquent au racisme, et s'arrête également à la question de l'antiracisme. [1] Mais posons d'abord quelques repères historiques.

Les institutions internationales
face à la notion de « race » et au racisme


Après la Seconde Guerre mondiale, l'UNESCO a tenté d'invalider la notion de « race » dans la Déclaration sur la race (1950). D'éminents chercheurs, dont les anthropologues Claude Lévi-Strauss et Ahsley Montagu, différencient la « race », comme fait biologique, et le « mythe de la race », tout en maintenant le mot « race » (UNESCO, 1979, p 26), ce qui continue à faire controverse.

Adoptée en 1965 et entrée en vigueur en 1969, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ne définit pas le racisme. Elle se limite à définir la « discrimination raciale » à l'article 1 :

Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance, ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique » (ONU, 1969).

On le constatera, le mot « racial » englobe, de façon abusive, toutes sortes de motifs de discrimination.

En 1978, dans sa Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, l'UNESCO propose une définition du racisme qui souligne les effets négatifs du racisme sur ceux qui en sont la cible et sur ses acteurs eux-mêmes, ainsi que i les tensions qu'il crée au sein des États-nations et entre les peuples :

Le racisme englobe les idéologies racistes, les attitudes fondées sur les préjugés raciaux, les comportements discriminatoires, les dispositions structurelles et les pratiques institutionnalisées qui provoquent l'inégalité raciale, ainsi que l'idée fallacieuse que les relations discriminatoires entre groupes sont moralement et scientifiquement justifiables ; il se manifeste par des dispositions législatives ou réglementaires et par des pratiques discriminatoires, ainsi que par des croyances et des actes antisociaux ; il entrave le développement de ses victimes, pervertit ceux qui le mettent en pratique, divise les nations au sein d'elles-mêmes, constitue un obstacle à la coopération internationale, et crée des tensions politiques entre les peuples ; il est contraire aux principes fondamentaux du droit international et, par conséquent, il trouble gravement la paix et la sécurité internationales (UNESCO, 1978, article 2.2., p. 12).

[60]

En 2001, la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée insiste sur le pouvoir des mots. La Déclaration de Durban exhorte les États à « nommer et reconnaître » le racisme (CMCR, 2001a et b). Elle invite les États à se doter de plans d'action et à respecter les engagements pris dans divers cadres. Et elle souligne que les cibles du racisme revendiquent d'être identifiées par leurs noms propres (to call themselves byt heir own names), une revendication qui a marqué les combats des mouvements sociaux pour la justice sociale et la dignité tout au long du 20e siècle, et depuis.

La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance reconnaît à juste titre qu'aucune définition du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme, de l'intolérance n'est universellement acceptée (OSCE/ ODIHR, 2004). Le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et l'intolérance qui y est associée, Doudou Diène, notait avec pertinence la complexification du terrain de la discrimination en raison de l'amalgame des facteurs de « race », de culture et de religion dans la plupart des crises et incidents récents. Il estimait que cet amalgame brouille l'analyse et le diagnostic du racisme et, en conséquence, affaiblit les réponses et les stratégies de lutte (Diène, 2006), ce qui aboutit sur le plan opérationnel à faire du racisme une sorte de fourre-tout.

À la faveur du thème croissant de l'intersectionalité des discriminations, il ne faut pas se surprendre de la tendance à associer la promotion et la gestion de la diversité, des diversités ou de la super-diversité avec l'antiracisme. Ainsi, le Livre blanc sur le dialogue interculturel du Conseil de l'Europe (2008) prône la formation, le rapprochement, la valorisation des cultures, l'apprentissage des langues, la compréhension des religions, etc. tout en incluant des suggestions référant à la nécessité d'adopter une législation sévère contre les « discours de haine », de former les membres du système de justice, de soutenir les personnes victimes du racisme, de favoriser la participation politique des citoyens sous représentés et autres mesures (2008, p. 43). En 2004, l'UNESCO lançait son projet de Coalition internationale des villes contre le racisme. Depuis, une soixantaine de municipalités ont adhéré à la Coalition canadienne des municipalités contre le racisme et la discrimination, qui encourage ses membres à élaborer leur propre plan d'action, conformément à 10 engagements communs, dans trois domaines de responsabilité municipale : la municipalité comme gardienne de l'intérêt public ; la municipalité comme organisme protecteur des droits de la personne ; la municipalité comme communauté partageant la responsabilité du respect et de la promotion des droits de la personne et de la diversité. Et en effet les municipalités s'inspirent de guides de bonnes pratiques qui allient intimement mesures antiracistes et mesures de promotion de la diversité, sous le label du multiculturalisme, de l'interculturalisme ou de l'intégration.

Parallèlement, les institutions internationales recourent encore largement au mot « race » pour combattre le racisme. Il en va de même des textes émanant du milieu de la recherche, des gouvernements et des ONG, comme on le verra dans les sections suivantes. Alors que les études « post » de tous genres (post modernes, post coloniales, post apartheid, etc.) dominent dans les universités, et que l'on insiste sur le caractère construit et situationnel des identités, il me semble contradictoire de recourir encore à une notion appartenant à l'univers terminologique colonial.

Le poids et le pouvoir
des classifications coloniales


La pérennité du mot « race » tient au fait que l'idéologie raciste infiltre les recensements, les politiques publiques et les sciences sociales. Comme Omi Winant le soulignait : « All the social sciences originate in raciology and race management, a fact that is rarely acknowledged » (Winant, 2015, p. 2176). Le 20e et le 21e siècle portent les traces toujours bien vivantes de l'esprit colonialiste et les États-nations ne [61] manquent pas de jouer leur rôle dans l'essentialisation et la racisation de la différence.

L'idéologie raciste a produit une variabilité de classifications dans les Amériques. J'ai étudié ce phénomène sur le terrain, en profondeur, et démontré dans Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti comment la terminologie désignant les types de couleur est complexe, intériorisée par les acteurs sociaux et sert de vecteur de statut social. En effet, le lexique n'est pas arbitraire car il témoigne du fossé entre les classes sociales et de l'utilisation de l'idéologie de couleur par les dirigeants politiques, depuis le système colonial à St-Domingue et l'indépendance d'Haïti en 1804 (Labelle, 1979). Loin de se réduire aux binômes Noirs/Blancs ou Noirs/ Mulâtres, le répertoire des termes pour désigner divers types de couleur est extensible et révèle une stratification complexe, aliénante, anti-citoyenneté. Entre le « noir » et le « blanc », la classification des types physiques perdure (marabout, brun, griffe, grimaud, mulâtre, quarteron). À son tour, chacun de ces termes fait l'objet de sous-catégories nuancées.

Ce phénomène s'observe partout dans la Caraïbe et ailleurs. Le Brésil par exemple distingue cinqB catégories de couleur : branco (blanc), pardo (brun), preto (noir), amarelo (jaune) et « indigènes » (cité dans Working Group of Experts on People of African Descent, 2005, p. 6).

Selon Prewitt, le premier recensement de la République américaine a classifié sa population en « races ». De 1790 à 1990, les catégories ont été modifiées de recensement en recensement, mais le gouvernement a toujours maintenu la position selon laquelle chaque Américain doit être classé dans une seule catégorie (Prewitt, 2005, p. 5). La règle sociale de l'hypodescendance (one drop rule) prévaut. Elle s'appuie sur un système binaire et le perpétue : tout individu réputé avoir un ancêtre « noir » est catégorisé comme « Noir », même s'il a l'apparence du « Blanc » (Patterson, 1997, p. 68 ; Hollinger, 2005 ; Appiah et Gutman, 1996). On définit ainsi le président Obama. Mais la classification a évolué. Le terme "Negro" initial sera remplacé dans le recensement par les termes Black, Afro-American ou African-American. En 2010, en plus des catégories dites ethniques, les catégories raciales étaient les suivantes : American Indian or Alaska Native, Asian or Pacific Islander, Black, White, African American, two races, Asian Indian, Japonese, Pacific Islander, etc. Comment a-t-on pu construire de tels agrégats ?

Au Canada, les mots « nègre » {negro), « mulâtre » (mulato), « métis » et « sauvage » figurent dans le recensement dès 1851. Le terme « Nègre » est encore présent en 1961. La notion de « minorités visibles » dans le contexte canadien s'implante dans les années 1980 : « personnes autres que les autochtones qui ne sont pas de race blanche ou qui n'ont pas la peau blanche et qui se reconnaissent comme telles auprès de leur employeur » (Emploi et Immigration Canada, 1992). Cet assemblage comprend les Noirs et/ou les Antillais, les Chinois, les Sud-Asiatiques, les Arabes et le Ouest-Asiatiques, les Asiatiques du Sud-Est, les i Latino-Américains et les individus originaires des îles [du Pacifique. En 1992, les Libanais ont été ajoutés à cet [ensemble.

Une fois immigrés en Amérique du Nord ou en Europe, les citoyens perdent leur identité nationale pour se retrouver, sans l'avoir nécessairement revendiqué, dans les catégories de « Noirs » ou de « minorités visibles » ou de « communautés noires ». Quant aux citoyens d'Afrique du Nord, ils basculent également dans les classifications de « minorités visibles » ou de « communautés musulmanes », l'entrée en scène et la résurgence du religieux ayant complexifié la donne. Ce lourd héritage n'est pas facile à déconstruire.

Les débats dans les milieux de recherche
face à la notion de « race » et au racisme


Alors que l'on célèbre le métissage, la super-diversité et les diversalités sur la scène internationale (Labelle, 2015), force est de constater que la catégorisation de l'État réfère encore largement à la notion de « race » (à titre de mythe social ou de signe) et contribue [62] inéluctablement à maintenir vivante l'idée qu'il existe des « races », tout en ayant pour objectif de combattre le racisme. Comment, dans ce contexte, développer un langage qui rende compte du racisme, qui dénonce l'idée de race dans le discours ordinaire, sans faire de la race un concept analytique et interprétatif ? Cette question ne fait pas l'unanimité chez les spécialistes du racisme.

Les théoriciens du colonialisme interne et des études postcoloniales ont soutenu depuis longtemps, et avec raison, que l'incorporation des minorités coloniales en Amérique du Nord ne peut être pensée selon le modèle de l'ethnicité. Il y a une nécessaire distinction à maintenir entre minorités issues de migrations volontaires et minorités issues de migrations forcées. Mais au-delà de cette essentielle distinction, la question de la « race » fait divergence.

Pour nombre de chercheurs, la « race » est profondément ancrée dans les modes de pensée et d'action et demeure une composante centrale de l'identité des minorités et de leurs pratiques de résistance (Wallis et Fieras, 2009, p. X) ; race matters dans la réalité et dans le discours scientifique et on défend résolument la pertinence de ce mot. Selon Winant, l'un des enjeux majeurs de l'ère postcoloniale I et post droits civiques oppose deux écoles de pensée : l'argument non racialiste (colorblindness) et la position selon laquelle l'organisation sociale et la conscience raciale (race consciousness) continuent à opérer dans tous les domaines : distribution des ressources, contrôle social, mouvements pour l'égalité et la justice (Winant, 2004, p. 4).

Les théoriciens des whiteness studies ont poussé cet argument à bout. Ils jugent que nommer la « race » est essentiel à la lutte contre le racisme, même si elle relève du mythe social. Ils parlent d'identité blanche, de privilège « blanc », de domination « blanche », de suprématie et de norme « blanches ». La whiteness (blancheur, blanchitude) s'intéresse aux « spécificités de l'expérience sociale liée au fait d'être blanc, par rapport à celle découlant d'une identité noire, asiatique, ou indienne par exemple » (Garner, 2007, p. 58). Le « corps blanc » est imaginé à titre de standard normatif (Kobayashi et Johnson, 2007, p. 10).

Or, même si ce courant s'intéresse à la construction sociale des « identités blanches », et même si la « race » peut avoir le statut d'objet de recherche, ce qui est intéressant et légitime, cela ne justifie pas que les chercheurs en fassent un concept analytique intégré à une théorie du racisme. La recherche doit se distancer des catégories empiriques, des pratiques et des discours observés et recensés sur le terrain.

Le débat a rejoint les associations professionnelles. Ainsi, l'American Sociological Association plaide en faveur du statu quo et prend position en faveur des notions de « race » et de catégories raciales :

Sociologists have long examind how race - a social concept that changes overtime- has been used to place people in categories. Some scientists and policymakers now contend that research using the concept of race perpetuates the negative consequences of thinking in racial terms. Others argue that measuring differential experiences, treatment, and outcomes across racial catégories is necessary to track disparities and to inform policymaking to achieve greater social justice. The ASA, an association of some 13,000 US and international sociologists, find greater merit in the latter point of view (...) Refusing to acknowledge the fact of racial classifications, feelings, and actions, and refusing to measure their consequences will not eliminate racial inequalities. At best, it will preserve the status quo » (ASA, 2003, p. 1).

À contre-courant de cette tendance dominante, des spécialistes britanniques, français, américains et canadiens plaident en faveur de l'élimination du mot « race » et contestent la position qui consiste à lui attribuer le statut de catégorie analytique. Je me situe dans cette perspective critique.

Dans les années 1990, Orlando Paterson insistait sur la nécessité de changer la terminologie conventionnelle pour parler des relations entre groupes dans la société américaine :

[63]

The term race must be abandoned, or, as Ashley Montagu suggested years ago, where absolutely necessary it should be used only in quotation marks [...]. We should drop the terms black and white while talking about Afro-Americans and Euro-Americans. We should, instead, talk about ethnic groups (Patterson, 1997, p. XI et 173).

Antonia Darder et Rodolfo Torres faisaient ressortir les pièges du race thinking aux États-Unis :

[...] the everyday use of race for symbolic or political purposes must be uprooted, along with outdated biological assertions. [...] the circularity of race logic leaves little possibility outside the realm of determinism. The power that ratifies race thinking is, wittingly or unwittingly, grounded in the notion that race, whether biological or cultural, is immutable - indivisible from the essential character of individuals (Darder et Torres, 2004, p. 3-5).

Leur critique ne se limite pas à nier l'existence de la « race » d'un point de vue biologique ou social. Une telle critique est insuffisante et soulève des problèmes théoriques importants. Le langage de la « race » emprisonne la pensée sociale américaine :

[...] The problem of the twenty-first century is the problem of "race" —an ideology that has served well to successfully obscure and disguise class interests behind a smokescreen of multiculturalism, diversity, difference and more recently, whiteness. (Darder et Torres, p. 11).

De plus, le paradigme de race thinking ou de race-centrism repose aussi sur le postulat selon lequel la « race » est le déterminant principal de la stratification aux États-Unis, les inégalités sociales s'expliquant par le racisme de la majorité blanche et des institutions de l'État. Selon Wimmer, ce postulat mérite d'être remis en question à partir d'analyses prenant appui sur des bases empiriques solides (Wimmer, 2015, p. 2186).

En France, la juriste Danièle Lochak estime que la prohibition du racisme par la loi signifie que les discriminations racistes sont contraires aux valeurs fondamentales du pays. Mais, se demande-t-elle, « cette fonction de la loi n'est-elle pas contrecarrée par le phénomène de reconnaissance que produit l'inscription dans les textes du mot race ? (...). Lorsque le législateur, en effet, proscrit les discriminations fondées sur la race, n'entérine-t-il pas en même temps leur existence, ne leur confère-t-il pas une objectivité ambiguë ? » (Lochak, 1998, p. 42).

Le concept de racisation/racialisation qui est au cœur de l'analyse sociologique du racisme chez Robert Miles représente une alternative. Il implique clairement que les groupes cibles du racisme sont des groupes qui ont été l'objet d'une assignation identitaire relevant de l'idéologie raciste : « [Racialization is an ideological process of] delineation of group boundaries and of allocation of persons within those boundaries by primary reference to (supposedly) inherent and/or biological (usually phenotypical) characteristics » (Miles, 1989, p. 74).

Dans cette même veine, Vie Satzewich souligne les travers des analystes qui persistent à parler de « race » : « When American commentators assert "Black/White relations in the United States are at a breaking [point", they are constructing collectivités on the basis of physical characteristics, and hence defining a relationship between groups in a racialized fashion » (Satzewich, 1998, p. 32).

On doit donc pouvoir analyser le racisme, ses manifestations, ses niveaux et ses logiques, comparer les disparités et les inégalités sociales, et s'engager dans l'antiracisme sans recourir à un discours contaminé par une notion qui est le produit de l'idéologie raciste du 19e siècle. Car la catégorisation d'une population en « races » fabrique des totalités imaginaires et ne contribue pas à affirmer le droit à la dignité des personnes et des groupes discriminés sur la base de leur phénotype (Labelle, 2006, 2011).

Une façon simple de prendre de la distance à l'égard du mot « race » consiste à recourir à des adjectifs dérivés pour décrire les manifestations du racisme. Ainsi, l'on peut parler de préjugés à caractère raciste, de discrimination raciste, de groupes vulnérables au racisme, de groupes cibles du racisme, de motif [64] fondé sur le racisme, ou, à la limite, de motif fondé sur le présupposé de la « race », ou encore de groupe racisé [2]. Mais le débat reste vif et crucial, étant l'objet de mobilisations politiques et identitaires.

Voyons voir maintenant les mots auxquels l'État canadien et l'État québécois se réfèrent dans leurs documents officiels sur le racisme.

L'État canadien et l'État québécois
face à la notion de « race » et au racisme
 [3]

En dépit de la nette reconnaissance du racisme, la pensée racisante imprègne le discours de l'État canadien et de l'État québécois. Le Plan d'action canadien contre le racisme de 2005 prévoyait une stratégie en six points :

Aider les victimes et les groupes vulnérables au racisme et aux autres formes de discrimination ; élaborer des stratégies axées sur l'avenir en vue de promouvoir la diversité et de lutter contre le racisme ; accroître le rôle de la société civile ; accroître la coopération régionale et internationale ; sensibiliser les enfants et les jeunes à la lutte contre le racisme et à la diversité ; contrer les actes motivés par la haine et les préjugés » (Canada, Patrimoine canadien, 2005, p. 3).

Le mot « race » y figure une trentaine de fois. Les ciblesI du racisme sont nommément identifiées. Il s'agit des groupes « raciaux », des minorités « raciales », des communautés « raciales », de la « race noire », des Autochtones, des groupes ethniques, religieux et linguistiques minoritaires, des immigrants, etc.

En 2008, le Québec adoptait une politique intitulée La diversité : une valeur ajoutée. Politique gouvernementale pour favoriser la participation de tous à l'essor du Québec, de même qu'un plan d'action sur cinq ans (Québec, MICC, 2008 a et b). L'Énoncé de politique de 1990 parlait de « société de plus en plus multiraciale », de « personnes de races différentes ». La nouvelle politique tente de s'éloigner de ce type de discours, en entourant le mot « race » de guillemets, mais maintient celle de « minorités visibles », empruntée au palier fédéral (Labelle, 2011, p 55). Les divers ministères du Québec dont j'ai analysé le discours identifient également une grande variété de groupes cibles du racisme, par exemple : les Autochtones, les anglophones, les communautés culturelles, les Latino-Américains (Labelle, 2011, p. 85-86) ; des totalités présumées homogènes, somme toute regroupées artificiellement.

Dans un rapport présenté au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) de l'ONU, le Canada justifie l'usage du mot « minorités visibles » dans la Loi sur l'équité en emploi. Ceci n'a pas empêché le CERD de soulever des doutes quant à la conformité du mot « minorités visibles » avec les buts et les objectifs de la Convention (art. 1) :

While noting the position of the State party according to which the use of the term "visible minorities" is specific to the Employment Equity Act and is not used for the purpose of defining racial discrimination, the Committee notes that the term is widely used in official documents of the State party, including the census. The Committee is concerned that the use of the term "visible minorities" may not be in accordance with the aims and objectives of the Convention (art. 1). The Committee recommends that the State party reflect further, in line with article 1, paragraph 1 of the Convention, on the implications of the use of the term "visible minorities" in referring to "persons, other than Aboriginal peoples, who are non Caucasian in race or non white in colour" (ONU, CERD, 2007, par. 13).

Plus récemment, Madame Gay McDougall, experte indépendante sur les minorités, commentait à son tour le caractère inadéquat de ce terme, qui fait fi des identités et des situations particulières et dilue les expériences spécifiques des groupes minoritaires :

While the category called "visible minority" in the Employment Equity Act was at one time a positive step to acknowledge minority communities, it is now too broad to give a realistic picture of the achievements of or problems faced by distinct communities. Certain communities, particularly those [65] with Africain heritage, feel strongly that this terminology, under which their data is captured, leads inevitably to the neglect of their specific identities and situations (McDougall, 2010, p. 20).

Ces réserves font écho aux controverses qui persistent dans le champ universitaire.

Les organismes de défense des minorités
face à la notion de « race » et au racisme


La terminologie qui prévaut au Canada et au Québec a pénétré le milieu des ONG et des associations de minorités. La plupart des 29 ONG, organismes à vocation générale et associations à identité ethnique, racisée, religieuse ou nationale qui ont soumis des mémoires lors de la consultation gouvernementale sur une politique québécoise de lutte contre le racisme, en 2006 (Québec, 2006), emploient sans réserve le mot « race », en référence ou non à la Charte québécoise qui définit notamment le droit à l'égalité et interdit toutes formes de discrimination, qu'elles soient basées sur la « race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale et la religion ».

Certaines organisations particulièrement influencées par la culture anglophone exercent de fortes pressions sur l'État québécois pour que l'on parle de « races ». Pour ces tenants, il s'agit de la seule façon de reconnaître le racisme. Selon la Fondation canadienne des relations raciales qui utilise 21 fois le mot « race » dans son mémoire : « Le terme "race" ne réfère pas à une réalité biologique. Il s'agit cependant d'un concept social et psychologique qui a des répercussions concrètes sur la vie des gens et leurs réalités quotidiennes » (FCRR, 2006, p. 6-7). Le Centre de recherche sur les relations raciales souligne le caractère socialement construit de la « race » et dénonce « l'approche francocentrique » du Québec en matière d'antiracisme, soit une approche prétendument collée à l'influence française qui nie, au nom de la République, les différences ethniques et racisées » (CRRAR, 2006, p. 7).

Minoritaire parmi les 29 organismes étudiés, le Barreau du Québec convient du débat en cours : « Présentement, un courant de pensée s'interroge même sur la pertinence de conserver ou non le terme de "race" en matière de lutte contre le racisme ». Le Barreau note que la Commission ontarienne des droits de la personne favorise l'expression « groupe racialisé » : « La notion de groupe "racialisé" est plus à même de cerner la réalité vécue par les personnes victimes de racisme ou de préjugés raciaux en ce que la race est un marqueur qui est imposé par le regard de l'autre » (Barreau du Québec, 2006, p. 13).

L'identification des cibles du racisme à laquelle procèdent les organismes de la société civile est très large. Elle comprend les « minorités visibles », les « minorités ethnoculturelles », les « communautés culturelles, ethnoraciales, religieuses, immigrantes », les « musulmans », les « Autochtones », les « femmes immigrantes », les « réfugiés » etc. Il faut aussi noter que les associations de minorités se réfèrent en priorité à leur groupe d'appartenance. Certains mémoires l identifient comme racistes les personnes de « race [blanche », les conquérants « blancs », le privilège I « blanc », les « Blancs », les « pures laines », les l« Québécois de souche », le « groupe majoritaire », la l« majorité francophone » etc. (Labelle, 2001, p. 103). [Ces propos révèlent la difficulté à penser que le [racisme n'est pas qu'une affaire de majorité, imprègne les milieux minoritaires, et que des préjugés racistes à rebours se reproduisent de génération en génération.

L'antiracisme et/ou multiculturalisme,
interculturalisme


L'interculturalisme concerne le rapprochement et le dialogue entre les cultures. L'antiracisme se situe à un autre niveau. Il comprend l'ensemble des actions citoyennes et des politiques publiques visant son élimination tant au niveau des interactions personnelles que des structures sociales et des institutions. Penser l'antiracisme, c'est penser relations de pouvoir, ségrégation, discrimination, violence ; et c'est viser justice, dignité humaine et devoir de mémoire. L'interculturalisme se penche plutôt sur la réduction [66] de l'ethnocentrisme, l'harmonisation des relations interculturelles, et des accommodements viables. Or, cette distinction est loin de faire l'unanimité.

Comme je l'ai souligné plus haut, l'analyse du racisme implique qu'on n'en fasse pas un fourre-tout de différents motifs de discrimination identifiés par les conventions internationales et les chartes. S'agit-il d'une sorte de conséquence, mais on ne peut manquer d'observer l'indifférenciation entre les problématiques liées à la promotion et à la gestion de la diversité ethnoculturelle et racisée et l'antiracisme qui ressort des politiques de l'État canadien et de l'État québécois. On y conjugue antiracisme et multiculturalisme canadien, aussi bien que antiracisme et interculturalisme québécois. Concrètement, ceci se traduit par des orientations, des choix stratégiques et des mesures concrètes difficiles à différencier et à évaluer, ce qui doit poser des problèmes aux rédacteurs des politiques publiques.

Ainsi, le Plan d'action canadien contre le racisme fait systématiquement référence au multiculturalisme pour traiter du racisme. L'approche consiste à :

assurer le développement continu et la capacité des groupes ethnoraciaux et ethnoculturels à traiter les différentes questions liées au racisme et au multiculturalisme en encourageant la participation de la collectivité et le renforcement des partenariats entre les organismes communautaires et les différents ordres de gouvernement » (Canada, Patrimoine canadien, 2005, p. 35).

L'État canadien se présente comme un chef de file mondial en matière d'antiracisme grâce à son modèle de multiculturalisme : « La sensibilisation du public sert non seulement à promouvoir le multiculturalisme et les avantages qui découlent de la diversité, mais aussi à accroître la compréhension interculturelle et à informer la population canadienne au sujet des formes contemporaines de préjudice, de discrimination et de racisme » (idem, p. 42).

La politique québécoise de 2008 articule des objectifs antiracistes et interculturels. Par exemple :

L'éducation interculturelle favorise l'harmonie entre les groupes, l'enrichissement mutuel et l'échange interculturel par la valorisation de la diversité et du pluralisme culturel et par 'information permettant cette communication. Elle lutte ainsi contre les préjugés et modifie les perceptions et les attitudes. L'éducation antiraciste transforme les comportements et les actions sur le plan individuel et institutionnel et remet en question les relations de pouvoir qui créent les inégalités, la discrimination et le racisme (Québec, 2008a, p. 28).

Ou encore, soutenir la mise en place du réseau Leaders diversité, un forum de dirigeants d'entreprises engagés dans la promotion de la diversité en emploi et surveiller et prévenir la propagande et les crimes haineux (Québec, 2008b).

On trouvera d'ailleurs cet amalgame sur le site internet du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion où, sous le titre de Lutte contre le racisme et la discrimination, les thèmes à explorer concernent la diversité, le racisme et la diversité sexuelle ; et dans celui de Patrimoine canadien où, sous le titre de Diversité culturelle et droits, on regroupe les droits de la personne, les relations internationales et les peuples autochtones !

Quant aux municipalités, elles tentent d'intégrer différentes perspectives, certaines hésitant à nommer le racisme comme le recommandait la Déclaration de Durban. Selon l'une d'entre elles, il faut privilégier « une politique de promotion de la diversité et non une lutte contre le racisme et la discrimination (...) Parler de promotion de la diversité semblerait davantage approprié et plus adapté à l'état actuel de nos connaissances » (Ville de Sherbrooke, dans Labelle, 2011, p. 128). À la lutte contre le racisme, on doit jumeler les dimensions de l'intégration, du rapprochement interculturel, du métissage, de la participation civique et autres, soutiennent la Ville de Montréal, le Centre islamique de Québec, le Conseil permanent de la jeunesse, le B'nai Brith, et plusieurs autres organismes.

[67]

Un phénomène identique s'observe dans les mémoires soumis à la Commission gouvernementale de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles ou Commission Bouchard/Taylor (2007). Et cette confusion des genres soulève l'intéressante question des discours politiques, à des fins instrumentales, que développent les ONG et associations dans un contexte où le multiculturalisme canadien et l'interculturalisme québécois représentent des modèles d'intégration concurrents, du moins dans l'espace québécois.

Pourtant, quelques ONG et associations de minorités ont reproché précisément à l'ancien ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, de traiter indistinctement de racisme, d'intégration des immigrants, d'interculturalisme ou de gestion de la diversité. Selon le Barreau du Québec : « il s'agit là d'enjeux différents, qui, bien que pouvant se compléter dans le cadre des actions de l'État, doivent être traités distinctement afin de ne pas restreindre ou diluer les obligations de l'État en matière de droit à l'égalité et de lutte contre la discrimination » (Barreau du Québec, 2006, p. 14).

Enfin, il serait hautement pertinent d'avoir l'opinion des nations autochtones sur ces sujets. Considèrent-elles que leur objectif principal est la lutte contre le racisme et/ou le rapprochement interculturel dans le contexte du fédéralisme multinational actuel ?

Conclusion

Comme je l'ai martelé plus haut, je n'accorde pas à l'idée de « race » un statut analytique ou conceptuel. Il ne s'agit pas d'adopter une ligne de pensée et d'action indifférente ou aveugle à la couleur et aux phénotypes des personnes (colourblindness) et de noyer ainsi le bébé avec l'eau du bain pour employer une expression consacrée. C'est pourquoi je défends, avec d'autres, l'utilisation du concept de processus de racisation de l'altérité et des mots groupe racisé ou groupe cible du racisme, etc. Cette vision des choses implique clairement que les groupes cibles du racisme sont des groupes qui ont été l'objet d'une assignation identitaire relevant de l'idéologie raciste. Et j'estime avoir la responsabilité citoyenne de me distancer en conséquence face au mot « race ».

Il s'agit non seulement de rigueur scientifique, mais il faut aussi insister sur les effets pervers des mots. Un certain discours antiraciste fixe et délimite les identités. Or, l'essentialisme est un problème que la littérature sur l'identitaire tend à esquiver, acceptant de ce fait, de manière a-critique, les catégorisations administratives, politiques ou médiatiques dominantes, qu'elles soient ethnicisantes et racisantes. Peut-être simplifie-t-on ainsi l'appréhension de l'Autre, mais on en trivialise aussi son identité. Il y a donc ici un enjeu de pouvoir.

Les travaux de Mary C. Waters ont démontré largement que l'ethnicisation et la racisation des groupes aux États-Unis constituent des phénomènes en changement. Des groupes qui sont aujourd'hui considérés comme des groupes ethniques (white ethnies de surcroît) ont déjà été désignés comme des groupes raciaux (ex. les Irlandais). Les immigrants et leurs descendants font aussi des choix en matière d'options identitaires. Ainsi parmi les citoyens issus de la Caraïbe, certains refusent d'être amalgamés avec les Afro-Américains ou avec la catégorie imposée de « Black » (Waters, 1999)). On peut faire la même observation dans le contexte québécois (Labelle, 2004).

Un autre effet pervers concerne les oppositions binaires ; par exemple lorsque les médias reproduisent l'opposition « Blancs/Autochtones ». On ne niera pas que la formule est chargée de relents coloniaux. Un autre problème concerne la hiérarchisation des cibles, ce qui aurait comme effet d'exacerber le racisme plutôt que de contribuer à l'éradiquer (Appiah et Gutman, 1996) et de diviser les organismes de la société civile dans leurs analyses de la situation et leurs revendications.

Enfin, on doit souligner le rôle de l'État, des élites et des leaders associatifs dans la définition des identités et dans la façon dont les revendications sont modelées et transmises dans la sphère publique. Plusieurs auteurs ont montré comment les modèles d'intégration d'une société d'accueil sont des facteurs cruciaux pour comprendre les modes [68] d'incorporation des immigrants et des minorités. À cet égard, la catégorisation et la classification des populations jouent un rôle crucial, compte tenu des enjeux de pouvoir qu'ils sous-tendent (Martiniello et Pierre, 2005). Comme l'écrivait Monica Boyd : « La terminologie utilisée est généralement tributaire du rôle des idéologies à la base de chaque État-nation sur le projet d'édification nationale propre à chaque pays, de même que l'intégration de l'ethnicité à ce projet d'édification nationale » (Boyd, 1993 : 598). On pourrait ajouter de la « race ».

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Cet article est publié sous licence Creative Commons de paternité - Pas d'utilisation commerciale, pas de modification. 4.0 International.



[1] Cet article s'inspire largement de mon ouvrage Racisme et antiracisme au Québec. Discours et déclinaisons, publié aux Presses de l'Université du Québec en 2011. La recherche à la source de cet ouvrage, réalisée grâce au soutien du CRSH, repose sur une analyse de contenu de corpus documentaires provenant d'institutions internationales, de ministères canadiens et québécois, ainsi que de mémoires soumis par des ONG, des organismes à vocation générale et des associations à identité ethnique, racisée, religieuse ou nationale.

[2] Les expressions « ethnicisation », « racisation » ou « racialisation » sont courantes dans le monde universitaire francophone alors qu'en anglais on parle davantage de racialisation ou racialization ; ex. racialization process. Pour ma part, je préfère écrire « racisé » plutôt que « racialisé », ce qui me semble une traduction moins littérale de l'anglais au français.

[3] Dans Labelle (2011), le corpus analysé comprend des documents officiels de ministères fédéraux (Patrimoine canadien, Ressources humaines et Développement social Canada, Justice Canada et Affaires indiennes et du Nord) et québécois (Immigration et des Communautés culturelles, Emploi et Solidarité sociale, Sécurité publique, Justice, Affaires municipales et des Régions et Secrétariat aux affaires autochtones). Toutefois, les limites de ce texte ne me permettent pas d'en rendre compte de façon exhaustive.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 8 octobre 2016 12:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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