RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du document de L’UQAM, en collaboration avec le Bureau québécois de l’Année internationale de la famille, Northern Telecom et Le Devoir,Notre mémoire vive. Non seulement nous vivons sur des acquis que nous devons aux aînés mais ils restent parmi nous, comme les gardiens du seuil.” Un recueil d’articles publié dans LE DEVOIR, Montréal, édition du samedi 29 janvier 1994, A-11— idées. [Autorisation de Camil Girard accordée le 18 février 2013 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

L’UQAM, en collaboration avec
le Bureau québécois de l’Année internationale de la famille,
Northern Telecom et Le Devoir

Notre mémoire  vive.

Non seulement nous vivons sur des acquis
que nous devons aux aînés mais ils restent
parmi nous, comme les gardiens du seuil.”


Un recueil d’articles publié dans LE DEVOIR, Montréal, édition du samedi 29 janvier 1994, A-11— idées.


1. Willy Apollon (psychanalyste), “Nous sommes trop tentés de remplacer la grand-parentalité par la science et la technologie.”

2. Georges Létourneau (anthropologue), “Des donneurs de sens. Ce n'est pas parce que notre société s'est modernisée qu'on a perdu le besoin de comprendre la vie.”

3. Renée Joyal (avocate, professeure, Département des sciences juridiques, UQAM), “Relations sous ordonnance. L'évolution de la dynamique familiale justifie-t-elle une judiciarisation des rapports entre grands-parents et petits-enfants ?”


Lundi dernier [le 24 janvier 1994] avait lieu la première Grande conférence sur la famille organisée par l'UQAM en collaboration avec le Bureau québécois de l'Année internationale de la famille, Northern Telecom et LE DEVOIR. Dans les textes qui suivent, nous reproduisons de larges extraits des propos entendus au cours de la soirée.


1.

Nous sommes trop tentés
de remplacer la grand-parentalité
par la science et la technologie
.”

Willy Apollon

Psychanalyste, Groupe interdisciplinaire freudien
d’intervention clinique et culturelle

Nous ne serons pas grands-pères », me disait récemment un collègue du groupe de recherches sur la famille à Québec. « Nous ne vieillirons pas ensemble. » C'est ce que pensent sans Oser se le dire beaucoup de jeunes couples, parents déjà en difficultés de couple, et qui fréquentent encore leurs propres parents, que ceux-ci soient dans la tranche des 70-80 ou dans la quarantaine. Ce qu'ils regrettent déjà, c'est que quelque chose de fondamental à leur expérience de parents va leur être soustrait avec le temps. Il s'agit du sens de la grand-parentalité dans nos sociétés postmodernes d'Amérique du Nord.

La plupart des sociétés que l'on dit traditionnelles, mais aussi des sociétés très modernes et très fortement acculturées comme le Japon ou l'Italie, semblent vouloir conserver l'essentiel du sens de cette grand-parentalité. Bref, toutes les sociétés qui tiennent à conserver le sens des traditions et des valeurs qui y sont attachées comme la marque de leur distinction, donnent d'une façon ou de l'autre à la grand-parentalité une place que nous, parfois, en Amérique du Nord et surtout au Québec, dans cet establishment médiatique qui donne le ton de la culture ambiante, sommes tentés de trouver vieux-jeu et de remplacer par la science et la technologie.

Autant les aînés tiennent avec obstination aux valeurs qu'ils ont travaillé à conserver et à transmettre, autant sont-ils admiratifs et fiers au regard des innovations qui ouvrent l'avenir pour leurs petits-fils et qui rendent leur retraite agréable. Ceux qui ont vécu l'histoire des transformations profondes de nos sociétés dans les 60 à 80 dernières années, ont un sens très marqué de la fragilité des goûts et convictions du moment par rapport à la stabilité des problèmes les plus fondamentaux de l'être humain, comme de la nécessité des valeurs pour la survie de la société elle-même. Notre société postmoderne est plus adaptée aux discours et aux questions des 40-50 ans. Les femmes y ont fiât leur place. Elles ont monté leurs groupes de pression contre l'État et font au besoin l'événement qui mobilise la presse. Mais les enfants, les adolescents surtout et les aînés n'y ont pas leur place. Qu'est-ce donc que nous avons changé et qui était si lié pour eux au sens de la vie ? Deux choses fondamentales.

Nous sommes
trop tentés de
remplacer la
grand-parentalité
par la science
et la technologie.


D'abord, ils ont le sentiment que nous cherchons sans cesse à réinventer la roue dans le domaine de l'humain. Ils s'étonnent que nous ne retenions rien des leçons de l'histoire. À leurs yeux, nous levons le nez sur des monuments du passé, alors que nous n'avons rien fait de mieux, et surtout, nous n'avons rien à mettre à la place. Les grands-parents acceptent que nous ne croyions plus, ils se contentent de ne plus nous parler de leur foi, pour pouvoir nous voir encore et nous parler d'autre chose. Ils acceptent que nous ne soyons pas comme eux, ils en sont même fiers, mais ils s'inquiètent que nous ne tenions plus à ce qui fonde pour eux le croyable, à ce qui détermine les conditions du sens.

Deuxièmement ils constatent avec effarement, mais sans trop comprendre et sans même soupçonner jusqu'à quel point ils ont raison d'en être effrayés, « l'envahissement de nos vies par le scientifique et le juridique ». D'une part par ce qui leur semble une espèce de folie de l'intelligence, nous cherchons l'explication à tous nos problèmes sociaux et à toutes nos difficultés humaines dans les gènes de quelques coupables. D'autre part, et en attendant ces avancées technologiques, nous ne comptons que sur l'ordre juridique et notre système policier pour contrôler les débordements humains dans nos sociétés. Nos aînés témoignent de trois choses avec leur vie même, par le simple fait qu'ils sont là avec nous. La recherche sur les structures de la famille québécoise, où quelque 500 répondants ont rempli un questionnaire de 132 questions, a révélé que de plus en plus les couples se forment sur la base d'une recherche amoureuse de satisfaction personnelle d'abord. L'enfant et les enjeux de la famille viennent le plus souvent bien après. Ce dont les grands-parents témoignent par leur présence même, c'est qu'au contraire la famille est d'abord un projet social au delà même de la recherche du bonheur et de la satisfaction individuelle.

Cela n’exclut ni la recherche de satisfaction, ni la quête du bonheur. Mais le succès d'une telle quête comme de la recherche du bonheur est conditionné par les sacrifices qu'impose à chacun des partenaires l'importance première du projet commun. Tôt ou tard, le succès du projet familial exige le passage du statut de couple à celui de parents. Et un tel passage du singulier du couple au pluriel de la parenté ne se fait pas sans blessures à assumer. Les aînés par toute leur vie témoignent pour nous encore le plus souvent de la nécessité d'un tel passage. Si ce passage ne se fait pas, les liens avec la grand-parentalité sont compromis profondément. Les enfants n'auront jamais vraiment le loisir de profiter de l'expérience et des connaissances humaines de leurs aînés.

Ce passage du couple à la parenté, les aînés en témoignent à leur façon, mais il s'agit toujours pour eux d'une critique silencieuse. Ils se demandent si nous allons vraiment réussir à construire la famille sur la recherche de la satisfaction subjective, affective, sexuelle, intellectuelle et sociale, comme nous le croyons et le clamons dans nos discours, nos médias, nos publications savantes, nos émissions de télévision, etc. Ils nous observent curieux de savoir.

La famille n'est pas séparable de la parenté et cela renvoie à la différence et à l'articulation entre le court terme et le long terme, entre la satisfaction sexuelle et l'amour. On ne peut être grand-parent que dans l'amour, dans ce qui s'est constitué comme un long terme dans les relations entre les membres d'une famille. C'est presque un état de fait. Oh, ce n'est plus le refus du sexe. Il s'est calmé, c'est la contemplation de son oeuvre. Cette assurance tranquille des grands-parents quant au sens de l'amour et la foi en la parole de l'autre, étonne l'adolescence et aiguise sa curiosité. Lui, dont la quête de tendresse est bouleversée par les sursauts du sexe, voit là un repère pour sa quête de l'inouï.

Il nous faudrait leur reconnaître individuellement le droit à la différence que leur confère leur position quant au sens de notre vie sociale et quant à la mort où ce sens se vérifie.

Ils ont payé de leurs sacrifices d'antan la richesse de vie sociale que nous sommes tentés de gaspiller. Au moment de leur retraite, au moment où il leur faudrait espérer jouir de ce qu'ils nous ont apporté. Les voilà aux prises avec nos déficits et nos grands discours sur les réductions des coûts et des implications de l'État. Reconnaître leur différence, c'est d'abord leur faire une place parmi nous. C'est reconstruire avec eux, à travers des choix nouveaux, le sens de cette société qu’ils nous ont léguée. C'est alors, avec leur participation, mettre au service des valeurs qui définissent nos choix sociaux, cette science, ces technologies et les innovations juridiques qu'elles soutiennent

Qu'on le veuille ou non, nous ne vivons pas seulement sur des acquis que nous leur devons. Ils restent encore au milieu de nous, comme les gardiens du seuil. Ils nous rappellent dans le tourbillon des modes et des entreprises qui tissent nos quotidiens, l'incontournable face à face avec la mort. Ils soutiennent pour nous toute réflexion sur la mort. Si nos choix historiques de société doivent faire sens pour les générations à venir, ce sera au delà de notre propre mort. Là est l'épreuve indépassable de la valeur et du sens.

2.

Des donneurs de sens.

Ce n'est pas parce que notre société s'est modernisée
qu'on a perdu le besoin de comprendre la vie.”

Georges Létourneau

Anthropologue, Institut d’ethnogérontologie,
Association québécoise de gérontologie.

Après avoir connu une période de réduction au noyau couple plus quelques enfants, aujourd'hui, la famille nucléaire explose. Déracinée du milieu rural, ne reposant plus sur un sens aigu de la communauté et le partage des ressources dans une optique de complémentarité, la famille s'est déstabilisée. Elle éclate et se reconstitue de façon imprévisible, au hasard des aléas des trajectoires de vie des partenaires plus ou moins temporaires. Mais, si les parents changent les grands-parents demeurent.

Auparavant, les grands-parents étaient plus rares, et peut-être plus précieux à cause de leur rareté. Aujourd'hui, nous avons un plus grand nombre que jamais auparavant de grands-parents, mais nombreux aussi sont les grands-parents qui refusent d'endosser leurs responsabilités face à leur famille et la société.

Dans le contexte des familles éclatées, reconstituées et éphémères, dans le contexte aussi où la vie nous bouscule, du fait qu'il y a moins d'enfants, et donc moins de petits-enfants, les rôles que les grands-parents peuvent exercer deviennent problématiques parce qu'ils sont flous et mal définis.

Mais le problème se complique du fait que les attentes à leur égard ne sont pas en accord avec leur potentiel d'humanité. D'où ce très pernicieux sentiment d'être devenu un être inutile après la retraite. Heureusement encore plusieurs personnes du troisième âge se redonnent un vrai rôle utile en tant que grand-parents de remplacement auprès des jeunes qui ne sont même pas leurs propres petits-enfants biologiques.

Les grands-parents ont depuis toujours été des donneurs de sens et ce n'est pas parce que notre société s'est modernisée que l'on a perdu le, besoin de comprendre la vie. La responsabilité première d'une personne d'expérience ne se limite pas à des contacts occasionnels et des visites de politesse avec ses petits-enfants, mais consiste à communiquer le sens de la vie à ceux qui le cherchent.

Les grands-parents
peuvent représenter
une sécurité
psychologique ou
encore transmettre
leur propre
insécurité et risquer
de contaminer les
plus jeunes.


Certains grands-parents ont l'impression que leur rôle parental s'est terminé quand les enfants sont partis de la maison. Les grands-parents peuvent représenter une certaine stabilité, une sécurité psychologique, ou au contraire transmettre leur propre insécurité existentielle et risquer de contaminer les plus jeunes par leur propre démission, par l'exemple de leur amertume face à la vie ou par le désespoir en fin de course.

D'après Margaret Mead, elle-même grand-mère responsable, si les jeunes ont l'impression de vivre dans un monde insensé aujourd'hui, c'est en partie parce que les grands-parents ont démissionné - souvent après avoir démissionné comme parents -et cela a contribué à l'apparition des problèmes de délinquance juvénile.

Pour expliquer cette démission, il ne faut pas oublier que les grands-parents actuels ont, eux aussi, subi les changements sociaux et culturels au cours du XXe siècle ; ils sont devenus individualistes tout en étant influencés par la dérive des valeurs et la dislocation des familles nouvelles.

En fait, les grands-parents d'aujourd'hui ont vu et vécu plus de changements sociaux qu'aucune autre génération précédente, et leur expérience mérite certainement d'être communiquée aux plus jeunes.

Rappelons que, dans les temps modernes, grands-parents et petits-enfants ont plusieurs choses en commun. En particulier, les deux générations alternées ont une place difficile dans la société ; ils sont souvent en marge, à l'écart du pouvoir social, en proie à un sentiment d'inutilité.

Les grands-parents ont le devoir de rassurer les jeunes sur le fait que le changement social ne veut pas dire la fin du monde, mais seulement la fin d'un monde particulier. Et les grands-parents auront toujours comme fonction principale dans la famille de transmettre l'espoir.

Citons la réflexion d'une petite-fille de 8 ans qui témoigne de sa considération pour ses grands-parents et qui, peut-être, permettra de mieux éclairer notre compréhension et notre conduite face au vieillissement humain : « Un grand-parent c'est un parent qui est devenu grand. »

Vieillir, donc, ce n'est pas seulement la perte progressive de ses capacités qui aboutit éventuellement au terminus physique. Mais vieillir, c'est aussi grandir, c'est-à-dire s'engager dans un processus de développement personnel et interpersonnel, ce qui nous amène à grandir en tendresse et en sagesse.

Grandir implique un dépassement des différences d'âge, des différences de sexe, des différences de pigmentation et autres, pour atteindre cet état transpersonnel d'intégrité qui redonne espoir chaque fois qu'on le rencontre dans une autre personne.

Voilà ce que les générations montantes attendent, ce fruit de la maturité de grands-parents devenus finalement... transparents.

3.

Relations sous ordonnance.

L'évolution de la dynamique familiale justifie-t-elle
une judiciarisation des rapports
entre grands-parents et petits-enfants ?”

Renée Joyal

avocate, professeure,
Département des sciences juridiques, UQAM

C'est en décembre 1980 que l'Assemblée nationale ajoute au Code civil du Québec un article prévoyant que les « père et mère ne peuvent sans motifs graves faire obstacle aux relations personnelles de l'enfant avec ses grands-parents » et qu'« à défaut d'accord entre les parties, les modalités de ces relations sont réglées par le tribunal ». Cette disposition est reprise intégralement dans le nouveau Code civil du Québec, en vigueur depuis le 1er janvier 1994.

L'autorité parentale se trouve donc limitée par ce texte ; celui-ci repose sur la présomption qu'il est dans l'intérêt de l'enfant d'entretenir des relations personnelles avec ses grands-parents ; c’est en effet seulement pour des motifs graves, non précisés par le Code, que les parents pourront s'opposer à ces relations, tout conflit pouvant éventuellement faire l'objet d'un arbitrage par la Cour supérieure. Au moment de son adoption, en 1980, cette disposition, qui reproduit à peu de choses près un article du Code civil français, donne lieu à un débat de quelques minutes seulement Elle fait écho à une recommandation de l'Office de révision du Code civil. L'organisme juge d'ailleurs opportun d'offrir ce recours non seulement aux grands-parents, mais également à d'autres personnes qui auraient par exemple, élevé l'enfant pendant quelques années, celui-ci ayant été par la suite repris par ses parents. Il est à noter que la recommandation n'a été retenue qu'à l'égard des grands-parents.

Le recours ainsi créé a été utilisé : quelques dizaines de décisions ont en effet été rendues par la Cour supérieure depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, en 1981. Majoritairement initiées par les grands-parents conjointement ou par la grand-mère, les demandes de cette nature se situent en général dans un contexte de querelle familiale ou de disparition du conjoint qui créait l'alliance, en raison, par exemple, du décès, de l'éloignement ou de l'incarcération de celui-ci. On note souvent, dans ces derniers cas, l'arrivée d'un nouveau conjoint.

Gain de cause aux grands-parents

Les grands-parents obtiennent gain de cause dans une majorité de cas. Une ordonnance prévoyant des droits de visite et de sortie plus ou moins fréquents, selon les circonstances mais tout de même relativement limités, est alors rendue. Les refus sont, par ailleurs, fondés sur divers motifs : tensions familiales tellement vives que l'enfant risque d'être exposé à des pressions incompatibles avec son intérêt ; refus clairement exprimé par l'enfant de voir ses grands-parents ; absence de relations significatives ou mauvaises relations entre l'enfant et ses grands-parents...

Le taux assez élevé de succès des recours institués ne doit cependant pas laisser croire que la victoire judiciaire règle dans tous les cas le problème relationnel initial. Nombreux sont les grands-parents qui doivent de nouveau s'adresser au tribunal pour faire respecter l'ordonnance rendue ; certains ne réussissent pas à rétablir la communication avec leurs petits-enfants.

Quoi qu'à en soit l'insertion de cette disposition au Code civil n'a jamais fait l'objet d'un véritable débat. Si personne ne conteste l'immense potentiel de bonheur et de développement que des relations harmonieuses entre grands-parents et petits-enfants représentent, il faut se demander s'il est opportun que celles-ci puissent découler d'une ordonnance judiciaire.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 7 janvier 2014 11:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref