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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Commentaires sur l’article de Pierre Demers intitulé « Cette dette, un aperçu chronologique sur 149 ans », paru en juin 2016 dans le numéro 050 de Science et francophonie (pages 12-19).” Un article publié dans la revue Science et francophonie, no 52, août 2016, pp. 3-6. [Autorisation de l’auteur le 6 septembre 2016.]

Louis GILL

Économiste, professeur retraité de l’UQÀM

Commentaires sur l’article de Pierre Demers intitulé
« Cette dette, un aperçu chronologique sur 149 ans »,
paru en juin 2016 dans le numéro 50
de
Science et francophonie (pages 12-19).

Un article publié dans la revue Science et francophonie, no 52, août 2016, pp. 3-6.


Dans le numéro 050 de Science et francophonie (p. 15), Pierre Demers établit à quelque 264 000 milliards de dollars le montant atteint en 2016 par une dette de l’Ontario envers le Québec résultant de l’Union en 1841 du Haut et du Bas-Canada, qui aurait alors été de 6,1 millions de dollars.

Le montant précis établi par Pierre Demers est 263 696 466,3 millions de dollars, c’est-à-dire, en arrondissant, 264 millions de millions de dollars, ou 264 billions de dollars, soit 264 suivi de douze zéros, ou encore 264 000 suivi de neuf zéros, c’est-à-dire 264 000 milliards.

J’utilise cette dernière dénomination, en milliards de dollars, parce que le milliard est l’unité généralement utilisée dans les finances publiques pour évaluer notamment la dette et le Produit intérieur brut (PIB) d’un pays.

Pour prendre la mesure de ce montant, il est utile de mentionner qu’il représente environ trois fois le Produit mondial brut, de quelque 80 000 milliards de dollars des États-Unis en 2014, c’est-à-dire trois fois la somme des Produits intérieurs bruts (production de tous les biens et services) de tous les pays du monde pour l’année 2014. Pour l’Ontario qui aurait à rembourser une telle dette, ce montant représente 365 fois son PIB de l’année 2015 (710 fois celui du Québec) !

La réaction normale devant un tel gigantisme des chiffres est de s’interroger sur la méthode de calcul qui y a mené. La façon d’établir, en date d’aujourd’hui, le montant d’une dette qui était évaluée à 6,1 millions de dollars en 1841, il y a 175 ans, dont aucune portion n’a été remboursée et dont les intérêts annuels, n’ayant pas été payés, s’y sont ajoutés au fil des années, est simple. Le seul facteur qui intervient, est celui de l’intérêt composé, dépendant du temps et du taux d’intérêt.

En retenant le taux de 5 %, qui a été inscrit à l’article 112 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (British North America Act) de 1867 pour le paiement des dettes du Québec et de l’Ontario envers le gouvernement du Canada, ce facteur est de 1,05 élevé à la puissance 175, c’est-à-dire 5107. En multipliant la dette de 6,1 millions de 1841 par ce facteur de 5107, nous obtenons sa valeur cumulée en 2016, soit 31,2 milliards. C’est le montant qui apparaît au bas du Tableau 1 du texte de Pierre Demers (page 12 de SF050).

Si on reconnaît que l’Ontario devait effectivement un montant de 6,1 millions de dollars au Québec en 1841, ce sur quoi il faudra revenir plus loin, voilà où doit s’arrêter le calcul. Pierre Demers introduit quant à lui des calculs dont l’objectif est de tenir compte d’un facteur « inflation » et dont la méthode a pour effet de gonfler la dette aux niveaux astronomiques déjà mentionnés.

On sait que l’inflation est favorable aux emprunteurs parce qu’elle réduit le poids relatif des dettes et le coût réel de leur remboursement, et qu’elle est en conséquence défavorable aux créanciers. Si nous réclamions l’introduction d’un facteur de correction à la hausse de la dette de l’Ontario envers le Québec pour compenser l’effet de l’inflation subi par le créancier québécois, en d’autres termes si nous réclamions une forme d’indexation de cette dette au coût de la vie, nous serions sans doute une exception mondiale. Mais cette logique, si elle devait s’appliquer de manière générale, se retournerait contre le Québec en tant qu’emprunteur sur les marchés financiers où il serait normal de penser que ses créanciers seraient eux aussi en droit de réclamer, en toute cohérence, l’indexation au coût de la vie de l’ensemble de leurs prêts, ce qui augmenterait considérablement le fardeau de la dette du Québec. On ne peut être partisan d’une logique lorsqu’elle nous est favorable et s’y opposer lorsqu’elle ne l’est pas.

Dans les lignes qui précèdent, j'ai pris pour acquise l’existence d’une dette de l'Ontario envers le Québec évaluée à 6,1 millions de dollars en date de 1841, d’où procèdent les calculs de Pierre Demers dans son texte de SF050. Après relecture de l’article de décembre 2000 de l’historien Pierre Corbeil, intitulé « La dette fédérale dans une perspective historique » [1], sur lequel Pierre Demers s’appuie et qu’il désigne comme un « admirable travail de pionnier », j’en arrive à la conclusion que cette évaluation est incorrecte.

À la page 2 de cet article, Pierre Corbeil cite l’article 112 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, en vertu duquel l’Ontario et le Québec sont désignés comme conjointement responsables du montant de la dette du Canada dépassant 62,5 millions de dollars, et du paiement des intérêts sur cette dette à un taux de 5 %, ainsi que l’article 142 qui confie à trois arbitres, représentant le Canada, le Québec et l’Ontario, le soin de partager la dette et les actifs du Haut et du Bas-Canada.

Le juge Charles Dewey Day qui représentait le Québec a fait valoir le fait que, pour procéder à ce partage, il fallait prendre en compte la situation qui existait au moment de l’Union des deux provinces, en 1841. Corbeil résume la situation ainsi :

Le Haut-Canada, le 10 février 1841, avait une dette de 5 925 779,54 $. À la même date, le Bas-Canada possédait un crédit de 189 306,41 $. En additionnant les deux chiffres, nous en arrivons à la conclusion suivante : le Haut-Canada a apporté au partenariat une contribution négative de 6 115 085,95 $ (page 3 de l’article).

En somme, le montant de 6,1 millions de 1841 ne représentait pas une dette contractée par l’Ontario auprès du Québec au moment de l’Union, mais l’écart entre leurs contributions respectives à la dette de la nouvelle entité politique qu’était l’Union de 1841. La question de l’incidence sur le Québec de ces positions financières initiales inégales des deux provinces s’est posée au moment de la dissolution de l’Union de 1841 et de la création de la Confédération de 1867. Le juge Day du Québec l’exprimait ainsi :

Lors de la dissolution d’un partenariat, il faut soustraire la dette du partenaire déficitaire avant de faire le partage […] (page 3 de l’article de Corbeil)

Devant le refus de ses collègues de tenir compte de cette question préalable, poursuit Corbeil, l’arbitre du Québec n’eut d’autre choix que de remettre sa démission, le 9 juillet 1870. Ayant rejeté les prétentions du juge Day, les arbitres représentant le Canada et l’Ontario, décidèrent seuls de simplement répartir entre l’Ontario et le Québec, en proportion de leurs populations respectives (52,7 % pour l’Ontario et 47,3 % pour le Québec), le montant de la dette dépassant les 62,5 millions de dollars prévus à l’article 112 de l’AANB. Ce montant a été établi à 18,6 millions de dollars, sans soustraction préalable de la dette du « partenaire déficitaire » au moment de la formation de l’Union en 1841, soit les 6,1 millions de dollars déjà mentionnés. Les 18,6 millions ont été répartis comme suit : 9,8 millions pour l’Ontario et 8,8 pour le Québec, respectivement 52,7 % et 47,3 % du montant.

Si les 6,1 millions de dollars de la dette de 1841 du Haut-Canada avaient été entièrement pris en charge par lui, devenu l’Ontario, et avaient été soustraits de la dette commune de 18,6 millions établie en 1867 avant de procéder à son partage, le montant à partager aurait été de 12,5 millions au lieu de 18,6 millions. En proportion de sa population, l’Ontario en aurait assumé 6,6 millions, en plus des 6,1 millions de sa dette de 1841 soustraits du partage. Le Québec en aurait assumé 5,9 millions, au lieu des 8,8 décidés par les arbitres de l’Ontario et du Canada, soit une différence de 2,9 millions.

On vérifie facilement à partir des calculs qui précèdent, que cette majoration de 2,9 millions de la fraction de la dette commune attribuée au Québec en 1867 est la part qui lui a été imputée en proportion du poids de sa population (47,3 %), découlant de la non-prise en compte, avant le partage de la dette commune, du solde non payé par l’Ontario de sa dette de 6,1 millions de 1841 (47,3 % de 6,1 millions = 2,9 millions).

De par la « Constitution » de 1867, la « contribution négative » de 6,1 millions apportée par le Haut-Canada à l’Union de 1841 s’est trouvée conjointement absorbée par l’Ontario et le Québec en proportion de leurs populations respectives (3,2 et 2,9 millions de dollars). Seul responsable de cette « contribution négative », l’Ontario s’est trouvé soulagé de 47,3 % de ce fardeau, ou 2,9 millions de dollars, qui ont été imputés au Québec.

J’en conclus que c’est ce montant de 2,9 millions qui constitue la dette de l’Ontario envers le Québec en date de 1867. Par l’effet de l’intérêt composé à un taux de 5 % sur une période de 149 ans (entre 1867 et 2016), cette dette s’élèverait aujourd’hui à 4,2 milliards.

Si on supposait, comme le fait Pierre Demers, que la dette de l’Ontario envers le Québec a pris naissance en 1841 plutôt qu’en 1867 [2], et que la « contribution négative » de 6,1 millions de dollars apportée par le Haut-Canada à l’Union de 1841 s’est répartie, de 1841 à 1867, entre les deux composantes de l’Union dans les mêmes proportions qu’à partir de 1867, c’est-à-dire en fonction du poids relatif des populations des deux provinces en 1867 (47,3 % - 52,7 %) [3], pour s’établir à 2,9 millions pour le Bas-Canada et 3,2 millions pour le Haut-Canada, la dette cumulée de l’Ontario envers le Québec sur la période de 175 ans qui court de 1841 à 2016, s’élèverait, dans l’hypothèse d’un taux d’intérêt de 5 %, à 2,9 millions multipliés par 1,05 élevé à la puissance 175, soit 2,9 multiplié par 5107, ou 14,8 milliards.

Le montant de 14,8 milliards qui serait ainsi dû au Québec par l’Ontario serait de l’ordre de 2 % du PIB de 2015 de l’Ontario, et de 4 % de celui du Québec. La dette brute du Québec, qui était de 204 milliards en 2015 et représentait 55 % de son PIB, serait diminuée de 14,8 milliards et son rapport au PIB chuterait à 51 %. À l’inverse, la dette brute de l’Ontario, qui était de 332 milliards en 2015 et représentait 46 % de son PIB, serait augmentée de 14,8 milliards et son rapport au PIB passerait à 48 %. L’écart entre les rapports de la dette au PIB du Québec et de l’Ontario qui est actuellement de 9 points de pourcentage (55 % - 46 %) serait réduit à 3 points de pourcentage (51 % - 48 %), le Québec demeurant légèrement en tête sur ce plan.

*****

Nul doute que mes propos exprimés dans ce texte ont pu provoquer de l’étonnement, voire de l’incrédulité ou de la déception, en particulier chez ceux et celles qui avaient lu les contributions de Pierre Demers et adhéré à ses résultats et conclusions. Je souhaite pour ma part avoir suscité de l’intérêt pour la question et une disposition favorable à la poursuite de la réflexion. Je remercie Pierre Demers d’avoir sollicité mon avis et de m’avoir ainsi permis de me pencher sur cet épisode que je connaissais peu de l’histoire de notre dette publique.



[2] Comme cette dette, pour Pierre Demers, est de 6,1 millions de dollars en 1841, elle atteint, sous l’effet d’un intérêt composé de 5 % pendant 26 ans (de 1841 à 1867), la valeur de 21,7 millions en 1867 (p. 12 de SF050). Pour l’historien Pierre Corbeil, cette dette est de 6,1 millions en 1867. Il en calcule d’abord la valeur en « dollars de 1995 », puis la valeur accumulée à la même date en supposant un taux d’intérêt de 5 %, pour arriver à un montant de 63 220 milliards. Vingt-et-un ans plus tard, en 2016, les intérêts continuant à s’accumuler, cette valeur serait de 176 130 milliards. Si elle avait commencé à s’accumuler à partir de 1841, soit 26 ans plus tôt, elle serait de 626 260 milliards, un montant plus de deux fois plus élevé que celui auquel parvient Pierre Demers. Cette différence est le résultat des techniques différentes utilisées par les deux auteurs pour corriger l’effet de l’inflation.

[3] Cela est bien sûr une approximation, les rapports entre les populations ayant changé entre 1841 et 1867.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 27 septembre 2016 19:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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