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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Madeleine GAUTHIER, “Les jeunes, les autres groupes d’âge et l’emploi.” In Revue Interventions économiques pour une alternative sociale, no 25, printemps 1994, pp. 69-92. Numéro intitulé “L’emploi en tran-sition”. Montréal: Les Éditions Saint-Martin, 1994, 179 pp. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[69]

Interventions économiques
pour une alternative sociale
No 25
DOSSIER

LES JEUNES,
LES AUTRES GROUPES D’ÂGE
ET L’EMPLOI
.”

Madeleine GAUTHIER
 *

La crise du chômage qui a marqué le début de la décennie de 1980 dans la plupart des pays occidentaux et qui a particulièrement atteint les jeunes s’est quelque peu résorbée vers la fin de la décennie. Ce fait a permis de croire que la situation des jeunes avait retrouvé son cours normal, soit celui des années 1960 et 1970. L’écart dans le rapport des taux de chômage des jeunes hommes de moins de vingt ans à ceux des adultes se justifiait alors par l’argument que dans les sociétés post-industrielles, la période d’insertion en emploi est nécessairement chaotique (Osterman, 1980) et est souvent identifiée au travail étudiant. La période de tâtonnement qui caractérise la phase d’insertion dans le monde du travail a tendance à s’allonger : l’âge de 20 ans marquait, il y a peu d’années encore, la rupture entre la période d’hésitation de la jeunesse et l’installation de manière stable en emploi. Il semble bien que ce moment soit de plus en plus indéterminé et que l’on retrouve ces formes d’instabilité jusqu’à l’aube de la trentaine [1].

L’examen de la situation des jeunes ne peut se faire indépendamment d’une référence à celle des aînés. La place que ces derniers occupent dans la structure sociale, dont celle de l’emploi, détermine plus ou moins ou à tout le moins influence celle qui revient ou qui reste aux jeunes. Des études à propos de la jeunesse montrent comment s’instaure l’ordre dans la succession des générations et le rôle contraignant qu’exercent les aînés sur cet âge de la vie (Muchembled, 1990 ; Langlois, 1986 ; Le Bras, 1983).

[70]

Au cours des années 1960 et de la première moitié de la décennie suivante, il semble bien, à tout le moins dans les représentations sociales, que les jeunes aient eu moins de difficultés que leurs pères à se tailler une place sur le marché du travail. Plus scolarisés et mieux formés, ils entraient de plain-pied dans des secteurs d’emploi faits à leur mesure : les services de l’État-providence, les lieux de développement des nouvelles technologies, les industries qui connaissaient alors une certaine prospérité. Cette cohorte qui a aujourd’hui entre 40 et 55 ans a constitué la classe moyenne. Elle a connu une mobilité sociale ascendante par le biais de l’instruction et de l’accès à des emplois rémunérateurs et à statut valorisé. Se pourrait-il que cette manière d’entrer en emploi n’ait constitué qu’une parenthèse dans l’histoire des générations ? Quelques travaux menés au cours des années récentes et portant sur la pauvreté ou sur la mobilité sociale interrogent la durée de ces gains de la classe moyenne (Loeweinstein, 1985 ; Myles et al., 1988 ; Leonard et Jacobson, 1990 ; Bernard et Boisjoli, 1992 ; Langlois, 1993).

En plus de subir les contrecoups des difficultés liées à la conjoncture économique et d’autres qui ont marqué les années 1980, la dissolution des ménages, par exemple, les jeunes qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail doivent concurrencer ou se mesurer à leurs pères. Ces derniers ont constitué le premier groupe d’âge à accéder aussi massivement à des emplois qualifiés. Sans préjuger de l’avenir, il est d’un certain intérêt de voir comment se dessinent les rapports entre groupes d’âge par le biais de ce qui a sans doute constitué le déterminant le plus lourd pour la jeunesse québécoise comme pour celle de plusieurs pays occidentaux au cours de la dernière décennie, le problème de l’accès à l’emploi. Ce fait se confirme jusqu’au début de la décennie 1990 (Noll et Langlois, 1994 : 106).

La manière d’aborder la question consistera à examiner l’impact des modifications du monde du travail sur les jeunes en tenant compte des répercussions quelles peuvent entraîner dans les relations avec les autres groupes d’âge. Dans quelle mesure ces modifications, d’abord perçues comme conjoncturelles avant d’en mesurer la gravité, n’ont-elles pas affecté tous les groupes d’âge ? Les indicateurs qui étaient valables en période de développement de l’emploi et, qui plus est, de développement de l’emploi typique, valent-ils toujours pour décrire la situation actuelle ? Les différences observées entre les groupes d’âge au cours des années 1980 conduisent à s’interroger sur les transformations possibles des rapports sociaux si la tendance se maintient.

[71]

Les données de l’Enquête sur l’activité de Statistique Canada et les autres enquêtes sur la population active serviront de toile de fond à la question posée ici. La façon d’agréger les données à Statistique Canada pose cependant problème pour ce qui est des groupes d’âge. Pour des raisons qui tiennent à la taille de l’échantillon, le regroupement des données ne permet pas toujours une analyse fine des situations. Certains indices laissent deviner que l’insertion en emploi n’est pas réglée à 25 ans sans permettre d’identifier de façon plus précise à quel moment elle se fait entre 25 et 34 ans, groupe d’âge difficilement décomposable.

Des indicateurs d’activité « ne répondent plus »

Du point de vue de l’emploi, les caractéristiques de la dernière décennie obligent à réviser les instruments d’observation et à remettre en question les problématiques qui valaient antérieurement. Ainsi, une analyse de l’enquête longitudinale sur les bénéficiaires de l’assurance-chômage entre 1975 et 1979 mettait en doute l’observation qui prévalait jusque là, à savoir que l’instabilité constituait la différence la plus importante entre jeunes et adultes sur le marché du travail (Robertson, 1986). Cette étude faisait la démonstration que les instables constituaient une population infime dont l’importance ne variait pas entre les groupes d’âge.

Une autre enquête longitudinale, plus récente celle-ci, 1988- 1989, et portant sur l’ensemble de la population pendant 104 semaines, indique que cette situation a changé au cours des années 1980. Une étude des transitions montre un changement d’état (passage des études ou du chômage à l’emploi, de l’emploi au chômage et ainsi de suite selon toutes les combinaisons possibles) sur le marché du travail pratiquement à tous les âges de la vie active. Cependant, ceux qui ne connaissent pas de changement d’état sont beaucoup moins nombreux au fur et à mesure que l’on avance en âge jusqu’à 55 ans (tableau 1). Ce qu’il faut voir aussi, c’est que le nombre de transitions est important (trois transitions et plus) chez les 20-24 ans (26,7%) et même chez les 25-34 ans (17,3%). Les jeunes qui ont connu les soubresauts de l’économie au début de 1980, alors qu’ils avaient de 15 à 24 ans continuent d’être affectés par l’instabilité en emploi.

[72]

Tableau 1
Caractéristiques de l’emploi a selon l’âge,
les étudiants exclus, Québec, 1988-1989

16-19

20-24

25-34

35-44

45-54

55-64

Nombre de transitions (%)

0

23,4

40,8

9,8

63,8

65,0

53,0

1

14,1

15,6

16,3

11,9

11,9

21,0

2

20,0

16,9

16,7

13,0

9,8

14,8

3

10,9

6,0

7,1

3,5

4,8

42

4

16,2

11,7

5,5

3,5

5,9

4,0

5

5,3*

3,6

2,1

2,0

1,0

0,7*

6

10,0

5,4

2,6

2,3

1,7

2,3

Protection (%)

oui

26,0

31,2

41,5

52,0

50,5

56,5

non

74,0

68,8

58,5

48,0

49,5

43,5

Régime de retraite (%)

oui

8,8

18,5

43,7

52,1

52,9

54,7

non

89,5

80,2

54,6

45,5

45,4

44,0

pas de réponse

1,7*

1,3

1,7

2,3

1,7

1,3*

Chômage b (%)

1988

56,6

32,2

21,0

13,6

13,6

14,4

1989

44,0

25,3

19,3

13,2

10,2

11,1

1988 et 1989

67,9

42,3

30,0

20,7

17,6

20,9

Population retenue (%)

100

100

100

100

100

100

(N)

55

659

313

854

917

038

746

448

475

403

251

886

* N < 4 000.

a. Nous avons retenu pour les fins de cette analyse, le premier emploi enregistré pour chaque personne.

b. Toute personne ayant connu au moins une semaine de chômage durant l’année est comprise dans ce pourcentage.

Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l’activité, 1988-89, de Statistique Canada.

Le changement d’état n’est pas nécessairement négatif au sens de l’insertion sur le marché du travail. C’est surtout la possibilité de connaître le mouvement dans le changement d’état qui peut devenir un indicateur d’instabilité. Une étude en ce sens menée par Guy Fréchet à partir de l’Enquête sur l’activité de 1986-1987 [73] indique que le fait d’avoir connu une première transition accroît le risque, à tous les âges de manière à peu près équivalente, d’en connaître une deuxième. L’analyse a été faite jusqu’à la possibilité d’une cinquième transition et la probabilité de risque demeure semblable. Une première transition prend alors une signification importante puisqu’elle inscrit l’individu, pour un pourcentage assez élevé de cas, dans une filière d’instabilité en emploi et ceci est particulièrement vrai pour les 20-24 ans (Fréchet et al., 1990).

Tableau 2
Rapport entre les taux de chômage des 20-24 ans et des 45-54 ans
selon le sexe, 1981-1989, Québec

Taux de chômage

Rapport entre les taux
20-24/45-54

20-24

45-54

T

H

F

T

H

F

T

H

F

1992

16,5

18,8

12,9

10,3

9,6

11,3

1,60

2,06

1,14

1991

17,5

21,7

12,9

9,2

8,6

10,0

1,90

2,52

1,29

1990

14,1

15,2

12,8

8,7

7,7

10,2

1,62

1,97

1,25

1989

11,9

12,7

11,0

6,6

6,1

7,3

1,80

2,08

1,51

1988

12,9

14,0

11,6

7,3

5,8

9,4

1,77

2,41

1,23

1987

14,2

15,0

13,3

8,2

7,6

9,0

1,73

1,97

1,48

1986

16,0

17,4

14,6

8,0

6,9

9,9

2,00

2,52

1,47

1985

16,9

19,1

14,4

8,5

7,9

9,6

1,99

2,41

1,50

1984

18,3

19,2

17,2

9,4

8,4

11,2

1,95

2,29

1,54

1983

20,7

23,6

17,6

9,3

8,9

10,1

2,23

2,65

1,74

1982

20,6

22,6

18,3

8,7

8,2

9,6

2,37

2,76

1,90

1981

15,3

16,6

13,7

7,0

6,4

8,1

2,19

2,59

1,69

Source : Calculs de l’auteur selon les données de Statistique Canada, La population active, 1981-1988, cat. 71-529 ; 1989, cat. 71-001 ; 1990, 1991 et 1992, cat. 71-220.


Ces deux séries d’observations permettent d’interroger la façon de concevoir la situation des jeunes en emploi uniquement sous l’angle du chômage ou de celui des taux d’activité. Ainsi le taux de chômage des 20-24 ans au Québec était de 12,9% et de 11,9% en 1988 et 1989, ce qui constitue une baisse importante depuis les 20,6% et 20,7% de 1982 et 1983 (tableau 2). Ces taux ne disent cependant pas s’il s’agit de chômage de longue durée pour un petit nombre de chômeurs ou de chômage de courte durée (intermittence emploi-chômage) pour un grand nombre. En 1988 par exemple, l’Enquête [74] sur l’activité montre que 32,2% des travailleurs de 20-24 ans (excluant les étudiants et les personnes inactives pendant toute l’année) ont connu au moins une semaine de chômage, c’est-à-dire qu’ils ont été sans emploi et à la recherche d’un emploi. En 1989, ils étaient 25,3% dans la même situation (tableau 2).

Dans tous les calculs, il importe aussi de distinguer étudiants et travailleurs, ce qui n’est habituellement pas fait. Les premiers sont effectivement moins stables vis-à-vis l’emploi que les seconds ce qui rend difficile la comparaison avec les autres groupes d’âge. Dans nos sociétés, le travail étudiant remplit une fonction bien particulière : remplacement des employés en vacances, emplois saisonniers, emplois qui ne fournissent qu’un revenu d’appoint et auxquels n’aspirent pas les jeunes en quête d’un emploi régulier même si plusieurs ont dû s’en satisfaire au moment où le chômage atteignait des sommets. Dans une enquête effectuée par le ministère de l’Éducation auprès des élèves du secondaire, 83,5% des élèves qui avaient un emploi ont répondu oui à l’affirmation suivante : « Pour le moment, ce travail me va, mais je ne ferais pas ça toute ma vie » (Beauchesne et Dumas, 1993 : 45).

Si les taux de chômage rendent plus ou moins adéquatement compte de la situation des jeunes, ils ne décrivent pas plus fidèlement celle des aînés. Ces derniers sont certes plus stables en emploi et proportionnellement moins nombreux à connaître le chômage, mais celui-ci est de plus longue durée et l’écart entre les moyennes a eu tendance à s’élargir depuis le milieu de la dernière décennie (graphique 1).

Les individus de 45 ans et plus ont connu des périodes de chômage d’une durée moyenne s’étendant jusqu’à 36,5 semaines en 1987. Même si le taux de chômage avait baissé au Québec en 1989, sans toutefois revenir au niveau de celui de 1976 (8,7 en 1976 par rapport à 9,3 en 1989), la durée moyenne du chômage pour ce groupe d’âge n’avait pas diminué dans les mêmes proportions. Elle était de 33,1 semaines en 1989 et de 19,8 semaines en 1976. En 1992, elle était de 31,1 semaines. Ce sont les hommes, dans ce groupe, qui ont la plus longue durée de chômage. On retrouve ces chômeurs parmi les moins scolarisés (Statistique Canada, 1992).

[75]

Graphique 1
Durée moyenne du chômage selon l'âge, Québec, 1976-1992

Source : Statistique Canada, Moyennes annuelles de la population active, Ottawa, cat. 71-529 et 71-220.

[76]

Des différences qui accentuent les écarts
entre groupes d’âge et sous-groupes
d’une même cohorte


La forte proportion de jeunes adultes qui connaissent l’intermittence emploi-chômage marque une première différence entre les groupes d’âge bien qu’une certaine proportion des aînés ne soit pas à l’abri de ce phénomène, mais de façon moins accentuée. L’intermittence chez les jeunes est renforcée, si ce n’est produit, par d’autres caractéristiques des emplois qui ont été le lot d’une portion importante de jeunes au cours de la dernière décennie. Les secteurs d’emploi, la taille des entreprises, la présence d’un syndicat ou d’une convention collective et le régime d’emploi se combinent pour constituer une situation qui n’est avantageuse ni du côté de la rémunération et des avantages sociaux, ni du côté de la stabilité d’emploi. Ces critères externes de différenciation renforcent ceux liés au sexe et au niveau de scolarité. Ils ne vont cependant pas toujours dans le sens attendu.


a) Myles, Picot et Wannell (1988) ont montré comment les niveaux de rémunération où se trouvent les jeunes ont connu une baisse entre 1981 et 1986. La modification de la structure des salaires au sein des catégories professionnelles a particulièrement touché les jeunes. Selon cette enquête, la proportion des emplois dans les niveaux inférieurs de rémunération a augmenté de 19,0% au Québec pour les 16-24 ans alors que les emplois dans les niveaux supérieurs de rémunération ont augmenté de 2,0% pour les 35- 49 ans et de 6,3% pour les 50 ans et plus. Alors que la part des emplois les mieux rémunérés a augmenté chez les plus scolarisés de 50 ans et plus [2], elle a diminué chez les moins de 25 ans de même niveau de scolarité. Ces changements ont eu plus d’impact chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes, même chez les 25- 34 ans. La même étude n’a pas été reprise pour la deuxième moitié de la décennie de 1980. Cependant, Simon Langlois, à partir de l’analyse du revenu des familles avec enfants, montre que les jeunes familles (moins de 40 ans), même celles comptant deux revenus, n’ont pas réussi à maintenir les gains de la classe moyenne : « la proportion des jeunes familles qui glissent vers les échelons inférieurs augmente fortement, passant de 26% à 33% » entre 1960 et 1990 (1993).


b) La modification dans les secteurs d’emploi a aussi joué un rôle semblable. Les nouveaux emplois ont été créés surtout dans les secteurs des services personnels et du commerce. Les trois-quarts (74,7%) des 20-24 ans qui ont eu un revenu d’emploi au Québec en  [77] 1988 et 1989, à l’exception des étudiants, peu importe la durée de cet emploi, se sont retrouvés, par ordre d’importance, dans le commerce, les services et l’industrie (Enquête sur l’activité). Ces branches d’activité comportaient, en 1989, les taux moyens de rémunération les plus bas pour ce groupe d’âge (à l’exception de l’agriculture où les 20-24 ans sont peu nombreux) : 8 74$, 8,44$ et 9,73$ l’heure par comparaison avec la finance (12,11$), la construction (12,68$) et l’administration publique (10,13$) où les 20-24 ans sont aussi peu nombreux (tableau 3).

Tableau 3
Taux de salaire horaire pour les travailleurs de 20-24 ans,
selon la branche d’activité, Québec, 1988 et 1989

Taux horaire

Branche d’activité
1988 1989

Agriculture

6,04

6,53

Forêts

9,14*

8,81*

Pêche et piège

10,00*

Mines, carrières

13,48*

14,44*

Industries manufacturières

8,70

9,73

Construction

11,36

12,68

Transport et communication

8,91

11,19

Énergie électrique, gaz et eau

11,57*

12,40*

Commerce

7,85

8,74

Finance, assurances et affaires immobilières

9,57

12,11

Services socio-culturels communautaires et personnels

7,40

8,44

Administration publique

9,90

10,13

Total

8,47

9,55

* N’< 4 000
Source : Statistique Canada, Enquête longitudinale sur l’activité, 1988-89.


Le Conseil économique du Canada constatait, en 1990, que 50% des emplois créés au Canada depuis 1980 étaient précaires et mal payés et formaient 30% de l’emploi total au Canada. La faiblesse dans les taux de rémunération pourrait aussi s’expliquer du fait que les 20-24 ans se trouvent près du tiers dans de très petites entreprises, plus de la moitié dans des entreprises qui comptent moins de 100 employés (tableau 4).

[78]

Tableau 4
Répartition des travailleurs de 20-24 ans
selon la taille de l’entreprise, Québec, 1988-89

Taille de l’entreprise

19 employés(es) ou moins

30,2

20 à 99 employés(es)

23,0

100 à 499 employés(es)

10,9

500 employés(es) et plus

22,3

Ne sait pas

11,3

Total (%)

100,0

N

313 854,0

Source : Statistique Canada, Enquête longitudinale sur l’activité, 1988- 1989.


c) Les jeunes sont nettement moins nombreux que leurs aînés dans des emplois syndiqués ou régis par une convention collective de travail. La faible capacité de payer des entreprises de petite taille se double du fait que le plus souvent il ne s’y trouve pas d’association de travailleurs susceptible de négocier une convention collective de travail. En 1988 et 1989, selon l’Enquête sur l’activité, 31,2% des 20-24 ans qui ont eu un emploi et qui n’étaient plus aux études, pouvaient compter sur les avantages d’une convention collective de travail, alors qu’après 35 ans, plus de 50% des travailleurs se trouvaient dans cette situation. Les 20-24 ans n’étaient que 18,5% à contribuer à un régime de retraite alors que les plus de 35 ans étaient plus de 50% à pouvoir le faire (tableau 1). L’écart n’est plus ici seulement entre groupes d’âge, mais aussi entre jeunes d’un même groupe d’âge, entre ceux qui peuvent profiter de certains avantages sociaux et ceux qui n’ont d’autre protection que la Loi des normes minimales du travail.

d) Les emplois à temps partiel sont surtout le lot des jeunes et des femmes. Depuis 1975, au Québec, le travail à temps partiel a pris de l’importance chez les 15-24 ans. Alors que 11,7% des hommes de 15-24 ans et 12,2% des femmes du même âge travaillaient à temps partiel cette année-là, c’est le fait de 36,4% et 44,4% en 1992 (tableau 5). Dans le cas des jeunes, en particulier, ce régime d’emploi n’est pas toujours volontaire. En 1992, 26,3% des Québécois de 15-24 ans en emploi à temps partiel ont dû se contenter de ce régime d’emploi faute d’autre chose. Les autres ont accepté de travailler à temps partiel parce qu’ils étaient aux études. C’est le [79] petit nombre qui ne désirait pas travailler à plein temps : 6,7% (Statistique Canada, 1992).

Tableau 5
Proportion des 20-24 ans travaillant à temps partiel,
selon le sexe, Québec, 1975-1992

Année

Hommes

Femmes

Total

1975

11,7

12,2

11,9

1976

12,4

15,3

13,8

1977

14,2

15,4

14,9

1978

13,8

16,6

15,1

1979

15,1

19,1

17,0

1980

16,9

19,9

18,3

1981

19,5

22,1

20,7

1982

23,0

26,8

24,8

1983

23,9

28,9

26,4

1984

25,0

30,7

27,7

1985

26,5

32,0

29,2

1986

27,6

33,1

30,2

1987

24,7

34,0

29,1

1988

26,0

33,1

29,3

1989

26,6

35,0

30,6

1990

29,0

37,1

32,9

1991

36,3

39,7

38,1

1992

36,4

44,4

40,4

Source : Statistique Canada, Moyennes annuelles de la population active, cat. 71-529, cat. 71-001, cat. 71-220.


e) La situation des jeunes hommes et des jeunes femmes face à l’emploi ne va pas dans la même direction. Les jeunes hommes ont vu leur taux d’activité osciller depuis le début de la décennie 1980 pour connaître une baisse importante entre 1987 et 1992, soit de 84,5 à 77,4. Les jeunes femmes de 20-24 ans ont participé aux gains de leurs aînées et ont accru leur présence sur le marché du travail jusqu’en 1989. De 67,2 en 1975, leur taux d’activité est passé à 75,6 en 1987. On retrouve le même mouvement à la baisse que chez les jeunes hommes depuis ce temps : le taux d’activité des jeunes femmes était de 71,9 en 1992 (tableau 6).

Les comparaisons entre jeunes femmes et jeunes hommes de 20-24 ans se font à l’avantage des premières, en 1992, en ce qui touche le taux de chômage : 12,9 par rapport à 19,8 et le taux d’activité chez les étudiants : 46,0 par rapport à 39,3. Les jeunes femmes, comme dans les autres groupes d’âge, mais dans une proportion [80] moindre, sont cependant plus nombreuses à être inactives selon les définitions officielles, c’est-à-dire qu’elles ne sont ni en emploi, ni en recherche d’emploi. En 1992, le taux d’activité des jeunes hommes de 20-24 ans était de 77,4, celui des jeunes femmes du même âge de 71,9 (tableau 2). Cela s’explique en partie par la plus grande présence aux études des jeunes femmes (32,3 par rapport à 29,2% en 1992) dont le taux de fréquentation scolaire dépasse celui des jeunes hommes depuis 1988 (Statistique Canada).

Tableau 6
Taux d’activité des 20-24 ans selon le sexe, Québec, 1975-1992

Année

Hommes

Femmes

Total

1975

84,3

67,2

75,7

1976

84,0

67,6

75,8

1977

82,9

68,2

75,5

1978

84,1

70,6

77,3

1979

84,0

70,8

77,4

1980

84,5

72,3

78,4

1981

84,2

71,9

78,0

1982

80,7

71,0

75,8

1983

80,9

72,4

76,6

1984

81,0

73,0

77,0

1985

81,2

73,4

77,3

1986

82,1

75,7

78,9

1987

81,0

75,6

78,3

1988

84,6

74,9

79,8

1980

83,7

74,8

79,3

1990

81,6

74,5

78,1

1991

77,9

73,9

75,9

1992

77,4

71,9

74,7

Source : Statistique Canada, Moyennes annuelles de la population active, cat. 71-529, cat. 71-001, cat. 71-220.


Si les jeunes femmes ont connu une amélioration de leur situation par rapport à celle de leurs aînées au moins en termes d’accès au marché du travail, comme à celui de l’éducation où elles dépassent en nombre les jeunes hommes dans l’obtention d’un diplôme jusqu’à la maîtrise, tel ne semble pas être le cas de leurs homologues masculins. Par exemple, le rapport des taux de chômage entre hommes de 20-24 ans et hommes de 45-54 ans est nettement plus élevé que celui des femmes (tableau 2). En 1992, le rapport du taux de chômage entre les hommes de 20-24 ans et ceux de 45-54 ans était de 2,06 alors que celui des femmes était de 1,14. Cela [81] s’explique : les jeunes femmes sont plus scolarisées que leurs aînées et les femmes qui ont une durée de chômage longue ont tendance à se décourager et à quitter le milieu du travail. Elles sont alors comptabilisées parmi les inactives. Si, au lieu de comparer les taux de chômage des femmes entre elles, on compare le taux de chômage des jeunes femmes avec ceux des hommes de 45-54 ans, le rapport entre les taux de chômage est moins élevé que pour ces derniers : 1,34 par rapport à 2,06. Il faut cependant ajouter que les jeunes femmes, comme leurs aînées, sont plus nombreuses que les jeunes hommes dans les catégories d’emploi les moins bien rémunérées, et cela vaut pour l’ensemble du Canada selon l’étude de Myles et al. (1988 : 34-35). Ces mêmes auteurs font cependant remarquer que le transfert des emplois vers le bas de 1981 à 1986 pour les moins de 25 ans a subi le même mouvement chez les hommes que chez les femmes.

f) Le niveau de scolarité constitue une barrière encore plus grande chez les jeunes que chez leurs aînés. Une analyse de l’Enquête sur l’activité de Statistique Canada montrait que les différences par rapport à l’emploi entre moyennement et faiblement scolarisés pouvaient parfois être minimes et même en faveur des faiblement scolarisés (Fréchet et Bernier, 1991 : 41 et 47). Cette constatation était effectuée sans considération de l’âge. Il est en effet possible d’observer une plus grande stabilité en emploi chez les aînés peu scolarisés que chez les plus jeunes, peu importe leur niveau de scolarité. Ce fait s’explique à la fois par le critère de l’ancienneté soutenu par les conventions collectives, par un niveau moyen de scolarité légèrement plus élevé chez les jeunes que chez les 45 ans et plus et par les secteurs d’emploi où les aînés sont proportionnellement plus nombreux ; la grande entreprise, par exemple, lorsqu’elle a survécu aux crises et aux récessions successives, favorise la stabilité d’emploi chez les employés plus anciens.

À l’intérieur d’un même groupe d’âge, cependant, qu’il s’agisse des aînés ou des plus jeunes, le critère de la scolarité intervient. Lorsque les aînés peu scolarisés se trouvent en chômage, ils accroissent le contingent des chômeurs de longue durée qui ont des difficultés à réintégrer le marché du travail faute d’une formation de base qui permet les recyclages subséquents. Cette situation peut ne pas toujours être aussi fatale pour les jeunes puisque les retours aux études sont toujours possibles, en particulier dans le cadre de l’éducation permanente qui a pris beaucoup d’ampleur au cours de la dernière décennie (Gauthier, 1993 : 73-79).

[82]

g) Le rapport entre les taux de chômage et la durée du chômage n’indique pas nécessairement une amélioration en faveur des jeunes, mais peut aussi signifier une détérioration de la situation des aînés. De 1986 à 1989, l’indice de gravité du chômage chez les moins de 25 ans a diminué et a été dépassé par celui des 25 ans et plus (tableau 7).

Tableau 7
Indice de gravité a du chômage selon l’âge, Québec, 1975-1992

Année

15-24

25-44

45-64

Total

1975

2,1

1976

4,4

22

22

2,7

1977

42

2,7

2,5

32

1978

5,3

3,0

3,0

3,5

1979

4,5

2,6

2,4

3,0

1980

4,9

2,6

2,8

32

1981

5,4

3,3

2,7

3,6

1982

8,4

5,0

32

5,5

1983

8,9

6,3

5,5

6,7

1984

7,3

5,8

5,5

6,0

1985

6,2

5,5

6,1

5,7

1986

5,1

5,1

6,1

52

1987

4,8

4$

5,8

5,1

1988

3,5

4,1

4,5

4,0

1989

3,2

4,1

4,6

4,0

1990

4,1

3,8

4,4

4,0

1991

5,8

4,9

52

5,1

1992

6,2

6,5

6,5

6,4

a Indice = (Durée du chômage en semaines x taux de chômage)/52

Source : Statistique Canada, Moyennes annuelles de la population active, cat. 71-529, cat. 71-001, cat. 71-220.


Cela ne signifie pas pour autant que la situation des jeunes se soit beaucoup améliorée, mais que, par comparaison, celle des aînés s’est détériorée. Ainsi, les chômeurs de 45 ans et plus en particulier, ont vu leur période de chômage passer d’une durée moyenne de 19,1 semaines en 1981 à 29,0 semaines en 1987 et se retrouver à 31,1 semaines en 1992 (graphique 1).

Si les jeunes hommes ont une durée de chômage moins longue que celle des hommes de 45 ans et plus, par contre, les aînés sont plus nombreux à être protégés par une assurance-salaire et l’assurance-chômage, cette dernière étant plus restrictive, il est vrai, depuis 1979 quant à la période d’admissibilité. Elle pénalise [83] par contre les personnes instables en emploi, beaucoup plus nombreuses chez les jeunes comme on l’a vu.

La comparaison entre groupes d’âge montre une détérioration de la situation des plus jeunes pris globalement au cours des années 1980. Les écarts sont encore plus grands lorsque l’on établit la comparaison entre divers sous-groupes d’une même cohorte. L’amélioration obtenue chez certains sous-groupes d’aînés mise en rapport avec la détérioration chez certains sous-groupes de jeunes, montre un écart qui ne s’est pas beaucoup estompé au cours des dernières années. Les différences observées ne sont pas seulement un effet de l’âge puisque tous les individus du même âge ne sont pas touchés de la même façon. Cependant, ils sont encore plus qu’un effet de génération, puisqu’ils pourraient signifier l’accentuation de traits présageant de la construction de nouvelles catégories sociales.

Une redéfinition prévisible des rapports sociaux

La présence des moins de 25 ans dans les secteurs d’activité les moins bien rémunérés et les moins bien protégés par une convention collective de travail, dans des entreprises de petite taille moins susceptibles d’offrir des conditions avantageuses et dans des emplois de courte durée ou à temps partiel, crée une situation qui pourrait bien conduire à une redéfinition des rapports sociaux, si ces caractéristiques de l’insertion en emploi perdurent.

a) L’existence des extrêmes, dans un même milieu de travail, constitue l’une des contradictions du marché du travail occasionnées par l’introduction des différentes formes de flexibilité dans l’emploi. Dans une même entreprise et pour le même type d’emploi, les employés temporaires côtoient les employés réguliers ou permanents, les employés à temps partiel ceux à temps plein. Au Québec, en 1983, il y avait 46,4% des conventions collectives qui tenaient compte du travail à temps partiel. Seulement 14,6% de toutes les conventions prévoyaient les mêmes dispositions pour les employés à temps partiels que pour ceux à plein temps (Guilloteau, 1984). Dix ans plus tard, la situation s’est quelque peu améliorée puisque 38,4% des conventions contiennent des dispositions concernant le travail à temps partiel, 0,5% s’adressent uniquement à des travailleurs à temps partiel et 13,1% des conventions contiennent les mêmes dispositions pour les employés à temps partiel que pour ceux à plein temps (ministère du Travail, 1993).

[84]

Certaines conventions collectives contribuent elles-mêmes à créer des différences vis-à-vis les derniers entrés en emploi cette fois. Pour éviter la fermeture d’entreprises ou les mises à pied, même les syndicats acceptent de signer des conventions à double échelle salariale ou à paliers multiples pour répondre à la demande patronale justifiée le plus souvent par la forte concurrence, en particulier dans les secteurs du commerce. Ceux qui entrent dans l’entreprise sont ainsi classifiés dans une filière moins rémunératrice qui risque de les poursuivre tout au long de leur carrière. Une étude du ministère du Travail du gouvernement du Québec montre que 6,1% des conventions signées en 1986 comportaient ce type de rémunération (Pes et Blanchet, 1988). Les auteurs expliquent l’écart québécois avec le taux américain de 10% par le fait que les définitions ne sont pas les mêmes. Le Bureau of National Affairs Inc. aux États-Unis inclut dans sa définition le cas des conventions collectives renouvelées à la baisse aux échelons inférieurs, ce qui porte préjudice aux nouveaux salariés par rapport aux anciens. Le Centre de recherche québécois ne tient compte que des conventions qui ont des échelles distinctes et une rémunération différenciée à chaque échelon à partir de la date d’embauche. Il n’y a pas d’études récentes sur cette question, mais la pratique se poursuit puisque les médias d’information ont fait état, au cours de l’été de 1993, d’une ville qui prévoyait une échelle de salaire différente pour d’éventuels employés.

b) L’un des effets de la détérioration de la situation des jeunes sur le marché du travail concerne les changements dans la stratification sociale. Alors que le taux de pauvreté chez les personnes âgées a diminué depuis la fin de la décennie de 1970 dans tous les groupes d’âge, le pourcentage de pauvres de moins de 25 ans s’est accru (Zouali, 1991 ; Conseil national du bien-être social, 1992). Deux groupes de jeunes sont particulièrement visés : les personnes qui vivent seules et les familles monoparentales. En 1988, 8,4% des familles pauvres avaient moins de 25 ans alors qu’elles représentaient seulement 3,9% de l’ensemble des familles. De même en était-il des personnes pauvres qui vivent seules : 11,3% avaient moins de 25 ans alors qu’elles ne représentaient que 8,7% des personnes seules dans l’ensemble de la population. Les familles de 15-24 ans et les jeunes du même âge qui vivent seuls ont vu leur taux de pauvreté augmenter entre 1973 et 1988, pour atteindre, en 1984, le sommet de 31,3% chez les jeunes familles et de 59,5% chez les jeunes qui vivaient seuls. Les taux ont diminué de quelques points en 1988 pour se situer à 29,1% et à 55,3% respectivement (Zouali, 1991 : 4-20).

[85]

Comment en est-on venu à de telles disparités ? Des régimes de transfert et des mesures sociales ont eu des effets bénéfiques sur les groupes plus âgés de la population alors que d’autres mesures ont accentué les difficultés qui continuent d’entourer l’insertion en emploi des jeunes. Par exemple, une certaine proportion de jeunes ne peuvent bénéficier de l’assurance-chômage, soit que leur emploi ne comprenne pas suffisamment d’heures travaillées (au moins 15 heures par semaine) ou qu’il ne comporte pas une rémunération équivalente ou supérieure à 156$ (pour 1994). Dans ces cas, l’employeur n’est pas tenu de verser sa contribution. De même l’augmentation du nombre de semaines de travail requises avant d’être admissible à l’assurance-chômage a-t-il été augmenté en 1979 au moment où le problème du chômage devenait aigu pour les jeunes. La loi québécoise de l’aide sociale prévoyait, jusqu’à la réforme de 1988, une allocation de beaucoup inférieure pour les bénéficiaires de moins de trente ans. Cette clause discriminatoire est maintenant disparue, mais elle a été remplacée par des critères plus sévères d’admissibilité et tient compte de la responsabilité parentale dans le cas du jeune qui n’est pas considéré comme indépendant de ses parents.

L’accroissement du nombre de familles à deux revenus accentue encore plus la distance entre celles-ci et les familles monoparentales, dirigées par des femmes le plus souvent, qui doivent se contenter de la prestation d’aide sociale. Dans ce cas, la situation du Québec s’est aggravée par rapport à l’ensemble canadien et à l’Ontario en particulier (ministère de la Main-d’œuvre et de la Sécurité du revenu, 1990).

De nouvelles classes émergeront-elles de ces disparités qui rappellent les écarts que les politiques sociales et les mesures de transfert des années de prospérité d’après-guerre ont voulu corriger ? L’hypothèse de la détérioration des acquis de la classe moyenne pourrait se vérifier si des mesures ou un marché du travail plus favorable aux jeunes de même qu’aux chômeurs de longue durée ne sont pas mis en place pour éviter l’approfondissement des inégalités : d’un côté, des jeunes en quête d’une autonomie qui ne vient pas, des jeunes femmes faiblement scolarisées qui sont hors du marché du travail et qui se retrouvent seules pour assumer le soutien et l’éducation de leurs enfants, des travailleurs incertains du lendemain, des chômeurs âgés trop peu scolarisés pour se recycler facilement et, tout à côté, des professionnels qui réussissent, des familles à double revenu qui font tourner l’économie d’une société de consommation et des employés permanents qui [86] ont moins de crainte pour leur avenir, même si les gains des classes moyennes sont érodés de toutes parts.

c) Au moment où la recherche d’un rapport plus égalitaire entre les sexes atteint presque le point de non-retour, comment se traduira la déception des jeunes hommes qui ont sans doute été les perdants des difficultés économiques de la dernière décennie par l’écart considérable qui les sépare de leurs aînés même si certains parmi ceux-ci ont subi le même sort ? Pour ceux qui ont eu du mal à accepter la redéfinition des rôles à l’intérieur du couple, n’y a-t-il pas risque d’un double sentiment d’aliénation : celui d’être perdant au travail comme dans la vie privée ? Des manifestations d’agressivité envers les femmes, la crainte des responsabilités familiales, le besoin de se regrouper entre hommes pour réfléchir sur la condition masculine constituent autant de signes d’un malaise qui déborde sans doute la question des conditions de travail, mais qui est loin de l’exclure si l’on songe à l’importance que prenait le rôle de pourvoyeur jusqu’à une époque toute récente [3].

d) Le long moratoire imposé aux jeunes risque-t-il d’avoir un impact sur les rapports entre générations qui pourrait conduire au conflit de générations ? La proportion de jeunes qui continuent d’habiter avec la famille d’origine s’est accrue de 10% au cours des années 1980. Elle est de 51% au recensement de 1991. Le maintien de la dépendance assorti du fait que les familles sont peu nombreuses, atténue sans aucun doute les difficultés qui pourraient surgir dans les rapports avec les aînés. L’impératif de compter sur la famille oblige à tout mettre en œuvre pour éviter les oppositions trop manifestes. La pauvreté accrue de certains types de famille constitue un autre facteur de différenciation entre les jeunes qui peuvent compter sur le soutien de leur famille et ceux qui ne le peuvent pas. L’éloignement de la famille a contribué, lorsqu’il est accompagné de la difficulté d’insertion professionnelle, à créer une catégorie sociale que des auteurs nomment la « désaffiliation » pour indiquer l’isolement social dans lequel se trouvent certaines catégories de jeunes (Castel, 1991).

Jusqu’aux cohortes d’après-guerre, les jeunes entraient sur le marché du travail pour aider leurs parents à subvenir aux besoins de la famille. À cause de la prolongation de la période de scolarisation et des difficultés entourant l’insertion professionnelle, c’est la famille qui doit aujourd’hui assurer la subsistance et la sécurité de ses jeunes adultes. Des stratégies nouvelles se dessinent en prenant comme assise le domicile de la famille d’origine. Il faudra prendre le temps de les observer puisqu’elles seront sans doute à [87] l’origine d’une redéfinition des relations familiales qui pourrait aller jusqu’à une recomposition des structures de la famille. Lucie Mercier a posé ce problème en ces termes lors d’une communication au deuxième symposium sur la famille : « La famille soutien des jeunes adultes et des parents vieillissants : une réalité nouvelle » (1993).

Des rapports sans trop de heurts apparents s’instaurent entre les jeunes adultes et leurs parents qui ont les moyens financiers de les soutenir pendant la longue période d’installation en emploi. En l’absence de ce mode de solidarité, des jeunes de plus en plus nombreux connaissent des difficultés qui peuvent s’étendre jusqu’à la pauvreté (Gauthier et Mercier, 1993). Les jeunes qui vivent seuls sont particulièrement vulnérables comme on l’a vu plus haut. Au lieu de conduire au conflit de générations, cette expérience rend plutôt inexistants les rapports de générations.

Il est justifié de se demander quel type de relations entretiendront avec leurs aînés ceux qui n’auront pas eu la possibilité de participer à des fonds de retraite ou à des assurances collectives. N’ayant pu cumuler ces ressources pour eux-mêmes, pourront-ils soutenir la génération du « baby-boom » beaucoup plus nombreuse que la leur ? Le financement de la vie collective ne reposera-t-il que sur une minorité de travailleurs ?

Conclusion

Les indicateurs traditionnels ne suffisent plus à donner une vision adéquate de la situation de l’emploi chez les jeunes comme chez les plus âgés. Le taux de chômage a baissé vers la fin de la dernière décennie, mais cette baisse ne reflète pas le fait que les emplois où se retrouvent les jeunes n’ont pas la qualité entendue au sens de taux de rémunération, d’avantages sociaux et de durée. L’écart entre les plus de 35 ans et les plus jeunes n’est pas de bon augure pour la cohorte qui a connu les problèmes du début des années 1980. La situation des jeunes s’est détériorée dans tous les domaines de l’emploi à l’exception des taux de chômage qui cachent cependant le problème de l’intermittence en emploi pour eux.

La remise en question du taux de chômage comme principal indicateur de la situation des jeunes sur le marché du travail pourrait permettre le renouvellement de la problématique de l’insertion professionnelle. Dans la division actuelle du travail, l’âge serait devenu un facteur de différenciation. Des problèmes se posent aux [88] deux extrémités de la vie active, mais qui sont de nature différente, le taux de chômage dissimulant, chez les aînés, la longue durée des périodes sans emploi. La différenciation de l’emploi selon l’âge ne fait cependant pas disparaître la différenciation traditionnelle selon les catégories sociales. Elle ajoute le clivage des générations à d’autres critères de stratification à l’intérieur d’une même cohorte. L’instabilité d’emploi se superpose à la situation d’infériorité des moins scolarisés, des femmes sans métier qui se retrouvent seul soutien de famille ou des travailleurs sans qualifications.

Certaines politiques contribuent à accroître les difficultés qui accompagnent le long moratoire dans l’accessibilité à l’emploi stable. Parmi celles-là, il faut compter l’augmentation de la période de probation avant l’obtention de l’assurance-chômage, le durcissement des règles d’attribution de l’aide sociale et le report sur la famille d’origine qui en a les moyens de la responsabilité des jeunes de moins de 30 ans sans ressources (réforme de la Loi sur la sécurité du revenu en 1988). La main-d’œuvre âgée qui se retrouve sans emploi est démunie en l’absence de programmes d’aide au reclassement adaptés à sa situation. Les jeunes travailleurs sont le plus souvent laissés à eux-mêmes en l’absence des associations dont les aînés sont plus nombreux à pouvoir profiter : les syndicats ont surgi dans un contexte de développement industriel et non dans celui du secteur tertiaire et des petites entreprises qui a caractérisé la dernière décennie. L’assurance-chômage a aussi été créée pour un chômage consécutif à la perte d’un emploi « typique ». D’autres mesures demandent à être revues dans une perspective de création d’emplois, certes, mais aussi d’adaptation à un contexte d’attente et d’insécurité quotidiennes qui risque de compromettre l’avenir de plusieurs jeunes et le repos mérité de certains aînés.

NOTES

[89]
[90]

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ZOUALI, S. (1991), Analyse descriptive de l’évolution de la pauvreté au Québec et dans les autres régions canadiennes, 1973-1988, Québec, ministère de la Main-d’œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle.



* Madeleine Gauthier est chercheure à l’Institut québécois de recherche sur la culture (INRS).

[1] Des chercheurs s’entendent pour dire que l’accession à un statut professionnel se fait majoritairement après 25 ans (Baudelot, 1988). D’autres font ressortir la lenteur d’insertion professionnelle des jeunes de la fin des années 1970 et des années 1980 (Galland, 1984).

[2] Kosters a constaté, à partir des données du Current Population Survey aux États-Unis, que de 1973 à 1988 les salaires des travailleurs qui avaient douze ans ou moins de scolarité avaient diminué alors que ceux des travailleurs qui avaient seize ans ou plus de scolarité avaient augmenté (1990 : 309).

[3] Voir la recherche documentaire de Germain Dulac qui fait état de la définition historique des rôles et des rapports hommes-femmes dans le contexte actuel (1993).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 février 2022 9:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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