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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'Avenir de l'esprit. Prospectives. Entretiens avec François L'Yvonnet. (2001)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Thierry Gaudin, L'Avenir de l'esprit. Prospectives. Entretiens avec François L'Yvonnet. Paris: Albin Michel, Éditeur, 2001, 356 pp. Collection: Essais/clés. [Autorisation accordée par l'auteur le 10 juin 2009 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

« Pour aller où tu ne sais pas, il faut aller par où tu sais. »
Saint Jean de la Croix
« Pour aller où tu ne sais pas, il faut aller par où tu ne sais pas. »
Idries Shah

par François L'Yvonnet

Thierry Gaudin est une figure atypique, pour ne pas dire franchement détonante dans le paysage de la pensée française. Ni vraiment d'avant-garde : à quoi bon épater son monde par des fuites en avant erratiques et esthétisantes ? Ni « maudit », ce qui le condamnerait à vaticiner dans les marges. Ni vraiment orphelin, la génération spontanée des esprits n'ayant guère plus de sens que celle des bactéries, et il en va des idées comme des choses vivantes... Il se reconnaît même quelques maîtres, dont on trouvera la trace dans ce volume, qui surent l'arracher au mol oreiller des idées toutes faites. Thierry Gaudin n'est pas non plus ce que l'on appelle d'ordinaire un intellectuel, cette espèce curieuse en voie de disparition qui, selon le mot de Claudel, « posséderait un instrument pour lequel il n'y a pas d'emploi ». Ce qui ressort assurément des pages qui suivent est un refus de juger, de donner à la planète entière des leçons de morale, de dire le bien et le mal avec aplomb, avec cette outrecuidance, cette folle prétention qui est l'apanage des cuistres. Non, vraiment rien de tout cela, plutôt une volonté de comprendre, d'expliquer, d'essayer de penser le monde, le nôtre, le seul disponible, dont la connaissance encore balbutiante requiert, pour qu'en soit dégagée toute la complexité, des approches multiples...

Thierry Gaudin est un philosophe, mais hors les murs, un scientifique formé aux meilleures écoles, qui ne néglige pour autant aucun savoir, d'où qu'il vienne, des sciences dites « molles », des mythes, de la poésie, des religions, voire de ce que l'on appelle pudiquement les « parasciences ». Puisqu'une fois de plus il ne s'agit pas de dire le vrai et le faux, mais d'explorer les possibles de l'Esprit. Si le mot « spiritualité » a un sens, c'est bien celui-là ! Foi en l'homme si l'on veut, qui est bien la « merveille » dont parlait Sophocle, mais à la condition expresse de ne point l'arracher à son milieu, de ne point l'amputer de ce qui en lui rayonne, le tout de la nature vivante et non vivante. En ces temps de désarroi et d'inquiétude, en ces temps sombres où l'horizon semble bouché, où les tensions s'exacerbent, où la promesse d'un avenir commun paraît problématique, de telles exigences ne sont pas vaines.

Thierry Gaudin appartient à une lignée très française, celle des « ingénieurs visionnaires », tout droit sortis de l'École polytechnique, d'où jaillira parmi le meilleur de notre intelligence. Une famille certes hétérogène mais à l'insigne fertilité théorique. De Prosper Enfantin, saint-simonien de la première heure, à Georges Sorel, l'auteur des célèbres Réflexions sur la violence, en passant par Auguste Comte, Frédéric Le Play ou Victor Considérant, disciple de Fourier... Jusqu'aux fulgurances d'un Raymond Abellio dans la compagnie duquel notre auteur passa de longs moments. Des destins éclatés qu'unissent un même souci du bien commun, une même volonté de travailler à l'amélioration des conditions d'existence du plus grand nombre, une même vocation universaliste.

Thierry Gaudin est un penseur exigeant, résolument au cœur du monde se faisant. Son métier, c'est la prospective, un mot d'usage assez récent, un savoir en formation, mais qui renvoie à une « intuition » au moins aussi vieille que l'homme, puisque le vivant en général se projette dans l'avenir pour essayer d'y construire. Cette faculté projective s'est particulièrement développée dans notre espèce, profondément constructiviste. « Le travail du prospectiviste, dit-il, consiste à mettre les visions d'avenir en délibération, à chercher les concepts structurants, les outils mentaux qui aident à baliser la perception du futur. À cet effet, Thierry Gaudin a rassemblé une information considérable, lu « presque » tous les livres, ne négligeant aucun pan de la culture humaine, à commencer par le monde de l'entreprise où le mène régulièrement son activité, et cela aux quatre coins du globe...

La prospective du siècle prochain, telle qu'à grands traits par lui esquissée, se nourrit des acquis fondamentaux des sciences cognitives et de la nouvelle civilisation qu'elles augurent, sur les ruines de l'idéologie scientiste fondée sur l'hypothèse d'un sujet unique et omniscient, dernier avatar de la divinité. Avec le « cognitif » surgit la multiplicité des sujets, en même temps que s'imposent d'autres paradigmes, d'autres modèles du fonctionnement de l'esprit. Après l'exploration des continents, après la conquête de l'espace, « il ne reste plus à explorer, nous ditil, que soi-même, continent aussi vaste que tous les autres réunis... ». Cette nouvelle civilisation est porteuse d'un très grand potentiel créateur, elle est aussi chargée de nouvelles menaces. Après l'exploitation de la faiblesse économique, qui caractérisait le système capitaliste, vient celle de la faiblesse psychique. Avec en perspective les publicitaires, ces nouveaux sophistes, en étant les parangons  le risque d'une manipulation mentale généralisée au service d'intérêts masqués... Programmatique et stratégique, le propos de Thierry Gaudin est encore un appel à la résistance au nom de la diversité du vivant.

Ni catastrophisme : à force de crier au loup, comme chacun sait, on ne prête plus l'oreille ; ni angélisme : il faut savoir regarder les choses en face et ne point s'étonner que les modes de fonctionnement de nos sociétés puissent provoquer des dégâts considérables. La tâche que se donne le prospectiviste est de préparer l'avenir qui ne sera jamais que ce que nous en ferons. Umberto Eco se plait à dire que les philosophes n'ont pas d'idée sur le futur, qu'il leur suffit de savoir que « les hommes sont mortels ». Soit, il ne s'agit pas de dire le futur comme on dit la bonne aventure, car il ne saurait être déjà donné, ni déjà pensé, il est à construire pourtant, ici et maintenant. Vaste programme qui exige, comme dit le poète, que soient tirées de « nouvelles salves d'avenir »...

C'est une autre manière de s'affronter à la réalité du monde, une autre manière d'aller de l'avant, une autre manière tout simplement de se tenir dans la société des hommes, dont je n'étais guère coutumier, et dont la découverte, je l'avoue, fut d'abord un peu déconcertante avant de s'imposer dans sa généreuse fécondité.

« Doucement, nous sommes pressés », déclarait Talleyrand au Congrès de Vienne, une parole très appropriée en l'espèce, car il n'y a pas de temps à perdre, et du ciel ne viendra jamais la moindre solution miraculeuse. Il faut apprendre à porter sa vue au loin, mais pour atteindre le but fixé, la pensée doit emprunter des détours, des chemins de traverse, ne point pécher par précipitation. C'est l'objet de nos entretiens : cerner les enjeux, fourbir les concepts, construire un cadre théorique qui autorise une vision de l'avenir du monde, d'un monde effectivement partagé et protégé, sous peine de dispersion fatale.

François L'Yvonnet



Retour au texte de l'auteur: Thierry Gaudin, prospectiviste Dernière mise à jour de cette page le dimanche 5 juillet 2015 5:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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