Présentation
C'est, pour moi, la seconde crise mondiale, car je suis né à Dunkerque, en 1927, si bien que la crise dite de 1929 et la longue guerre mondiale qui l'a prolongée ont marqué tout mon jeune âge. Depuis lors, j'ai suffisamment fréquenté les sciences sociales pour reconnaître l'énormité d'un événement qui est devenu éclatant en 2008. Ce n'était ni une "récession" qui prendrait fin en quelques trimestres, ni une "bulle financière" dûe à la promotion immobilière, aux crédits subprime, aux titres toxiques, aux banques mal gérées, à la prolifération des hedge funds et autres non-banks, etc. Ces explications fugaces ne peuvent rendre compte de ce qui m'apparait comme une crise générale (c'est-à-dire économique, politique et culturelle) laquelle va transformer tout le système mondial. J'ai donc pu intituler "Ma seconde crise mondiale" le bref essai que j'ai publié dès 2009. [1] Aucune retouche majeure n'est à lui apporter, mais, comme il était prévu, cette crise qui durera longtemps encore s'est enrichie de complications diverses, si bien que son réexamen peut être utile.
D'autant que la crise en cours se différencie de la précédente, du fait qu'aucune guerre mondiale ne viendra en hâter l'issue. Maints conflits et plusieurs révolutions couvent ou mûrissent, ci et là, dans le monde actuel, mais rien n'y ressemble au retentissement mondial de la révolution soviétique, ou à la montée du nazisme allemand qui allait subjuguer toute l'Europe, avant que la guerre rayonne de l'Atlantique au Pacifique. Certes, "l'empire du chaos" [2] entretenu par l'omniprésence militaire des États-Unis et, par ailleurs, la montée en puissance de la Chine conduisent quelques prophètes à loger, à l'horizon de leurs visions "globales", une guerre sino-américaine, mais quand je reviendrai, plus loin, sur ces vaticinations, ce sera pour adhérer pleinement à l'opinion de Henry Kissinger [3], ce bon observateur (et acteur) des affaires sino-américaines.
Mes investigations complémentaires vont creuser aussi profond que possible dans toute l'épaisseur sociale où la crise actuelle répand à la fois ses méfaits et ses poussées transformatrices. En effet, cette crise est loin d'être réductible aux cahots financiers et aux désordres économiques qui encombrent ses descriptions, tant il est vrai qu'il faut mobiliser les ressources de toutes les sciences sociales pour rendre intelligible la réalité macrosociologique de ce qui sera finalement une transformation structurelle majeure du système mondial en son entier. Comme après la période 1929-1945, l'humanité se réveillera dans un autre monde, au sortir de la période 2007 2020 (ou plus).
Pour ordonner les explorations qui vont suivre, je ferai choix d'un plan inhabituel, mêlant quelques retours en arrière et quelques réflexions prospectives à l'analyse des novations dont l'assemblage progressif (mais nulle part programmé) donnera vie à ce nouveau système mondial.
J'espère que la patience du lecteur sera finalement récompensée.
[2] Fort bien analysé par Alain Joxe dans l'ouvrage de ce titre (ed. La Découverte, 2004) et dans les Cahiers du CIRPES.
[3] Voir notamment On China (The Penguin Press, New York, 2011).
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