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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Fernand Dumont, RAISONS COMMUNES (1955)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Fernand Dumont, RAISONS COMMUNES, in OEUVRES COMPLÈTES DE FERNAND DUMONT. Tome III: Études québécoises, pp. 557-728 (172 pp.) Québec: Les Presses de l’Université Laval, 2008, 860 pp. [Édition originale: Fernand Dumont, Raisons communes. Montréal: Les Éditions Boréal, 1995.]


[561]

Avant-propos


Chaque fois que reviennent les jours gris, que le devenir prend une couleur monotone et que la politique piétine d’impuissance, on se prend à rêver de quelque sursaut qui remette l’histoire en marche. Au Québec, on se remémore alors avec nostalgie les années de la Révolution tranquille, l’émancipation des esprits, le rajeunissement de l’État, les réformes de l’éducation, les grandes mesures sociales... Certains en appellent à de nouveaux projets collectifs, pour reprendre un vocable naguère très prisé mais dont la saveur s’est édulcorée.

De fait, les problèmes se multiplient qui demanderaient mobilisations et planifications. Si les distinctions entre les anciennes classes sociales se brouillent, notre société n’en devient pas pour autant plus égalitaire. Au début de 1994, on dénombre au Québec 750 000 assistés sociaux et 400 000 chômeurs ; 130 000 travailleurs reçoivent tout juste le salaire minimum ; une personne sur quatre est un analphabète fonctionnel ; 40 000 jeunes quittent l’école chaque année avant d’obtenir le certificat d’études secondaires. Les marginaux du progrès se multiplient. Encore mobilisatrices il y a peu, les idéologies sommeillent. On parle, il est vrai, d’un renouveau du libéralisme ; en réalité, il ne s’agit pas du remplacement d’une idéologie par une autre, mais de la disqualification des vues d’ensemble au profit de l’État gérant.

En même temps on observe une désaffection croissante pour l’allégeance aux grandes institution : aux Églises, aux syndicats, à la politique. Le décalage s’accentue entre le langage officiel et les problèmes nouveaux qui surgissent. Partout se répand le cynisme des citoyens envers les hommes de pouvoir. Des factions sans envergure, pauvres de visions et de diagnostics, ne servent plus de plates-formes pour des engagements sociaux sérieux. Au surplus, l’humeur avec laquelle nous abordons nos difficultés n’est pas rassurante ; bien des gens plaident [562] pour des libérations de toutes sortes avec des rictus, une intolérance, des invectives qui donnent parfois à penser que le mot liberté, dans leur bouche, est un lapsus. Nous faisons souvent de même pour la mémoire collective : tout ce qui s’est passé avant 1960, c’est de l’idéologie, de la colonisation, de l’agriculturisme, sinon du racisme. Nous voilà nippés de neuf, mais on a un peu de mal à s’y reconnaître.

Il n’est certes pas vain de convoquer à de nouvelles mises en chantier. Ajouter une liste aux entreprises d’hier ne sera cependant pas suffisant. Le sentiment d’impuissance actuellement dominant laisse percer un embarras préalable qui concerne le travail commencé avec la Révolution tranquille et qui n’est pas achevé.

Aux lendemains de la dernière guerre, plus ouvertement à partir de 1960, il ne fallait pas seulement se débarrasser du régime de M. Duplessis mais se délester d’un très vieil héritage. Depuis un siècle, la vie publique avait été dominée par le patronage politique et le contrôle clérical ; la survivance tenait lieu de vocation officielle. C’est la société civile que l’on devait réaménager, et pas seulement l’État. Le remaniement des institutions a pris raison d’être dans l’anticipation d’un nouvel espace public. C’est ce projet collectif qui a com­mandé tous les autres et qui nous paraît menacé à l’heure présente.

On voulait, en ces années-là, donner un nouveau sens à la vie commune. Sans doute, pour y arriver, devait-on abolir l’arbitraire dont les instances politiques avaient l’habitude, combattre des intérêts et contester des censures. Toutes initiatives nécessaires mais qui supposaient deux postulats essentiels : que la société ne se réduit pas aux échanges sur des marchés ni à la division du travail ; qu’elle est un partage d’idéaux qui donnent au plus grand nombre le sentiment de participer à l’édification de la Cité.

Entre la société civile, où les individus s’affairent à des intérêts privés, et l’État, qui met ses organismes et ses experts à leur service, la communauté est l’indispensable médiation politique qui confère le statut de citoyen, d’acteur historique. Tandis que les régimes totalitaires reposent sur la contrainte, les régimes démocratiques se réclament de la légitimité. Celle-ci est garantie par des élections, la responsabilité ministérielle, la constitution et les déclarations des droits. Plus importante encore est la confiance dans les institutions. L’habitude aidant et les apparences sauvegardées, cette confiance s’érode sans qu’on y prenne garde. La vigilance est le prix des libertés publiques, et elle est oeuvre de culture ; si elle n’exclut pas les conflits, si même elle y puise vitalité, elle requiert néanmoins un consensus quant à ses conditions d’exercice, un consensus perpétuellement à refaire. Telle était, il me semble, la conviction [563] qui fut à l’origine de la Révolution tranquille. Elle a suscité les projets divers dont on éprouve aujourd’hui quelque nostalgie ; elle inspire le présent ouvrage.

Dans ce bref essai de philosophie politique, je m’attache en effet à ces rai­sons communes susceptibles d’inspirer le projet d’une société démocratique. Si je n’y traite pas de toutes les graves difficultés qui exigent examen et engagements, ce n’est point pour m’évader dans les sphères que l’on dit parfois éthérées du nationalisme, de la culture ou des principes ; j’ai publié récemment, avec des collègues, un énorme ouvrage sur les problèmes sociaux auquel je me permets incidemment de renvoyer le lecteur [1]. Pour l’heure, je m’en tiens à des préalables. Car la prise en charge des problèmes, en particulier celui de l’exclusion, met d’abord en cause la qualité de la vie collective, sa capacité de former des citoyens, la teneur pédagogique de sa culture.

J’ai puisé à certains de mes articles rédigés au cours des ans, en procédant librement à des amputations et à des raccords [2] ; mais une grande partie du texte a été écrite pour le présent ouvrage. J’ai écarté des réflexions de caractère technique qui trouvent ailleurs leur pertinence. La société démocratique étant ici la préoccupation centrale, la démarche doit demeurer proche de la place publique et ne pas trop bousculer ce sens commun que Descartes, non sans une secrète ironie, disait largement répandu.



[1] Fernand Dumont, Simon Langlois et Yves Martin (sous la direction de), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994.

[2] Des extraits d’articles publiés dans Le Devoir, Maintenant, L’Action nationale ; deux articles parus dans Possibles et Relations ; la préface de l’édition anglaise de La Vigile du Québec (Toronto University Press) ; une conférence à un congrès de la CEQ ; le chapitre liminaire de La Société québécoise après trente ans de changements (IQRC) ; un bref texte sur André Laurendeau tiré d’un ouvrage collectif (André Laurendeau, Presses de l’Université du Québec).



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 5 novembre 2011 11:32
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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