RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Fernand DUMONT, “Les idéologies: un nouveau virage.” In ouvrage sous la direction de Guy Lapointe, Crise de prophétisme hier et aujourd’hui. L’itinéraire d’un peuple dans l’œuvre de Jacques Grand’Maison, pp. 49-58. Actes du colloque interdisciplinaire organisé par la Section des études pastorales de la Faculté de théologie de l’Université de Montréal, tenu du 5 au 7 octobre 1989. Montréal: Les Éditions Fides. 1990, 353 pp. Collection: “Héritage et projet”, no 43. Une édition numérique réalisée avec le concours de Loyola Leroux, bénévole, professeur de philosophie retraité du Cégep de Saint-Jérôme, près de Montréal.

[49]

Crise de prophétisme hier et aujourd’hui.

L’itinéraire d’un peuple dans l’œuvre
de Jacques Grand’Maison.

Deuxième partie : Éthique, politique et idéologie

Les idéologies :
nouveau virage
.”

Fernand DUMONT

On ne traite pas des idéologies sans quelque réticence. Nous paraissons alors nous élever dans le ciel éthéré des discours, alors que les problèmes concrets devraient retenir l’attention. Il importe de dissiper ce malaise préalable.

Les sociétés ne sont pas seulement un complexe de genres de vie, de mécanismes économiques, d’organisations sociales, d’instances de décisions. Les sociétés produisent des interprétations d’elles-mêmes, et à plusieurs paliers. Loin de se borner à poser des comportements, les individus les commentent ; ils anticipent leur existence par la parole. Les variations de l’opinion entraînent des convergences collectives provisoires, et qui importent souverainement aux mouvements sociaux et aux gouvernants. Des discours plus articulés, que l’on appelle proprement idéologies, mettent en forme des objectifs et des conflits de plus vaste envergure. À ces divers niveaux, par ce travail en commun du langage, nous avons le sentiment que la société constitue un ensemble où nous prenons attitudes, parti pris, engagements.

Jacques Grand’Maison s’est attaché aux questions les plus au ras du sol de notre société, qu’il se soit agi du sort des jeunes ouvriers de St-Jérôme, de Tricofil, des services de santé, de l’éducation scolaire, de tant d’autres problèmes ; par ailleurs, il s’est beaucoup occupé des idéologies. Il a cru, je crois, que c’est de la confrontation de ces interprétations publiques, avec les problèmes qu’elles révèlent ou dissimulent, qu’advient la précaire vérité de l’engagement. Dans ces brefs propos, je tâcherai de me placer dans le sillon de cet ami, me faisant une fois de plus son complice fraternel.

Comment procéder pour tracer le pointillé d’un examen qui exigerait de minutieuses analyses ? L’idéologie dévoile et cache ; il [50] faudrait dénouer cette ambiguïté. Et puis, les discours idéologiques dont les sociétés se pourvoient ne sont pas les œuvres innocentes de quelques spécialistes. Il y a telle chose que le pouvoir d’imposer à la collectivité des interprétations d’elle-même. Le jeu des classes sociales ne se limite pas à la contrainte physique, au contrôle des comportements, aux différences de revenu ; il est conflit de langages, du plus quotidien de la parole jusqu’aux discours où l’on croit comprendre la réalité sociale.

1. De la conservation au développement

Au début des années 1960, un schéma s’est imposé, et qui a été partagé par les partis politiques et les mouvements sociaux. Il se donnait à la fois comme un bilan du passé de notre société et une utopie pour l’avenir ; par là même, il était censé éclairer le présent. Autour de ce schéma, les idéologies ont brodé bien des variantes, dessiné bien des oppositions ; mais là se trouvait leur commune matrice. En résumé, notre société aurait longtemps vécu de la conservation ; elle serait entrée dans une période de rattrapage ; son avenir serait voué au développement.

Le passé était ramené à la longue survie d’une société stagnante, sous le règne du conservatisme entretenu par l’Église et les politiciens. À la rigueur, on s’en expliquait par la condition de colonisé que notre peuple avait subie ; à la limite, on en rendait compte par la censure, le renfermement, l’obscurantisme. La phase du rattrapage consistait à reprendre les tâches qui n’avaient pas été assumées au cours de ce long retard, à moderniser les structures, à solidifier l’État. La compétence devait y pourvoir, et donc la scolarisation accélérée. Une période de croissance économique y a puissamment aidé, ne l’oublions pas.

À l’organisation sociale de naguère a succédé un réseau plus serré. Dans les mécanismes de l’État, dans l’univers de l’éducation et des services sociaux, des règlements, des commissions et des comités ont régi la vie collective. Les professions se sont munies de critères minutieux. Les experts se sont multipliés ; avec eux, le corporatisme et la bureaucratie ont connu un grand essor. Le syndicalisme a élargi son recrutement et contribué à encadrer des catégories de travailleurs qui ont accédé, dans certains cas, à des privilèges soigneusement définis.

[51]

Un temps, le rattrapage a ainsi semblé assuré. L’État s’était affirmé. Les mouvements sociaux aussi, au point où ils se posaient parfois d’égal avec lui comme interlocuteurs dans une dynamique qui paraissait pousser irrésistiblement en avant. Un personnel politique nouveau, des intellectuels formés aux disciplines les plus modernes, avaient pris le relais du clergé de jadis. Le pluralisme des idées et des mœurs était enfin advenu. Tout était prêt, apparemment, pour la troisième phase : celle du développement.

Où en sommes-nous ? C’est-à-dire, pour ce qui est du thème qui nous occupe, où en est le terrain d’où pourraient naître des idéologies nouvelles, susceptibles de rendre compte de notre société dans son état présent ? On peut observer deux voies principales et complémentaires. D’une part, le rattrapage s’est figé dans les pratiques et les idéologies de la gestion. D’autre part, s’affirment des pratiques et des idéologies du bien-être. Et, par en-dessous, une nouvelle classe sociale, porteuse de ce double idéal, de ce double ferment idéologique, insinue son pouvoir de définir notre société et d’occulter ses nouvelles contradictions.

Je vais m’expliquer là-dessus, d’une manière malheureusement trop sommaire.

2. Ratages et nouvelles contradictions

Au moment même où l’on aurait pu croire réalisés les grands projets collectifs de la Révolution tranquille, voici que partout on observe des ratages. Notre système d’éducation montre des failles de plus en plus évidentes : l’enseignement du français est déficient ; personne ne sait au juste quelles sont les fins propres des Cégeps ; l’université s’inquiète davantage de ses ressources financières que de la qualité de ses apprentissages, l’enseignement étant devenu le parent pauvre de la recherche. Tout le système souffre d’une carence évidente pour ce qui est des mécanismes d’évaluation ; de sorte que les critiques occasionnelles, faute d’appuis dans de solides examens, sont vite récusées. Notre réseau de santé et d’assistance est complexe ; là encore, qu’il s’agisse des salles d’urgence ou des prestations d’aide sociale, en passant par les garderies, on ne parvient pas à remédier aux carences criantes. Les coûts augmentent, sans que l’on puisse prévoir comment nous arriverons à répondre adéquatement aux besoins d’une population vieillissante.

Pendant que l’on s’interroge ainsi sur les possibilités de colmater les brèches des grandes entreprises des années 1960, de nouveaux [52] défis surgissent. Les conflits ethniques, la dénatalité, le chômage des jeunes : la liste est longue. Plus profondément, nous assistons à la consolidation de deux sociétés. On a parlé de « deux Québec » à propos des inégalités régionales grandissantes. On admettra que le problème est plus grave encore si on observe le clivage entre une société bien pourvue en revenus et en privilèges corporatifs et une autre société où l’emploi est épisodique, le syndicalisme absent, la dépendance quotidienne.

Tout se passe comme si nous ne pouvions plus assumer ces graves interrogations dans de nouveaux projets collectifs. En substitut, règne ce que j’ai appelé l’idéologie de la gestion. Administrer est la grande préoccupation de l’État, des responsables des grandes institutions publiques aussi bien que du plus modeste des experts. Cette idéologie gagne la jeunesse : nos universités regorgent de candidats aux programmes très variés qui préparent à l’administration (il vaut mieux dire, à la régulation) de la société.

En complément, une autre idéologie se manifeste au grand jour : celle du bien-vivre et de l’épanouissement individuel. Les signes en sont perceptibles au Québec comme dans tout l’Occident : la préoccupation pour la santé, la beauté, le souci de garder le plus longtemps possible les allures de la jeunesse avec, en contrepartie, la crainte de la vieillesse et la dissimulation de la mort ; la poursuite de la performance, au mépris souvent de la valeur des objectifs poursuivis ; le culte du plaisir raffiné, avec le refus de la passion compromettante ; la recherche de l’équilibre psychique, dans les panoplies des thérapies de toutes espèces ; le refoulement de l’angoisse et de la culpabilité, génératrices de conscience de soi et de questionnement sur les valeurs. On ne se surprend pas que, dans ce contexte, les droits de la personne soient conçus comme des privilèges individuels, que les pauvres soient considérés comme des paresseux ou des incapables, que les idéologies qui poussent sur ces aspirations ne dérangent guère les privilèges des castes anciennes ou nouvelles.

Cette double voie que me paraissent prendre actuellement les idéologies nous indique, une fois de plus, la nature du travail de l’interprétation sociale que les idéologies engendrent. D’un côté, elles mettent à jour les idéaux officiellement permis et consacrés ; les idéologies font voir. D’un autre côté, elles dissimulent. On a beaucoup vilipendé les censeurs des temps anciens, qui réprimaient la parole ne portant pas leur estampille. Les censeurs existent [53] toujours, même s’ils ont changé de costume et si leur magistère se réclame d’autres justifications. Chaque société, quels que soient sa forme et son visage, met en scène des vérités et des idéaux et rejette dans les coulisses ce qu’il ne convient pas d’éclairer.

On a abondamment repéré ceux qui dirigeaient autrefois cette mise en scène. Il est aisé de les dénoncer maintenant qu’ils ont perdu le contrôle du théâtre. Il est plus difficile, plus périlleux peut-être, de se demander qui commande le nouveau spectacle idéologique.

3. Les nouvelles classes sociales

C’est ici qu’il faut situer les transformations majeures des classes sociales depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit sans doute du phénomène majeur de notre temps, au Québec et en Occident. Malheureusement, on pose encore ce vieux problème des classes sociales dans des termes désuets. Naguère, on distinguait un peu grossièrement deux classes extrêmes : la bourgeoisie ; la classe ouvrière, ou plus largement la classe « populaire ». Entre les deux, on rangeait les classes moyennes, dont la condition tenait à l’un ou à l’autre pôle. Évidemment, je schématise beaucoup : on raffinait souvent en ajoutant un sous-prolétariat, en séparant des classes moyennes « supérieures » et « inférieures »... Quoi qu’il en soit, cette géométrie est actuellement à remettre en question. Il existe toujours une grande bourgeoisie, maîtresse des pouvoirs de décision ; son emprise s’exerce sur des espaces sociaux plus ou moins vastes. Il existe toujours une classe populaire, qui ne s’identifie pas au monde ouvrier. Quant aux classes moyennes, elles ont connu une extraordinaire extension, avec l’élargissement des occupations de services et d’administrations.

Ces classes moyennes ne sont pas homogènes ; c’est pourquoi on use du pluriel pour les dénommer. L’une d’entre elles est d’émergence récente. Une grande partie des individus qui s’y réfèrent ont un degré de scolarisation élevé, davantage que bien des gens de la haute bourgeoisie ; s’ils ne contrôlent pas les mécanismes ultimes du pouvoir, ils exercent des responsabilités de gestion où l’expertise joue un rôle décisif. Nous retrouvons ainsi un des vecteurs des nouvelles orientations idéologiques que je discernais plus haut : la nécessité de gérer des institutions de plus en plus complexes exige des réseaux de compétences et de décisions générant des statuts de plus en plus nombreux, qui à leur tour [54] s’organisent en corporations aux frontières et aux objectifs astucieusement défendus. La gestion s’oppose à la propriété comme outil de privilège et de prestige. Dès lors, il est normal que se développent les idéologies correspondantes.

Ce qui permet déjà de discerner en quoi une mutation des classes sociales est aussi une mutation des valeurs collectives. Cette nouvelle classe moyenne est plus instruite ; ses revenus sont parfois accrus considérablement par le double salaire ; profitant enfin d’une prospérité économique qui fut de longue durée, elle a développé ces aspirations au bien-être, ce culte du moi qui sont les caractéristiques de l’individualisme contemporain. La grande bourgeoisie continue d’exercer les pouvoirs des hautes stratégies, d’abord économiques ; mais c’est la nouvelle classe moyenne qui impose les valeurs dominantes de nos sociétés et qui inspire l’élaboration des idéologies d’à-présent.

4. Pour une nouvelle critique sociale

Devant ces idéologies régnantes, devant la classe qui les élabore et les promeut, c’est la responsabilité de la critique sociale de démasquer les sources de leur production. Mais, au nom de quoi effectuer ce travail ? S’il n’y avait pas, dans les sociétés aussi bien que dans les personnes, des visées plus transcendantes de l’existence privée et collective, et susceptibles de mettre en cause le miroir que les idéologies nous tendent, nous n’aurions plus qu’à nous abandonner à l’image qui nous est renvoyée. En d’autres termes, nous n’aurions qu’à nous confier aux idéologies prédominantes, s’il n’existait dans nos sociétés et dans nos cœurs quelque force spirituelle capable de les contester au nom d’une autre vision et d’une autre espérance.

Or, où en sont, dans le Québec d’aujourd’hui, ces forces spirituelles ? Les idéaux que profèrent les idéologies cultivent la performance du gestionnaire et le culte du moi. Peut-on encore parler d’une éthique ? Le mot « morale » fait s’esclaffer à peu près tout le monde. Le pluralisme sert souvent d’alibi ; car il est moins ouverture qu’indifférence à autrui. Les droits de la personne sont couramment confondus avec les droits de l’individu. Quant aux Églises, elles paraissent avant tout soucieuses de la gestion de l’orthodoxie ; les sectes leur font, on le sait, concurrence. Quant au nationalisme, qui fut affirmation de solidarité et conscience historique, sentiment de la dignité de valeurs communes, la nouvelle [55] classe moyenne l’a porté un temps pour s’en désintéresser ensuite parce qu’il contredisait au fond ses autres ambitions.

Dans de semblables conjonctures, la vieille tradition biblique, l’authentique tradition chrétienne indique la voie sans cesse à reprendre : le parti des pauvres, ce que Péguy appelait « l’axe de misère ». À la condition de ne pas donner à la pauvreté quelque image réduite qui en ferait une sorte d’épiphénomène ou de malheur marginal. Les pauvres, ce sont ceux qui sont écartés des idéologies dominantes, non seulement parce qu’ils n’y sont pas encore parvenus mais parce que les idéologies dominantes doivent les écarter pour se constituer. Voilà l’emplacement concret d’où peut resurgir la critique des idéologies et de leurs racines.

Nos frères chrétiens d’Amérique latine nous ont donné l’exemple d’une pareille tentative. Cet exemple, il est à suivre au Québec comme partout en Occident. Non pas, j’y insiste, en procédant par transposition, encore moins en nous contentant de répéter ce que les théologiens de là-bas élaborent dans leurs écrits : ce serait une autre variante de notre incapacité à penser notre propre condition. La théologie de la libération doit prendre racines originales dans les diverses chrétientés. Les idéologies, les classes, les oppressions varient selon les pays ; ici et là, la pauvreté revêt des visages multiformes. Si, par une fervente tension de nos savoirs et de nos engagements, nous en arrivions à faire naître ici une théologie originale de la libération, nous aurions répondu aux défis du virage idéologique. Et nous serions fidèles à la fervente intention qui anime l’œuvre et les engagements de notre ami Jacques Grand’Maison.

[56]


[57]

EXTRAITS DE LA DISCUSSION

ayant suivi les communications
de GREGORY BAUM et
FERNAND DUMONT

— Gregory Baum s’est demandé si Jacques Grand’Maison est moralisant, s’il est « prêcheur ». Quant à lui, Fernand Dumont affirme que la seule façon de vivre en santé avec les idéologies, c’est de les critiquer au nom d’une autre espérance. Dans une Eglise qui veut défendre l’orthodoxie, comment un prophète peut-il éviter de « prêcher », de devenir moralisant ?

- Fernand Dumont : Dans une société devenue extrêmement pluraliste, il y a une sorte de préalable : une société éthique, c’est-à-dire un contexte où l’affrontement des objectifs et des conceptions est possible et où il existe, derrière les options de chacun, une sorte de consensus sur un certain nombre de valeurs. Sans cet arrière-plan, il n’y pas de démocratie et de société authentiques. C’est là un problème neuf dans ce pays où, jusque dans les années 50, nous avons vécu avec une religion qui se donnait lieu d’éthique. Cette religion s’est effondrée subitement. C’est comme s’il ne nous restait plus d’éthique et, plus encore, s’il ne nous restait plus d’esprit public. La restauration de l’esprit public est la première condition pour établir une société humaine. Voilà qui n’a rien à voir avec le moralisme.

- Gregory Baum : Je définis l’idéologie comme un ensemble d’idées et de valeurs qui résument un projet social ; mais je parle maintenant d’un projet alternatif qui s’adresse à l’imagination du peuple. Je trouve la transcendance très importante. Mais à côté des prophètes, il faut également des personnages politiques qui cherchent à transformer la société.

— Je trouve étonnant que Gregory Baum dise que Jacques Grand’Maison est un homme qui marche seul. N’aurait-il pas de racines, de maîtres ? Peut-on être vraiment évangélique en marchant seul ?

- Gregory Baum : Du point de vue politique, Jacques est un homme qui marche seul. Il ne s’est identifié à aucun groupe. Au moment du référendum de 1980, il n’a pas [58] voulu prendre de position très claire, de peur qu’on en voie les faiblesses.

— Je crois que Monsieur Dumont a oublié deux lieux d’où on peut critiquer les idéologies : la pratique scientifique et le mouvement écologique. La pratique scientifique fait naître un nouveau discours, qui sort du cadre idéologique et renvoie à des faits observables. Le mouvement écologique fait naître une nouvelle solidarité et sort des valeurs transcendantes et religieuses. Les deux sortent du discours abstrait.

- Fernand Dumont : Je ne vois pas très bien cette espérance. En ce qui concerne l’interprétation des sociétés, il n’y a jamais de fait indubitable. Dans le passé, on a utilisé la science, comme la religion, à toutes sortes de fins. Tout est utilisable pour la cuisine idéologique, même l’écologie. Je fais le pari que celle-ci est pour plusieurs le prolongement de l’esthétisme ; elle ne dérange pas réellement les grands pouvoirs économiques. Certes, elle a une tonalité spirituelle incontestable. Elle va peut-être nous redonner le sens de la noblesse de la création, des liens avec le cosmos, et nous sortir de l’intimisme frileux de l’individualisme moderne.

— N’avons-nous pas également des utopies qui attestent une réalité autre, utopies qui n’auraient pas droit de cité, étant donné que la connaissance de la société passe surtout par ce qu’en disent les médias ?

- Fernand Dumont : J’ai évoqué les idéologies dominantes, qui donnent le visage officiel de la société et dont on retrouve continuellement des échos dans les médias de masse. Les téléromans de madame Payette en sont une traduction parfaite. Existe-t-il des contre-idéologies ? Je n’en vois pas beaucoup. Pour s’imposer, les idéologies doivent censurer. La tâche de la critique sociale est de lever la censure en dévoilant les problèmes de la société.

Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 2 avril 2021 7:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref