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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Monique Desroches et Jean Benoist, “Musiques, cultes et société indienne à la Réunion”. Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 21, no 1, 1997, pp. 39-52. Numéro intitulé: Confluences. Québec : Département d'anthropologie, Université Laval. [Avec l'autorisation de diffuser dans Les Classiques des sciences sociales accordée par Mme Desroches le 4 septembre 2007 et par M. Benoist le 17 juillet 2007.]

Texte de l'article

Monique Desroches et Jean Benoist 

Musiques, cultes et société indienne à la Réunion”. 

Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 21, no 1, 1997, pp. 39-52. Numéro intitulé: Confluences. Québec : Département d'anthropologie, Université Laval.


Introduction
 
Niveaux de culte 
Les grands temples urbains
Les temples de plantation
 
La musique des temples 
La musique des temples de plantation
La musique des grands temples urbains
Tableau I. Esthétiques musicales dominantes
 
L’instrument comme emblème 
Échanges et transitions
L’harmonium végétarien
 
Conclusion
Références
 
Résumé / Abstract

 

Introduction

 

La pratique musicale relève d'une série de choix opérés par et pour une société. Dans son répertoire, dans l'instrumentarium, le style d'interprétation, ou encore dans ses fonctions, la musique épouse les valeurs choisies et véhiculées par ceux qui l'interprètent. La mise en évidence de ce lien est à la fois difficile et très féconde dans des sociétés créoles, que l'on peut en première approximation qualifier de « pluriethniques », car les faits semblent s'y enchevêtrer inextricablement. La tentation est alors vive de se cantonner à un domaine bien cerné, plutôt que de cheminer à la recherche de régularités organisationnelles qui se dérobent. Toutefois, et nous espérons le montrer à partir de ce que nous apprennent les musiques indiennes, c'est sans doute dans ces sociétés que les approches sectorielles gagnent le plus à être dépassées. 

Nous nous appuyons dans ce qui suit sur les résultats d'enquêtes de terrain qui se sont déroulées au cours des dix dernières années, à l'occasion de séjours de l'un ou de l'autre auteur, à l'île de la Réunion. Ce travail s'appuie sur une double démarche, menée en étroite interaction entre une ethnomusicologue et un ethnologue, l'une soucieuse de connaître les enracinements sociaux des faits musicaux qu'elle relevait, l'autre de mieux comprendre, grâce aux usages sociaux de la musique, les rapports entre divers plans où se déroulaient les changements rapides d'une société très complexe. La musique apparut alors comme un carrefour hautement significatif, capable de faire converger deux regards aux préoccupations initialement très distantes l'une de l'autre, convergence qui apporte une dimension supplémentaire à l'ethnomusicologie comme à l'anthropologie sociale. 

Car les faits musicaux sont une des entrées dans le social, entrée peut-être insuffisamment fréquentée par les ethnologues, sans doute en raison des contraintes techniques qu'impose leur étude. Ces faits, loin de se suffire à eux-mêmes, ne cessent en effet d'être l'enjeu et le résultat de phénomènes qui sont directement constitutifs du tissu social actuel : relations historiques anciennes entre populations venues de divers horizons, flux culturels contradictoires qui s'entrechoquent, rapports inégalitaires entre des cultures dont ceux qui les ont introduites ont occupé dans la structure sociale de l'île des positions très contrastées. Mais la musique, bien que profondément enchâssée dans la vie sociale, n'est pas que sociale : elle participe aussi à un patrimoine que chaque individu s'approprie d'une façon très intime. En ce sens, elle lie ce qu'il y a de plus individuel en chacun à ce qu'il y a de plus social. 

Aussi la démarche de cette étude ne se situe-t-elle pas au sein de l'une des deux disciplines, l'ethnologie ou l'ethnomusicologie, mais au cœur de la zone où elles sont indissociables, celle où dans la musique, le fait sonore est inséparable du fait social. En les envisageant l'un comme l'autre, sans jamais les faire contraster, nous sommes guidés par la réalité musicale des cultes indiens de la Réunion, où les messages de la musique traversent tous les étages de la vie religieuse et tous ses changements. C'est donc d'une interprétation réciproque de la musique par le fait social et de celui-ci par la musique que peut surgir une intelligibilité dans des zones souvent demeurées dans l'ombre. 

À l'île de la Réunion, l'observation et l'analyse du phénomène musical lancent un défi particulier. En effet, la société s'est constituée à partir du début du XVIIIe siècle par l'apport de vagues migratoires très diverses et en l'absence de peuples autochtones. Aucun des groupes qui composent désormais la mosaïque ethnoculturelle de l'île ne peut donc revendiquer à lui seul la paternité d'une quelconque identité culturelle réunionnaise de référence, porteuse d'un patrimoine fondateur. La musique, comme la langue, la religion, l'organisation sociale et économique issue de l'esclavage, s'est non seulement inscrite dans le prolongement des origines sociales et culturelles de chacun des groupes, mais aussi dans la rencontre et dans l'échange entre les uns et les autres. Aussi rencontre-t-on, selon les lieux, des paysages musicaux variés : musiques du rural et musiques de l'urbain ; zones où les musiques sont majoritairement d'influence indienne et zones où le caractère créole prévaut ; pratiques musicales « des Hauts » [1] contrastant avec celles « des Bas ». Un regard plus aigu percevrait aussi des espaces clos, cernés de barrières étanches, et des lieux de passage où s'opéreraient des fusions musicales au sein des rencontres de cultures. Mais on ne ferait là que lire l'inscription spatiale de ce qui prend racine ailleurs, dans l'histoire d'un peuplement et de ses phases contrastées, où des peuples venus de loin se sont distribués dans l'espace d'une société contraignante. Derrière l'expression musicale se profile un système de valeurs que la pratique musicale permet non seulement d'exprimer, mais aussi de confirmer, voire de consolider. Activité polysémique, la musique peut ainsi passer d'un niveau fonctionnel, rituel ou artistique, à celui, plus symbolique, de marqueur identitaire. 

Dans cet entrecroisement d'héritages qui fait la complexe richesse des mondes créoles, les musiques indiennes rencontrent d'autres musiques, et les recoupent. Il en va de même des cultes qui, eux-aussi, ne se figent pas et ne s'isolent pas dans leur orthodoxie [2]. Quels sont alors les rapports des musiques venues autrefois de l'Inde avec les autres musiques de la Réunion ? Cloisonnements ou synthèses, maintien dans le sacré ou passage au profane ? Pourquoi, alors que les références malgaches sont très présentes dans la musique populaire réunionnaise, les références indiennes sont-elles si discrètes ? Ne serions-nous pas toutefois à l'orée d'un changement, au moment où les influences mauricienne et indienne s'accroissent, où les boutiques réunionnaises exposent des instruments importés de l'Inde, où l'on entend des sons et où l'on voit des danses que jamais sur leur île les Indiens de la Réunion n'avaient pu rencontrer ? 

De toutes ces questions, il ressort à l'évidence qu'au travail musicologique (instrumentarium, procédés musicaux et esthétiques) doit se combiner le regard contextuel qui replace la musique au cœur de l'ensemble social, par qui et pour qui elle est exécutée. C'est pourquoi, plutôt que de nous attarder à la description et à la classification de l'instrumentariurn indo-réunionnais selon les règles classiques de l'organologie, nous l'aborderons à partir de ses modes d'insertion dans le religieux et le social : le son d'un tambour sacré, tel que le tapou nommé également tambour malbar, renvoie à une chaîne complexe allant du message musical, au code d'appel des dieux, aux normes esthétiques qui régissent les conditions de production de ces battements et aux attentes de ceux qui les perçoivent.

 

Niveaux de culte

 

On peut lire dans l'ouvrage de Marie-Louise Reiniche (1979) une utile typologie des temples de l'Inde tamoule, qui rend compte de l'essentiel de la typologie des temples hindous de la Réunion : 

Tout temple, quelle que soit sa taille, est appelé kovil ou koyil, demeure du dieu (ou du roi). Trois sortes de kovil correspondent à trois catégories de divinités : 

- temples des (grands) dieux de l'hindouisme. Il s'agit surtout de ceux qui sont dédiés à une forme de Vishnu ou de Siva [...] ;
 
- temples de déesses (désignées entre autres par le terme amman) ;
 
- temples des divinités « inférieures » [...]. Lorsqu'un démon a été identifié et installé dans un sanctuaire, il est un dieu ; il appartient alors à la catégorie des tevatai ([en sanskrit] devata). 
      Reiniche (1979 : 19-20)

 

À la Réunion, en effet, coexistent divers types de temples. Ils répondent à la structure générale de l'ensemble religieux hindou : de grands temples urbains actuellement en plein essor, des temples locaux liés aux anciennes plantations et dédiés aux déesses et des temples fondés au gré des circonstances par des individus, croyants ou guérisseurs. Les temples les plus importants sont dédiés à des divinités de rang élevé : Siva, Ganesh, Subrahmanya. Leurs prêtres sont souvent recrutés dans l'Inde du Sud d'où les fait venir la communauté locale qui les prend en charge. Les temples de plantation, plus petits, sont destinés à Kali, Mariyamman, aux divinités de la marche dans le feu, mais aussi à des divinités « inférieures », tel Mini. 

Mais si le contraste est en général fort net entre les grands temples urbains et les temples de plantation, il l'est moins entre ces derniers et les temples personnels, les temples de guérisseurs, voire les lieux de culte familiaux qui forment une même « famille » où culte et musique sont très proches de l'un à l'autre. Il se peut même que les liens entre certains grands temples et les temples de plantation soient étroits. Tel était le cas à Saint-Paul où le grand temple de Soupramanien et le temple de plantation voisinaient, ce qui permettait, jusqu'à une date récente, de combiner les cultes végétariens de l'un et les cultes avec sacrifices de l'autre. 

Depuis quelques années, dans le mouvement religieux dont nous étudions ici les implications musicales, les sacrifices animaux ont été supprimés à proximité du grand temple. Les musiques entendues lors des fêtes tenues dans les temples témoignent en effet de la dualité des cultes, sans que cela empêche toute articulation entre eux, voire une réelle complémentarité. Notre tâche consiste justement à saisir ce qui se déroule lorsque sont interprétées ces musiques. Porteuses d'un message religieux directement adressé à la fois à l'assistance et aux Dieux, elles sont également identifiées au contenu de ce message. Or, celui-ci change lorsque la société se transforme. Les rapports au divin ont longtemps été le fait de travailleurs agricoles engagés sur les plantations ; désormais, tout en gardant les traces de ce passé, ils s'agencent sur les préoccupations de nouvelles couches sociales, de classes moyennes ouvertes sur le monde et désireuses de se projeter vers une autre Inde. On n'invoque plus seulement les divinités de village, mais on exprime par les cultes l'orientation vers les dieux que les livres et les voyages font découvrir. Et à ces dieux-là, les ancêtres, comme les temples traditionnels de l'île, n'offraient qu'une place bien modeste. 

La musique résume, traduit, exprime et construit ces changements : passage d'un univers divin à un autre, en relation directe avec le changement de statut social des croyants, passage d'un type de culte à un autre, d'un type de temple à un autre. Et, lorsque dans un temple urbain nous entendons aux côtés des narslon (hautbois indien), morlon (tambour cylindrique à double membrane) et talam (cymbalettes) - accompagnement représentatif de certaines cérémonies célébrées dans les temples de plantation - les sons de l'harmonium et les rythmes des tablas, ce n'est pas seulement une musique que l'on interprète : l'ensemble instrumental renvoie à un profond remaniement d'un ensemble symbolique en prise directe sur la société à laquelle il donne sens. Le contraste entre les styles musicaux selon les types d'instruments est grand. Ainsi, le narslon, le morlon et les talam ne sont pas seulement des types d'instruments. Ils sont affectés d'un rôle précis. Ce sont d'abord des instruments sacrés que l'on retrouve lors de certains cultes de la tradition des temples de plantation, ceux que n'accompagnent pas en général les sacrifices sanglants. Le tapou (tambour sur cadre circulaire, à une membrane), au contraire, s'associe fortement à l'invocation des dieux lors de ces cultes. Par contre, l'harmonium et les tablas ne sont compatibles qu'avec les divinités des grands temples. Si bien que les niveaux de culte s'assortissent de niveaux de musique, et la musique devient, non par son contenu mais par sa forme même, messagère de ces niveaux. 

Les grands temples urbains

Les temples qui ne relèvent pas strictement de l'hindouisme populaire se situent toujours en milieu urbain. Peu nombreux, bien construits, ils ont dès la fin du XIXe siècle été entretenus par des communautés de commerçants. Les documents d'archives gardent trace des associations qui se formaient pour les gérer et pour les construire, sous l'initiative de marchands (Marimoutou 1989). 

Au cours des années 1980, le mouvement par lequel la classe moyenne tente de donner un visage franchement nouveau à l'hindouisme réunionnais s'élabore autour de ces temples. L'enrichissement consécutif à la départementalisation rend possibles l'accueil et l'entretien des prêtres venus de l'Inde. Là se fait l'ouverture au monde hindou extérieur. Les prêtres mauriciens, puis indiens, résident à proximité, assurent le service des fêtes principales, veillent au bon déroulement des activités quotidiennes et répondent aux demandes privées. Ces prêtres jouent un rôle croissant dans l'adoption d'une orthodoxie issue de l'Inde tamoule : structuration des cérémonies, calendrier des fêtes, développement de la langue, des chants et de la musique sud-indienne. Ces grands temples participent donc à la renaissance de la culture tamoule ; on introduit de nouvelles fêtes ; de jeunes Réunionnais vont étudier en France et en Inde et ils y rencontrent des musiciens et des enseignants de tamoul. L'introduction de la musique savante de l'Inde se fait aussi par cette voie. L'appui matériel des élites indiennes, la participation des étudiants et des cadres, les bénévoles qui enseignent le tamoul, les groupes qui préparent la musique et les chants qui seront exécutés lors des cérémonies, tout cela fait du lieu de culte le point de départ d'une culture profane tamoule, dont l'influence s'exerce bien au-delà du champ du religieux. 

Les temples de plantation

 

Il s'agit des temples construits à l'époque de l'engagement des travailleurs indiens sur les propriétés sucrières. Souvent désignés sous le nom de « chapelles d'établissement » (l'établissement étant la sucrerie), ils étaient initialement les seuls lieux où le culte indien pouvait ouvertement s'exercer. Là s'est enracinée la tradition de l'Inde villageoise, celle des engagés. Aussi, de toutes les activités religieuses indiennes de la Réunion, celles qui se déroulent autour de ces temples de plantation ont-elles été longtemps les plus importantes. Beaucoup plus nombreux que les grands temples urbains, plus insérés dans le monde rural, ils ont été le centre de gravité de l'hindouisme réunionnais, que leur activité la plus spectaculaire et la plus publique, la marche dans le feu, incarne encore à bien des yeux. 

Souvent installés sur l'aire que leur avait concédée la propriété sucrière, les temples ont parfois, depuis, été transférés sur un terrain géré par l'association qui assure l'entretien du temple mais ils gardent toujours leur structure d'origine. L'espace est divisé en plusieurs zones distinctes [3]. Le temple, la chapelle proprement dite, est parfois très modeste, parfois plus riche et fort décoré ; deux ou trois pièces contiennent les autels sur lesquels sont posées les statues des divinités et, devant ces autels, les représentations qui serviront lors des processions. On y trouve toujours au moins les divinités suivantes : Ganesh, Maliémin, Kali qui reçoivent chaque année - l'une en mai, l'autre en juillet-août en général - l'hommage d'une fête importante, et souvent les divinités liées à la marche dans le feu : Draupadi, Adjounin, Alvan. 

Un espace accueille le public. Quelques autels portent d'autres représentations : « galets » (monéstarlon ou moléstanon), qui recevront les offrandes d'huile, de lait et de miel, peintures de Suryan ou de Maldévirin. Dans une construction légère ou sous un grand arbre, un autel parfois à peine indiqué, est consacré à des divinités qu'on ne « sert » jamais dans le temple, essentiellement Minispren, et parfois Karteli. Un mât (pavillon) symbolise le lieu du culte de Nargoulan. Plus loin, une aire rectangulaire reçoit une fois par an la marche dans le feu.

 

La musique des temples

 

Bien que plusieurs types de musiques soient interprétés lors des cérémonies religieuses, on peut les ramener à deux grandes catégories correspondant aux deux niveaux de culte (plantation/urbain). Les différences portent sur les instruments, les procédés stylistiques, l'esthétique, les fonctions de la musique dans la cérémonie. Ces différences entre les musiques sont inscrites en profondeur dans le message qu'elles transmettent ; c'est à ce niveau que s'opère le passage inéluctable d'une catégorie de musique à l'autre, car le message est sensible à tous : ceux qui jouent des instruments ou qui chantent, ceux qui organisent les cérémonies, qu'ils soient responsables d'associations ou prêtres. Mais la référence qui donne toute son importance au choix du bon vecteur du message est l'ensemble de divinités qui siège dans le lieu où se déroule le culte. 

La musique des temples de plantation 

 

La musique des temples de plantation est essentiellement celle des tambours le tapou ou tambour malbar, le morlon, parfois un tambour sur timbale à une membrane, le sati et, dans des usages spécifiques (appel de la divinité avant la possession), le tambour en forme de sablier avec boules fouettantes, le ulké nommé aussi bobine. Sauf ce dernier qui est un attribut du prêtre, les tambours sont joués par de petits ensembles, généralement stables, formés d'un nombre impair de musiciens (cinq le plus souvent), et où le recrutement familial joue un rôle réel mais non exclusif. Quelques familles de batteurs de tambour sont réputées dans l'île. Les musiciens mentionnent souvent que ce tambour est une spécialité de « bande Parien », et que certaines « nations » battent bien. « C'est leur race qui fait ça » (informateur M.V., à Villèle). Le souvenir du fait que ce rôle appartenait aux intouchables Paraiyars (les batteurs de tambour) est loin d'être oublié. Certaines de ces familles revendiquent d'ailleurs fièrement cette origine qui assure leur légitimité face à des tambourineurs sans inscription ancestrale précise. On peut en effet remarquer que bien des batteurs de tambour sont actuellement des métis de Cafres ou de Malgaches, métissage qui peut être perçu par certains comme un stigmate, mais qui ne gêne pas l'exercice de cette tâche, puisqu'elle est réservée traditionnellement à un groupe inférieur. 

Le battement du tambour malbar occupe une place fondamentale dans les cultes rendus aux divinités des temples de plantation. Il n'est pas un simple accompagnement, ni une dévotion individuelle ou collective. Il est un moyen de communication avec les divinités ; il les appelle, il signale leur arrivée, il découpe le temps en phases qui mettent tel ou tel dieu en scène, comme se ferait l'entrée de personnages successifs au théâtre. Aussi chaque divinité a-t-elle son rythme propre (son « couplet »). Bien plus, au sein de ce rythme, une étude ethnomusicologique faite à la Martinique (mais il en va de même à la Réunion) a déjà mis en relief l'existence de séquences signifiantes non seulement d'une divinité mais des parties du culte qui relèvent d'elle. C'est ainsi qu'une séquence rythmique de trois notes, aisément reconnaissables par les informateurs, marque tous les temps végétariens qui se rattachent à Mariémin (cuisson du riz au lait, offrande végétarienne [Desroches et Benoist 19821). Mais ces activités ne s'enchaînent pas directement. Entre elles se glissent des actes destinés à d'autres divinités auxquelles s'adressent des offrandes animales et qu'accompagnent d'autres rythmes. Par contre, dès que l'on revient à une partie « végétarienne » de la cérémonie, le temps du végétarien est à nouveau indiqué par sa propre séquence rythmique. Le message des tambours charpente ainsi le temps cérémoniel et tient un espace temporel végétarien à l'écart des moments où coule le sang. 

Dans le domaine strictement musical, on est frappé par les constantes stylistiques qui caractérisent les accompagnements des services rituels des temples de plantation. Ainsi, les marches dans le feu et les fêtes Kali sont accompagnées par un ensemble instrumental homogène, celui de membranophones. L'aspect cyclique des patrons rythmiques (répétition de cellules rythmiques) souligne lui aussi combien cette musique relève d'une fonction précise, celle de l'appel des dieux. La transcription musicale qui suit illustre quelques-uns de ces battements de tambour cycliques représentatifs de ce niveau de culte. 

Ces rythmes, et ceux qui les jouent, s'identifient profondément aux cultes populaires, et ils ne franchissent pas leurs limites. Jamais ils ne s'insinuent dans de la musique profane : leur pouvoir sacré intrinsèque est trop fort pour s'effacer dans des exécutions profanes. Jamais non plus ils ne sont utilisés hors des lieux de culte auxquels ils sont destinés. Même parmi les cultes depuis longtemps présents à la Réunion, ils n'occupent qu'un espace précis, celui de cérémonies où les divinités se manifestent directement et reçoivent promesses et demandes. C'est ainsi, par exemple, que cette musique ne pénètre pas dans le petit temple de Vishnu, fort ancien, de Saline-les-Hauts. La coupure tient au lien indissoluble de la forme de la musique avec l'identité des dieux certes, mais aussi avec la nature de la relation qu'elle médiatise entre eux et les fidèles. Dans les petits temples de plantation, la connexion fonctionnelle directe de l'exécution musicale avec les divinités limite au maximum toute transformation des profils rythmiques, car ces transformations pourraient induire des modifications profondes de la communication avec les divinités. L'enchaînement des patrons rythmiques est ordonné en fonction des appels adressés à celles-ci. La musique y est donc organisée, voire préétablie, selon un renvoi extra-musical. À l'intérieur de ce système musical et rituel, le cyclique, par la répétition de chacun des battements de tambour, assure une communication claire entre les dieux et les hommes : l'efficacité rituelle passe ainsi par la musique. De ce point de vue, on pourrait qualifier les musiques de plantation de systèmes fermés, alors que celles des grands temples, nous le verrons un peu plus loin, formeraient davantage des systèmes semi-ouverts. 

Motifs cycliques
Marche dans le feu


La musique des grands temples urbains

 

L'évolution actuelle, qui présente comme inférieur l'héritage religieux villageois, affecte d'un signe négatif la musique qui l'accompagne, et on n'admet pas qu'elle se transfère vers d'autres cultes. Lorsque les groupes de batteurs de tambour viennent au grand temple pendant la fête de Mourougan, ils n'apportent ni leur tambour malbar, ni le sati. Seuls des instruments moins associés aux cultes sacrificiels, comme le morlon ou le narslon, sont alors acceptables. 

Le projet d'identifier l'hindouisme réunionnais aux niveaux jugés supérieurs de l'hindouisme tamoul tend à restreindre de plus en plus l'espace de ces musiques et à en introduire d'autres dans les grands temples. La musique des grands temples urbains a reçu depuis une vingtaine d'années les influences de l'île Maurice et de l'Inde, et elle s'est « indianisée » dans la même foulée que les cultes eux-mêmes. Ces deux phénomènes sont étroitement liés : ce sont souvent les mêmes associations, où prédominent des jeunes ayant suivi une instruction secondaire, qui mettent sur pied un enseignement du tamoul et le développement du chant, de la musique ou même des danses de l'Inde. On se réunit dans le temple, on apprend à jouer de l'harmonium, des tablas, et du tambour mridangam qui accompagnent désormais les bhajans (chants dévotionnels) et les cultes végétariens aux grandes divinités. 

La fonction religieuse de cette musique est différente de celle des tambours malbars. Son rapport aux divinités n'est pas conçu comme un message direct et stéréotypé. Musiciens et chanteurs accomplissent d'abord un acte dévotionnel qui accompagne une cérémonie dont ils suivent les phases. Mais l'intervention de la musique n'exerce pas une action aussi directe et aussi contraignante que dans les cultes des temples de plantation. Ici, on n'appelle pas les dieux, on les honore. Ce nouveau rapport entre la musique et les dieux est en harmonie avec celui que l'on noue avec les dieux lors des cultes. La dimension transcendantale des cultes est placée en général au premier plan dans ces temples : même si on juge que le dieu est présent, il n'est pas là comme un partenaire qui désire s'introduire dans le monde des hommes pour y intervenir. L'intention du geste musical ne réside donc pas dans le dialogue direct avec lui, ni par la possession du prêtre, ni par la musique. 

Aussi, les moments musicaux, comme leurs profils (ensembles instrumentaux, répertoires), sont-ils diversifiés, ce que montre bien la multiplicité des musiques liées aux cultes : qu'on pense aux ensembles hétérogènes de la procession du Cavadee (narslon, morlon, talam), aux musiques entendues àl'intérieur du temple (tablas, harmonium, tambour mridangam et talam), aux chants dévotionnels (bhajans) et aux chants classiques venus de l'Inde du Sud interprétés indifféremment à l'extérieur (dans la cour) ou à l'intérieur du temple. Le caractère cyclique ou répétitif des services rituels des plantations est remplacé ici par une conception musicale plus linéaire, moins répétitive et qui privilégie parfois des improvisations rythmiques ou mélodiques. Les attentes et les normes régissant ces musiques sont fort différentes de celles qui prévalent dans les cérémonies des temples de plantation. Car, contrairement a ces musiques où les rythmes sont des éléments structurants des rituels, celles des grands temples accompagnent, expriment ou signalent les cérémonies, sans être nécessairement considérées comme des parties constitutives des rituels. 

Pour saisir les contrastes musicaux entre les deux niveaux de culte, le tableau 1 présente les traits esthétiques et les procédés musicaux qui caractérisent respectivement l'un et l'autre niveau. On y constate combien la conjugaison d'un espace (plantation ou urbain) et d'un niveau de culte (sacrifice d'animaux ou non) commande non seulement un type particulier d'ensemble d'instruments, mais aussi des processus stylistiques et des règles esthétiques. Et à un autre niveau de lecture, c'est à la dynamique globale d'organisation sociale et d'identité culturelle que répondent ces deux stylistiques musicales. 

 

Tableau 1
Esthétiques musicales dominantes

 

TYPE A
Temples de plantation
(avec sacrifice animal)

TYPE B
Temples urbains

Ensemble instrumental homogène (surtout des membranophones).

Ensemble instrumental hétérogène.

Patrons rythmiques basés sur la répétition, le retour cyclique d'un patron.

Patrons mélodico-rythmiques basés sur l'improvisation, la créativité. Cyclique évolutif.

Timbre recherché : fondu du groupe, comme s'il n'y avait qu'un seul musicien.

Timbre recherché : mise en valeur de la virtuosité du soliste et de la couleur particulière de l'instrument.

Conception verticale ; importance accordée au groupe : superposition, simultanéité.

Conception horizontale, importance accordée à l'individu. Axe des continuités.

Finalité : efficacité de la musique comme médiation entre le monde des dieux et celui des hommes. Fonctions extra-musicales.

Finalité esthétique. Fonction d'accompagnement du rituel ou de la cérémonie.

Mode de transmission : de génération en génération (base familiale), appartenance à un groupe socio-économique précis.

Sélection basée sur la compétence musicale, transmise par des spécialistes, souvent par l'intermédiaire d'écoles de musique.


 

L'instrument comme emblème

 

Échanges et transitions

 

Il se peut également que d'autres instruments, non usuels, interviennent lors de rituels sacrés. Dans ce cas, ils sont joués en dehors des moments forts de la cérémonie. Mais, fait hautement significatif des liens du social avec le musical, leur introduction ne répond principalement ni à un objectif musical ni à une exigence rituelle, car les divinités ne peuvent pénétrer dans un univers qu'elles ne connaissent pas. La présence de ces instruments est due à leur rôle d'indicateurs symboliques de l'élévation du statut du temple ou de son officiant. Ils contribuent à la mobilité ascendante des temples « inférieurs » : les musiques tirent du bas vers le haut le cadre où elles apparaissent. 

Les musiques des grands temples (les bhajans, ou encore certains instruments musicaux) et leurs divinités étant identifiées aux éléments les plus valorisés, il est donc bénéfique de tenter de les intégrer aux rituels indo-réunionnais. Les emprunts musicaux transforment l'apparence des cultes aussi profondément que le passage du sacrifice animal à l'offrande végétale. Ils ne se limitent pas à cette musique sacrée. Des éléments de musique profane (comme la danse des bâtons lors de la procession du Cavadee) viennent eux aussi, par leur seule présence, attribuer symboliquement à cette forme du sacré un statut plus élevé. 

Il faut toutefois se garder d'une simplification qui aurait tendance à ne mettre l'accent que sur les oppositions entre grands et petits temples, végétariens et carnivores, supérieurs et inférieurs. L'étude des transitions et des changements en cours et l'évaluation de leur sens nous oblige à faire porter l'attention sur ces contrastes. Toutefois, dans le droit fil de la logique sociale indienne, les extrêmes sont tout aussi complémentaires qu'opposés, et ils ne se conçoivent pas l'un sans l'autre. Le développement d'une indianité « supérieure » n'abolit pas la nécessité des cultes, des groupes sociaux, des musiques rattachés aux divinités inférieures. Et nous assistons sans doute à un ajustement plus qu'à une substitution. D'ailleurs, qu'il s'agisse des musiques ou des cérémonies, ce sont les mêmes individus qui bien souvent passent des unes aux autres. À chaque temps et à chaque lieu sa musique et son culte. Mais la société a besoin de l'une comme de l'autre. 

Si nous poussons l'observation plus loin, nous percevons alors une autre dimension qui intervient dans les relations entre les niveaux de culte. Il s'agit cette fois de la référence à la société réunionnaise globale, maintenant largement intégrée dans la société française sous l'influence d'une métropole omniprésente. L'hindouisme « supérieur » est l'un des signes d'ascension dans cette société, de démarquage du passé des plantations coloniales, ainsi que le remarque Ghasarian (1991 : 169-179) à propos de la modernité réunionnaise. Bien des phénomènes récents apparaissent comme une « hypercorrection religieuse » (ibid. : 173), car il semble que « la majorité des positionnements "tamouls" prend le prétexte religieux pour affirmer une distinction valorisante dans la société. On trouve l'existence d'une identité de façade, proposée à l'attention d'autrui » (ibid. : 176). La musique venue de l'Inde, avec ses instruments et ses chants, envoie alors à la société globale, même non hindoue, un message qui prolonge et réinterprète celui qu'elle a au sein de l'évolution de l'hindouisme : elle est un marqueur de statut.

 

L'harmonium végétarien

 

L'exemple le plus évident de cet emboîtement de symboles est donné par l'usage d'un instrument, l'harmonium. Ceux qui jouent de l'harmonium dans les grands temples s'identifient à une certaine élite capable d'apprendre et de restituer les éléments les plus élevés de la culture de l'Inde. En interprétant leur musique, ils se rapprochent ainsi des prêtres brahmanes que les associations ont fait venir, qui chantent en sanskrit pendant les cultes et interprètent des bhajans où passent tous les échos de l'Inde. Des groupes de jeunes gens se forment autour de ces temples et apprennent des chants destines a accompagner les cérémonies. Ces chants, bien que leurs paroles soient inspirées par la liturgie hindoue, accueillent parfois dans leur rythme et leur mélodie des échos de la musique créole. Moins exclusivement rattachées à la religion, ces musiques sont les plus capables, bien au-delà des cultes, de participer aux convergences musicales de la créolité réunionnaise, Il sera donc intéressant de suivre leur évolution. 

Comme en Inde, l'harmonium occupe une place importante dans l'instrumentarium indo-réunionnais, tendant à supplanter les instruments plus traditionnels mais d'emploi plus difficile. À l'instar du tambour malbar dans les temples de plantation, il a valeur d'emblème du nouvel hindouisme. Certains prêtres des temples de plantation ne s'y trompent pas. Un harmonium n'était-il pas exposé par Daniel Singaïiny, qui officiait ce jour-là, lors d'une cérémonie accomplie en présence du consul de l’Inde, pour la réouverture du temple de Mariémin, autrefois fondé par Francis Poungavanon à la Plaine Saint-Paul, et fermé durant plusieurs années après qu'il décéda ? Là, l'harmonium signifiait le passage à un nouvel univers, à une « nouvelle prière », et il affirmait que tous les temples sont de la même essence, puisqu'ils opèrent une mutation en passant d'un niveau à l'autre. Et il était aussi l'un des instruments de cette mutation ; il permet peu à peu de rehausser le statut des temples et des cultes de plantation et d'assurer leur transition vers une société où la plantation sucrière coloniale, ses symboles, ses forces et ses malheurs sont en train de s'effacer. 

 

Conclusion

 

Chaque niveau de culte (plantation ou milieu urbain) suppose donc un système musical qui lui est propre, et qui consiste en une conduite stylistique spécifique guidée par des règles précises de pratique, un instrumentarium et une esthétique. Ces éléments forment un tout cohérent, voire un habitus et, dans cet ensemble structuré, le tambour revêt un caractère sacré reconnu par les croyants, et respecté, ou même craint, par les autres. Mais, fait aussi remarquable, les valeurs et les normes qui guident les acteurs cérémoniels (prêtres, musiciens) émanent ici d'une Inde villageoise que les pratiquants actuels réinsèrent dans une dynamique locale, réunionnaise, et qui est franchement celle d'une société moderne de profil occidental. Un récent débat entre les tenants de l'indianité (valorisation des sources indiennes par l'adoption des rituels et des chants de l'Inde) et ceux de la malbarité (maintien des pratiques religieuses et musicales issues des « camps » des plantations) montre bien la force identitaire du religieux et des signes qu'en sont les musiques. Tout se passe comme si, religion, musique et ethnicité indo-réunionnaise formaient une chaîne indissociable. 

Aux côtés de ces musiques rituelles, l'essor récent du maloya (musique populaire d'origine afro-malgache) et l'attrait qu'il exerce sur l'ensemble de la population réunionnaise ont favorisé l'émergence de nouveaux lieux de passage, de nouvelles rencontres musicales. Certains groupes de maloya ont, par exemple, intégré à leur ensemble des instruments indiens, comme les tablas, le sitar, et plus récemment, et dans une moindre mesure, le tambour malbar. Peut-on voir là un signe de nouveaux rapports des Réunionnais, et plus spécifiquement ceux d'ascendance indienne, à la religion indienne et à la musique qui y est associée ? Ces musiques-fusion ne sont-elles pas la marque de la créolité réunionnaise à laquelle tous participent, et qui s'est construite, et se construit sans cesse autour de ces exclusions et de ces rencontres, de ces zones étanches et de ces lieux de passage, auxquels participent les pratiques musicales indiennes ?

 

Références

 

BARAT C., 1989, Nargoulan. Culture et rites malbar à la Réunion. Saint-Denis-de-la-Réunion, Éditions du Tramail. 

BENOIST J., 1982, « Possession, médiation, guérison. Un chamanisme sud-indien à l'île de la Réunion », L'Ethnographie, 87-88 : 227-239. 

_____, 1983, Un développement ambigu. Structure et changements de la société rurale réunionnaise. St-Denis-de-la-Réunion, Fondation pour la Recherche. 

_____, 1993, Anthropologie médicale en société créole, Paris, Presses Universitaires de France. 

DESROCHES Monique, 1989, Les instruments de musique traditionnels (Martinique). Fort-de-France, Bureau du Patrimoine, Conseil régional de la Martinique. 

_____, à paraître, Musique, sacrifice et symboles. Coll. Musiques et musicologies, Montréal, Presses de l'Université de Montréal. 

_____, à paraître, Tambours des dieux : Musique, sacrifice et symboles d'origine tamoule à la Martinique. Paris et Montréal, L'Harmattan. 

DESROCHES Monique et Jean BENOIST, 1982, « Tambours de l'Inde à la Martinique. Structure sonore un espace sacré », Études Créoles V, 1-2 : 39-58. 

_____, 1991, Musiques de l'Inde en pays créoles. (Disque compact) UMMUS 201, Coll. Traditions, Montréal, Université de Montréal. 

GHASARIAN C., 1991, Honneur, Chance, Destin. Paris, L'Harmattan. 

MARIMOUTOU M., 1989, Les engagés du sucre. St-Denis-de-la-Réunion, Éditions du Tramail. 

REINICHE M.-L., 1979, Les Dieux et les Hommes. Étude des cultes d'un village du Tirunelveli, Inde du Sud. Cahiers de l'Homme, Paris, Mouton.
 

 

RÉSUMÉ/ABSTRACT 

Musiques, cultes et société indienne
à la Réunion

 

Les deux auteurs, l'un ethnologue, l'autre ethnomusicologue, examinent la société indienne de l'île de la Réunion (océan Indien) à travers ses cultes et ses musiques. Leur analyse s'appuie sur les résultats d'enquêtes de terrain menées au cours des dix dernières années. Par le regard croisé des deux disciplines, ils tentent de connaître les enracinements sociaux des faits musicaux et de montrer combien la musique est une porte d'entrée privilégiée dans la compréhension du social. Dans l'entrecroisement d'héritages qui fait la richesse des mondes créoles, les musiques indiennes, à l'instar des cultes, se partagent le territoire réunionnais en fonction des valeurs et des croyances véhiculées par le groupe d'émergence. Les musiques religieuses, leurs stylistiques et leurs esthétiques répondent à ces valeurs. Aussi, les cultes et leurs musiques apparaissent-ils comme des marqueurs de statut, comme des facteurs identitaires. En conclusion, les auteurs discutent du récent essor du maloya (afromalgache), soulignent l'intégration de certains éléments indiens dans cette expression musicale et se questionnent sur les nouveaux types de rapports entre la musique et le culte entretenus aujourd'hui par les gens d'ascendance indienne à la Réunion. 

Mots clés : Desroches, Benoist, musique, société indienne, la Réunion


Musics, Cults and Indian Society
in Reunion Island

 

The two authors, one of whom is an ethnologist, the other an ethnomusicologist, focus their study on the Indian society of Reunion Island, and on the linkages between their cults and their music. Their analysis is based on fieldwork carried out during the last ten years. Through the alternate perspective of their disciplines, they try to better understand the social foundations of musical phenomena and how the study of the social use of music can bring a better understanding of the complexity of the social. Amidst legacies that characterize creole worlds, Indian music and cults divide Reunion territory according to the values and the beliefs of emerging groups. Religious music, its style and aesthetics correspond to these values. This is why music, just as cult, may be considered as status as well as identity indicators. The authors conclude with a discussion of how the recent rise of Afro-Malagasi maloya shows that certain Indian traits are integrated in this musical expression and of the new relationship that Reunion people of contemporary Indian descent share with music and cult. 

Key words : Desroches, Benoist, music, Indian Society, Reunion Island

 

Monique Desroches
Faculté de musique, Université de Montréal
Montréal, Québec H3C 3J7

 

Jean Benoist
Laboratoire d’Écologie humaine, Pavillon de Lenfant
Université d'Aix-Marseille III
13100 Aix-en-Provence, France



[1]    À la Réunion, on désigne comme « Les Hauts » des régions d'altitude habitées majoritairement par les descendants des premiers colons français, alors que « les Bas », zones côtières, abritent l'essentiel de la population issue de ceux que l'esclavage africain et malgache puis l'engagement de travailleurs indiens ont amenés sur les grands domaines de l'île.

[2]    Pour plus de précisions à ce sujet voir Barat (1989), Ghasarian (1991), Benoist (1982, 1983, 1993) et Desroches (1989 et à paraître). On peut aussi consulter le disque compact de Desroches et Benoist (1991).

[3]    Christian Barat donne dans Nargoulan le relevé précis du plan de certains temples : un temple de plantation (1989 : 164), un temple de guérisseur en évolution vers un temple de société (ibid. : 166), un grand temple urbain vishnouiste (ibid. : 170). On trouvera aussi l'inventaire descriptif des instruments de musique (ibid. : 416-426).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 27 septembre 2007 19:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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