RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Dorval Brunelle et Sylvie Dugas, “Les oppositions au libre-échange en Amérique du Nord.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Dorval Brunelle et Christian Deblock, L’ALÉNA. Le libre échange en défaut, chapitre 9, pp. 273-296. Montréal: Les Éditions Fides, 2004, 464 pp. Collection “Points chauds”. [MM. Brunelle et Deblock nous a accordé conjointement le 20 juin 2020, l’autorisation de diffuser ce livre, en texte intégral et en libre accès à tous, dans Les Classiques des sciences sociales.]

[273]

Deuxième partie
Le bilan économique et social
Chapitre 10

Les oppositions au libre-échange
en Amérique du Nord
.”

Dorval BRUNELLE et Sylvie DUGAS


Pour les besoins de la présente analyse, nous distinguerons trois phases dans la mobilisation des forces sociales autour du projet de libre-échange nord-américain.

La première phase correspond aux années 1985 à 1989, consacrées à la négociation d’un accord entre le Canada et les États-Unis d’Amérique (EUA). Durant cette période, la mobilisation contre le projet a été menée essentiellement par les forces nationalistes et syndicales au Canada, de même que par les forces syndicales au Québec. Cependant, cette mobilisation n’a eu aucun impact sur le contenu de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) lui-même.

En revanche, le mouvement d’opposition au libre-échange a eu une influence plus importante au cours de la deuxième phase, qui couvre les années 1989 à 1994. Cette période a été consacrée cette fois à la négociation d’un Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) à trois avec le Mexique. Durant cette négociation, on assiste à un double mouvement : d’une part, le périmètre sociopolitique de l’opposition s’élargit considérablement sur les plans géographique et organisationnel puisque les mobilisations [274] s’étendent désormais aux EUA et au Mexique. D’autre part, on assiste à une multiplication des oppositions contre le libre-échange et la libéralisation des marchés consécutive à l’extension des négociations dans le domaine de l’agriculture et de l’investissement.

Cependant, contrairement à ce qui s’était produit antérieurement, la mobilisation a eu un certain effet utile. Peu après son arrivée à la Maison-Blanche en 1993, le président Bill Clinton a en effet proposé la réouverture des négociations et l’ajout de deux accords parallèles, un Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT) et un Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACE). Le président américain cherchait ainsi à remplir les engagements pris durant la campagne présidentielle envers deux alliés de longue date du Parti démocrate, le mouvement syndical et le mouvement environnemental. Devant leurs craintes de voir les acquis syndicaux et environnementaux remis en question avec l’éventuelle entrée en vigueur de l’ALENA, il s’était engagé à revoir les termes de l’accord de libre-échange tel que négocié par l’administration précédente. Il est intéressant de souligner, au passage, que les deux partenaires des EUA, le Canada et le Mexique, ne souscrivaient pas à cette démarche et n’ont cédé qu’à leur corps défendant à la réouverture des négociations sur les accords parallèles.

Durant la troisième phase, qui court depuis 1994 jusqu’à aujourd’hui, on assiste à une reconfiguration des oppositions. Premièrement, l’arrivée en scène de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) le jour même de l’entrée en vigueur de l’accord, le 1er janvier 1994, marque la radicalisation d’une frange de l’opposition au libre-échange et au néolibéralisme au Mexique et en Amérique latine. Deuxièmement, [275] l’adoption des deux accords parallèles poussera les deux opposants concernés, soit le mouvement syndical et le mouvement environnemental, à concentrer une part de leurs énergies aux recours que leur offraient les accords en question. Troisièmement, l’extension du libre-échange à la grandeur des Amériques consécutive à l’ouverture des négociations sur un projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) à Miami en décembre 1994 incitera ces deux mouvements en particulier, mais les autres également, à délaisser le terrain de la lutte contre l’ALENA pour s’arrimer aux mobilisations naissantes contre la ZLEA dans les Amériques.

Toutefois, la relance du débat sur une éventuelle reprise des négociations en vue d’approfondir l’intégration économique en Amérique du Nord et le dévoilement du Plan Puebla Panama (PPP), un mégaprojet de développement au sud du Mexique et en Amérique centrale, risquent de mobiliser à nouveau les contestataires. Ce nouveau débat pourrait contribuer à renforcer les oppositions au libre-échange et au néolibéralisme dans l’espace nord-américain. Parallèlement, le combat contre l’ALENA demeure l’un des principaux chevaux de bataille de l’EZLN et les paysans mexicains exigent maintenant la réouverture de l’accord. Des liens se sont par ailleurs tissés en Amérique du Nord entre les organisations de la société civile (OSC) opposées au Plan Puebla-Panama (PPP). Enfin, le bilan contesté des accords parallèles incite les mouvements syndical et environnemental de la région à reprendre le flambeau.

Dans les pages qui suivent, nous distinguerons deux grandes périodes dans l’opposition à la libéralisation des échanges en Amérique du Nord. En troisième partie, nous reviendrons sur les défis auxquels les opposants sont confrontés et nous mettrons en [276] lumière les causes de leur manque de préparation face à l’éventualité d’une réouverture de l’ALENA et de l’approfondissement du modèle d’intégration que l’accord promeut, avant de terminer en présentant succinctement le PPP.

L’opposition à l’ALE

Le coup d’envoi des négociations commerciales entre le Canada et les EUA sera donné par les deux chefs d’État, le président Ronald Reagan, et le premier ministre Brian Mulroney, lors du Sommet « Shamrock » tenu à Québec en mars 1985. Le débat de société sur le libre-échange retiendra l’attention jusqu’aux élections fédérales de 1988. Ce débat sera d’autant plus large et soutenu que le nombre des adversaires au projet est élevé ; ces adversaires comprennent, à l’époque, outre les syndicats et les nationalistes, la plupart des partis politiques fédéraux, y compris l’opposition officielle, le Parti libéral du Canada, de même que la plupart des partis politiques provinciaux. Fait notable, au Québec, le Parti libéral (PLQ) et le Parti québécois (PQ) sont favorables au libre-échange.

Au départ, les organisations syndicales et nombre d’organismes sociaux mettent en lumière les menaces que le projet ferait planer sur l’emploi, sur la législation du travail et, plus généralement, sur les lois sociales au pays. À l’appui de leurs thèses, ils invoquaient trois raisons puisées à la même source. La première était que le Rapport de la Commission sur l’Union économique et les perspectives de développement du Canada, mieux connu sous le nom de Rapport Macdonald, prévoyait qu’« une libéralisation des échanges se ferait surtout sentir sur notre secteur manufacturier ». Le rapport ajoutait toutefois ce raisonnement sibyllin : « Ce secteur ne représente à l’heure actuelle que moins de 20 % des emplois au Canada. Donc, au pire, une libéralisation [277] des échanges n’aurait d’effets directs que sur le cinquième de la main-d’œuvre canadienne [1] », une conséquence que les adversaires du libre-échange canado-américain ont promptement dénoncée.

En deuxième lieu, le rapport Macdonald avait également indiqué qu’un tel accord pouvait avoir des effets négatifs sur « l’encouragement au développement économique régional » ainsi que sur les « initiatives culturelles ». Pour faire face à ces défis, les commissaires avaient proposé de recourir à des « exclusions précises qui laisserai[en]t certains domaines hors de l’accord et préserverai[en]t ainsi l’aptitude des gouvernements canadiens, à tous les niveaux, de poursuivre ces grands objectifs [2] ».

Enfin, le rapport soulignait que le libre-échange « obligerait les provinces à abandonner une partie de leur liberté en ce qui concerne l’utilisation des politiques portant sur les barrières non tarifaires. Cette contrainte les priverait sans doute d’une partie de leur champ de manœuvre politique et gouvernementale [3] ». Or, dans le contexte canadien, cette mesure touchait directement les travailleurs, puisque ce sont les gouvernements provinciaux qui ont la juridiction la plus vaste en matière syndicale et sociale. La juridiction du gouvernement du Canada en matière de travail est en effet limitée aux seuls employés du gouvernement fédéral et à ceux des entreprises de la Couronne.

Au-delà de ces analyses, il faut également prendre en compte d’autres facteurs d’ordre contextuel. Le premier touchait à l’évolution de la négociation [278] elle-même entre les deux pays, dont les nombreux rebondissements interpellaient directement les acteurs sociaux et les syndicats. On rappellera à ce sujet que la presse avait fait état des mésententes entre les négociateurs américain, Peter Murphy, et canadien, Simon Reisman, à propos de l’inclusion des programmes sociaux dans les négociations. Cette revendication avait été portée par les Américains, pour qui ces programmes auraient constitué de véritables barrières non tarifaires [4].

Le second facteur contextuel provenait du fait que des groupes de pêcheurs de la côte est des EUA dénonçaient au même moment la politique canadienne d’assurance-chômage, qui prévoyait le versement de primes à des travailleurs saisonniers. Ils considéraient que cette mesure était discriminatoire à leur endroit dans la mesure où elle exerçait une pression à la baisse sur le niveau des rémunérations au Canada par rapport au niveau des rémunérations aux EUA [5].

Un troisième facteur était lié à la divulgation des résultats d’une enquête menée à l’été 1986 auprès de dirigeants de multinationales à propos des impacts du libre-échange sur les politiques gouvernementales. Selon cette enquête, l’accord devait conduire à la remise en cause des politiques d’achat préférentiel, des pouvoirs trop étendus des provinces canadiennes, ainsi que de l’environnement réglementaire canadien. Enfin, un dernier facteur et non le moindre était que le gouvernement [279] conservateur cherchait en parallèle, au niveau de sa politique interne, à remettre en cause l’universalité de certains programmes sociaux, comme la sécurité de la vieillesse et l’aide aux familles [6]. Pour toutes ces raisons, on comprend pourquoi au Canada, comme au Québec, l’ouverture des négociations sollicite rapidement la formation de coalitions nationales et syndicales opposées au projet de libre-échange [7].

Les négociations sont à peine entamées que l’éditeur canadien Mel Hurtig se prononce contre une éventuelle entente : « What is on the table is Canada itself. We are not talking about sovereignty association with the U.S. What we are talking about is association sovereignty. We get the association and the United States gets the sovereignty. » Dans le même esprit, Ed Finn du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) déclare : « The Tories [Mulroney’s Conseruatiue Party] have given up on Canada and its people. They want to bring Canada into the American empire. Those of us who still have faith in this country, and in our ability to stay free and independent, must commit ourselves to this historic battle. »

En 1986, on assiste donc au Québec à la formation de la Coalition québécoise d’opposition au libre-échange (CQOL), composée de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), la Confédération des [280] syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et l’Union des producteurs agricoles (UPA). La nouvelle coalition a publié plusieurs documents sur les effets du libre-échange et le sort des politiques sociales canadiennes dans ce contexte, mais sans connaître le même succès que sa contrepartie canadienne.

Peu après, une nouvelle coalition contre l’accord est formée en 1987 au Canada. Nommée Pro-Canada Network, elle comprend des syndicalistes (Congrès du travail du Canada), des environnementalistes, des organisations anti-pauvreté, des nationalistes, des groupes de femmes (Comité national d’action pour le statut de la femme, par exemple), des pacifistes, des agriculteurs, des infirmières, des enseignants, des gens du troisième âge, ainsi que des églises. Surgie de l’initiative de divers activistes tels que John Trent et Tony Clark, de l’Université Bishop, ainsi que Duncan Cameron, de l’Université d’Ottawa, cette vaste coalition s’est bâtie dans la foulée de la mise sur pied par l’Église catholique d’un mouvement de solidarité, le Social Solidarity Network, formé pour combattre la pauvreté et promouvoir l’égalité sociale au Canada. Ce vaste réseau lance la plus grande campagne non partisane d’éducation publique au pays afin de battre l’accord de libre-échange. Les Québécois souverainistes étant réfractaires à l’appellation « pro-Canada », le réseau change de nom pour s’appeler le Réseau canadien d’action ou Action Canada Network, afin de rallier tous les Canadiens. Grâce à ses liens avec des membres du Congrès américain, la coalition a réussi à percer le secret des négociations et la campagne canadienne de Action Canada Network a été menée rondement. Cette démarche a permis aux militants d’acquérir une grande capacité d’analyse et de recherche sur les questions reliées au libre-échange. [281] La coalition canadienne a ainsi réussi à engager un véritable débat de société autour des enjeux sociaux et culturels du libre-échange.

Malgré la publication et la diffusion de travaux et d’analyses sur les effets négatifs d’un éventuel accord de libre-échange, les actions de la CQOL n’auront pas le même retentissement que celles qui sont menées par la coalition canadienne. La faiblesse du mouvement québécois est due principalement à la réaction mitigée des Québécois face au libre-échange, qui croyaient que les États-Unis pourraient jouer un rôle de contrepoids face à l’Ontario. Par ailleurs, le débat fait au Québec sera surtout concentré sur les effets économiques du libre-échange et, dans une moindre mesure, sur ses effets sociaux. Au niveau canadien, le Action Canada Network aura davantage mis en lumière les risques que le projet d’ALE faisait planer sur l’emploi, la législation du travail et sur les lois sociales du pays. Il aura également pu compter sur des appuis larges issus des milieux les plus divers, c’est-à-dire les milieux sociaux, politiques, culturels, environnementaux, entre autres.

Quoi qu’il en soit, le résultat de l’élection fédérale de l’automne 1988, une véritable élection référendaire remportée par le gouvernement progressiste-conservateur sortant de Brian Mulroney, en grande partie grâce à l’appui de l’électorat québécois, a un effet démobilisateur sur les opposants au libre-échange au Canada et, peu de temps après, les coalitions se sabordent. Tout au plus certains groupes et syndicats opposeront-ils une fin de non-recevoir quand s’annoncera le cycle subséquent de négociations, avec le Mexique cette fois, mais ils renonceront à s’engager plus avant.

En revanche, la situation au Québec évoluera différemment puisque, dès avril 1991, une Coalition [282] québécoise sur les négociations trilatérales (CQNT) est mise sur pied dans la foulée de l’ouverture des négociations entre le Canada, les EUA et le Mexique autour du projet d’ALENA.

Cette coalition se donne trois objectifs : premièrement, critiquer l’approche réductrice, c’est-à-dire exclusivement commerciale et tarifaire, adoptée par les trois partenaires tout au long de leurs délibérations ; deuxièmement, porter le débat sur la place publique en organisant rencontres, colloques et conférences de presse, tout en sollicitant des entrevues auprès des responsables de ce dossier au niveau politique ; et, troisièmement, participer à la mise sur pied de rencontres et d’échanges avec des syndicats, des associations ou des groupes qui, à l’échelle du continent, partageaient cette approche critique vis-à-vis du projet d’intégration en cours d’implantation.

Cela dit, le contraste ne saurait être plus marqué entre le bouillonnement des oppositions et l’ampleur des débats au Canada et au Québec d’un côté, la tranquille indifférence aux EUA, de l’autre. Ce qui ne veut pas dire que le projet de libre-échange fasse l’unanimité là-bas, loin de là, mais les oppositions étaient sans doute davantage politiques que sociales, provenant surtout du Congrès et, dans une moindre mesure, de groupes et de coalitions dûment organisés à cette fin.

L’opposition à l’ALENA

Les États-Unis d’Amérique

Les deux premiers cycles de négociations commerciales bilatérales — le premier qui débouche sur la signature d’un accord de libre-échange avec Israël en 1985, le second, sur la signature d’un accord avec le Canada en 1989 — n’ont pas suscité suffisamment d’intérêt pour conduire à la formation de coalitions [283] sociales importantes aux EUA. En revanche, l’ouverture des négociations avec les autorités mexicaines entraîne la formation d’importantes coalitions contre le projet d’ALENA aux deux extrêmes du spectre politique et idéologique. À droite, le télé-évangéliste républicain Patrick Buchanan et le candidat indépendant à la présidence Ross Perot se prononcent contre le projet ; au centre, à défaut de parler de centre-gauche, les organisations syndicales et écologistes font de même. Ce sont surtout l’American Fédération of Labor-Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO), ainsi que des organisations issues du mouvement écologiste, notamment, le Sierra Club et Green-peace, qui ont constitué l’opposition sociale la plus forte contre l’ALENA [8].

La stratégie à laquelle ces organisations ont eu recours s’est déployée en deux temps. En janvier 1991, elles mettent sur pied deux réseaux parallèles ayant chacun une mission spécifique. Le premier réseau, appelé Citizens Trade Campaign (CTC), développe une stratégie essentiellement politique axée sur les [284] législateurs du Congrès, afin d’empêcher l’octroi de la procédure dite de « fast-track » requise par le président Clinton en prévision des négociations commerciales à venir. Quant au second réseau, appelé Alliance for Responsible Trade (ART), il a pour mission de former une large coalition sociale contre le libre-échange ayant un double mandat : celui de développer des alternatives au projet des Amériques, d’une part, celui de nouer des liens avec des coalitions semblables ailleurs en Amérique du Nord, d’autre part.

Cette double initiative mérite d’être soulignée parce que, historiquement en tout cas, l’AFL-CIO avait plutôt été portée à défendre la politique extérieure du gouvernement américain et à éviter de se compromettre dans des mouvements de solidarité transfrontière. On pourrait rappeler le rôle stratégique assumé par l’affiliée de l’AFL-CIO en Amérique Latine, l’American Institute for Free Labor Development (AIFLD) qui s’est portée à la défense des syndicats soi-disant « modérés » les plus proches des régimes autoritaires, sinon dictatoriaux, contre tous les syndicats progressistes ou radicaux, et dont l’histoire apparaît rien moins que « sordide » aux yeux de certains auteurs [9]. À cet égard, la contestation de l’ALENA représentait peut-être un revirement important et significatif de la part de la grande centrale américaine, qui semble désormais collaborer de manière plus ouverte avec des organisations syndicales moins complaisantes vis-à-vis des pouvoirs en place.

L’opposition politique et idéologique de l’AFL-CIO à l’ALENA s’explique par le lien direct que les analystes de la centrale établissaient entre le libre-échange et la perte d’emplois à court terme. Cette perte résulterait d’une relocalisation de certaines activités [285] industrielles au Mexique de la part d’entreprises désireuses de profiter des bas salaires et autres conditions avantageuses offertes dans ce pays, comparativement à celles qui prévalaient aux États-Unis. Cette menace pesait d’ailleurs plus lourdement sur les salariés syndiqués que sur les autres. Cependant, afin de contourner le reproche un peu facile qui lui était adressé de s’opposer à l’ALENA pour des motifs essentiellement corporatistes, l’AFL-CIO a cherché à approfondir son analyse des enjeux de l’accord et à élargir ses alliances. À propos des enjeux, l’organisation syndicale a invoqué d’autres questions sociales comme le travail des enfants, les migrations illégales ou le dumping social. Quant aux alliances, elle a cherché, pour des raisons surtout tactiques, à se rapprocher d’un autre adversaire des accords de libre-échange, le mouvement écologiste. En effet, les relations étaient demeurées tendues entre organisations syndicales et environnementales, essentiellement parce que les premières reprochaient aux secondes d’ignorer ou de sous-estimer les effets négatifs de l’imposition de normes environnementales, aussi bien sur les niveaux d’emplois que sur les perspectives de création d’emplois [10].

Le Mexique

Le cas mexicain est très différent de celui des EUA et du Canada, surtout à cause de l’ascendant qu’exerce le Partido Revolutionario Institucional (PRI), au pouvoir de 1928 à 2002 [11], sur l’ensemble des composantes de la société civile et de ses organisations. Cette domination s’exerce par le biais de l’affiliation obligatoire [286] au parti grâce au soutien étatique accordé, par exemple, à la Confederacion de los Trabajadores mexicanos (CTM) ou la Confederacion Nacional de los Campesinos (CNC). Le mouvement syndical officiel n’est pas en mesure de soutenir et de défendre une position autonome face à la politique économique du gouvernement. L’adhésion au libre-échange à l’aube des années 1980 est révélateur de cette absence d’autonomie du mouvement syndical officiel, d’autant que les autorités mexicaines avaient systématiquement eu recours au protectionnisme pendant les décennies précédentes, d’une part, que le réalignement politique effectué par les présidents de la Madrid et Salinas de Gortari, le premier en fin de « sexenio », l’autre en début de mandat, reposait sur un rapprochement inédit vis-à-vis des EUA, d’autre part.

Au demeurant, le phénomène le plus marquant dans la « contre-révolution monétariste » mexicaine — au-delà de ses dimensions politiques, voire idéologiques — est la rapidité du revirement de l’opinion publique qui s’est montrée passablement complaisante vis-à-vis de l’adhésion à un éventuel accord de libre-échange avec les EUA. Ce retournement est imputable en partie à l’efficacité du PRI et à celle de ses instruments de propagande sur les organisations de la société civile. Il est aussi dû au fait que des segments importants de l’opinion publique ont cru voir, dans cette éventuelle ouverture commerciale, une occasion susceptible de desceller l’emprise que le PRI exerçait jusque-là sur la société et d’élargir ainsi l’espace démocratique au plan interne. Ces précisions expliquent sans doute pourquoi les OSC, loin d’opposer une fin de non-recevoir à l’intégration économique entre les trois partenaires d’Amérique du Nord, choisiront plutôt de proposer des alternatives au projet officiel. Le Frente Autentico del Trabajo (FAT) [287] saisit l’occasion dès 1991 pour bâtir, de concert avec d’autres organisations [12], une coalition, la Red Mexicana de Accion frente al Libre Comercio (RMALC), dont le double mandat est d’élargir l’opposition à l’ALENA et d’engager une réflexion d’ensemble autour de la rédaction d’un autre accord d’intégration qui tiendrait compte des exigences d’un développement social et durable.

L’action et la stratégie du Réseau mexicain se sont ainsi développées en deux temps. Entre l’ouverture des négociations et l’entrée en vigueur de l’ALENA, c’est-à-dire entre 1991 et 1994, la RMALC a d’abord exigé que les discussions autour des termes d’un éventuel accord soient menées en public et a revendiqué, en parallèle, l’élargissement de la participation. Durant les années 1991-1992, la RMALC a lancé une série de réunions trinationales ralliant les opposants à l’ALENA et visant à favoriser l’élaboration d’une stratégie trinationale concertée. Une concertation trinationale informelle mais efficace des coalitions nationales s’est aussi mise en place pendant la négociation des accords parallèles sur le travail et l’environnement, ainsi que pendant les procédures de ratification de l’accord, en 1993.

Par la suite, une fois l’accord signé, le réseau a modifié son action et sa stratégie pour se concentrer sur l’analyse et l’étude des impacts de l’ALENA sur l’économie nationale et la population, d’une part, pour alimenter les discussions autour d’une proposition d’accord alternatif qui favoriserait de manière efficace un développement soutenable et juste, d’autre part. Parmi ces actions, la plus notable est sans doute celle qui a conduit la RMALC à élaborer et à proposer [288] un programme économique alternatif pour le Mexique, soumis à une consultation publique à l’occasion de la tenue d’un « Référendum de la liberté » en 1995. Plus de 430 000 citoyens ont participé à cette consultation.

Le réalignement stratégique intervenu en 1994 doit également être imputé à l’action de l’EZLN qui, comme on s’en souvient, avait choisi la date hautement symbolique du premier janvier pour monter au créneau contre l’ALENA. Cette action aura pour effet de radicaliser et de diviser profondément les oppositions à l’ALENA au Mexique, la plupart des opposants favorisant la contestation pacifique et ce, même si l’EZLN jouit par ailleurs d’un indéniable capital de sympathie auprès de l’opinion publique mexicaine.

Le Canada et le Québec

Peu de temps après l’acceptation du Canada comme troisième partenaire à l’intérieur des négociations commerciales en cours entre les EUA et le Mexique à l’hiver 1991, des groupes et syndicats canadiens s’allient pour former une nouvelle coalition opposée au libre-échange, du nom de Common Frontiers [13]. Cette formation est composée de syndicats, de groupes environnementaux, ainsi que d’organisations religieuses, de coopération internationale et de défense des droits humains. Au sein de Common Frontiers, les voix du Congrès du travail du Canada (CTC) et de la [289] Coalition œcuménique sont prédominantes dans la définition des stratégies et des politiques.

Au Canada, les premières actions transfrontalières permanentes prennent d’abord la forme d’un modeste projet de solidarité Canada-Mexique lancé par un groupe de syndicalistes et de travailleurs de solidarité internationale à Toronto, provenant de groupes tels que le Latin American Working Group (LAWG). En 1990, face à l’imminence de la négociation d’un nouvel accord de libre-échange nord-américain, les militants canadiens approchent certains groupes mexicains pour faire front commun avec eux sur la question de la souveraineté et de l’indépendance. La première rencontre organisée par le Frente autentico del trabajo (FAT) a lieu à Mexico, en octobre 1990, rencontre à laquelle assisteront une trentaine de Canadiens provenant de tous les milieux. Parallèlement à cette rencontre, un débat sur le libre-échange est organisé par des universitaires, avec l’assistance du Partido Action national (PAN). Une dizaine de participants canadiens, en faveur et contre le libre-échange, ont été invités, tels que Bernard Landry et Jean Chrétien. Ce sont ces événements, entre autres, qui ont conduit à la formation de Common Frontiers en 1991.

De son côté, la CQNT, après avoir également élargi ses alliances, change de nom et devient le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) [14], en 1994, au lendemain de l’entrée en vigueur de l’ALENA. Depuis lors, les deux coalitions ont resserré leurs liens. Elles travaillent en parallèle autour des questions de formation et d’information, d’une part, et elles ont toutes deux été activement impliquées, à l’instar des coalitions issues d’autres pays, dans l’organisation du premier Sommet des peuples des Amériques tenu à [290] Santiago en avril 1998, à l’instigation de l’Alliance sociale continentale (ASC) en marge du deuxième Sommet des chefs d’État et de gouvernement des Amériques. Elles ont été toutes deux responsables de l’organisation du deuxième Sommet des peuples des Amériques tenu dans la ville de Québec en avril 2001, à l’instigation de l’ASC ; cette fois encore, le Sommet se tenait en marge du troisième Sommet des chefs d’État et de gouvernement des Amériques.

La multiplication
des positionnements et le PPP


Lors des négociations de l’ALENA, le RQIC et Common Frontiers s’étaient liés avec d’autres organisations à l’étranger. Les réseaux canadiens ont non seulement tissé des liens avec les organisations nord-américaines, telles que ART et la RMALC, mais ils ont aussi forgé des liens avec leurs partenaires chiliens, lors des négociations en vue de la signature de l’Accord de libre- échange entre le Canada et le Chili. Grâce à ce réseautage canado-chilien, Common Frontiers et certains membres du RQIC ont été invités au troisième Forum syndical des Amériques tenu à Belo Horizonte.

Lors de ce forum, tenu en marge de la deuxième rencontre ministérielle de la ZLEA à Belo Horizonte, les 12 et 13 mai 1997, les organisations syndicales des Amériques regroupées au sein de l’Organisation régionale interaméricaine du travail (ORIT) — la branche continentale de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) —, ainsi qu’un certain nombre d’organisations sociales issues des trois Amériques, mettent sur pied l’Alliance sociale continentale (ASC). Les participants préparent à cette occasion un document qui sert maintenant de plate-forme aux opposants de la ZLEA, Des alternatives pour les Amériques. La position des adversaires du projet piloté à l’époque par le président Clinton est claire : ils sont opposés à tout [291] accord commercial entre partenaires des Amériques qui serait calqué sur le modèle de l’ALENA.

Or, si les opposants ont très clairement exprimé leurs points de vue contre le projet des Amériques lors des rencontres ministérielles ou des sommets officiels, l’opposition à l’ALENA est entre-temps passée au second plan. Alors que les syndicats nord-américains sont regroupés dans plusieurs instances à l’échelle continentale, ils sont beaucoup moins organisés en Amérique du Nord. L’une des raisons de cette absence de cohésion est sans doute imputable au fait que le mouvement syndical américain, l’AFL-CIO en tête, réclame de son côté l’abolition pure et simple de l’ALENA, de même que le retrait des négociations de la ZLEA. Selon l’AFL-CIO, quelque 766 000 emplois ont été perdus de 1994 à 2001 aux États-Unis. L’ALENA aurait aussi contribué à accroître les inégalités, affaibli le pouvoir de négociation des travailleurs et réduit leur capacité à se syndiquer. Quant aux organisations syndicales du Canada et du Mexique, elles sollicitent toutes deux la réouverture de l’ALENA, mais les liens sont, ici aussi, passablement ténus, car les deux plus grandes centrales syndicales mexicaines, la CTM et la CNC, étaient toutes deux très liées au PRI pro-libre- échangiste, jusqu’à l’élection du PAN de Vicente Fox, en 2000. Des pourparlers ont toutefois été entamés avec ces organisations au Mexique, où plus de 1,8 million de personnes ont perdu leur travail depuis 1994.

Pour leur part, les groupes syndicaux, environnementaux et étudiants [15] canadiens, conjointement avec le Conseil des Canadiens, ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement du Canada de modifier les accords parallèles de l’ALENA, de même que le chapitre 11 [292] de l’accord. Les syndicats considèrent que les accords parallèles n’ont pas réussi à atteindre leurs objectifs. Selon le CTC, l’ANACT a complètement failli à sa tâche de garantir le respect des droits des travailleurs en Amérique du Nord, en raison de la longueur et de la complexité des procédures, ainsi que de la difficulté d’assurer le suivi des poursuites. Par exemple, les plaintes ne peuvent être soulevées par les travailleurs dont les droits sont niés, mais par un gouvernement qui est partie à l’entente. Les causes ne peuvent non plus être entendues que pour des violations d’un sous-ensemble des droits fondamentaux du travail, n’incluant pas la liberté d’association. Par ailleurs, le CTC considère que les amendes pour non-conformité sont minimes et dérisoires puisqu’un gouvernement se verse à lui-même l’amende en question. Le CTC admet que le Canada a tenté de corriger ces lacunes lors de l’entente de libre-échange avec le Costa Rica, mais l’accord parallèle sur le travail demeure extrêmement faible et ses sanctions tout aussi dérisoires [16].

Selon les OSC canadiennes, l’application du chapitre ii de l’ALENA menace la santé et l’environnement des populations. En vertu de ce chapitre, les entreprises peuvent entamer des poursuites contre les gouvernements lorsqu’elles considèrent que leurs droits d’investisseurs ont été lésés. Elles ont même le pouvoir de faire abroger les lois environnementales qui portent atteinte à leurs droits de réaliser certains profits.

Le CTC pour sa part a fait entendre son point de vue sur le chapitre 11 au sein du Comité parlementaire chargé d’étudier la question. Maude Barlow, porte-parole du Conseil des Canadiens, qui se bat pour la défense de l’eau en tant que bien commun, a même [293] avisé les autorités que la souveraineté nationale sur l’eau serait menacée par le chapitre 11 de l’ALENA.

Devant ces protestations, l’ex-ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, avait lui-même émis des réserves sur la pertinence de ce chapitre avant le Sommet de Québec. Cependant, d’après un projet de mémoire des ministères du Commerce international, des Finances et de l’Industrie [17], Ottawa nourrit toujours l’ambition d’étendre les dispositions du chapitre 11 de l’ALENA au plus grand nombre de pays possible. Actuellement, plus d’une vingtaine d’ententes bilatérales ont déjà été signées avec des pays en voie de développement (dont le Chili, le Costa Rica, la Thaïlande et l’Égypte), alors que d’autres sont en négociation ou sur le point d’être ratifiées. L’ex-ministre Pettigrew prétendait s’être attaqué aux irritants quand il avait fait ajouter des précisions pour éviter que les entreprises n’étirent trop le concept d’expropriation. Il prétendait aussi avoir cherché à rendre le traitement des plaintes le plus transparent possible. D’après le gouvernement fédéral, le nécessaire a été fait pour exclure des ententes à venir les domaines sensibles comme la culture, l’environnement, la santé, l’éducation et les services sociaux. Mais les OSC canadiennes demeurent sceptiques.

Un groupe d’organisations québécoises [18] a aussi appuyé la révolte des paysans mexicains qui demandent la réouverture de l’ALENA et l’arrêt des négociations de la ZLEA. Ils s’opposent au libre-échange, au dumping alimentaire, à la pollution par les OGM, à la [294] commercialisation éventuelle du blé transgénique et à la collusion des politiciens avec les grandes multinationales alimentaires. Chaque jour, au Mexique, plus de 600 paysans sont expulsés de leurs terres en raison des importations à bas prix déversées sur le marché mexicain par les multinationales agroalimentaires. En moyenne, un agriculteur américain reçoit 30 fois plus de subventions que son homologue mexicain. Le 31 janvier 2003, 100 000 paysans, représentants syndicaux, étudiants et fonctionnaires ont envahi les rues de Mexico, réclamant l’abrogation de l’ALENA.

Par ailleurs, des OSC canadiennes, tels que le Comité pour la justice sociale, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante et la Commission civile pour la paix au Chiapas, se sont également mobilisées contre le Plan Puebla-Panama (PPP). Ce mégaprojet, lancé le 15 juin 2001 par le président mexicain Vicente Fox, prévoit accélérer la croissance économique des sept pays de l’isthme et de neuf États mexicains grâce à l’ouverture d’un vaste chantier de développement allant de Puebla à Panama. Cette zone, qui compte un PIB de quelque 394 milliards de dollars américains [19] serait revitalisée à l’aide de plusieurs projets d’infrastructure comprenant : routes [20], interconnexions électriques, intégration des réseaux de télécommunications, chemins de fer, gazéoduc, ports et aéroports, infrastructures touristiques axés sur la protection de l’environnement, micro, petites et moyennes entreprises. Les présidents des pays participants se sont réunis en juin 2002 pour mettre au point le financement du projet, dont le coût total est estimé à plus [295] de neuf milliards de dollars américains. Soutenu par la Banque interaméricaine de développement (BID), ce plan prévoit l’exploitation des ressources naturelles de la région mésoaméricaine et de sa main-d’œuvre à bon marché, y compris le brevetage du savoir scientifique des peuples indigènes. Les dirigeants misent aussi sur la situation géographique stratégique du territoire, qui offre une option de rechange à un canal de Panama désormais encombré.

D’après les OSC canadiennes, le PPP risque de priver les paysans du sud du Mexique et de l’Amérique centrale de leur terre et de détruire leur mode de vie. Le PPP céderait au secteur privé, en particulier, aux compagnies multinationales, le contrôle sur les vastes ressources naturelles de la région. Ses usines de sous-traitance offriraient des salaires de misère, et ses plantations agricoles et forestières, dont les produits seront destinés à l’exportation, entraîneraient la contamination des eaux et des sols. Le Comité pour la justice sociale se fait ainsi l’écho de quelque 350 organisations civiles d’une quinzaine de pays d’Amérique latine, qui ont aussi manifesté leur opposition au projet. Elles ont demandé un moratoire sur le PPP, en avançant que le projet pourrait compromettre la biodiversité mésoaméricaine et représenter une menace sérieuse pour les peuples autochtones [21]. À la mi-octobre 2002, lors de la commémoration des 510 ans de la découverte des Amériques, quelque 20 000 autochtones de la région ont bloqué les principaux postes frontaliers pour protester contre l’imposition du modèle économique néolibéral et la mondialisation à travers la ZLEA, l’ALENA ainsi que le PPP [22].

[296]

*  *  *

Nous venons de voir que les mobilisations sociales autour l’ALENA sont très fragmentées à l’heure actuelle en Amérique du Nord. Nous avons, à un extrême, les irréductibles de l’EZLN pour lesquels l’ALENA signale rien moins que l’ouverture des hostilités d’une quatrième guerre mondiale [23], tandis qu’à l’autre extrême, il y a tous ces groupes et ces intervenants qui soit cherchent à modifier telle ou telle disposition, tel ou tel chapitre, soit avancent des propositions d’amendements de l’accord. Entre les deux, il y a ceux et celles qui rejettent l’accord en bloc ou en partie. L’asymétrie entre les partenaires aux négociations se répercute dans une cascade d’effets pervers qui sont radicalement différents au Nord et au Sud, selon les secteurs affectés, les populations touchées, les sexes, les âges, les régions, etc. À leur tour, ces effets pervers engendrent une incompatibilité forte entre les positionnements, les stratégies et les tactiques des organisations au Mexique, aux EUA et au Canada, une situation qui, en première analyse, augure fort mal advenant la réouverture des négociations en vue d’un approfondissement de l’ALENA. Mais, à la réflexion, il se pourrait aussi que ces revendications disparates et ces stratégies multiples, pour autant qu’elles visent la même cible, s’avèrent être un facteur de renforcement des mobilisations sur et contre l’ALENA, au lieu d’être un facteur d’affaiblissement.

[459]

ANNEXES

Présentation des auteurs

Dorval Brunelle, professeur au Département de sociologie, directeur de l’Observatoire des Amériques, CEIM, Université du Québec à Montréal.

Sylvie Dugas, journaliste indépendante.


[1] Rapport de la Commission sur l’Union économique et les perspectives de développement du Canada, Approvisionnement et services, Ottawa, 1985,1.1, p. 369.

[2] Ibid., 1.1, p. 395.

[3] Ibid., 1.1, p. 401.

[4] Voir, par exemple, Le Devoir du 20 mai 1986 : « Reisman exclut les programmes sociaux ».

[5] Ces mêmes groupes auront finalement gain de cause puisque c'est à la suite du dépôt d'une plainte des homardiers américains en vertu de l'ALE que le gouvernement fédéral devra s’abstenir de combler les déficits de la caisse d’assurance-chômage. Cette décision venait alors confirmer ex post facto le lien que des analystes avaient établi au départ entre commerce et politique sociale.

[6] Le gouvernement conservateur avait annoncé ses intentions dans un document présenté aux lendemains de son élection. À ce propos, on pourra consulter : ministère des Finances, Une nouvelle direction pour le Canada, programme de renouveau économique, Ottawa, 1985, dans lequel il était question de la réduction des avantages aux bénéficiaires et de la compression des dépenses gouvernementales.

[7] Entre autres indicateurs de ce réalignement intervenu dans l’économie politique des pouvoirs en place, il conviendrait de citer également : le Rapport Forget sur la réforme de l’assurance-chômage, au niveau fédéral, ainsi que le Rapport Fortier sur la privatisation, le Rapport Scowen sur la déréglementation (Québec, Réglementer moins et mieux, juin 1986) et le Rapport Cobeil sur l’organisation gouvernementale, au niveau de la politique québécoise.

[8] Une liste incomplète des groupes environnementaux et des associations de consommateurs opposés à l’ALENA comprendrait les noms suivants : Environmental Action ; Friends of the Earth, U.S. ; Creen- peace ; Natural Resources Defence Council ; Sierra Club ; Center for Science in the Public Interest ; Community Nutrition Institute : Consumer Federation of America ; National Consumer League ; Public Citizen ; Public Voice ; Arizona Toxins Information Project : Child Labor Coalition : Community Nutrition Institute ; Southern Arizona Environmental Management Society. Ces groupes et associations, formellement ou non, ont constitué le front des « Verts » contre l’ALENA. De plus, on a assisté à la formation de plusieurs autres coalitions formées de groupes de droite, par exemple, avec Patrick Buchanan, derrière le mot d’ordre « America First ». À ce propos, il convient de préciser que le Citizens Trade Campaign, dont il sera question ci-après, se présente comme une coalition formée de groupes de gauche. À ce sujet voir Howard J. Wiarda, « The U.S. Domestic Politics of the U.S.-Mexico Free Trade Agreement », in M. Delai Baer et Sidney Weintraub (dir.), The NAFTA debate Creapplins with unconventional Trade Issues, Boulder, Lynne Rienner Publishers, p. 128-129.

[9] Ralph Ambruster, « Cross-National Labor Organizing Strategies », Critical sociology, vol. 21, n° 2,1995, p. 86.

[10] Howard J. Wiarda, op. cit., p. 124-25.

[11] Le PRI porte ce nom depuis 1946. Cependant, il est l’héritier direct du Partido Revolucionario établi par Plutarco Elias Calles en 1928-1929. Le nom a été par la suite changé en Partido de la Revolucion Mexicana par Lazaro Cardenas en 1938.

[12] La RMALC est composée d'organisations syndicales, paysannes et indigènes, de groupes environnementalistes, d’ONG ainsi que de chercheurs

[13] À l’heure actuelle. Common Frontiers rassemble une vingtaine d’organisations, dont deux syndicats, Canadian Autoworkers Union (les Travailleurs canadiens de l’auto) et United Steelworkers, la principale centrale syndicale au pays, Canadian Labour Congress (le Congrès du travail du Canada), de même que des organismes comme : Canadian Environmental Law Association, Latin American Working Croup, Ecumenical Coalition for Economie Justice, Oxfam-Canada et Solidarity Work/Maquila Network, ainsi que le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique.

[14] Le RQIC est formé de 21 organisations.

[15] L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE), la Fédération canadienne des étudiants, la Fédération des étudiants universitaires du Québec, en particulier.

[16] Tiré de Négociations commerciales multilatérales actuelles : le besoin de réévaluer les priorités du Canada, op. cit.

[17] « Un ami qui vous veut du bien », Le Devoir, 23 novembre 2002.

[18] Ces organisations sont : Biotech Action Montreal, Comité chrétien pour les droits humains en Amérique Latine, Comité Libertad (Cégep du Vieux Montreal), Comité pour la libération des prisonnier- ère-s politiques, Food not Lawns, Social Justice Committee, Student Network to Stop the FTAA, Students Taking Action in Chiapas, Union Paysanne de Montréal.

[19] Le PIB centraméricain est évalué à 43 milliards de dollars américains tandis que celui du Mexique s’élève à 351 milliards de dollars.

[20] Une route de 8 000 km allant de Puebla à Panama sera également construite, incluant la réfection et construction d’un chemin de fer à un coût de 3,6 milliards de dollars américains.

[21] Celles-ci étaient réunies au Guatemala lors des semaines de la biodiversité biologique et culturelle. « Moratoria a proyectos del PPP, exigen en Guatemala », La Jornada, 28 juin 2002.

[22] Cette manifestation a été décidée durant le Forum de Managua 2002, tenu en juin au Nicaragua, qui a rassemblé quelque 800 représentants de 18 pays d’Amérique latine et des Caraïbes. « Indigenas protestan contra ALCA », La Prense Grafica, 11 octobre 2002.

[23] Voir : Sous-commandant Marcos, « La Quatrième guerre mondiale a commencé », Le Monde diplomatique, août 1997, p. 1, 4-5.



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 août 2020 19:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref