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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir d'un article de Christian Deblock et Dorval Brunelle. “Une intégration régionale stratégique: le cas nord-américain.” Un article publié dans la revue ÉTUDES INTERNATIONALES, vol. 24, no 3, 1993, pp. 595-629. Québec: Institut québécois des hautes études internationales, Université Laval. [MM. Brunelle et Deblock nous ont accordé le 28 août 2020, leur autorisation de diffuser ce livre, en texte intégral et en libre accès à tous, dans Les Classiques des sciences sociales.]

[595]

Dorval Brunelle et Christian Deblock *

Respectivement sociologue et politologue, UQAM

Une intégration régionale stratégique :
le cas nord-américain
.”

Un article publié dans la revue Études internationales, vol. 24, no 3, 1993, pp. 595-629. Québec : Institut québécois des hautes études internationales, Université Laval.

Introduction [595]

I. Intégration et régionalisme stratégique : le projet d'ALENA [597]

A. Le régionalisme économique : une perspective générale [597]
B. Le double triangle des relations économiques en Amérique du Nord [601]
C. Régionalisme et vulnérabilité extérieure [604]

II. Le bloc nord-américain : un cas d'intégration extravertie [611]

A. Les blocs économiques : le débat théorique [611]
B. Polycentrisme et régionalisme stratégique [616]

Conclusion [620]


Libre de ses premiers pas, enchaîna ensuite
Goethe

Introduction

Nous nous proposons, dans le texte qui suit, d'approfondir la réflexion que nous avons amorcée autour de la notion de bloc économique [1] et d'explorer la validité de l'hypothèse selon laquelle le projet actuel de libre-échange nord-américain s'inscrirait dans la foulée d'un processus plus large de consolidation d'espaces économiques rivaux sur la scène économique internationale, processus dans lequel serait aujourd'hui engagée l'Amérique du Nord avec l'Accord de libre-échange nord-américain (alena). À cette fin, nous voudrions faire ressortir deux idées : la première, que, par delà les intérêts économiques que chacun des trois pays d'Amérique du Nord, le Canada, les États-Unis et le Mexique, peut trouver dans le libre-échange, l'Accord répond à une forme de régionalisme tout à fait particulière et nouvelle, que nous qualifierons de stratégique, dont l'objectif principal est d'abord de garantir aux trois partenaires une plus grande sécurité dans leurs relations économiques internationales dans un contexte où leur vulnérabilité extérieure à tous trois va croissant ; la seconde idée, que, dans un contexte de polycentrisme, cet objectif de sécurité régionale ne peut être poursuivi à l'intérieur d'un cadre institutionnel et normatif emprunté au modèle européen et que en conséquence, si l'on entend recourir à la métaphore d'un bloc économique, le contenu de l'expression n'est pas le même dans les deux cas.

Nous développerons successivement ces deux idées dans les pages qui suivent mais auparavant nous voudrions faire quelques remarques [596] préliminaires. Tout d'abord, nous aurons recours à la notion de régionalisme stratégique [2] pour souligner le fait que, par delà son contenu commercial, le projet de libre-échange nord-américain participe, du point de vue des États-Unis en tout cas, d'une vision hégémonique de la sécurité économique internationale, vision qu'il importe de situer dans un contexte où la globalisation des marchés serait éventuellement remise en cause par suite de la tripolarisation des relations économiques internationales. En ce sens, la notion de régionalisme stratégique recouvre une vision plus large que celle qui correspondait à la mise en place du continentalisme nord-américain de la part du Canada et des États-Unis durant l'après-guerre. Le terme de continentalisme est, rappelons-le, généralement utilisé pour désigner à la fois l'orientation nord-américaine de la politique extérieure du Canada ou du Mexique et l'adhésion de ces pays à un système de valeurs nord-américain [3]. En parlant de régionalisme stratégique plutôt que de continentalisme, nous voulons faire ressortir une autre dimension de l'intégration, celle selon laquelle il y a derrière le projet de libre-échange nord-américain l'intention bien arrêtée de la part des Etats-Unis d'abord, mais de la part des deux autres partenaires également, de mettre sur pied, par le biais d'une entente-cadre qui resserrerait les relations d'interdépendance entre les trois, une stratégie globale susceptible de relancer, sous le couvert du régionalisme, une certaine vision du multilatéralisme au sein de l'économie mondiale. Aux yeux de ses détracteurs, ce n'est pas le moindre des paradoxes qui veut que, pour atteindre de telles fins, on ait précisément recours à une tactique que l'on tente de combattre par ailleurs, c'est-à-dire à la consolidation d'un bloc économique.

[597]

Notre seconde remarque préliminaire se situe dans le prolongement de ce que nous venons d'indiquer ; elle nous conduit à remettre en cause l'hypothèse parfois avancée selon laquelle le libre-échange nord-américain ne serait en fait qu'une tactique ou une stratégie de repli. Pour des raisons fort différentes, ni le Canada ni le Mexique d'un côté, ni les États-Unis de l'autre, ne peuvent se permettre de se replier sur eux-mêmes et de s'isoler du « reste du monde ». L'Accord de libre-échange nord-américain (alena) est tout autant un accord favorisant l'intégration entre trois partenaires qu'un canevas traçant les grandes lignes de ce que les intégrations à venir devraient être ; c'est en ce sens que l'Accord relève d'une dynamique constitutive différente des autres projets d'intégration qui ont vu le jour dans l'après-guerre, et notamment du projet européen. Nous qualifierons cette dynamique d'extravertie par opposition à la dynamique intravertie de ce dernier. En conséquence, la notion de bloc économique, dans son application au cas nord-américain, devrait, pour être utile à l'analyse et éviter ainsi toute erreur d'appréciation, permettre de prendre en compte non seulement les modalités propres de l'intégration en Amérique du Nord, mais aussi de resituer cet Accord dans son contexte international. C'est à cette double condition qu'il sera possible de lier ces deux enjeux indissociables que sont l'intégration régionale d'une part, l'hégémonie étatsunienne de l'autre. Le repli éventuel sur un protectionnisme régional et le fractionnement de l'économie mondiale en blocs économiques concurrents relèveraient ainsi des effets pervers ou des conséquences imprévisibles : ils signaleraient bel et bien l'échec de l'alternative avancée par les Nord-Américains et non pas sa réussite.

I - Intégration et régionalisme stratégique :
le projet d'ALENA


Si nous cherchons à voir en quoi l'Accord de libre-échange nord-américain se démarque des formes « classiques » d'intégration économique régionale, deux éléments devraient retenir l'attention : le caractère doublement asymétrique des relations trilatérales au sein de l'espace nord-américain d'une part, le poids des considérations stratégiques face au défi de la pénétration du marché mondial de l'autre.

A — Le régionalisme économique :
une perspective générale


Les pays peuvent avoir de nombreuses raisons de se regrouper sur une base régionale plus ou moins large. Par souci de clarté, on peut toutefois classer les projets d'intégration économique régionale en fonction du degré d'autonomie recherché par rapport à l'économie mondiale d'une part, et en fonction des formes que prend l'intégration, d'autre part [4].

[598]

Tout d'abord, il y a les projets qui relèvent d'une stratégie manifeste de repli vis-à-vis des grands courants de l'économie mondiale. Cette forme de régionalisme répond soit à des contraintes géopolitiques visant un décrochage maximal dont l'exemple le plus célèbre dans l'après-guerre a été le comecon, soit à des contraintes tactiques visant tout au plus une certaine forme d'« autonomisation » du développement ; dans ce dernier cas, une entente régionale devait permettre de contourner l'obstacle que représente, dans la perspective d'un développement auto-centré, la taille réduite du marché local, et d'accorder aux partenaires une certaine marge de manœuvre vis-à-vis des contraintes imposées par l'économie mondiale [5]. On pourrait dans ce cas parler d'une forme atténuée de décrochage ; cette stratégie, qui a été largement préconisée, sous l'influence des thèses de la cepal, comme moyen de protéger les pays de l'Amérique latine de l'influence déstabilisatrice du commerce international sur les industries naissantes, n'a cependant pas été systématiquement poursuivie et elle a rarement été sanctionnée. Cette politique économique, qui aurait pu conduire à un développement protégé plus ou moins autarcique n'eût été l'absence de complémentarité entre les pays concernés, n'a guère été à la hauteur des attentes là où, et quand elle a été appliquée [6].

À l'opposé de ce régionalisme de repli, nous retrouvons une autre forme de régionalisme aux contours beaucoup plus imprécis mais aux objectifs clairement arrêtés, objectifs en vertu desquels il s'agit essentiellement de lier les échanges entre partenaires au développement d'une véritable communauté économique d'intérêts et non plus à la somme des intérêts nationaux. Dans cette catégorie, nous devrions faire entrer toutes les zones de préférence coloniale ou impériale ainsi que les accords commerciaux et financiers bilatéraux liés. L'établissement d'une zone de préférence aura alors pour objectifs de regrouper au sein d'une même communauté d'intérêts, et autour d'une grande puissance, un certain nombre de pays qui profiteront ainsi de l'accès préférentiel et « sécuritaire » à un marché élargi susceptible d'assurer leur propre développement. Même si elles ont connu leurs heures de gloire dans l'entre-deux-guerres, ces zones n'ont jamais non plus vraiment répondu aux attentes de leurs promoteurs, ni aux yeux des grandes puissances, parce qu'elles se trouvaient contraintes de détourner une partie de leur commerce au profit des pays de la zone, ni aux yeux des pays périphériques, parce que leur développement restait largement tributaire de leur commerce avec le centre.

Sans insister outre mesure sur ce point, on peut aussi considérer que ces deux premiers types de régionalisme relèvent d'un autre âge : le premier type nous renvoie à la partition politique d'un monde divisé entre le Nord [599] et le Sud, entre l'Est et l'Ouest, tandis que le second nous renvoie à une gestion plus ou moins impérialiste du monde. Par contre les types suivants de régionalisme relèvent d'une philosophie différente, l'idée étant ici qu'il est possible pour les pays concernés de tirer avantage de certaines formes plus ou moins poussées d'intégration régionale sans pour autant renier leur participation au mouvement plus général de libéralisation des échanges à l'échelle mondiale. Selon le degré d'engagement des pays impliqués, nous pouvons à nouveau distinguer deux modèles d'intégration.

On parlera tout d'abord d'intégration « active [7] » lorsque l'intégration économique est envisagée comme la partie constitutive d'un projet politique et qu'elle engage la souveraineté des États participants ; l'intégration économique est alors menée parallèlement à un projet d'intégration politique qui, par étapes, débouchera sur un véritable marché commun, et éventuellement, sur la création d'une nouvelle entité politique, le plus souvent par fédération. Dans ce cas, il s'agit de renforcer l'interdépendance économique entre les pays membres et d'implanter à l'échelle régionale les nouveaux mécanismes institutionnels correspondants. Le projet politique peut cependant être plus limité et, comme dans le cas des unions économiques, n'engager que partiellement la souveraineté des États participants.

On parlera ensuite d'intégration « passive » au sens où l'entend la littérature dans ce domaine, c'est-à-dire au sens où le projet d'intégration n'engage, en principe du moins, que les seuls échanges économiques entre pays participants. L'intégration se limite à la levée des mesures qui entravent la libre circulation des produits et des facteurs de production. L'objectif n'est plus, comme dans le cas précédent, de créer une nouvelle entité internationale, mais d'établir un marché unique et d'intégrer dans un seul et même ensemble économique plusieurs économies distinctes. Font partie de cette catégorie de régionalisme toutes les formes de libre-échange.

Ces deux dernières catégories de régionalisme s'inscrivent dans une perspective de libéralisation graduelle, mais régionalement limitée, des échanges, et c'est à ce titre d'ailleurs que de tels projets seront sanctionnés par la Communauté internationale [8]. L'idée qui prévaut en la matière depuis [600] la Deuxième Guerre, c'est que le régionalisme économique constitue une formule de compromis acceptable qui permet de concilier le souci légitime de pays voisins de vouloir se rapprocher sur le plan économique et de coopérer plus étroitement entre eux sur une base régionale, avec la nécessité de poursuivre la libéralisation des échanges internationaux. Les ententes économiques régionales s'évaluent bien entendu toujours à l'aune des avantages économiques qu'elles procurent mais, et c'est le point central ici, la recherche de ces avantages exclut toute idée de décrochage et de discrimination. Par contre, il serait exagéré de dire que les ententes économiques régionales qui entrent dans ces deux dernières catégories excluent toute idée de protectionnisme. À cet égard, le cas le moins clair est sans doute celui des ententes économiques qui, à l'instar de la Communauté européenne, relèvent d'un projet politique. La poursuite d'objectifs internes conduit souvent à des formes plus ou moins déguisées de protectionnisme, cependant le recours à des expressions comme celle de « forteresse Europe » voire, celle de « bloc économique », ne devrait pas brouiller le sens et la finalité de ces initiatives économiques qui sont censées servir également à promouvoir l'idéal qui a été à l'origine du régime économique international d'après-guerre, c'est-à-dire la libéralisation graduelle du commerce international au-delà des contraintes posées par l'universalisation du cadre de l'État-nation.

Si nous considérons en première approximation le projet d'Accord de libre-échange nord-américain (alena), nous pouvons dire que, tant du point de vue des objectifs recherchés que du point de vue des arguments invoqués, ce projet, tout comme d'ailleurs l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ale) qui l'a précédé, entre dans la quatrième catégorie, soit celle des ententes à caractère purement économique. Sur ce plan d'ailleurs les objectifs de l'entente sont on ne peut plus clairs : il s'agit d'un projet strictement commercial [9] dont l'objet est uniquement de lever au terme d'une période de transition tous les obstacles à la libre circulation des marchandises et des capitaux. Le projet n'entame en aucune manière, sur le papier du moins, la souveraineté des pays participants. D'ailleurs, rien n'indique qu'il y ait, dans les intentions des trois partenaires, une quelconque volonté de prendre appui, comme c'est le cas en Europe, sur la constitution d'un marché unique pour faire évoluer les relations trilatérales vers des formes plus poussées d'intégration politique.

Si on voulait pousser davantage l'analyse, nous pourrions rappeler que le projet d'Accord de libre-échange nord-américain se démarque sur un autre point fondamental : sa philosophie libérale. Contrairement à ce qui se passe en Europe, toute idée de volontarisme et d'interventionnisme a été délibérément exclue. Il ne s'agit donc pas de chercher à établir une forme de régionalisme qui, sous le couvert d'un certain interventionnisme, pourrait [601] conduire à la sanction d'un protectionnisme de zone mais, plus modestement, et conformément à l'esprit de l'article xxiv du gatt, d'aller dans le sens du marché et de favoriser les échanges entre pays voisins sans causer de préjudice aux pays tiers. Par ailleurs, et à un second niveau, le projet de libre-échange participe aussi d'un processus politique plus profond de remise en question du nationalisme économique dans deux des trois pays impliqués, le Canada et le Mexique, processus qui doit, dans la perspective de ses promoteurs, conduire à l'abandon graduel du modèle keynésien et à la redéfinition parallèle des paramètres d'une politique économique axée sur la compétitivité extérieure et le jeu des forces du marché [10].

À première vue donc, le projet d'ALENA est un projet d'intégration qui entre assez bien dans le modèle libéral d'intégration de type « passif ». Il n'engage pas la souveraineté des trois pays participants pas plus qu'il ne remet en question le processus plus large de libéralisation des échanges enclenché à l'échelle mondiale depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous aurons l'occasion de revenir plus loin sur cet aspect du projet, ne serait-ce que parce que, dans une certaine mesure, c'est à cette condition qu'il a été rendu possible, mais pour le moment essayons d'aller un plus loin dans notre analyse de ses caractéristiques et, pour ce faire, de regarder d'un peu plus près la nature des relations économiques qu'entretiennent les trois pays entre eux et avec le reste du monde. Deux faits sont ici marquants : les relations économiques au sein du nouvel ensemble économique qui prend forme en Amérique du Nord sont doublement asymétriques ; les relations entre cet ensemble et le « reste du monde » reposent sur l'existence d'une relation triangulaire entre les États-Unis, l'Europe communautaire et le Japon.

B — Le double triangle des relations économiques
en Amérique du Nord


Dans un ouvrage collectif publié au début des années soixante-dix, James Hyndman [11] faisait déjà remarquer que la principale raison pour laquelle le libre-échange avec les États-Unis suscitait autant de débats au Canada, tenait au caractère unique de la relation qu'entretenait le Canada avec son puissant voisin. Les choses n'ont sans doute pas beaucoup changé depuis le début des années soixante-dix, à ceci près cependant, que l'intégration de l'économie canadienne à celle des États-Unis a considérablement progressé depuis lors, en dépit de tous les efforts qui ont été faits pour réduire ce qui était perçu alors comme un facteur de très grande [602] vulnérabilité. Aujourd'hui, les termes du débat sur le libre-échange ont été considérablement renouvelés, puisqu'il ne s'agit plus pour le Canada de lier ou non son destin à celui des États-Unis, mais de s'intégrer économiquement à un vaste marché qui englobera maintenant l'Amérique du Nord dans son ensemble.

Le marché nord-américain est un marché qui, par sa taille et son importance en termes de production et de commerce, est relativement comparable au marché européen. C'est un marché qui est aussi tout autant, sinon davantage, intégré que le marché européen, du moins si nous prenons comme indicateurs du degré d'intégration la part du commerce intra-régional et celle du commerce intra-firme dans le commerce total (voir tableau 1). Par contre, et c'est ce qui distingue l'Amérique du Nord de l'Europe communautaire, les trois pays ne sont pas reliés entre eux par des relations trilatérales mais par deux réseaux de relations bilatérales : les États-Unis et le Canada au Nord, les États-Unis et le Mexique au Sud. En troisième lieu, à l'intérieur de ce marché continental, si le Canada et le Mexique sont dépendants des États-Unis tant sur le plan commercial que sur le plan des investissements sur place, ces derniers entretiennent avec « le reste du monde », notamment avec l'Europe communautaire et le Japon, des relations tout aussi étroites qu'avec leur voisin immédiat. Dans ces conditions, lorsqu'elle verra le jour, cette zone de libre-échange sera une zone hétérogène [12] dont le centre de gravité aura cette particularité d'être aussi le centre de gravité de l'économie mondiale.

La notion de zone hétérogène telle que nous l'utilisons dans ce contexte a pour but de rendre compte d'une situation qui prévaut lorsque nous rencontrons, dans un même ensemble économique, des pays de taille et de niveau de développement structurellement différents [13]. En Amérique du Nord en effet, on ne peut placer sur un même pied le Canada, les États-Unis et le Mexique, puisque les deux premiers sont des pays industrialisés alors que le dernier est un pays sous-développé. Entre ces trois pays, les relations sont donc marquées tout autant par des différences de taille que par des différences liées à des niveaux de développement. C'est en ce sens que nous devons parler, dans le contexte qui prévaut en Amérique du Nord, d'une [603] situation de double asymétrie [14] : asymétrie qui apparaît d'abord dans le fait que deux des trois pays se trouvent dans une situation de dépendance économique [15] vis-à-vis d'un troisième, les Etats-Unis ; asymétrie qui apparaît ensuite dans le fait que cohabitent au sein du même espace économique deux pays développés et un pays qui ne l'est pas.

Quant à la seconde idée, celle de centre de gravité, nous entendons faire ressortir par là la situation particulière dans laquelle se trouvent les États-Unis qui sont à la fois la plaque tournante des relations économiques en Amérique du Nord et au sein de l'économie mondiale. En ce sens, c'est d'abord, et, devrions-nous dire, de plus en plus, par les États-Unis que l'Amérique du Nord est reliée au »reste du monde » et, en particulier, à ces deux autres pôles de l'économie mondiale que sont aujourd'hui l'Europe communautaire et le Japon (voir tableau 2). D'ailleurs les données sur les exportations et celles sur les investissements internationaux confirment cette double fonction assumée par les États-Unis, (voir tableau 3) [16]. Dernier constat : les données statistiques relatives à la répartition des intérêts économiques américains dans le monde montrent que ceux-ci sont mieux équilibrés que ceux de l'Allemagne et du Japon, les deux pays que nous avons retenus aux fins de comparaison dans le tableau 4.

Pour illustrer et résumer ce que nous venons d'avancer, il convient de se reporter aux schémas triangulaires du commerce (graphique 2) et des investissements entre les trois partenaires de 1' Amérique du Nord (graphique 3) d'une part, entre l'Amérique du Nord et les deux autres grands pôles de l'économie mondiale que sont l'Europe communautaire et le Japon, [604] d'autre part (graphique 4). Les schémas ont le mérite de montrer que, si les flux du commerce et de l'investissement sont très croisés entre les différentes arêtes des deux triangles, et sans doute plus croisés à l'heure actuelle qu'ils ne l'ont été depuis la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis n'en continuent pas moins d'occuper une position de pivot à ce croisement des deux triangles.

La position tout à fait particulière qu'occupent les États-Unis tant au sein de la zone que vis-à-vis du reste du monde fait en sorte que l'on ne peut vraiment comparer le projet nord-américain de libre-échange avec aucun autre projet d'intégration [17]. Elle explique aussi en grande partie les appréhensions que peut susciter, tant au Mexique qu'au Canada, un projet de libre-échange nord-américain qui, en l'absence de contraintes institutionnelles clairement établies, placerait les États-Unis dans une position de force tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la zone. Les problèmes de voisinage et de coexistence de trois pays aussi différents au sein d'une même région économique ne doivent sans doute pas être occultés ; mais dans la forme actuelle que prend le projet de libre-échange, ils sont sans doute beaucoup moins importants qu'ils ne le seraient s'il s'agissait simplement, comme c'était le cas dans les projets d'intégration que l'on pourrait appeler de la première génération, de chercher à dépasser les limites du marché national ou de construire une nouvelle entité politique sur la scène internationale. Le compromis entre les trois pays n'est possible que dans la mesure où, s'agissant d'un projet d'intégration d'un nouveau genre, la dynamique constitutive relève d'une volonté commune de trouver une voie accommodante d'insertion dans l'économie mondiale en créant une communauté régionale d'intérêts. Autrement dit, et c'est l'idée que nous voudrions maintenant développer, le projet de libre-échange a moins pour objet de resserrer des liens économiques, par ailleurs déjà fort étroits, entre les États-Unis, le Canada et le Mexique que de permettre à ces trois pays, en s'insérant dans un ensemble économique plus homogène, de se placer dans une position plus avantageuse au sein de l'économie mondiale.

C — Régionalisme et vulnérabilité extérieure

Le réalisme est sans doute ce qui caractérise le mieux, depuis quelques années, la politique économique internationale des États-Unis, mais aussi celles du Canada et du Mexique [18]. Il est indéniable que les trois pays [605] attendent beaucoup sur le plan économique d'un Accord de libre-échange [19]. Pour le Mexique, il s'agit surtout de retrouver les voies de la croissance et de moderniser une économie étouffée par le protectionnisme ; pour le Canada, il s'agit de mieux affronter la concurrence internationale grâce aux économies d'échelle qui pourront être ainsi réalisées, et de garantir le maintien du niveau de vie de la population dans l'avenir sur la base d'une efficacité retrouvée ; pour les États-Unis enfin, il s'agit de libérer l'activité des entreprises multinationales des contraintes de l'interventionnisme de ses voisins et de retrouver une position concurrentielle sur les marchés internationaux en tirant parti des avantages comparatifs dont disposent le Canada avec ses ressources naturelles et le Mexique avec ses coûts de main-d'œuvre. Seulement, pour aussi clairs que soient les objectifs que se sont donnés les trois pays sur le plan économique, force est de constater que le projet de libre-échange ne présenterait pas autant d'intérêt pour eux s'il ne s'agissait pas aussi, en prenant le parti du régionalisme, de se donner, dans un contexte où leur vulnérabilité extérieure [20] paraît plus évidente que jamais, un degré de liberté supplémentaire dans les relations que ces trois pays entretiennent avec l'extérieur.

C'est ce qui donne, à notre avis, au projet actuel de libre-échange trilatéral toute sa signification : essentiellement tourné vers l'extérieur, celui-ci doit permettre à chacun des trois pays de desserrer le poids de sa contrainte extérieure et d'atteindre ainsi plus facilement ses objectifs en matière de politique économique internationale. En un mot, le projet n'a d'autre objet, en développant une vision commune de la place que peut occuper l'Amérique du Nord au sein d'une économie mondiale en mutation, que de répondre à l'objectif stratégique que chacun d'eux s'est donné, soit maîtriser son propre environnement international.

Voyons plus précisément ce qu'il en est pour chacun des trois pays.

[606]

Pour les États-Unis tout d'abord, le libre-échange constitue à n'en pas douter une occasion d'éliminer ce qu'ils ont toujours considéré comme la source principale de friction dans leurs relations bilatérales avec le Canada et le Mexique, à savoir le nationalisme économique, et de réaliser, à l'échelle du continent nord-américain d'abord, mais éventuellement à l'échelle du continent américain dans son ensemble si le projet Initiative pour les Amériques voit éventuellement le jour [21], ce qui a été leur objectif principal depuis la Guerre, à savoir le « one-undivided world » caractéristique de ce que Halliday a pu appeler une vision libérale hégémonique de l'internationalisme [22]. C'est à cette condition, et à cette seule condition, que les Américains ont accepté au départ de négocier avec le Canada en premier, avec le Mexique ensuite, une entente commerciale qui doit leur reconnaître un traitement égal dans leurs relations avec ces partenaires, une démarche qui devrait prendre ainsi valeur d'exemple dans les négociations commerciales multilatérales à venir. Plus fondamentalement cependant, et à un second niveau, le régionalisme porté par le projet de libre-échange nord-américain offre aux États-Unis l'occasion de redéfinir les règles en matière de relations économiques internationales dans une perspective désormais triangulaire avec le Japon et la Communauté européenne.

La situation de crise qui prévaut à l'heure actuelle dans les relations économiques internationales n'a pas non plus été étrangère à la décision de l'Administration Bush de s'engager dans un projet politique aussi délicat à gérer sur le plan domestique que peut l'être le libre-échange avec le Canada et le Mexique [23]. De par la position centrale qu'ils occupent dans l'économie mondiale, mais aussi de par le statut particulier qui est le leur au sein de cette dernière, les États-Unis ne peuvent certainement pas faire du régionalisme leur option principale en matière de politique économique internationale. Cette option n'a d'ailleurs jamais vraiment fait l'objet, avant les années quatre-vingt, d'une attention particulière de leur part. Ce ne peut d'aucune manière être une option qui conduise à une situation de repli comme celle qu'a connue la Grande-Bretagne après avoir signé les Accords d'Ottawa en 1932 : il est tout aussi essentiel pour eux d'ouvrir les marchés internationaux à leurs produits et à leurs capitaux que de chercher à renforcer au sein de l'économie mondiale, une position hégémonique que vient miner le [607] recul relatif de leur compétitivité [24]. Par contre, et c'est l'autre dimension du problème, placés, comme ils le sont aujourd'hui, dans la situation très inconfortable d'être à la fois dépendants et vulnérables vis-à-vis de l'extérieur comme l'a montré C. Fred Bergsten [25], les États-Unis ne peuvent plus non plus compter uniquement, comme ils l'ont fait dans l'après-guerre, sur le libre-échange et les progrès des négociations commerciales multilatérales pour retrouver leur position hégémonique sur les marchés internationaux [26].

L'approche qu'ils ont adoptée en la matière consiste plutôt à se servir du protectionnisme, du bilatéralisme, du régionalisme etc., comme autant d'instruments de négociation, voire de rétorsion, qui doivent leur permettre de forcer l'ouverture des marchés, d'une part, de faire avancer lors de ces négociations multilatérales, pour ne pas dire trilatérales, leur vision d'un monde libre de toute entrave, d'autre part [27]. Ce faisant, ils placent [608] inévitablement leurs partenaires dans la position défensive d'avoir désormais à faire la preuve de leur bonne foi en matière commerciale tout en se plaçant eux-mêmes dans la position avantageuse d'être les ardents défenseurs d'un ordre économique libéral qui leur donne le bon droit d'être eux-mêmes protectionnistes et de sanctionner tout comportement jugé déloyal [28].

Pour le Canada et le Mexique le problème se présente sous un angle un peu différent mais, sur le fond, il se pose de la même manière que pour les États-Unis : il s'agit essentiellement pour ces deux pays de retrouver les voies de la croissance en se tournant vers les marchés extérieurs, et, pour ce faire, de s'associer plus étroitement aux États-Unis de manière à obtenir de ces derniers la reconnaissance du statut commercial privilégié qui doit à la fois leur assurer l'accès à leur principal marché et leur donner la possibilité de s'en servir comme tremplin pour une insertion réussie dans l'économie mondiale.

On ne saurait trop souligner l'importance du changement politique qui s'est opéré dans ces deux pays sous les administrations Mulroney et Salinas. Placée sous le signe de l'ouverture sur l'extérieur et du retour au jeu des forces du marché, la nouvelle politique économique qui a été mise en place dans ces deux pays marque non seulement la fin d'une époque, celle du nationalisme économique et de l'interventionnisme, mais aussi l'amorce d'une reprise en main d'une économie « déphasée » par rapport aux nouvelles réalités de la concurrence internationale. Après avoir opté pour une politique industrielle concurrentielle, c'est-à-dire pour une politique industrielle orientée sur les forces du marché, les deux gouvernements ont dû très rapidement se rendre à l'évidence qu'ils n'avaient guère d'autre choix que de se tourner vers leur principal partenaire commercial et de chercher à négocier une entente qui leur garantisse la sécurité d'accès à leur principal marché et les mette à l'abri de toute velléité protectionniste de la part des États-Unis, et qui leur offre aussi la possibilité de se servir du marché américain comme d'un tremplin pour retrouver leur place sur les marchés internationaux [29].

[609]

Autrement dit, et au premier degré, il s'agit pour ces deux pays, par un accord de libre-échange avec les États-Unis qui leur assurerait à la fois l'accès à leur principal marché et la reconnaissance d'un statut commercial privilégié, de desserrer l'étau de la dépendance et de se donner une plus grande marge de manœuvre vis-à-vis des États-Unis pour mener à bien une stratégie économique qui, pour être orientée sur les forces du marché, n'en commande pas moins que soit levée toute hypothèque qui pourrait résulter de l'application unilatérale de mesures protectionnistes de la part des États-Unis. C'est à cette condition, et à cette condition uniquement comme le montrent les importantes concessions qu'a dû faire le Canada pour arriver à ses buts, qu'une entente commerciale bilatérale ou trilatérale est envisageable avec les États-Unis [30]. Toutefois, et c'est l'autre aspect du problème, le libre-échange avec les États-Unis n'a de sens pour le Canada et le Mexique que dans la mesure où celui-ci offre aussi la possibilité de restructurer l'économie dans la perspective d'une meilleure insertion dans l'économie mondiale.

La seule et véritable option pour des pays comme le Canada et le Mexique reste le multilatéralisme et la consolidation d'un régime international [31] qui reconnaisse en droit et dans les faits à tous les pays, quels que soient leur taille ou leur niveau de développement, un traitement égal sur les marchés internationaux. Tous les efforts qui sont déployés sur la scène internationale, que ce soit pour renouveler le gatt, comme en a d'ailleurs fait officiellement la proposition le Canada [32], ou pour forcer le libre accès aux grands marchés internationaux, comme cherche à le faire le Mexique depuis son accession au gatt [33], vont dans cette direction. Or, si ceci reste toujours l'objectif à atteindre, l'idéal « sécuritaire » que véhicule le régime international d'après-guerre a été, depuis une dizaine d'années, durement mis à l'épreuve, que ce soit par la position d'intransigeance qu'affichent de plus en plus les grands ténors de la scène économique internationale, à commencer par les États-Unis, ou par la manière dont sont détournées les règles établies au profit d'intérêts partisans. En fait, malgré tous les appels en faveur d'un nouvel ordre économique international, force est de constater que la coopération économique internationale cède de plus en plus le pas à l'affrontement entre les trois grandes puissances économiques que sont les États-Unis, l'Europe communautaire et le Japon.

[610]

Que la menace appréhendée d'une nouvelle partition de l'économie mondiale soit réelle ou non, le fait est que le caractère de plus en plus triangulaire que prennent les relations économiques internationales laisse peu de place aux petits pays, qu'il s'agisse de ceux qui, comme nombre de pays du Tiers monde se trouvent en dehors des grands courants internationaux, ou de ceux qui, comme c'est le cas du Mexique et du Canada, gravitent dans le sillage immédiat d'une grande puissance [34]. L'échec de la Troisième option au Canada et, plus récemment, l'échec des démarches entreprises par l'Administration Salinas pour rapprocher le Mexique du Japon et de l'Europe montrent assez bien à quel point les options qui s'offrent en matière de politique économique internationale à ces deux pays sont, dans un tel contexte, fort limitées et à quel point aussi l'insertion dans une communauté régionale d'intérêt apparaît dorénavant comme un préalable à la défense de leur statut de petit pays sur la scène internationale et comme un moyen de se donner une marge de liberté supplémentaire, à tout le moins vis-à-vis des deux autres Grands [35].

En somme, et pour résumer cette première partie, le projet d'intégration nord-américain présente ceci de particulier, premièrement, que les relations économiques au sein du nouvel ensemble économique régional qui sera ultimement constitué d'un côté, entre cet ensemble et le reste du monde de l'autre, sont extrêmement polarisées sur les États-Unis et, deuxièmement, que, à la grande différence des projets d'intégration plus traditionnels, celui-ci est moins orienté vers la consolidation introvertie des liens économiques entre les trois pays participants que vers la promotion et la défense d'intérêts communs que chacun de ces trois pays peut avoir au sein de l'économie mondiale. Le projet nord-américain de libre-échange est résolument tourné vers l'extérieur et amplement motivé par les considérations régionales de sécurité économique que vient exacerber une vulnérabilité extérieure croissante. En ce sens, si l'adhésion à un modèle commun de [611] politique économique rend possible la coexistence au sein d'un même espace économique de trois États souverains aussi différents les uns des autres par l'histoire et la culture que par le niveau de développement et le statut international, ce sont d'abord et avant tout les considérations stratégiques communes de compétitivité et de sécurité internationales qui font qu'en dernière instance le libre-échange puisse apparaître non seulement comme une sorte de mariage de raison mais aussi, par rapport à l'objectif visé, comme la formule intégrative la plus souple pour les entreprises et la moins engageante pour les États participants. En ce sens aussi, comme la dynamique intégrative est résolument tournée vers l'extérieur et qu'il s'agit de prendre appui sur la création d'une communauté régionale d'intérêts au sein de l'économie mondiale, c'est essentiellement à la lumière des gains de commerce que chacun des trois pays pourra réaliser sur les autres grands marchés internationaux qu'il faudra évaluer l'Accord. En un mot, il s'agit moins de tirer un avantage direct d'une intégration plus poussée des économies, notamment en termes de commerce intrarégional, que de tirer un avantage indirect de l'intégration des marchés pour redonner un avantage compétitif à l'Amérique du Nord, prise dorénavant comme région, sur les autres grands partenaires de l'économie mondiale. C'est une nouvelle dynamique des relations économiques internationales qui prend ainsi forme.

II — Le bloc nord-américain :
un cas d'intégration extravertie


Nous avons rejeté d'emblée, rappelons-le, l'hypothèse selon laquelle le libre-échange correspondrait à une option commerciale de repli. L'analyse des motivations respectives en faveur du libre-échange faite précédemment montre que, si celui-ci ne se conçoit que dans une perspective d'interdépendance triangulaire des relations économiques internationales, il s'agit aussi d'un projet d'intégration régionale d'un nouveau genre résolument tourné vers l'extérieur. L'hypothèse du repli se heurte aussi à une autre réalité que nous ne ferons que mentionner ici, celle de l'interdépendance de plus en plus étroite qui existe entre les trois grands marchés internationaux, et dont on peut mesurer l'intensité par l'importance du commerce et des investissements croisés. Par contre, et c'est l'idée que nous voudrions reprendre maintenant en la développant, le scénario selon lequel le projet de libre-échange pourrait éventuellement conduire, par dérapage, à la formation d'un bloc économique nord-américain reste un scénario tout à fait plausible dans un contexte de polycentrisme et de triangularisation des échanges internationaux. Mais tout d'abord, essayons, comme nous l'avons fait auparavant à propos des ententes économiques régionales, de préciser ce que l'on peut entendre par cette notion aux contours théoriques très flous de bloc économique.

A — Les blocs économiques : le débat théorique

La question des blocs économiques n'a fait l'objet jusqu'à tout récemment que de très peu d'attention de la part des économistes libéraux. [612] Certes, il faudrait évoquer les travaux de Jacob Viner ou ceux de James Meade sur les unions économiques, mais ces travaux restent surtout orientés vers le problème du détournement du commerce et le protectionnisme de zone. D'une manière générale cependant, la théorie économique de l'intégration a plutôt eu tendance à s'écarter de l'approche classique défendue par ces deux auteurs et à considérer les ententes économiques régionales comme un choix de second best par rapport au libre-échange intégral. Le concept d'intégration désignera dès lors le processus par lequel deux ou plusieurs économies s'ouvrent et s'imbriquent progressivement les unes dans les autres pour ne plus former au bout du compte qu'un seul ensemble économique [36]. Dans une perspective plus large de libéralisation des échanges, le libre-échange régional constituerait alors un pas dans la bonne direction. D'étape en étape, l'intégration économique serait ainsi toujours plus poussée, jusqu'à déboucher sur l'intégration économique complète [37].

Ce n'est qu'au début des années soixante-dix que la notion de bloc, empruntée à la littérature sur les relations internationales, a été étendue au domaine des relations économiques internationales pour rendre compte du processus de partition de l'espace économique mondial qui pourrait résulter d'ententes économiques régionales ou de formes particulières d'intégration dans une région donnée du monde. Ernest Preeg est le premier auteur, à notre connaissance, à avoir utilisé le terme en ce sens.

Dans un ouvrage publié en 1974 [38], Ernest Preeg propose en effet de distinguer le processus de partition du monde qui s'est opéré dans l'après-guerre sur une base politique entre l'Est et l'Ouest d'une part et entre le Nord et le Sud, d'autre part, de celui qui tend à s'opérer sur une base économique au sein même des pays industrialisés, entre l'Europe, l'Amérique du Nord et le Japon. Il désignera ainsi sous le terme de « trichotomie » le processus de premier niveau et sous le terme de « tripolarisation » le processus de second niveau. L'auteur use de l'expression « bloc économique » en référence au second cas et il la définit de la manière suivante : comme « un [613] arrangement entre certaines nations, excluant d'autres nations, qui a pour effet d'affecter la formation des prix et l'allocation des ressources sur les marchés internationaux [39] ». Preeg retient trois facteurs qui concourent à la formation d'un bloc économique : premièrement, l'accroissement du degré d'interdépendance entre les partenaires ; deuxièmement, la recherche de l'ajustement le plus satisfaisant possible de la balance des paiements compte tenu du niveau d'interdépendance atteint ; et troisièmement, la recherche d'une position plus favorable pour les membres dans la poursuite d'objectifs économiques communs.

La distinction établie par Preeg entre trois blocs au premier niveau est sans doute devenue en partie obsolète avec la fin de la division cardinale du monde entre l'Est socialiste et l'Ouest capitaliste, mais elle demeure plus que jamais valable pour rendre compte de la dichotomie entre le Nord développé et le Sud sous-développé [40]. Sa définition des blocs reste aussi fortement influencée par la théorie classique du commerce international, tout comme son analyse des blocs économiques reste largement influencée, ce qui était un peu normal à l'époque où l'ouvrage a été écrit, par le modèle d'intégration européen. Cependant sa définition des blocs de second niveau, c'est-à-dire le processus de tripolarisation au sein des économies développées, peut être appliquée au cas nord-américain, à condition cependant que nous gardions en perspective l'idée avancée plus haut qu'il existe une différence de nature fondamentale entre les projets d'intégration de la première génération, dont l'Europe a toujours été considérée comme le modèle, et les projets de la seconde génération, dont le projet nord-américain de libre-échange serait le modèle de référence [41]. En ce sens, l'idée sous-jacente dans l'approche de Preeg, à savoir que le régionalisme conduit à des formes de partition de l'économie mondiale lorsque le projet répond à des préoccupations d'ordre stratégique, reste une idée intéressante à retenir. Néanmoins, la précision que nous apportons est déterminante dans le contexte actuel puisque, au moment où Preeg a avancé sa thèse, l'intégration en Amérique du Nord ne concernait que les États-Unis et le Canada de sorte que nul n'était en mesure à l'époque de prévoir l'intégration éventuelle de l'économie mexicaine à l'espace en question. Or, si nous croyons utile [614] d'adapter la nomenclature de Preeg à ce nouveau contexte, il va de soi que cet élargissement ne peut se faire sans une adaptation du contenu des concepts à cette nouvelle réalité.

Le débat sur les blocs économiques a été relancé à la fin des années quatre-vingt autour de la convergence de quatre ordre de facteurs : la fin de la guerre froide, la perspective prochaine d'une entente commerciale trilatérale en Amérique du Nord, la création d'un Marché unique européen en 1993 et la concentration géographique très marquée des investissements internationaux sur ce qu'il est convenu d'appeler la « triade [42] ». Le débat a cependant été associé, contrairement à ce qui était le cas chez Preeg, au problème de la résurgence du protectionnisme dans un contexte de crise des relations économiques internationales. Deux thèses ont alors vu le jour.

Conformément à la première thèse, il existerait une relation très nette entre les situations de crise économique et le protectionnisme [43]. Cette thèse s'appuie sur deux éléments : sur l'histoire tout d'abord, qui montre que le périodes de difficultés économiques sont particulièrement propices à de fortes demandes de protection de la part d'une opinion publique qui, à tort ou à raison, en impute la cause aux importations étrangères ; elle s'appuie ensuite sur la situation particulière des États-Unis, qui, vivant ce que Bhagwati appelle le « syndrome du géant déchu [44] », feraient de la réciprocité la condition d'accès à leur marché. On pourrait dans ces conditions considérer le libre-échange comme l'une des formes que prendrait le nouveau protectionnisme à l'heure actuelle, un protectionnisme qui serait porté à la fois par le sentiment d'agression extérieure et par le sentiment que les autres pays ne respectent pas vraiment les règles du jeu. À cela il faudrait ajouter un autre constat : à la différence de ce que fut le protectionnisme au xixème siècle, ce protectionnisme ne répond pas à l'objectif de protéger des industries naissantes de la concurrence internationale, mais à celui de protéger certains avantages acquis et de rendre les règles en matière de commerce plus transparentes.

La seconde thèse a été développée, entre autres, par Schott [45]. Le problème des blocs économiques est ici abordé dans la même perspective que dans la théorie conventionnelle de l'intégration économique, soit celle d'une libéralisation graduelle et fonctionnelle des échanges internationaux. [615] Ainsi Schott définit-il un bloc commercial comme « toute association de pays dans le but de réduire les barrières commerciales intra-régionales dans le domaine des marchandises et, parfois aussi, dans les domaines des services, des investissements et du capital [46] ». Les blocs commerciaux auraient alors pour objet, selon l'auteur, de générer des gains en termes de bien-être à travers les effets de revenu, d'efficacité et de création de commerce qui en résultent, d'augmenter le pouvoir de négociation avec les pays tiers et, parfois, de promouvoir la coopération politique régionale. À la question de savoir si le régionalisme ne serait pas actuellement en train de remplacer le multilatéralisme, l'auteur répond par la négative. Sauf peut-être dans le cas de l'Europe communautaire, le régionalisme reste une option de « second best », voire de « third best » dans le cas de l'Asie, le gatt et le multilatéralisme restant les options principales de la politique économique internationale des pays d'Amérique du Nord et d'Asie du Sud-Est.

Ces deux thèses, d'inspiration libérale, se rejoignent sur un point, à savoir que la situation actuelle ne peut être qu'une situation temporaire, qui s'explique ou bien parce que le mouvement de libéralisation des échanges a été stoppé dans son développement dans l'état de crise actuel, ou bien parce que l'intérêt que trouvent les pays à former un bloc économique est un intérêt limité. Cette idée de situation temporaire est certainement aussi une idée à retenir, du moins au sens où il y a effectivement contradiction entre la tendance à la mondialisation des échanges d'une part, et la tendance à la régionalisation des rapports économiques internationaux, d'autre part. Ce qui reste par contre beaucoup plus contestable c'est l'analyse sous-jacente.

Dans le cas de la première thèse en particulier, il est bien difficile d'admettre, même si personne ne conteste l'ampleur prise par les nouvelles formes de protectionnisme, que celui-ci soit aujourd'hui un objectif explicite de politique économique ; l'analyse de la politique économique internationale des États-Unis montre qu'il en va tout autrement et qu'au contraire, si quelque chose est bel et bien recherché de leur part, c'est la mise en place d'un nouvel internationalisme qui leur permette d'ouvrir les marchés et de se redonner les moyens de leur politique de puissance. C'est ce que relève d'ailleurs indirectement Schott, tout en ignorant cependant totalement les considérations d'ordre stratégique qui animent les États-Unis dans la mise en place de ce genre de projet. Par contre, et contrairement à Preeg, celui-ci n'accorde que très peu d'attention aux dimensions géo-économiques et à la situation de polycentrisme qui tend à se développer sur la scène économique internationale. C'est le problème à notre avis de sa thèse et celui de toutes les thèses qui continuent de considérer le régionalisme dans la perspective strictement économique d'une libéralisation progressive des échanges internationaux.

[616]

B — Polycentrisme et régionalisme stratégique

Schott a raison de rejeter l'idée selon laquelle le régionalisme pourrait être une alternative viable au multilatéralisme et de considérer la globalisation des marchés comme une tendance irréversible. Son analyse a, comme nous venons de le dire, le défaut de laisser de côté les facteurs stratégiques. Or, si ceux-ci ne sont pas explicités dans le projet d'ALENA, on ne peut faire abstraction du contexte particulier de polycentrisme qui prévaut actuellement sur la scène économique internationale, contexte qui est beaucoup plus propice aux conflits qu'à la coopération. Kindleberger a été l'un des premiers à soulever le problème que pose toute situation de polycentrisme sur la scène internationale [47]. Sa réflexion portait d'abord sur la stabilité des régimes internationaux mais son analyse peut être reprise et utilement appliquée au cas du régionalisme actuel.

On peut parler d'une situation de polycentrisme lorsque, d'un état de l'économie mondiale jusque-là unipolaire, on passe à un état où coexistent plusieurs centres en compétition les uns avec les autres pour le partage des marchés et le contrôle des responsabilités en matière de sécurité internationale [48]. Comme le fait remarquer Kindleberger, une telle situation est analogue à celle qui prévaut sur un marché oligopolistique où de deux choses l'une : ou les oligopoles rivalisent les uns avec les autres pour le contrôle du marché, et dans ce cas on entre dans une dialectique coûteuse d'action-réaction, ou bien, désireux d'éviter l'affrontement, ils vont plutôt chercher à coopérer les uns avec les autres, et dans ce cas on peut parler de collusion et de cartellisation. Mais, d'une manière comme d'une autre, la situation qui prévaudra sur le marché ne peut être qu'instable ; du moins, jusqu'à ce qu'à ce qu'une entreprise finisse par imposer son leadership au marché.

Revenant au problème qui le concerne plus directement, soit celui de la stabilité des relations économiques, stabilité qu'il assimile à un bien collectif qu'en l'absence d'institution supranationale, seule une grande [617] puissance peut produire, Kindleberger, et avec lui l'ensemble des théoriciens de la stabilité hégémonique [49], en vient à considérer que toute situation de polycentrisme ne peut conduire qu'à l'effritement du régime économique international existant et à des situations hautement instables. Les relations économiques internationales étant marquées tout autant par les relations d'interdépendance que développent les échanges internationaux que par les rapports de puissance entre les États qui fixent les règles internationales, il existerait une relation étroite entre la stabilité des institutions économiques internationales et la capacité financière et la légitimité nécessaire dont peut disposer une puissance hégémonique pour en assurer la production [50]. Le déclin du régime économique international coïnciderait dans ce cas avec celui de la puissance hégémonique.

On peut affiner un peu plus l'analyse et considérer que, dans une situation de polycentrisme, deux cas de figure sont possibles : dans un cas les grandes puissances s'entendent pour préserver les règles existantes et les acquis de la coopération économique internationale, ce qui donnerait lieu à la formation d'une sorte de consistoire formé des grandes puissances économiques. C'est l'hypothèse que retient le courant optimiste de la stabilité hégémonique, et notamment Keohane. Le second cas de figure possible serait le suivant : faute de pouvoir s'entendre quant à la manière dont elles entendent faire évoluer les institutions existantes, les grandes puissances économiques camperaient alors sur leurs positions respectives et, dans ce cas, le régime ne peut que s'effriter, les intérêts respectifs de chaque grande puissance prenant alors le dessus sur l'intérêt collectif de coopérer. C'est ce scénario pessimiste que retient notamment Kindleberger, et ceci par analogie à ce qui se passe sur les marchés oligopolistiques.

[618]

Il convient sans doute d'être prudent avec cette notion de poly-centrisme [51], ne serait-ce que parce que les États-Unis n'en continuent pas moins déjouer, malgré leur déclin de puissance, un rôle déterminant dans l'économie mondiale alors que ni l'Europe communautaire ni le Japon n'ont encore tous les attributs, notamment d'ordre monétaire et militaire, pour leur permettre de remettre en question le statut particulier dont jouissent ceux-ci au sein des grandes institutions internationales [52]. Ceci dit, force est de constater que nous sommes, malgré tout, en présence d'une situation complexe sur la scène économique internationale où les États-Unis n'ont guère d'autre choix que de diriger [53], et l'Europe [54] et le Japon [55], malgré leurs propres prétentions internationales, n'ont guère d'autre choix que de réagir, tout en étant placés dans la situation nouvelle d'avoir à composer avec des partenaires dont le poids économique sur la scène internationale est désormais imposant [56].

Les tableaux 5 et 6 ainsi que les graphiques 1 et 2 illustrent assez bien le fait que, d'une économie-monde jusque-là unipolaire, nous sommes désormais passés à une économie-monde tripolaire. Notons simplement à titre d'illustration qu'au seul chapitre du commerce mondial, l'Europe communautaire, l'Amérique du Nord et le Japon concentrent respectivement, si nous prenons les données pour l'année 1990, 39,3, 16 et 9 pour cent des exportations mondiales et 41,19 et 6,4 pour cent des importations. Au chapitre des investissements internationaux directs, les trois ensembles économiques concentraient, en 1989, 41,3, 33, et 11,9 pour cent des [619] investissements [57]. Les deux graphiques, qu'il faudrait mettre aussi en relation avec le tableau 4, ont par ailleurs le mérite de montrer qu'en raison des relations d'interdépendance triangulaire qui existent désormais entre les Etats-Unis, le Japon et l'Europe communautaire, il n'est guère possible pour chacune de ces trois puissances de s'engager sans risques graves pour la stabilité des échanges internationaux dans une guerre économique avec les deux autres.

Comment situer, dans ce contexte, l'Accord de libre-échange nord-américain ? En insistant, comme nous l'avons fait, sur l'idée que le projet vise à placer l'Amérique du Nord dans une position plus avantageuse vis-à-vis du Japon et de l'Europe communautaire. En insistant également sur l'idée que ce projet, loin de défendre une vision régionale étroite de la sécurité économique internationale, prolonge, ou à tout le moins prétend prolonger, une vision multilatérale de cette sécurité conforme à l'esprit des grandes institutions internationales, dont au premier chef l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [58]. Vu sous cet angle, le projet ne devrait pas, en principe, susciter l'animosité des partenaires économiques même si, en pratique, aussi bien l'Europe communautaire que le Japon trouveront matière à critiques. Cela n'enlève cependant rien au fait que celui-ci entretient à bon escient une certaine confusion idéologique entre l'idéalisme d'un monde libre de toute entrave aux échanges que l'on retrouve énoncés dans les grands principes qui sous-tendent le projet et le réalisme agressif que, quant à lui, on retrouve dans l'objectif de se servir du régionalisme comme d'un instrument stratégique qui doit permettre le « repositionnement » de l'Amérique du Nord, et tout particulièrement des États-Unis, dans l'économie mondiale.

Considérant ceci, de deux choses l'une : ou bien la démarche américaine réussit, ce qui revient à dire que les États-Unis parviennent à imposer leurs vues et à faire de l'Accord de libre-échange nord-américain un modèle de référence, auquel cas non seulement le modèle européen d'intégration perd-t-il de sa crédibilité et s'oriente à son tour vers un modèle extraverti, mais on voit mal aussi comment le Japon pourrait éviter à son tour de se laisser tenter par le régionalisme pour préserver ce statut de grande puissance [620] auquel il aspire de plus en plus [59] ; ou bien la démarche échoue et, dans ce cas, l'Accord de libre-échange nord-américain sert de police d'assurance et de position de repli, l'accès au marché américain étant alors considéré comme un privilège et un droit que les Etats-Unis négocieraient sur une base bilatérale avec d'autres partenaires, à commencer par le Japon. Mais, dans un cas comme dans l'autre, le résultat risque d'être le même, à savoir que l'objectif non recherché de voir le monde se fractionner en blocs économiques rivaux pourrait bel et bien devenir réalité.

Conclusion

La notion de bloc économique semble en passe d'être acceptée par la théorie économique avant même d'avoir été soumise, sinon à une évaluation critique, à tout le moins à la vérification de sa validité empirique. En cherchant, comme nous avons tenté de le faire, à comparer entre eux les trois blocs économiques qui composent actuellement l'économie mondiale à partir de quelques indicateurs-clés, comme les flux commerciaux et d'investissement, nous avons pu relever combien risquait de s'avérer trompeur le recours à une notion formelle de bloc économique qui ne parviendrait pas à rendre compte de la diversité des pratiques et des enjeux qui se profilent derrière les processus d'intégration régionale en voie de consolidation à l'heure actuelle.

Plus spécifiquement, il apparaît difficile de mettre sur un même pied la formation de blocs économiques rivaux au sein de l'Europe communautaire et en Amérique du Nord sans prendre en considération le rôle de pivot joué par les États-Unis en tant que première puissance, d'une part, en tant que carrefour des échanges transcontinentaux, d'autre part. Pour cette raison, une définition homogène de la notion de bloc économique, qui trouverait son illustration dans le recours à l'idée de « forteresse », peut sans doute illustrer une certaine façon de concevoir l'Europe communautaire, mais une telle métaphore ne tient certainement plus quand il s'agit de saisir les fondements de l'intégration en Amérique du Nord. La première différence tient bien sûr au poids relatif de la dimension politique de l'intégration dans les deux cas, la seconde, au contenu de l'idéologie qui sous-tend les deux projets.

La première différence se passe de commentaires ; il suffit simplement de rappeler que, depuis ses tout débuts, le projet économique européen s'est doublé d'un volet politique. En contrepartie, le projet nord-américain s'est toujours éloigné de toute velléité de création d'institutions publiques ou politiques communes. Tout au plus avons-nous assisté à la mise sur pied d'institutions à caractère résolument privé, comme le Canadian-American Committee, pour ne mentionner que celle-là.

[621]

Mais c'est bien la seconde différence qui est la plus éclairante pour notre propos, celle qui tient à la sanction de modèles d'intégration reposant sur deux idéologies distinctes, voire incompatibles. Selon les auteurs, on aura recours aux expressions d'« internationalisme libéral » et d'« internationalisme hégémonique [60] », de modèle rhénan et de modèle texan [61] mais, peu importe le libellé, ce qui est central, c'est bien la dissemblance dans les contenus et les visées de ces deux projets.

Ces distinctions sont essentielles, et nous les avons faites nôtres tout au long de notre argumentation, mais elles ne sont pas suffisantes. C'est pourquoi nous avons introduit l'idée de génération afin de mettre en lumière ce qui risquait de nous échapper autrement, à savoir la dimension inédite ou originale que revêt le projet nord-américain dans les circonstances actuelles et ce, à deux niveaux, contextuel et structurel. Au niveau structurel, le projet nord-américain s'inscrit sur une toile de fond qui diffère à ce point de celle sur laquelle pouvait s'inscrire les projets antérieurs qu'il nous apparaît illégitime d'escamoter cette réalité. Ainsi, on ne peut tracer une continuité entre, par exemple, la signature du Pacte de l'Auto entre le Canada et les États-Unis en 1965 et celle de l'Accord nord-américain de libre-échange entre le Canada, le Mexique et les États-Unis en août 1992, sans souligner que le premier événement est intervenu en pleine guerre froide, tandis que le second intervient au moment où, à l'ancienne trichotomie (entre l'Est, l'Ouest et le Tiers-Monde) succède désormais une dichotomie au sein de l'économie mondiale.

Au niveau contextuel maintenant, nous avons eu l'occasion de souligner à quel point les défis auxquels doivent faire face les trois pays d'Amérique du Nord diffèrent de ceux auxquels ils avaient eu à faire face antérieurement. L'un dans l'autre, ces arguments plaident en faveur d'une distinction entre les projets d'intégration sous la dimension diachronique et c'est ce que nous avons voulu faire en introduisant l'idée de projet d'intégration de deuxième génération pour rendre compte de l’alena.

C'est pourquoi nous avons cherché à aborder l'étude du projet de libre-échange nord-américain sous un angle différent en l'envisageant dans une double perspective : dans la perspective où ce projet relevait d'une dynamique constitutive différente des projets d'intégration économique régionale qui ont vu le jour dans l'après-guerre d'une part, dans la perspective où la partition du monde en blocs économiques serait moins la résultante d'une action délibérée et concertée de la part de partenaires économiques, que l'effet inattendu d'une dynamique particulière dans laquelle se sont engagées les grandes puissances commerciales, à commencer par les États-Unis, d'autre part.

[622]

Cette approche nous semble plus fructueuse pour deux raisons. Tout d'abord, elle nous permet d'isoler plus facilement les facteurs d'ordre idéologique qui sont sous-jacents à tout projet d'intégration économique régionale et, par delà les avantages économiques que peuvent trouver les parties contractantes à un entente commerciale, de considérer les motivations particulières qui peuvent pousser ces dernières à privilégier des modalités et des contenus de projets d'intégration différents les uns des autres. Ensuite, elle nous permet d'envisager la partition du monde en blocs économiques non comme une donnée incontournable mais comme le résultat plus ou moins prévisible de décisions et de choix qui ont pu être pris à un moment donné.

En appliquant cette méthode d'approche au cas nord-américain, nous avons voulu montrer, dans un premier temps, que le projet d'intégration en Amérique du Nord se différenciait des autres projets d'intégration sur deux points : sur le fait tout d'abord que les relations en Amérique du Nord étaient fortement polarisées sur les États-Unis et sur le fait ensuite que le projet était motivé par des considérations de vulnérabilité extérieure. Cette double caractéristique du projet nous a conduit à souligner le caractère doublement asymétrique de la relation qui unissait le Canada, les États-Unis et le Mexique, de même que le rôle de pivot que jouaient les États-Unis dans les relations qu'entretient l'Amérique du Nord avec les deux autres grandes régions économiques du monde que sont l'Europe communautaire et l'Asie du Sud-Est. Partant de cette double caractéristique, nous avons pu montrer que le problème de la vulnérabilité extérieure se posait de manière différente dans les trois pays mais que, parallèlement, c'est ce problème commun aux trois qui donne au projet de libre-échange nord-américain toute sa légitimité politique et permet de rendre compte du fait nouveau que trois pays aussi différents que peuvent l'être le Canada, les États-Unis et le Mexique puissent trouver un intérêt commun à se regrouper et à rechercher dans la création d'une communauté régionale d'intérêt le moyen de se replacer dans une position plus avantageuse dans l'économie mondiale.

Nous avons, dans la seconde partie du texte, creusé davantage l'hypothèse selon laquelle le projet de libre-échange nord-américain venait créer une situation nouvelle sur la scène économique internationale. Deux ordres de faits nous semblent corroborer cette hypothèse : premièrement, les avantages économiques des trois pays impliqués dans le projet d'ALENA seront liés surtout à leurs échanges avec « le reste du monde » et non aux échanges qu'ils continueront de négocier entre eux, comme le montrent les tendances en matière d'importations et en matière d'investissements internationaux ; deuxièmement, les États-Unis, en tant que promoteur du projet, doivent désormais composer avec de nouvelles rivalités susceptibles de remettre en cause, non seulement leur hégémonie historique, mais surtout les bases mêmes sur lesquelles cette hégémonie avait été édifiée. En ce sens et sous cet angle, le monde dans lequel nous entrons est encore plus complexe et incertain que celui que nous venons à peine de quitter.

[623]

Tableau 1.

Commerce intra-régional, Amérique du Nord et cee
1985 et 1990, en pourcentage

Exportations

Importations

1985

1990

1985

1990

Amérique du Nord

43,9

41,5

33,6

33,4

États-Unis

28,6

28,3

24,6

24,1

Canada

22,2

21,1

19,2

18,1

Mexique

6,4

7,2

5,4

6

Canada

75,5

73,1

69,9

64,1

États-Unis

75,2

72,7

68,7

62,9

Mexique

0,3

0,4

1,2

1,2

Mexique

62,2

75,5

68,4

72,1

États-Unis

60,4

73,1

66,6

70,8

Canada

1,8

2,4

1,8

1,3

CEE

54,4

58,9

52,7

57,9

Allemagne

49,7

53,3

50,9

51,7

Bel-Lux.

70,4

75,3

69,8

73,4

Danemark

44,6

52,0

49,6

51,9

France

51,6

60,8

55,6

59,2

Grèce

54,0

64,1

48,2

64,3

Irlande

69,3

74,9

66,5

67,3

Italie

48,3

58,3

47,2

57,4

Pays-Bas

74,0

59,5

58,2

63,7

Portugal

62,6

74,1

45,8

68,5

Espagne

52,2

70,0

36,8

59,7

Royaume-Uni

48,7

53,2

49,2

52,6

Sources : imf, Direction of Trade Statistics Yearbook.


[624]

Tableau 2

Amérique du Nord, relations commerciales internationales,
1985 et 1990, en pourcentage du commerce total

1985 1990

1985 1990

Commerce total

100,0

100,0

100,0

100

États-Unis

65,4

70,9

79,4

78,1

Canada

27,8

23,7

17,7

18,5

Mexique

6,8

5,4

2,9

4,9

Commerce avec la cee

États-Unis

84,4

88,3

87,8

84,1

Canada

8,7

9,0

10,0

12,1

Mexique

6,9

2,7

2,2

3,8

Sous-total

100,0

100,0

100,0

100

Commerce avec le Japon et 4 npi d'Asie du s.-e.*

États-Unis

84,5

88,4

93,3

91,0

Canada

11,6

9,9

6,0

7,7

Mexique

3,9

1,8

0,7

1,3

Sous-total

100,0

100,0

100,0

100

Commerce avec le « reste du monde »**

États-Unis

81,7

84,0

88,2

86,7

Canada

15,1

13,7

10,2

11,7

Mexique

3,2

2,2

1,6

1,6

Sous-total

100,0

100,0

100,0

100

Commerce trilatéral ***

États-Unis

42,5

48,4

58,0

55,4

Canada

47,9

41,7

36,0

34,1

Mexique

9,6

9,9

6,0

10,5

Sous-total

100,0

100,0

100,0

100

Sources : imf, Direction of Trade Statistics Yearbook
 * Corée du Nord, Hong Kong, Singapour et Taiwan
 ** Hors Amérique du Nord
*** Amérique du Nord


[625]

Tableau 3

Amérique du Nord, investissements directs internationaux
1980, 1985 et 1990, en stocks au 31 décembre et en pourcentage

Actif

Passif

1980

1985

1990

1980

1985

1990

États-Unis

Canada

20,9

20,4

17,9

14,7

9,3

7,9

Mexique

2,8

2,2

1,9

0,2

0,3

0,2

CEE

36

49,9

47,4

56,9

58,2

60,0

Japon

2,9

4,4

5,2

5,7

10,5

17,7

Autres

37,4

23,1

27,6

22,5

21,8

14,2

Canada

États-Unis

62,2

68,5

62,7

78,9

75,7

62,5

Mexique

0,6

0,4

0,2

0

0

0

CEE

14,3

12,7

21,2

16

17,1

23,9

Japon

0,4

0,4

0,47

1

2,2

4,6

Autres

22,5

18,0

15,4

4,1

5,0

9,0

Mexique

États-Unis

nd

nd

nd

69

67,3

63,1

Canada

nd

nd

nd

1,5

1,6

1,4

CEE

nd

nd

nd

15,7

18,2

21,9

Japon

nd

nd

nd

5,9

6,1

5,3

Autres

nd

nd

nd

7,9

6,8

8,3

Sources : Unctc : Stat. Can. 67-202 ; Survey of Current Business ; Banamex

[626]

Tableau 4

États-Unis, Allemagne et Japon,
Commerce et investissements croisés, 1990, en % du total

Destination des exportations :

E.-U.

Al.

Japon

Sous-total

Autres

E.-U.

0

4,8

12,4

17,2

82,8

Al.

10,1

0

3,8

13,8

86,2

Japon

22,3

4,4

0

26,6

73,4

Importations en provenance de :

E.-U.

9

5,6

18,0

23,6

76,4

Al.

9,7

0

8,7

18,4

81,6

Japon

15,3

3,4

0

18,6

81,4

Investissements directs à l’étranger, au 31 décembre

E.-U.

0

5,6

5,2

10,8

89.2

Al.

24,1

0

1,2

25,3

74,7

Japon

42

1,5

0

43,5

56,5

Sources : imf, Direction of Trade Statistics Yearbook ; Survey of Current Business ; Unctc ; Ministry of Finance, Japan.

[627]

Tableau 5

Part de l'Amérique du Nord, de la cee, du Japon
et des 4 npi d'Asie du S.-E. dans le commerce mondial,
1985 et 1990, en pourcentage

Exportations

Importations

1985

1990

1985

1990

Amérique du Nord

18,0

16,6

24,1

19,5

Canada

5,0

3,9

4,3

3,6

États-Unis

11,8

11,8

19,1

15,0

Mexique

1,2

0,9

0,7

0,9

CEE

35,9

42,1

35,1

41,0

dont : Allemagne

10,2

12,3

8,4

10,0

France

5,6

6,5

5,7

6,8

Royaume-Uni

5,6

5,5

5,8

6,5

Italie

4,4

5,1

4,8

5,3

Pays-Bas

3,8

5,1

3,4

3,6

Japon et 4 npi

16,1

16,5

12,6

14,6

Japon

9,8

8,6

6,9

6,8

Corée du Sud

1,7

1,8

1,6

2,0

Hong Kong

1,7

2,5

1,6

2,4

Singapour

1,3

1,6

1,4

1,8

Taiwan

1,7

2,0

1,1

1,6

Reste du monde

30,1

24,8

28,2

24,9

Monde

100

100

100

100

Sources : imf, Direction of Trade Statistics Yearbook

[628]

Tableau 6

Origine et destination des investissements directs internationaux
1980, 1985 et 1990, en stocks au 31 décembre et en %

selon l'origine

selon la destination

Monde

1980

1985

1989

1980

1985

1989

Amérique du Nord

45,9

40,3

32,5

27,8

42,3

45,4

Etats-Unis

42,2

35,1

29,0

15,5

29,0

35,1

Canada

3,7

5,1

3,6

10,3

11,0

8,0

Mexique

nd

nd

nd

1,9

2,3

2,3

CEE

36,2

34,6

41,9

37,7

28,9

31,5

Japon

7,3

6,1

12,0

1,5

1,0

0,8

Autres

10,7

19,0

13,6

33,1

27,8

22,2

Total, monde

100

100

100

100

100

100

Sources : unctc : Stat. Can. 67-202 ; Survey of Current Business ; Banamex

[629]

Graphique 1

Échange triangulaire entre l'Amérique du Nord, la CEE et le Japon
(et 4 NPI d'Asie du Sud-Est*)
Exportations, 1990, millions de dollars des États-Unis
.



Graphique 2.

Investissements directs internationaux. Relations croisées entre l'Amérique
 du Nord, la CEE et le Japon Stocks, 1988, milliards de dollars des États-Unis
.

Source : UNCTC, OCDE, Survey of Current Business, Statistique Canada, Banamex.



* Respectivement professeur au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal et professeur au Département de sociologie de la même université.

[1] Voir Dorval Brunelle et Christian Deblock, « Economie blocs and the Challenge of the North American Free Trade Agreement », in Stephen Randall et al., North America Without Borders ? Integrating Canada, the United States and Mexico, University of Calgary Press, 1992, pp. 119-131 ; et, Christian Deblock et Michèle Rioux, « Le libre-échange nord-américain : le joker des États-Unis ? », dans Christian Deblock et Diane Éthier (éd.), Mondialisation et régionalisation : la coopération économique internationale est-elle encore possible ?, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1992, pp. 21-73.

[2] La notion de régionalisme est utilisée à l'heure actuelle dans la littérature en économie internationale pour qualifier, sur le plan économique, un phénomène de concentration croissante des échanges internationaux sur les trois grandes régions économiques du monde que sont l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie du Sud-Est, et, sur le plan politique, la propension nouvelle que semblent avoir les États, à commencer par les plus grands d'entre eux, à vouloir resserrer les liens économiques et à développer des formes de coopération sur une base régionale plutôt que multilatérale. L'analyse stratégique connaît depuis quelques années un effet de mode en économie industrielle comme en économie internationale. Nous parlerons de régionalisme stratégique pour désigner toute forme de politique économique internationale qui vise, en s'appuyant sur le régionalisme économique, à établir une rapport de force et à développer un avantage compétitif sur les marchés internationaux en faveur d'un groupe de pays que lie une entente économique régionale. Sur ces deux questions, voir notamment, Peter J. Lloyd, « Régionalisation et commerce mondial », Revue économique de I'ocde, n°18, printemps 1992, pp. 7-49 ; Robert E. Baldwin, « Are Economists' Traditional Trade Policy Views Still Valid ? », Journal of Economie Literature, vol. xxx, juin, 1992, pp. 804-829 ;J. David Richardson, « The Political Economy of Strategic Trade Policy », International Organization, vol. 44, n° l, hiver 1990, pp. 107-135 ; Paul R. Krugman, Rethinfeing International Trade, Cambridge, Mass., The mit Press, 1990 ; et J. A. Brander et B. J. Spencer, « International R & D Rivalry and Industrial Strategy », Review of Economic Studies, vol. 50, 1983, pp. 707-722.

[3] Sur la différence entre continentalisation et continentalisme, voir Dorval Brunelle et Christian Deblock, « Le Canada, les États-Unis, le Mexique et la continentalisation de l'économie nord-américaine », Cahiers de recherche sociologique, vol. 6, n° 1, printemps 1988, pp. 63-78.

[4] Nous reprenons, en l'élargissant la classification proposée par Louis Emmerij, « Quelques conclusions de principe », dans OCDE, Un monde ou plusieurs ?, Paris, ocdé, 1989, pp. 19 et suivantes). Pour un bon aperçu des différentes ententes commerciales régionales existantes, voir Norman S. Fieleke, « One Trading World, or Many : The Issue of Regional Trading Blocs », New England Economic Review, mai-juin 1992, pp. 3-20.

[5] Voir à ce sujet, Rolf J. Langhammer, « The Developing Countries and Regionalism », Journal of Common Market Studies, Vol. xxx, n° 2, juin 1992, pp. 211-231.

[6] Germanico Salgado Penaherrera, « Viable Intégration and the Problem of Economic Cooperation Problems of the Developing World » Journal of Common Market Studies, Vol. xix, n° l, septembre 1980, pp. 65-78.

[7] La distinction entre intégration « active » et intégration « passive » est introduite par Pelkmans (Jacques Pelkmans, « Economic Théories of Intégration Revisited », Journal of Common Markel Studies, vol. xiii, n° 4, juin 1980, pp. 333-356. Voir aussi Charles Pentland, « L'intégration de l'Amérique du Nord et le système politique canadien », dans Denis Stairs et Gilbert R. Winham, (sous la dir. de), Les dimensions politiques des rapports économiques entre le Canada et les États-Unis, Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada/Les études, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1985.

[8] Sur les origines de l'article xxiv et la pratique en la matière, voir notamment Kermeth W. Dam, The gatt. Law and International Economie Organization, Chicago, The University of Chicago Press, 1970 ; Gabrielle Marceau, « The Issue of Antidumping Duties within the Free Trade Area », Bulletin de la Société de Droit International Économique, 1992, pp. 18-22 ; et Jürgen Huber, « The Practice of gatt in Examining Regional Arrangements under Article xxiv », Journal of Common Market Studies, vol. xix, n° 3, 1989, pp. 281-298.

[9] Il s'agit de prendre ce terme au sens large puisque le projet couvre aussi bien les investissements que le commerce, aussi bien les réglementations qui entourent la production que celles qui ont trait au commerce.

[10] L'exposé le plus complet de la démarche et du lien qu'il convient d'établir entre la politique économique domestique, et notamment la politique industrielle, et la politique commerciale dans un contexte d'ouverture sur l'extérieur a été fait, au Canada, par la Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada dans le rapport final qu'elle présenta en 1985.

[11] A. Axline, J.E. Hyndman, P.V. Lyon et M.A. Molot, Continental Community ? Interdependence and Integration in North America, Toronto, Me Clelland & Stewart, 1974.

[12] Nous reprendrons la définition que donne Jean-Marcel Jeanneney des zones hétérogènes, soit une zone qui réunit des États dont les ressources naturelles, techniques et humaines sont profondément différentes. À l'inverse, une zone homogène est une zone qui réunit des États à économies semblables. Jean-Marcel Jeanneney, « Le protectionnisme de zone », dans Bernard Lassudrie-Duchene et Jean-Louis Reiffers, Le protectionnisme, Paris, Économica, 1985.

[13] Nous ne traitons ici que de la dimension régionale de l'intégration pour suivre la terminologie de Dunning et Robson. Il est cependant clair que nous devons tenir compte de l'autre dimension de l'intégration, tout autant sinon plus importante que la première, l'intégration « corporative ». Voir à ce sujet John Dunning et Peter Robson, « Multinational Corporation Intégration and Régional Economie Intégration », Journal of Common Market Studies, Vol. 26, n° 2, décembre 1987, pp. 103-125.

[14] L'asymétrie de la relation se traduit bien entendu en chiffres dans les parts de commerce bilatéral mais elle apparaît aussi, et bien que ceci ne soit pas toujours mesurable, dans les différentes facettes de la vie économique. Dans l'effet d'attraction que peut exercer le marché américain, dans le degré de synchronisme des conjonctures, dans l'orientation des marchés financiers ou encore dans la marge de manœuvre dont peuvent disposer les autorités publiques pour établir leurs politiques, pour ne prendre que ces quelques exemples.

[15] La notion de dépendance renvoie à une situation dont on n'a pas la maîtrise. Il y a dépendance lorsqu'il y a une influence significative de forces ou d'agents extérieurs, donc dans ce cas vulnérabilité. L'interdépendance dans sa dimension la plus simple renvoie à l'idée de dépendance réciproque et mutuelle. Voir à ce sujet, Robert O.Keohane et Joseph S. Nye, Power and Interdependence, Glenview, Scoot, Foresman & company, 1989 (deuxième édition). Que l'on parle en Amérique du Nord de relations de dépendance ou d'interdépendance asymétrique n'enlève rien au fait que les États-Unis jouissent d'une position tant géographique qu'économique centrale en Amérique du Nord et qu'ils sont davantage capables, du fait de leur puissance, d'influencer l'économie et la politique de ces derniers que l'inverse n'est vrai.

[16] C'est vers les États-Unis mêmes, plutôt que vers le Canada ou vers le Mexique que les entreprises étrangères auront prioritairement tendance à regarder, et ceci malgré les avantages économiques de prime abord plus grands que ces deux pays peuvent offrir. C'est ce que montre en tout cas la forte progression des importations depuis quelques années en provenance des pays autres que le Canada et le Mexique et la croissance phénoménale des investissements étrangers qui, en l'espace de dix ans, ont modifié radicalement le bilan international des États-Unis au point de rendre celui-ci déficitaire.

[17] Certains auteurs ont notamment tenté de comparer l’ale avec l'entente économique qui lie l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Dans les deux cas, on retrouve effectivement une situation très marquée d'asymétrie. La comparaison ne peut être poussée cependant très loin. Il est difficile de comparer le statut international de l'Australie à celui des États-Unis.

[18] Bruno Hamel, La politique économique internationale des États-Unis : entre le protectionnisme et le libre-échange, Cahiers du Groupe de recherche sur la continentalisation des économies canadienne et mexicaine, uqam, Montréal, 1991, pp. 91-97.

[19] Les avantages économiques du libre-échange trilatéral ont été présentés dans plusieurs documents officiels. Sauf dans le cas du Mexique, ces avantages restent cependant fort limités. On consultera à ce sujet, pour les États-Unis : United States International Trade Commission (1992), Potential Impact on the U.S. Economy and Selected Industries of the North American Free-trade Agreement, Report to the Committee on the Ways and Means of the United States Houses of Representatives and the Committee on Finance of the United States Senate on Investigation N° 332-337 Under Section 332 of the Tariff Act of 1930 ; United States International Trade Commission, Economy-Wide Modeling of the Economic Implications of a fta with Mexico and a nafta with Canada and Mexico, Washington, mai 1992, usitc Publication 2508 et 2516 ; Gary C. Hufbauer et Jeffrey J. Schott, North American Free Trade : Issues and Recommendations, Washington, Institute for International Economies. Pour le Canada, on consultera notamment : Ministère des Finances, L'Accord de libre-échange nord-américain. Évaluation économique selon une perspective canadienne, Ottawa, 1992 ; Investissement Canada, Les débouchés et défis du libre-échange nord-américain : une optique canadienne, Ottawa, avril 1992, document de travail n° 7.

[20] Nous utilisons le terme au sens où l'entendent Robert. O Keohane et Joseph S. Nye, Power and Interdependence, Glenview, llinois, Scott, Foresman and Cy, 1989, deuxième édition.

[21] Government of the United States, « Presidential Documents », Remarks announcing the Enterprise for the Americas Initiative, vol. 26, n° 26, 2 juillet 1990, 1002-1003.

[22] Voir à ce sujet, F. Halliday, « Three Concepts of Internationalism », International Affairs, Vol. 64, n° 2, printemps 1988, pp. 167-198.

[23] Voir notamment, Peter Morici, « Free Trade with Mexico », Foreign Policy, n° 87, été 1992, pp. 88-104.

[24] Le problème actuellement pour les États-Unis est sans doute moins de savoir s'ils sont en déclin ou non que de déterminer la combinaison de politique qui leur permettra de continuer de jouer un rôle déterminant sur la scène économique internationale tout en partageant un certain nombre de responsabilités avec d'autres puissances et en partageant avec ces dernières les coûts de la stabilité économique internationale qu'ils ne peuvent assumer désormais seuls. (Sur cette question, voir l'excellent texte de Zaki Laidi, « Sens et puissance dans le système international », dans Zaki LAiDi, dir., L'ordre mondial relâché. Sens et puissance après la guerre froide, Paris, Presses de la fondation nationale des Sciences politiques & Berg, 1992, pp. 13-44).

[25] C. Fred Bergsten, « The World Economy after the Cold War », Foreign Affairs, 1992, pp. 95-112. Dans un article plus récent, assurémment plus optimiste, Bergsten envisage la possibilité d'une forme de coopération économique trilatérale. Il insiste aussi sur le rôle de leadership que peuvent jouer aujourd'hui les États-Unis dans cette coopération. (C. Fred Bergsten, « The Primacy of Economics », Foreign Policy, n° 87, été 1992, pp. 3-24).

[26] Voir à ce sujet l'article de John H. Jackson, « Multilatéral and Bilatéral Negociating Approaches for the Conduct of u.s. Trade Policies », dans Robert M. Stern (dir.), u.s. Trade Policies in a Changing World Economy, Cambridge, Mass., The m.i.t. Press, 1989, pp. 377-401.

[27] Durant les années quatre-vingt, la politique économique internationale des États-Unis s'est déployée dans trois directions : sur le plan international tout d'abord, en relançant les négociations commerciales multilatérales au gatt, en cherchant à renouveler les grandes institutions internationales et, plus récemment, en se faisant les promoteurs d'un nouvel ordre international ; sur un plan bilatéral ensuite, en utilisant la procédure fast track pour négocier sur une base réciproque un meilleur accès à leurs principaux marchés et obtenir la reconnaissance du traitement national pour leurs entreprises implantées à l'extérieur ; sur une base domestique enfin, en dénaturant le principe du fair trade et en laissant plus librement cours aux pressions protectionnistes en provenance du Congrès ou des États. Sur l'évolution récente de la politique économique internationale des États-Unis, voir notamment Jagdish Bhagwati, « The United States and Trade Policy : Reversing Gears », Journal of International Affairs, vol. 42., n° 1, automne 1988, pp. 93-108 ; William R. Cune, Reciprocity : A New Approcah to World Trade Policy ?, Washington, Institute for International Economies, 1982 ; I. M. Destler, American Trade Politics : Under Stress, Washington, Institute for International Economics, 1986 ; Jeffrey E. Garten, « Gunboat Economics », Foreign Affairs, vol. 63, n° 3, 1985, pp. 538-559 ; Pierre Martin, « L'après-Tokyo round : la réciprocité spécifique dans la politique commerciale américaine récente », Études internationales, vol. xxi, n° 1, mars 1990, pp. 5-38 ; Gary C. Hufbauer, « Beyond gatt », Foreign Policy, vol. 77, hiver 1989, pp. 64-76.

[28] Le Bill omnibus sur le commerce extérieur et la concurrence adopté en 1988 et l'article 301 de la loi de 1974 sur le commerce constituent sans doute les meilleures illustrations de cette politique à deux faces. Voir à ce sujet, Douglas Nelson, « Trade Policy Games », dans Craig N. Murphy et Roger Tooze, op. cit., pp. 129 et suivantes. On se référera aussi au rapport du gatt consacré à l'examen de la politique commerciale des États-Unis (1992).

[29] Voir notamment, pour la politique mexicaine, Rober Pastor, Limits to Friendship : The United States and Mexico, Vintage Press, 1989 et pour la politique canadienne, Brian Tomlin, « The Stages of Prenegociation : The decision to Negotiate North American Free Trade », International Journal, vol. 44, n° 2, printemps 1989, pp. 254-279. Plusieurs études ont été réalisées sur ces questions par le Groupe de recherche sur la continentalisation des économies canadienne et mexicaine. On se rapportera notamment aux études de Julian Castro Rea, « Du protectionnisme au libre-échange. La politique commerciale du Mexique », Montréal, mai 1992, et de Christian Deblock, « Les paramètres de la politique économique internationale canadienne », Montréal, uqam, 1990.

[30] Voir à ce sujet, G. Bruce Doern et Brian W. Tomlin, The Free Trade Story. Faith and Fear, Toronto, Stoddart Publishing Co., 1991.

[31] Nous prendrons la notion de régime international dans sa définition la plus large pour désigner l'ensemble des règles, normes, procédures et organisations qui régissent les relations économiques internationales.

[32] Gouvernement du Canada, Pour une Organisation mondiale du commerce (concepts et perspectives), Ottawa, 1990.

[33] Voir à ce sujet, Olea Sisniega, Miguel Angel, « Las negociones de adhesion de Mexico al gatt », Foro Internacional, vol. 30, n° 3, février-mars 1990, pp. 497-535, et Gerardo M. Bueno, « Mexico's Options in Trade Negociations », World Economy, vol. 14, mars 1991, pp. 67-77.

[34] Ce point a été suffisamment souligné par les représentants des grandes institutions économiques elles-mêmes et la plupart des observateurs de la scène économique internationale pour que nous y insistions. Voir notamment, imf, « The Coming Emergence of Three Giant Economic Blocs », imf Survey, 1er avril 1991, pp. 89 et suiv. ; et, imf, Regional Trade Agreements, Washington, Études spéciales 8, 1992, 93.

[35] Voir à ce sujet, David Leyton-Brown et John Gérard Ruggie, « The North American Political Economy in the Global Context : An Analytical Framework », International Journal, vol. 42, no 1, 1987, pp. 3-24. Dire que le Canada et le Mexique se trouvent aujourd'hui placés dans une position quelque peu inconfortable sur la scène internationale n'est pas exagéré. On voit mal comment, une fois liés aux États-Unis, et à un moment où ces derniers éprouvent de plus en plus de difficulté à poursuivre leur politique de Grande puissance, ils pourraient encore défendre leur statut de petit pays et conserver cette crédibilité internationale que leur avait conférée cette politique de « troisième voie »qu'ils se sont efforcés de suivre dans les années soixante et soixante-dix. À moins bien entendu, et c'est précisément l'objectif que poursuivent les gouvernements des deux pays, que le Canada et le Mexique puissent retrouver leur dynamisme économique par le libre-échange tout en préservant leur autonomie d'États souverains sur la scène internationale.

[36] Voir, Alfred Tovias, « A Survey of the Theory of Economic Intégration », Revue d'intégration européenne, vol. xv, n° 1, 1991, pp. 5-23.

[37] Balassa et Lipsey, notamment, ont retenu les étapes suivantes : 1) l'adoption d'un système de tarifs préférentiels ; 2) la libéralisation progressivement complète des échanges qui conduit à la création d'une zone de libre-échange ; 3) l'union douanière, c'est-à-dire le libre-échange avec l'adoption d'un tarif extérieur commun ; 4) le marché commun, c'est-à-dire l'union douanière avec en plus la libre circulation des facteurs à l'intérieur de la zone et l'adoption de politiques subséquentes communes ; 5) l'union économique, lorsque toutes les politiques économiques seront communes ; et finalement, 6) l'intégration économique complète de tous les pays participants. Bêla Balassa, « Towards a Theory of Economic Integration », Kyfelos, 1961-b, pp. 1-17 ; Richard D. Lipsey, « Economic Unions », dans David L. Sills, International Encyclopedia oj the Social Sciences, Londres, The Macmillan Cy, 1968, pp. 541-547, (sous la direction de). Pour une critique de cette approche, voir notamment Jacques Pelkmans, « Economic Theories of Integration Revisited », Journal of Common Market Studies, vol. xiii, n° 4, juin 1980, pp. 333-356.

[38] Ernest H. Preeg, Economic Blocs and U.S. Foreign Policy, Washington, National Planning Association, 1974.

[39] Ibid., p. 23.

[40] L'intérêt de cette distinction c'est de rappeler qu'il existe une différence de nature entre les communautés d'intérêt qui se forment sur la scène internationale sur une base économique et, devrions-nous ajouter, dans le cadre d'un même système économique international, et celles qui, en marge de ce système, répondent à des motivations plus politiques.

[41] On peut se demander toutefois si les nouveaux projets d'intégration qui voient actuellement le jour dans le Tiers monde ne connaîtront finalement pas le même sort que leurs ancêtres. Il nous paraît tout aussi difficile pour les pays du Tiers monde de chercher à vouloir modifier en leur faveur les grands courants économiques internationaux que ce ne fût le cas lorsque, s'inspirant du modèle européen, ils entreprirent de mettre en place des institutions communes. Sans tomber dans le pessimisme, force est de constater cependant que les conditions de réussite d'un modèle d'intégration extraverti sont toutes aussi nombreuses à remplir que celles du modèle intraverti.

[42] L'expression est due à Kenichi Ohmae, Triade Power. The Coming Shape of Global Competition, New York, The Free Press, 1985.

[43] Sima Lieberman, The Economie and Political Roots of the New Protectionism, New York, Rowman & Littlefïeld publishers, 1990 ; Harry Shutt, The Myth of Free Trade, Oxford, Basil Blackwell, 1985.

[44] Jagdish Bhagwati, Protectionnisme, Paris, Dunod, 1990, p. 69 ; William R. Thompson et Lawrence Vescera, « Growth Waves, Systemic Openness, and Protectionism », International Oraganization, Vol. 46, n° 2, printemps-1992, pp. 493-532.

[45] Schott, « Trading Blocs and the World Trading System », The World Economy, vol. 14, n° l, 1991, pp. l-17.Voir également, Helen Milner, « Commerce mondial : une nouvelle logique des blocs économiques », dans Zaki Laίdi, op. cit.

[46] Ibid., p. 1.

[47] Voir notamment, C. P. Kindleberger, « Des biens publics internationaux en l'absence d'un gouvernement central » in Croissance, échange et monnaie en économie internationale. Mélanges en l'honneur de Monsieur le Professeur Jean Weiller, Paris, Économica, 1985 ; C. P. Kindleberger, « International Public Goods without International Government », American Economie Review, vol. 76, n° l, mars 1986, pp. 1-13 ; et son principal texte de référence C. P. Kindleberger, The World in Depression, 1929-1939, Berkeley, University of California Press, 1973. Pour d'autres analyses sur la question, on se rapportera notamment à R. Gilpin, The Political Economy of International Relations, Princeton, Princeton University Press, 1987. Une présentation de la théorie nous est aussi donnée par R. Keohane, « The Theory of Hegemonic Stability and Changes in International Regimes » in O. R. Holsti, R. M. Silverson et A. L. George (dir.), Change in the International System, Boulder, Westview Press, 1980, pp.132-133. Voir également, I. Grunberg, « Exploring the "Myth" of Hégémonie Stability », International Organisation, vol. 44, n° 4, automne, 1990, pp. 431-477.

[48] La question du polycentrisme est abordée par Zaki Laίdi. L'auteur présente dans le chapitre consacré à la question des rapports de puissance un point de vue quelque peu divergent sur la question de la multipolarité qui mérite d'être considéré de très près en raison de l'originalité et de la pertinence des thèses qui y sont développées.

[49] La théorie a le mérite de mettre en lumière quatre faits d'évidence que nous les économistes, avons trop souvent tendance à laisser de côté, à savoir 1) que les rapports de puissance coexistent au sein de l'économie mondiale avec des rapports d'interdépendance ; 2) qu'il n'y a pas nécessairement congruence entre les formes que prend l'économie mondiale et celles que prennent les institutions internationales chargées d'en encadrer l'évolution ; 3) que les institutions internationales en place restent profondément marquées par les conditions qui ont présidé à leur formation, et notamment par le statut particulier dont jouissent certains États ; et, 4) que le blocage des institutions est inévitable lorsque les nouvelles configurations de l'économie mondiale ne permettent plus de rallier l'adhésion des grands acteurs autour d'une vision unique de la sécurité économique internationale.

[50] On peut lui faire deux grandes critiques : la première, de ne considérer la coopération internationale que comme un mal nécessaire dans un monde d'anarchie ; et la seconde, d'envisager cette coopération comme un bien public que seule une grande puissance peut produire. On retrouve ici appliquée au champ des relations internationales la vision « hobbesienne » de l'État, seul garant de l'ordre dans un état de nature marqué par le conflit des intérêts individuels. À ce sujet, voir Stephen Gill, « Historical Materialism, Gramsci, and International Political Economy », dans Craig N. Murphy et Roger Tooze, International Political Economy Yearbook, Volume 6, Boulder, Lynne Rienner Publishers, Inc., 1991.

[51] À rencontre de la thèse du polycentrisme, on peut évoquer les faits suivants : 1) Les États-Unis demeurent, et ceci plus que jamais en ces lendemains de guerre du Golfe, la seule superpuissance ; 2) leur leadership au sein des institutions économiques internationales est, par carence de la part des autres grandes puissances économiques, peu contesté ; et, 3), comme nous l'avons souligné plus haut, leur économie a une vocation mondialiste beaucoup plus prononcée que celle de leurs deux grands rivaux que sont l'Europe communautaire et le Japon.

[52] Sur le cas du Japon, voir notamment Jean-Marie Bouissou, Guy Faure et Zaki Laîdi, L'expansion de la puissance japonaise, Bruxelles, Éditions Complexe, 1992 et Masau Tamamoto, « Japan's Search for a World Rôle », World Policy Journal, vol. 7, n° 3, été 1990. Sur le cas de l'Europe, on consultera notamment, J. Bourinet (dir,), Les relations Communauté européenne-États-Unis, Paris, Economica, 1987.

[53] Joseph S. Nye, Bound to Lead. The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.

[54] La perspective du marché unique de 1993 indique une nette tendance des pays européens à privilégier désormais la consolidation économique de l'Europe et l'intégration régionale, voire même à glisser dans un certain isolationnisme. Souffrant d'une certaine réserve sur la scène internationale, le Japon a de son côté toujours eu tendance à avoir une attitude « réactive » et low profile, attitude que celui-ci semble vouloir, malgré certains signes d'infléchissement de sa part, vouloir maintenir.

[55] Voir à ce sujet le texte de Jean-Marie Bouissou, « Le Japon en quête de légitimité », dans Laïdi, op. cit., pp. 69-101.

[56] Ces problèmes sont abordés dans l'ouvrage de John H. Makin et Donald C. Hellman (dir.), Sharing World Leadership, Washington, American Enterprise lnstitute for Public Policy Research, 1989.

[57] Sources fmi et onu. Reflétant cette nouvelle configuration économique du monde, les cycles économiques ne sont plus autant synchronisés qu'auparavant et les Etats-Unis n'exercent plus le même rôle d'entraînement au sein de l'économie mondiale que dans les années soixante. Il s'agit là de phénomènes nouveaux dont on évalue encore mal toutes les implications mais qui montrent néanmoins que l'économie mondiale est en train de connaître de profondes mutations structurelles.

[58] À cet égard, il faut noter que, du point de vue américain, le gatt reste une institution bâtarde puisqu'elle reconnaît à tous les pays un pouvoir de décision égal. Les propositions américaines en vue de renouveler l'institution visent à corriger cette lacune et à donner un pouvoir de décision aux pays en fonction de leur poids dans l'économie mondiale. Voir à ce sujet, G. C. Hufbauer, « Beyond gatt », Foreign Policy, vol. 77, hiver 1989-90, pp. 64-76.

[59] Alan Bolard et David Mayes, « Regionalism and the Pacific Rim », Journal of Common Market Studies, Vol. xxx, n° 2, juin 1992, pp. 195-209.

[60] On se rapportera ici à la distinction que fait F. Halliday, « Three Concepts of Internationalism », International Affairs, vol. 64, n° 2, printemps 1988, pp. 167-198, entre ce qu'il appelle l’« internationalisme libéral », qui est celui en fait de la doctrine, et l'« internationalisme hégémonique », qui est celui qui existe en pratique.

[61] Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Fayard, 1991.



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le samedi 26 septembre 2020 13:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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