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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La délinquance de l'ordre : recherches sur les commissions d’enquête (1984)
Prologue


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Jean-Paul Brodeur, criminologue, Université de Montréal, La délinquance de l'ordre : recherches sur les commissions d’enquête. LaSalle, Québec : Hurtubise HMH , 1984. Cahiers du Québec; CQ no 77. Collection droit et criminologie. 2 v. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée de l'enseignement au Cégep de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 24 novembre 2003 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Prologue

1. Matière du livre  

Ce livre porte sur un certain nombre d'enquêtes publiques qui ont été tenues au Canada, et de façon plus particulière au Québec, sur divers aspects de l'administration et du fonctionnement de quelques-uns de nos principaux corps de police. La plupart de ces enquêtes, mais pas toutes, furent le produit des travaux de commissions d'enquête. En dépit du caractère fastidieux de cette énumération, nous produirons la liste des enquêtes que nous avons choisi d'étudier, afin de délimiter d'entrée de jeu le champ des analyses présentées dans ce volume. Les enquêtes retenues seront identifiées par le nom de leur président - ou de leur responsable - qui est également le signataire, sinon le seul auteur, du rapport auquel ces enquêtes ont respectivement donné lieu. Nous indiquerons en outre l'année pendant laquelle ces enquêtes publiques furent instituées, ainsi que leur objet. Ces enquêtes sont au nombre de 11. 

 

année

nom de l'enquête

objet de l'enquête

 

 

 

1894

enquête Rainville

le corps de police de la ville de Montréal

1909

enquête Cannon (L J.)

tous les services de la ville de Montréal, y compris la police

1924

enquête Coderre

le corps de police de la ville de Montréal

1943

enquête Surveyer

le corps de police de la ville de Hull

1944

enquête Cannon

la Sûreté provinciale et la Police des Liqueurs (district de Montréal)

1950

enquête Caron

la prostitution et les jeux de hasard illégaux à Montréal

1960

enquête Salvas

le patronage sous le régime de l'Union Nationale

1964

enquête Dorion

une tentative de corruption d'un avocat représentant le gouvernement américain dans une affaire d'extradition d'un trafiquant de drogue.

1965

enquête Sylvestre

l'administration de la justice à la Cour municipale de Québec

1966

enquête Wells

les circonstances de la destitution de M. Georges Victor Spencer et de la perte d'avantages reliés à son emploi par le ministère des Postes

1966

enquête Spence

la présence d'une espionne dans l'entourage du ministre associé de la Défense du Canada («l'affaire Munsinger»)

 

À deux exceptions près (les enquêtes Salvas et Sylvestre), toutes les enquêtes précitées ont été consacrées en partie ou en totalité à faire la lumière sur des questions relatives au bon fonctionnement de certains corps de police. Nous avons inclu dans la liste des enquêtes examinées les rapports Salvas et Sylvestre, car ils mettent en lumière certaines caractéristiques des enquêtes publiques, sur lesquelles nous désirons insister. Il doit cependant être entendu que ce sont les enquêtes sur les corps policiers qui constituent l'objet premier de ce travail.

 

2. Perspective de la recherche 

On peut considérer une enquête publique de deux façons. Une enquête publique constitue en effet un processus politique, dont la fin alléguée est de produire un certain savoir sur une situation donnée et habituellement perçue comme problématique. D'où la possibilité de questionner l'enquête publique d'une double façon. 

On peut d'abord la considérer comme l'énoncé d'un savoir et lui poser le type de question pertinent à l'évaluation d'un savoir. Ce type d'interrogation soulève pour l'essentiel le problème de l'adéquation entre les propositions contenues dans le rapport d'enquête et la situation qu'elles ont pour fonction d'éclairer. Cette perspective, au fond épistémologique, ne sera pas la nôtre. 

D'abord pour une raison de fait. Évaluer la part de vrai contenue dans un rapport d'enquête ne peut qu'impliquer que l'on refasse pour son compte l'enquête et que l'on compare les résultats ainsi obtenus avec ceux qui sont contenus dans le rapport d'enquête. Or, cette réouverture de l'enquête par le chercheur comporte des difficultés pratiques (disparition des témoins, perte de documents, etc.) qu'il n'est souvent pas possible de résoudre de façon satisfaisante. 

Ensuite, et surtout, pour une raison de principe. Lorsqu'il s'emploie à refaire une enquête à son compte, le chercheur ne fait en réalité rien d'autre que répéter sur un mode, espère-t-il, plus rigoureux, la performance du commissaire-enquêteur. Or, cette répétition par le chercheur de la performance du commissaire-enquêteur ne peut avoir d'autre résultat que celui de lui faire manquer complètement son objet. La raison en est simple. Le commissaire qui rédige un rapport d'enquête ne fait pas une étude sur une enquête ; il fait au contraire enquête sur une situation donnée, qui n'est pas elle-même la réalité de l'enquête mais qui constitue son objet. C'est bien pourquoi le chercheur qui, adoptant un point de vue épistémologique, serait contraint de refaire les enquêtes pour son compte afin d'en évaluer la vérité, ne ferait pas à proprement parler un travail sur les enquêtes ; il ne ferait qu'un travail d'enquêteur. Il contribuerait dès lors peut-être à étendre le savoir produit par les enquêtes publiques ; sa contribution à la production d'un savoir sur les enquêtes demeurerait cependant assez mince. 

Or, c'est précisément le geste de l'enquêteur qu'il nous importe d'interroger pour lui-même. C'est pourquoi nous nous proposons de considérer l'enquête publique comme un processus de nature politique tenant de lui-même sa spécificité propre, plutôt que d'y voir l'énoncé d'un savoir dont la réalité devrait être mesurée de façon extrinsèque par son degré de coïncidence avec la situation dont il est censé rendre un compte exact. 

Considérer l'enquête publique comme un processus politique spécifique comporte un certain nombre de conséquences. Cela implique d'abord que l'on renonce à privilégier de façon exclusive le rapport qui est produit par l'enquête. Le dépôt d'un rapport d'enquête ne constitue que l'une des étapes du processus de l'enquête et sa description ne saurait à elle seule rendre compte de l'ensemble de ce processus, dont la genèse et les effets sont également importants. Cela entraîne en second lieu que le chercheur fasse un choix parmi les éléments qui constituent la conjoncture globale au sein de laquelle l'enquête intervient et qu'il ne retienne parmi ces éléments que ceux qui sont susceptibles de révéler la spécificité du processus qu'il analyse. La description exhaustive de tous les facteurs et de tous les événements se rapportant à l'une ou à l'autre des enquêtes que nous avons retenues pourrait à elle seule faire l'objet de tout un travail. Un tel travail produirait cependant davantage une monographie d'histoire qu'une élucidation de la nature de ce processus que constitue une enquête publique. Contribuer à produire une telle élucidation constitue, on l'aura compris, l'objectif premier de cet ouvrage.

 

3. Méthode 

Les méthodes utilisées dans le cours de ce travail relèvent en gros de ce qu'on a convenu d'appeler l'analyse documentaire. Les différentes techniques d'analyse de contenu n'ont été employées que d'une façon ponctuelle, l'objectif que nous poursuivons n'étant pas de fournir une analyse du contenu des rapports d'enquête que nous avons retenus. 

Parmi les documents et les écrits que nous avons utilisés, il convient de réserver une mention particulière aux articles publiés dans les journaux qui paraissaient aux différentes époques où se tinrent nos enquêtes. Nous espérons dans la suite de ce travail fournir une justification théorique des efforts que nous avons consacrés au dépouillement des journaux. L'importance de ce dépouillement de la presse ne vient pas, d'une façon contingente, de ce que d'autres documents relatifs aux enquêtes publiques sur la police nous manqueraient ; elle se fonde plutôt sur l'aperçu théorique que la dimension proprement publique d'une enquête sur la police lui est en grande partie conférée par l'attention que lui porte la presse écrite (et, éventuellement, électronique). La relation qui s'établit entre le déroulement d'une enquête publique sur un corps policier et le compte rendu de cette enquête qui apparaît dans la presse est constitutive du processus d’enquête lui-même.

 

4. Structure de l'ouvrage 

Quelques mots, maintenant, sur la structure de ce travail. Il est divisé en deux parties d'inégale longueur. Une première partie, dont l'intention est avant tout descriptive, commencera par un examen des fondements juridiques sur lesquels reposent les enquêtes que nous analyserons. Nous présenterons ensuite une analyse des diverses enquêtes qui constituent la matière de ce travail. Nos analyses se feront plus détaillées dans le cas des enquêtes Cannon (1909), Coderre (1924), Cannon (1944) et Caron (1950), qui portent sur l'action de la police dans la région métropolitaine de Montréal et sur lesquelles la documentation existante est relativement abondante. Les chapitres de la première partie portant sur les enquêtes seront eux-mêmes divisés en trois sections, auxquelles on attribuera une importance variable. Une première section sera consacrée à rappeler la suite des événements au sein de laquelle s'est réalisé le processus de l'enquête. Une seconde section s'attachera à fournir une brève analyse du contenu du rapport produit par l'enquêteur. Une troisième section tentera d'extraire parmi les éléments précédemment analysés, ceux dont la portée sera reconnue plus générale et/ou dont la signification méritera d'être soulignée. La seconde partie de ce travail s'efforcera de reprendre ces éléments distingués dans la première partie à cause de leur portée et / ou de leur signification et de leur donner la forme articulée d'un ensemble de thèses sur la nature et sur la fonction de ces enquêtes qui ont été menées sur divers corps de police canadiens. 

J'annoncerai d'entrée de jeu la nature de la thématique que je compte élaborer au cours des prochains chapitres. Le premier des thèmes que je développerai sera le suivant : l'enquête publique, dans la forme sous laquelle je l'ai étudiée, constitue à des degrés variables une exploitation politique de l'écart inévitable qui existe entre les institutions juridiques d'une société et sa réalité historique effective. Le second des thèmes qui seront répétés dans ce volume peut s'énoncer ainsi : l'enquête publique intervient de façon rétrospective pour ordonner au sein d'une histoire juridique idéale un type de délinquance qui a déjà pris sa place parmi les mœurs d'une société et/ou parmi celles du pouvoir politique qui gouverne cette société. Cette intégration d'une forme systématique de déviance à une histoire officielle de l'ordre compense une impuissance fondamentale à la réprimer.

 

5. Suite future 

Ce livre constitue le premier de deux volumes que je désire consacrer à des recherches sur les commissions d'enquête sur la police. Je me propose en effet de traiter dans un second livre des principales commissions d'enquête instituées sur la police, au Canada, depuis 1966. 

J'ai moi-même travaillé pendant plus de deux ans au sein de l'une de ces commissions d'enquête, à savoir la Commission d'enquête sur des opérations policières en territoire québécois, présidée par Me Jean-François Keable. La plus grande partie des recherches qui ont donné naissance à ce livre-ci avaient été complétées quand je commençai d'assumer mes fonctions au sein de la commission Keable ; j'étais alors parvenu également aux conclusions qui seront formulées dans les chapitres qui suivent. Le second volume de mes recherches sur les commissions d'enquête sur la police me donnera donc l'occasion privilégiée de confronter les thèses énoncées dans ce premier volume, et que j'ai dégagées en me livrant à un travail de nature théorique, avec l'expérience et la connaissance que j'ai par la suite acquises du fonctionnement d'une commission d'enquête.



Retour au texte de l'auteur: Dernière mise à jour de cette page le lundi 4 juin 2007 16:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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