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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La construction d’une culture. Le Québec et l’Amérique française. (1993)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Gérard BOUCHARD et Serge Courville, La construction d’une culture. Le Québec et l’Amérique française. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1993, 445 pp. Collection: Culture française d’Amérique. [MM. Gérard Bouchard et Serge Courville, conjointement avec le directeur général des Presses de l’Université Laval, Monsieur Denis Dion, nous ont accordé gracieusement, le 27 mai 2021, leur autorisation pour la diffusion en libre accès à tous de ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[vii]

La construction d’une culture.
Le Québec et l’Amérique française.

Présentation

Cet ouvrage, issu du quatrième séminaire de la CEFAN, visait au point de départ à une réflexion sur l'évolution de la culture québécoise entre le XVIIe et le XXe siècle, considérée sous un double rapport : d'une part comme représentation et comme construction savante, d'autre part comme dynamique concrète, spontanée, dans le contexte de l'expérience collective nord-américaine. Ces deux dimensions recoupent le double processus de formation de cette culture (ou de cette identité), l'un relevant des élites socioculturelles au sens large, l'autre des classes populaires urbaines et rurales (en gros, les travailleurs manuels et les cols blancs peu spécialisés). Selon la proposition principale mise de l'avant, ces deux processus étaient divergents, d'où l'existence d'un rapport antinomique entre ces deux univers sociaux où il faut peut-être voir une clé pour la compréhension de l'évolution de la société et de la culture québécoises jusqu'à une période récente [1].

Essentiellement, à partir de la fin du XVIIIe siècle, les élites sociales, culturelles et politiques du Canada français (plus tard du Québec) se définissaient comme les titulaires légitimes d'une nation qui, au départ, n'existait guère qu'à l'état de programme. Durant les deux siècles qui suivirent, elles se sont employées à construire cette nation, d'abord sur le plan de la politique (l'État), puis sur le plan [viii] - c'est celui qui nous intéresse ici - de la culture. Dans cette dernière direction, elles ont poursuivi l'objectif de combler ce qu'elles percevaient comme un vide, une inconsistance générale qu'elles ne cessaient de déplorer. L'œuvre de construction nationale s'exerça donc dans la littérature, dans les sciences naturelles, dans les sciences sociales, dans l'histoire et dans l'ethnographie (construction d'une culture populaire). Nourri de références européennes, ce travail collectif aboutit à représenter la culture québécoise comme un prolongement, une reproduction de la culture française. En continuité avec celle-ci, la culture québécoise était en outre donnée a priori comme homogène, fragile et fondamentalement différente de ses voisines nord-américaines. Ces postulats expliqueraient certains traits essentiels de la culture savante, notamment une dénonciation permanente et un refus de l'américanité, une lecture des réalités québécoises par le biais d'idéologies et de problématiques scientifiques empruntées à la France et à l'Europe, ainsi que des attitudes hésitantes à l'égard de l'immigration. En somme, les élites ont traditionnellement inscrit leur définition et leur représentation de la société québécoise dans une perspective verticale ou continuiste de filiation par rapport à la France, de fidélité aux racines.

D'une manière tout à fait opposée, les classes populaires (celles des campagnes d'abord, celles des villes ensuite) ont été d'emblée ouvertes à l'espace et à l'expérience nord-américains, à même lesquels leur culture s'est traditionnellement nourrie, par toutes sortes de canaux. En même temps, elles se sont toujours senties un peu étrangères à la culture européenne des élites, tout comme elles se sont montrées assez insensibles à leur projet de société. D'où une discordance fondamentale entre la culture (ou l'identité) qui se faisait par le « bas » et celle qui se construisait par le « haut », selon des modalités et dans des directions très différentes.

À partir de cet éclairage général que reproduit l'introduction du présent ouvrage, diverses directions ont été explorées dans la plus grande liberté par chacun des collaborateurs et collaboratrices. L'une d'entre elles conduisait vers le clivage culture savante/culture populaire, abordé ici non pas avec la prétention de résumer tout le champ culturel (qui est parcouru, on le sait, de bien d'autres axes ou clivages), mais seulement pour mettre en évidence une tension dont ce [ix] champ était l'objet au Québec. À cet égard, la dimension comparative introduite par Martine Segalen s'est avérée extrêmement éloquente, en montrant que le même clivage peut se présenter sous des figures très différentes d'une société à une autre. Dans une autre direction, celle de l'enquête ethnographique, des auteurs se sont interrogés sur certaines formes parmi les plus quotidiennes de la culture québécoise entre le XVIIe et le XXe siècle, en essayant notamment de faire la part des continuités européennes et des ruptures ou redéfinitions imputables à la dynamique nord-américaine ou continentale. Une troisième direction proposait un examen des rapports entre la culture et les pratiques scientifiques. Ici, les travaux présentés se sont attachés tout particulièrement à mettre en évidence les processus et les prémisses au gré desquels les sciences de la culture construisent et remodèlent leur objet. Enfin, dans une dernière direction, des auteurs ont exploré d'autres espaces de la francophonie nord-américaine pour y montrer les contextes précis et les évolutions particulières servant de paramètres à l'identification collective.

Ces thèmes ont été débattus dans les diverses séances du séminaire ouvertes au public et dont le déroulement était placé sous la responsabilité des soussignés. Elles ont donné lieu à des échanges souvent très riches qu'il n'a malheureusement pas été possible de retranscrire ici. De même, l'ensemble des travaux a bénéficié de contributions d'étudiants dont nous avons cru utile de reproduire un échantillon dans ces pages. L'essai de Jean Martin, étudiant au doctorat en géographie à l'Université Laval, propose un commentaire des idées directrices du séminaire et explore d'autres avenues pour rendre compte de la stratification de la culture québécoise.

Il n'y a pas lieu de présenter plus longuement les textes qui composent ce collectif, la plupart faisant ici même l'objet d'un commentaire critique dont les lecteurs et lectrices - tout comme les auteurs eux-mêmes sans doute - pourront tirer profit. En terminant, rappelons seulement quelques points sur lesquels il paraît utile d'attirer l'attention. D'abord sur le thème de la culture populaire au Québec. Nous sommes tous d'accord ici pour dénoncer les malentendus suscités par des reconstitutions non scientifiques diffusées depuis le XIXe siècle à l'initiative de représentants de la culture savante. C'est évidemment sur les contenus de cette culture populaire rurale et [x] urbaine qu'il faut concentrer les efforts à venir, en rejetant certains a priori, par exemple celui de l'homogénéité. Quelques textes de ce collectif s'y emploient déjà, tout en évitant l'excès contraire qui consisterait à admettre au départ l'existence de frontières culturelles régionales bien nettement découpées dans l'espace québécois. L'exemple des vieilles régions françaises peut être ici un mauvais conseiller et il y a lieu d'aborder avec un vif esprit critique cette étude de la stratification de notre espace culturel. Par ailleurs, on notera aisément que l'ensemble des textes présentés affiche un déséquilibre en faveur de la culture rurale, encore une fois. Mais on relèvera aussi que les perspectives adoptées trahissent un souci très marqué de révision et de réorientation de la recherche en ce domaine, de manière que la culture urbaine trouve désormais la place qui lui revient - et le texte de Jean-Claude Robert est évidemment le bienvenu à cet égard.

Sur un autre plan, la problématique de cet ouvrage invitait à explorer les contenus de la culture savante sous l'angle particulier des continuités et des ruptures par rapport aux traditions européennes, surtout françaises. Cette clé conduit à une lecture de la pensée québécoise qui surprendra peut-être dans la mesure où, par exemple, elle fait ressortir des éléments de consensus là où on est habitué à voir de la diversité, et même des dissensions. Mais il faudra se rappeler que le fil conducteur qui est ici proposé (voir le texte d'introduction de Gérard Bouchard) se situe non pas à l'échelle des idéologies elles-mêmes, mais à celle de leurs prémisses dans la culture, dans ce qu'on appellerait des visions du monde si on pouvait davantage les expliciter. Il convient aussi de marquer les limites de cet angle d'analyse, qui accorde ici une très grande place aux intellectuels et à des représentants de la bourgeoisie professionnelle, mais qui ne fait voir que sommairement l'univers culturel de la bourgeoisie d'affaires. Il serait évidemment souhaitable de poursuivre dans cette direction l'effort entrepris il y a quelques années par Fernande Roy [2].

Gérard Bouchard et Serge Courville


[1] Cette problématique, qui est brièvement rappelée ici, est exposée dans le texte d'introduction de Gérard Bouchard, « Une nation, deux cultures. Continuités et ruptures dans la pensée québécoise traditionnelle (1840-1960) ». Dans la même veine, voir aussi, du même auteur, « L'historiographie du Québec rural et la problématique nord-américaine avant la Révolution tranquille. Étude d'un refus », Revue d'histoire de l'Amérique française, 44, 2 (automne 1990), p. 199-222.

[2] Progrès, harmonie, liberté. Le libéralisme des milieux d'affaires francophones à Montréal au tournant du siècle, Montréal, Boréal, 1988.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 27 juin 2021 9:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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