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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Charles Bonenfant, “Le bilan du passé.” In Congrès des Affaires canadiennes, La dualité canadienne à l’heure des États-Unis. 4e Congrès des Affaires canadiennes, 1964, pp. 23-30. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1965, 132 pp. [Le directeur général des Presses de l’Université Laval, Monsieur Denis Dion, nous a accordé gracieusement, le 25 mai 2021, son autorisation pour la diffusion en libre accès à tous de ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[23]

La dualité canadienne à l’heure des États-Unis.

LE BILAN DU PASSÉ.”

Jean-Charles BONENFANT


S’il y a aujourd’hui en Amérique du Nord un pays qui s’appelle le Canada et si, dans ce pays, il y a cette dualité boiteuse qui nous cause tant de soucis, nous le devons en grande partie au voisinage des États-Unis. Notre histoire a été presque toujours un sous-produit de celle de nos voisins et il y a longtemps que, dès qu’on éternue à New-York ou à Washington, nous avons le rhume à Québec ou à Ottawa.

Pour dresser le bilan américain du passé canadien, je m’attacherai surtout aux événements qui débutent avec la naissance de la Confédération canadienne en 1867. Je rappelle cependant que l’histoire de la Nouvelle-France est dominée par la crainte de ces envahisseurs qui pouvaient remonter par la Chaudière ou le Richelieu et que, dès notre plus tendre jeunesse, nous du Canada français nous sommes réjouis de l’échec de Phipps devant Québec, en 1690, et du désastre providentiel de la flotte de Walker à l’Île-aux-Œufs, en 1712. Bien des causes ont paralysé le développement de la colonie française des bords du Saint-Laurent au XVIIe et dans la première partie du XVIIIe siècle, mais il est sûr que la menace de treize colonies a commencé dès cette époque à déterminer notre histoire.

Après la conquête et le traité de Paris en 1763, on s’est aperçu rapidement que la nouvelle colonie britannique ne pouvait être comme les autres, et l’Acte de Québec de 1774 est venu le reconnaître juridiquement. Ce fut, en effet, pour le mieux ou pour le pire, le début de la dualité canadienne. La foule ameutée qui, dans les rues de Londres, protesta contre la nouvelle loi et Mgr Briand qui demanda à ses ouailles d’en être reconnaissants à l’Angleterre comprirent chacun à leur façon que désormais la nouvelle colonie britannique d’Amérique renfermerait dans l’unité et la diversité des gens de langue française et de langue anglaise. Or, même si certains historiens, comme Thomas Chapais, ont prétendu que « les prodromes de la crise américaine ont pu avoir pour notre cause quelque utilité mais seulement comme considération accessoire [1] », je pense que l’Acte de Québec fut en grande partie accordé aux Canadiens de langue française, surtout à leurs chefs, pour les empêcher de [24] suivre les Américains dans la révolte. Gamme on l’a écrit récemment, « c’est l’utilité — et non pas la générosité — qui a motivé l’Acte de Québec [2] ». La dualité canadienne a donc été engendrée par le voisinage des États-Unis.

De 1774 à 1867, les événements américains devaient, à maintes reprises, influencer le comportement des habitants des colonies britanniques et en particulier celui des Canadiens français. Ces derniers furent heureux dans leurs luttes contre la clique gouvernementale de tourner les yeux vers un pays qui s’était libéré de l’absolutisme de la métropole, mais ce n’est qu’au milieu du siècle qu’un certain nombre d’entre eux devinrent annexionistes, pas plus d’ailleurs que certains Canadiens anglais [3]. Tous les événements de cette période aboutissent en définitive à la naissance de la Confédération, l’événement qui est à la base de notre histoire moderne et auquel il faut évidemment s’arrêter.

Les causes politiques et économiques qui ont favorisé la naissance de la Confédération en 1867 ont été nombreuses. Pour les uns, le Canada d’aujourd’hui a été enfanté par les chemins de fer ; pour les autres, il est l’aboutissement nécessaire de l’instabilité politique dans le Canada-Uni, mais tous les historiens admettent qu’un puissant catalyseur de toutes les causes a été le voisinage des États-Unis. Ils ont fourni au Canada le meilleur exemple de fédéralisme à imiter et à modifier et ils ont en même temps constitué une menace qui a poussé les colonies britanniques en Amérique à s’unir [4].

Il est sûr que le voisinage d’un grand État qui, malgré ses difficultés, pouvait afficher la première réussite dans l’histoire du monde d’un système fédératif quelque peu élaboré a servi d’enseignement aux Pères de la Confédération. La plupart connaissaient bien l’expérience américaine dont ils avaient étudié la naissance et le développement [5]. Dans leurs discours, ils en parlent ^abondamment. « Nous avons eu, pour nous guider, l’expérience des États-Unis », dit John A. Macdonald qui ajoute : « Je ne suis pas un de ceux qui regardent la constitution des États-Unis comme un coup manqué. Je crois que c’est une des plus grandes œuvres que le génie humain ait jamais créée. Mais dire qu’elle est parfaite serait se tromper [6]. » George-Étienne [25] Cartier est moins enthousiaste, mais il sait analyser la constitution américaine pour en souligner les défauts [7].

Mais les États-Unis constituèrent surtout une cause de la Confédération parce qu’ils ont semblé alors une menace aux yeux de plusieurs Canadiens. À tort ou à raison, on craignait l’annexion aux États-Unis et on jugeait que la Confédération était le seul moyen d’y faire échec. Certes, plusieurs orateurs canadiens-anglais invoquèrent cet argument, mais peu y attachèrent autant d’importance que les conseillers législatifs et les députés canadiens-français. « Confédération ou annexion » : c’est l’alternative, selon Taché, Langevin et Cartier. « Quant à être lancé violemment dans l’union américaine si ce projet de Confédération ne passe pas, déclare Taché, il me semble que c’est un résultat très probable [8]. » Les Canadiens avaient d’ailleurs de sérieuses raisons de redouter les États-Unis et en particulier les États du Nord qui sortaient victorieux de la guerre de Sécession. Il ne faut pas oublier que l’Angleterre avait paru se montrer favorable aux États du Sud et qu’il eût été normal pour les États du Nord de se venger sur le Canada alors colonie de l’Angleterre [9].

Les Canadiens eurent à cette époque quelques alertes qui leur montrèrent modestement peut-être mais réellement quand même qu’ils étaient exposés à des attaques venant des États-Unis. En 1866, les Féniens, ces Irlandais fanatiques qui avaient profité de la guerre de Sécession pour s’entraîner, attaquèrent les frontières du Nouveau-Brunswick à Campobello, celles du Bas-Canada à Frelisburg et celles du Haut-Canada dans la presqu’île de Niagara [10]. Pendant quelques années, les Canadiens furent dans l’inquiétude perpétuelle d’une invasion. Ils s’aperçurent alors que leur pays était difficile à défendre. Les habitants du Canada-Uni en particulier comprirent comment pendant l’hiver il était presque impossible de leur faire parvenir des soldats venant d’Angleterre sans utiliser le territoire américain.

La crainte des États-Unis devint un atout puissant pour les Canadiens de langue française à accepter la Confédération. Ce fut un atout qu’utilisèrent abondamment George-Étienne Cartier et le clergé catholique.

George-Étienne Cartier ne redoutait pas uniquement les États-Unis pour des raisons militaires, mais il craignait surtout leurs institutions politiques. Dans un des plus importants discours de sa carrière, celui qu’il prononça en février 1865 à l’Assemblée législative du Canada-Uni en faveur des Résolutions de Québec, il déclarait : « Il nous faut ou avoir une Confédération de l’Amérique britannique du Nord ou bien être absorbés par la Confédération américaine [11]. » Lorsqu’il [26] redoutait ainsi l’annexion, ce n’était pas tant parce qu’elle aurait signifié la domination par un autre pays, mais c’est parce qu’il craignait la démocratie que représentait cet autre pays.

Quant au clergé catholique, il a cru, à cette époque, que la survivance du catholicisme était mieux assurée par la domination de l’Angleterre que par celle des États-Unis. Les évêques avaient d’ailleurs de bonnes raisons de redouter une annexion que réclamaient parfois leurs adversaires, les libéraux anticléricaux. L’évêque de Saint-Hyacinthe, Mgr Charles Laroque, dans sa lettre pastorale concernant l’inauguration du gouvernement fédéral, publiée le 18 juin 1867, disait : « Fermez vos oreilles à l’insinuation perfide, assez souvent répétée. Plutôt l’annexion que la Confédération telle qu’elle nous est donnée. Demeurez convaincus que pour ceux qui tiennent ce langage, la Confédération n’est qu’un prétexte mis en avant : l’annexion est clairement l’objet de leur convoitise politique, et d’une convoitise qu’ils flattent et fomentent depuis assez longtemps. Nous en sommes témoin ! Et à notre estime, l’annexion, si jamais elle a lieu, sera la mort ou la destruction certaine de notre nationalité, qui ne vit que par nos institutions, notre langue, nos lois, et surtout notre religion, et c’est parce que nous sommes plein de la conviction que tous nos intérêts religieux auraient grandement à souffrir de notre annexion aux États-Unis, que Nous Nous faisons un devoir de vous signaler le danger [12]. »

En résumé, exagérée ou réelle, la menace américaine fut un des plus puissants arguments qu’on invoqua en faveur de la Confédération et elle favorisa sa naissance. D’ailleurs, les deux colonies où cette menace était moindre, Terre-Neuve et l’île du Prince-Édouard, n’y entrèrent pas en 1867.

Né en grande partie de la crainte des États-Unis que les hommes politiques réussirent à créer, le Canada vit tout de même rapidement s’éloigner la menace de l’annexion militaire et politique mais sa vie et son développement n’en furent pas moins presque toujours conditionnés par nos voisins du Sud.

Nous avons pratiqué un perpétuel mimétisme qui nous a poussés à chercher à imiter les États-Unis en toutes choses, évidemment surtout dans les domaines où ils réussissaient. Au début du siècle, plusieurs Canadiens ont traduit cette attitude par cette fanfaronnade sans lendemain, qu’on attribue surtout à Laurier, savoir que si le dix-neuvième avait été le siècle des États-Unis, le vingtième serait celui du Canada.

C’est pour rivaliser avec les États-Unis, par lesquels il avait peur d’être contourné, que le Canada a entrepris sa marche vers l’Ouest et qu’il a pratiqué ensuite sa première politique d’immigration. On a voulu vaincre les impératifs de la géographie par le truchement des chemins de fer mais on n’a réussi qu’à engendrer ce non-sens d’un mince ruban d’habitations s’étendant sur quelques milliers de milles. [27] Par ailleurs, l’immigration qui ne se faisait qu’en faveur de l’élément anglo-saxon déséquilibrait la dualité canadienne dont l’élément français était en même temps affaibli par une autre conséquence du voisinage des États-Unis, l’émigration vers les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre. Il est toujours un peu ridicule et stérile de raisonner à l’intérieur de futuribles, mais on peut tout de même se demander ce que serait aujourd’hui un Canada dont la frontière ouest ne dépasserait guère Winnipeg et dont la double population se serait développée d’après les lignes de force qui existaient au moment de la Confédération !

Mais laissons de côté les hypothèses oiseuses : le Canada est ce qu’il est et je dirais qu’il l’est devenu définitivement depuis la guerre de 1914. Mon propos sera donc maintenant d’esquisser les traits essentiels de l’influence américaine sur la dualité canadienne lors de la première grande guerre, entre les deux guerres, lors de la seconde grande guerre et depuis jusqu’à nos jours, et cela évidemment sous un éclairage plutôt canadien-français.

Notons d’abord que, pendant ce demi-siècle, les nationalistes canadiens-français, contrairement à ceux du siècle précédent, de Papineau à Hector Fabre, n’ont jamais vu dans l’annexion une solution aux difficultés qu’ils éprouvaient dans la Confédération. Alors que, en 1871, Hector Fabre écrivait que « l’annexion conduirait Québec à l’apogée de sa destinée [13] », lors de la lutte électorale de 1911, dans le Québec, la question de la réciprocité ne souleva même pas un intérêt égal à celui qu’on observait dans les autres provinces et, dans le Devoir du 7 février 1911, on pouvait lire que les nationalistes ne craignaient aucunement la réciprocité et qu’ils étaient même un peu portés à se moquer des manufacturiers de l’Ontario qui voulaient protéger le français et le catholicisme contre les Américains.

Les Canadiens de langue française n’ont donc pas recherché l’annexion, mais ils ont trouvé dans l’attitude de leurs voisins en politique internationale une merveilleuse justification de leur isolationnisme naturel, de leurs sentiments anti-impérialistes, bref d’un canadianisme qui n’avait que le tort d’être en avant de son temps. Décrivant bien ce climat qui s’épanouit dans la décennie qui suit la première grande guerre, l’historien Gustave Lanctôt écrit : « Se sachant infiniment mieux protégé par l’Amérique que par la Ligue des Nations, il (le Franco-Canadien) ne repose aucune confiance en cette galère européenne qui ne peut le conduire qu’à de dommageables aventures. La raison essentielle de cette attitude, c’est qu’à l’encontre de l’Anglo-Canadien qui a une mère patrie en Europe, le Québécois, séparé de la France depuis un siècle et demi, est devenu un continental, un autochtone, comme l’Américain lui-même ; rien ne l’intéresse nationalement en dehors de ses frontières. Enfin, autre attitude nord-américaine, il éprouve une certaine impatience devant ces nations d’Europe qui se ruinent en rivalités et en armements, [28] lorsque lui, sans forteresse et sans armée, a su garder une paix séculaire avec son voisin.

« Par là seulement, — par ce particularisme français et américain, — peuvent se comprendre les opinions du Québec en matière internationale en face du reste du pays [14]. »

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les deux groupes ethniques se sont opposés au Canada, mais il est sûr que pendant longtemps ce fut parce que la plupart des Canadiens de langue française se sentaient d’Amérique alors que leurs compatriotes de langue anglaise conservaient avec Londres des liens au moins sentimentaux.

La seconde grande guerre a changé tout cela. Au début, les Canadiens français ont pu croire que ce n’était qu’une autre guerre européenne et, après la chute de la France au printemps de 1940, que seule la Grande-Bretagne était en danger, mais ils comprirent, après Pearl Harbour, qu’ils étaient sérieusement en guerre.

Depuis, le Canada entier est vraiment devenu de coeur et d’esprit une puissance d’Amérique et les Canadiens de langue française ont senti que leurs compatriotes de langue anglaise les rejoignaient dans leur réalisme et qu’ils acceptaient que l’influence de Washington remplace celle de Londres. Evidemment, il est plus facile aux Canadiens de langue française qu’à ceux de langue anglaise d’accepter une telle situation et il semble bien que nous nous soyons moins scandalisés dans le Québec qu’en Ontario lorsqu’en 1956, lors de la crise de Suez, le premier ministre Louis Saint-Laurent se dit indigné de l’attitude des chefs politiques européens, y compris ceux de la Grande-Bretagne, ces chefs qu’il qualifia moqueusement de « supermen of Europe [15] ».

Et maintenant, nous sentons de plus en plus que nous appartenons au continent nord-américain et que, par conséquent, nous sommes dominés par ceux qui en sont les maîtres. De temps à autre, les Canadiens, surtout les Canadiens de langue anglaise, ont des sursauts de révolte ; ils pensent limiter les investissements de capitaux américains au Canada ou encore empêcher quelques périodiques de franchir les frontières en trop grande quantité mais que faire en face d’une telle puissance ? Pour le Canadien français, il y a au moins le modeste rempart de la langue !

Et malgré tout, c’est parce que nous ne disons pas encore complètement oui à l’influence américaine qu’il y a encore un Canada avec cette dualité inégale que nous connaissons :^ c’est en grande partie parce que nous avons grandi aux côtés des États-Unis en nous efforçant de nous bâtir une personnalité commune, et notre principale raison de continuer à vivre ensemble dans une maison à nous, malgré les inconvénients que comporte pour les deux conjoints ce mariage [29] de raison, est encore ce puissant voisinage. Comme on l’a souvent répété, si jamais on réussit à créer en Amérique du Nord un véritable État français, les provinces anglaises se perdront rapidement dans le grand tout anglo-saxon nord-américain. Devant ce pronostic, la première réaction d’un Canadien de langue française est peut-être de se réjouir, mais il se peut que le futur État français laissé à lui-même soit tout aussi en danger d’être englouti.

Le grand drame pour nous, Canadiens de langue française, n’est pas de vivre dans un pays où le fait français n’est pratiquement reconnu que dans le Québec, mais c’est d’appartenir par la géographie et l’économique à une Amérique anglo-saxonne tout comme si, autour de Bordeaux, il y avait quelques millions d’Anglais. Ce drame, les Canadiens anglais auraient pu l’adoucir, en acceptant une dualité authentique et ils auraient contribué ainsi à édifier un Canada différent des États-Unis. Aujourd’hui encore, s’ils en ont le goût et le courage, ils peuvent éviter le naufrage, mais les choses se sont tellement gâtées qu’il faudrait, pour favoriser la dualité, que l’inégalité qu’on a constatée et qu’on constate encore aux dépens du français se manifeste maintenant aux dépens de l’anglais. Je souhaite qu’un jour, dans un hôtel d’Ottawa, un Canadien anglais ne puisse se faire comprendre en anglais et que, à Toronto, il soit obligé de confirmer en français son retour dans une envolée d’Air-Canada. Il faut, en d’autres termes, donner au Canada une allure plus française que ne l’exigent les proportions démographiques aussi bien que la richesse économique et intellectuelle des Canadiens français.

Le prix de la survivance du Canada comme entité distincte aux côtés des États-Unis est peut-être élevé, surtout pour les Canadiens de langue anglaise : il est peut-être même trop tard pour le payer, mais c’est le seul. Aujourd’hui, plus sérieusement qu’au temps de George-Étienne Cartier, on peut déclarer que le choix est entre l’annexion et le fédéralisme, une annexion subtile, pas nécessairement politique mais efficace quand même, et un fédéralisme véritable avec participation complète des deux parties composantes, un fédéralisme que jusqu’ici la plupart des Canadiens anglais n’ont pas accepté.

L’enjeu en vaut-il vraiment la peine ? Je commence à en douter. Aussi, complétant par une prospective le tableau historique qu’on m’avait demandé de tracer, je me demande si le dernier chapitre de notre histoire canadienne ne sera pas l’annexion, une annexion qui est d’ailleurs commencée en une foule de domaines et dont la phase politique ne serait pas aussi tragique qu’on le croit à une époque où bientôt, je l’espère, vont s’effacer lentement tous les fétiches qui nous passionnent et nous divisent : les souverainetés, la Couronne, le drapeau, la nation, et même la patrie, la patrie artificielle, pour ne laisser survivre que des hommes appliquant à leur vie en commun des normes raisonnables qu’ils utilisent ailleurs et recourant à des institutions inédites et souples qui conviendraient aux besoins de notre époque.

[30]

D’ailleurs, que ce soit pour hier, pour aujourd’hui et pour demain, il est inutile de nous leurrer : nous sommes, malgré toutes nos vantardises d’indépendance, sous la griffe des États-Unis et nous pouvons répéter ce qu’un journaliste du Globe, James A. Macdonald, disait déjà à Toronto en 1914 : « Canada is the greatest country under the stars and stripes. »

À nous Canadiens français de chercher la meilleure façon de nous accommoder de cette situation inéluctable en développant un Québec puissant, par l’éducation et l’économique surtout, un Québec qui sera capable de résister à des forces d’absorption plus dangereuses que celles de la politique. Quant aux Canadiens de langue anglaise, j’ai peur qu’il leur soit aussi difficile de survivre, comme communauté distincte, que les habitants de l’ancienne république du Texas.

Jean-Charles Bonenfant



[1] Thomas Chapais, Cours d’histoire du Canada, tome I« », 1760-1791, Québec, 1899, p. 169.

[2] Séraphin Marion, « L’Acte de Québec, concession magnanime ou intéressée », dans Cahiers des Dix, 1963, p. 175. C’est d’ailleurs l’opinion de la plupart des historiens. Cf. Les témoignages auxquels réfère Séraphin Marion dans l’étude citée.

[3] L’histoire de cette influence américaine a été écrite en collaboration dans l’ouvrage bien connu, les Canadiens français et leurs voisins du Sud, publié sous la direction de Gustave Lanctôt, Montréal, Éd. Bernard Valiquette ; Toronto, The Ryerson Press, 1941. Cf., en particulier, Jean Bruchési, « Influences américaines sur la politique du Bas-Canada 1820-1867 », dans les Canadiens français et leurs voisins du Sud, Montréal, 1941.

[4] « The Dominion of Canada is a by-product of the United States », aurait déjà déclaré un universitaire canadien. Cf. William Bennett Munro, American Influences on Canadian Government, Toronto, 1929, p. 3.

[5] Trotter, « Some American influences upon the Canadian federation movement », dans The Canadian Historical Review, vol. 5, pp. 213-227.

[6] Débats sur la Confédération, Québec, 1865, p. 33.

[7] Id., p. 60.

[8] Id., p. 348.

[9] Cf., à ce sujet, Trotter, « While Confederation came », dans Queen’s Quarterly, 1938, pp. 23-29.

[10] Cf. C. P. Stacey, « Fenianism and the rise of national feeling in Canada at the time of Confederation », dans The Canadian Historical Review, vol. 12, p. 238.

[11] Discours de sir Georges Cartier, par Joseph Tassé, Montréal, 1893, p. 465.

[12] Mandements des évêques de Saint-Hyacinthe, Montréal, 1889, pp. 424-425.

[13] Hector Fabre, Confédération, indépendance, annexion, Québec, 1871, p. 28.

[14] Gustave Lanctôt, « Le Québec et les États-Unis 1867-1937 », dans les Canadiens français et leurs voisins du Sud, Montréal, 1941, pp. 277-278.

[15] Canada, House of Commons Debates, Fourth (Special) Session, November 26th, 1956, p. 20.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 24 juin 2021 14:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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