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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Syndrome québécois et mal canadien (1981)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Gérard Bergeron (1922-2002)Syndrome québécois et mal canadien. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1981, 297 pp. [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron]

Avant-propos

PAR MÉTIER de chercheur et d’enseignant, j’appartiens à la confrérie de ceux qui ont à expliquer après coup ce qui en politique s’est passé, ou non, ou mal. C’est là une occupation de suffisante exigence pour accaparer la longueur des journées de toute une vie, et donc pour n’en point tirer trop mauvaise conscience. Mais le citoyen ne dort que d’un quart d’oreille dans l’analyste qui doit compulser sans arrêt les données relatives à la vie de la Cité. Ce citoyen réclame ses droits à se faire intervenant, au moment où l’action se passe ou se prépare. Il y a plusieurs modes d’interventions civiques et, pour chaque intervenant, aucune règle pour en disposer une fois pour toutes. 

Depuis vingt-cinq ans, j’aurais été intervenant de façon périodique et à la manière qui semblait convenir le moins mal à ma dualité de personne civique et de chercheur enseignant. « Le moins mal... » dans cette situation de dualité, mais aussi à cause des tiraillements que le vécu politique impose au citoyen québécois par le temps qui court. Il lui fut demandé de briser ce qu’on lui dit être son principe de contradiction en optant en faveur d’une de ses deux moitiés, la canadienne ou la québécoise, que l’histoire a mises ensemble en sa bizarre cohésion. Pour certains, l’option faite, d’un côté ou de l’autre, aura été libératoire. Mais même pour ceux-là, la question n’est réglée qu’en partie puisqu’il y a le frère, l’ami, le collègue, le voisin, etc., qui font l’option contraire - ou qui l’ont suspendue et qu’il faut convaincre (contenant le mot « vaincre »). Nous sommes entrés dans la phase des solidarités agonistiques et qui sera, sans doute, longue. 

La seule chose dont je sois sûr c’est la conscience que j’ai de me méfier de la sensibilité qui va vite, trop! Le test de raison qu’on peut lui opposer est lent, par comparaison lourd, à coup sûr laborieux : ce serait même encombrant s’il n’y avait pas là une première exigence du métier d’analyste. Certain langage au sujet des thèmes de « témoignage » (en porter...) ou de « mission » (celle des intellectuels dans le monde d’aujourd’hui) paraîtrait ampoulé s’il n’était pas si drôle ! Les notions de « métier » (technique, travail, gagne-pain) ou de « service » (être en... ; ou « service public », pourquoi pas ?) sont tellement plus à propos dans leur exactitude. Pourquoi l’analyste politique n’aurait-il pas comme fonction d’accomplir un service public, comme l’administrateur qu’on appelle aussi « fonctionnaire » ? Avec cette distinction, toute fondamentale toutefois, que l’analyste n’a pas à réclamer, non plus qu’on ait à lui reconnaître, un statut d’immunité. 

Car l’analyste politique doit prendre tous ses risques : de métier, bien sûr, mais aussi du citoyen qui lui est préalable et plus englobant. C’est encore un rôle de solitude, et qui entraîne l’isolement obligatoirement. Le citoyen n’a pas à s’interroger longtemps sur le caractère désirable de l’indépendance ; mais s’il est plus critique, il peut se demander si nous avons les moyens politiques d’en assumer les coûts sociaux. Mais l’analyste s’impose alors et, après examen de toutes les forces en cause, se pose la question : « Est-elle faisable ? » Si la réponse est « oui » aux deux premières questions et qu’elle soit négative ou fortement dubitative à la troisième, le charme critique est rompu. Le citoyen peut toujours interpeller l’analyste comme l’a fait, de si digne façon, M. Lemaire de Hull (p. 7). Mais une fois qu’il a tenté d’établir le bien-fondé de son rôle, l’analyste ne peut même pas garantir la certitude de ses analyses. Il peut se tromper. Il le sait. Ce qui l’empêche de céder à un nouveau dogmatisme en avançant des argumentations à portée relative et qui sont toujours à refaire d’autant que les situations changent. 

L’auteur des présentes chroniques souhaiterait que ce livre soit accueilli comme un acte de bonne foi. Non seulement parce qu’il ne ferme aucune porte des avenirs pensables, mais encore en ce qu’il n’assène pas en certitudes, positives ou négatives, le produit d’analyses sur des paris plus ou moins risqués. L’important en matière de paris est que l’on sache au moins, avant de parier, que nous en aurons les conséquences : aussi fallait-il au référendum que notre oui fût OUI et que notre non fût NON - même si l’histoire réelle semble continuer à se dérouler en fluctuations entre les deux... 

* * * 

Mon moyen constant d’intervention publique aura été le journal, presque toujours dans cet unique média de notre milieu, Le Devoir. On m’y accueille comme tant d’autres qui suivent cette mode, que je me serais trouvé à avoir lancée dès 1956, au lendemain de la dernière victoire électorale de Maurice Duplessis. Les textes proposés ne relèvent pas des classiques articles de journaux, reportages, éditoriaux, ou du genre « dossier » sur une question, qui est d’une pratique assez récente. Le terme de « chroniques de circonstances » conviendrait peut-être à ces textes assez espacés et non périodiques. 

L’éditorialiste, en conformité avec la première règle du métier, ne peut cultiver que l’éphémère : il compense par une continuité de présence et l’accumulation des textes. Le chroniqueur épisodique n’a pas même latitude, ne serait-ce que parce qu’il ignore si son texte sera publié dans deux jours ou dans deux semaines. Il sait surtout qu’il ne lui faut pas abuser de l’hospitalité du journal. Toujours inévitablement en retard sur l’événement il ne peut suivre, de plus loin, que « les événements ». L’éditorial du jour, il ne peut que se le dicter dans sa tête, en sirotant le café matinal : façon de dire qu’il le refoule. Aussi, quand il se met en frais d’écrire, est-il enclin à « en mettre trop », soit une manière comprimée de plusieurs éditoriaux, d’autant que le genre a comme première limite l’espace, cette ressource rare des journaux, fussent-ils accueillants. Cette obligation de concision relative et d’incitation à la densité fait que ce type de chronique est rarement du bon journalisme. 

On peut, on doit l’avouer. Mais toute chose ayant son revers, la contre-partie résiderait peut-être dans le fait que ces textes à la piste « des événements » résistent un peu plus au temps que le commentaire à chaud de l’événement quotidien. Après les avoir parcourus dans la bousculade d’un début de journée, ces textes plus élaborés valent parfois une lecture ajournée et moins expéditive. C’est du moins ce que confient tels lecteurs, qui les mettent de côté pour relecture en soirée ou en fin de semaine. Des éditeurs, qui savent flairer le public et ses demandes, projetteront de regrouper ces essais dispersés et d’en faire la substance d’un livre. C’est ainsi que s’écrivent des volumes selon un principe de cohérence moins strict, mais plus immédiat qui est celui de la cohérence même des événements. De tels ouvrages peuvent servir de pont entre l’impressionnisme hâtif du commentaire quotidien et l’analyse en plus grande extension et profondeur de l’essai d’une seule coulée. 

Ce procédé inaccoutumé se justifierait peut-être par le fait que tous les textes tournent autour d’un même sujet général, de grande importance pour la collectivité, et se déroulant à l’intérieur d’une période relativement courte d’une couple d’années. Dans le cas du présent recueil, tous les textes ont leur principe d’unité en leur rapport à l’imminence de l’événement tant attendu du printemps 1980. Après aussi bien qu’avant le référendum, ils auront été d’abord livrés au public à l’occasion d’une incitation particulière et d’une convenance du moment. Leur agencement d’ensemble se fera ensuite tout naturellement au moment de la fabrication du livre, qui, justement, est un « produit de fabrique ». Mais la cohérence de composition ne serait pas complète sans une partie finale et inédite qui resserre les données, rassemblées jusque-là, de la question d’ensemble en une boucle conclusive et s’ouvrant sur d’autres possibles. 

* * * 

J’aurai attendu d’avoir commis une demi-douzaine d’ouvrages du genre avant de livrer ces propos candides de confection. J’accepterais d’être incriminé pour récidive. Mais s’il était requis un alibi, je le trouverais moins dans tous ces auteurs qui, de Gérald Beaudoin à Pierre Vadeboncoeur selon l’ordre alphabétique, en font autant que par mes autres ouvrages qui obéissent à l’austère loi de la longue patience dans la recherche dite « fondamentale ». La critique qui se veut méchante sur le « réchauffé » ou le « fond de tiroir » n’aurait raison qu’en établissant sans conteste la vertu particulière de l’inédit pour l’inédit, ou la superfluité d’une relecture mieux encadrée, ou encore le non-renouvellement du public du livre par rapport à celui du journal. La vraie question ne consisterait-elle pas à se demander si de semblables textes gagnent ou perdent à être versés dans un plan d’ensemble, dès lors qu’ils appartiennent à un même univers mental s’appliquant à comprendre le déroulement d’un même phénomène. Aussi le lecteur doit-il avoir à l’esprit la date de la première publication en refrénant une pointe d’impatience que suscite la connaissance qu’il a des faits postérieurs. 

On célèbre en certains milieux le culte du caractère sacré du livre. C’est peut-être la plus courante des concélébrations des temples littéraires. Une fois produit, cet objet de fabrique n’est qu’un moyen de communication parmi d’autres. La principale qualité du livre est la discrétion : il sait attendre et est toujours présent au rendez-vous. Il n’impose pas la brutalité du « c’est à prendre (ou à laisser) au moment où ça passe », comme la radio ou la télévision, le film ou le journal quotidien. Il attend : sur demande, il est là chez le libraire, à la bibliothèque, sur le rayon d’un cabinet de travail. Mais ce grand discret a encore ses exigences. Il est refus de l’éphémère et porteur d’espoir d’un public de plus grande rigueur : peut-être ne rien laisser perdre du côté de l’auteur, mais surtout être mieux lu par le lecteur. Ce type de livre qu’on pourrait appeler « circonstancié » tiendrait de la polyvalence des périodiques qui ne valent guère que par l’intérêt sélectif du lecteur qui est souvent doublé d’un chercheur. 

Il s’agissait de bien identifier la marchandise qui lui est offerte : chaque texte déjà publié porte sa référence ; aucune correction si ce n’est celles de coquilles diverses. Les redondances inévitables et en partie volontaires ont comme circonstance atténuante l’écart entre les dates de parution d’un texte à l’autre. Ces propos introductifs risquent d’être accueillis comme une réponse anticipée à ceux qu’agacerait ce procédé de faire des livres ; mais ils seraient trop rares à porter davantage d’attention au contenant qu’au contenu pour valoir ces lignes. 

Il reste que de tels propos cachent mal un tantinet de complaisance. Tout acte d’écrire, suivi de communication à un public, est « exhibitionniste » : et doublement l’est une réflexion à voix haute sur cet acte et sa communication. On arrête ici des explications qui ne sont pas des excuses ; elles ont tout de même l’air très plausible de la recherche d’une certaine complicité avec le lecteur. Et si c’était la condition pour que l’expression aille jusqu’au bout de sa rude franchise ?


Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 6 mai 2007 14:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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