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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yves Bélanger, “L’État québécois : un État hybride”. Un article publié dans la revue Interventions économiques. Pour une alternative politique, no 17, hiver 1987, pp. 117 à 126. Montréal: Éditions Saint-Martin. Dossier intitulé: “L’État en question.” [L’auteur nous a accordé le 22 mai 2005 l’autorisation de diffuser en libre ac-cès libre à tous l’ensemble de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[117]

Yves Bélanger

L’État québécois :
un État hybride
.”

Un article publié dans la revue Interventions économiques. Pour une alternative politique, no 17, hiver 1987, pp. 117-126. Dossier intitulé : “L’État en question.” Montréal : Les Éditions Saint-Martin.

Liminaire [117]
Introduction [117]

1976-1985: le cheminement du Parti québécois [118]
1985: quelques commentaires sur les orientations des libéraux ou la nouvelle étape du désengagement de l'État [120]

Conclusion [126]
Notes [126]


Liminaire

L'État a été depuis vingt cinq ans au Québec synonyme de progrès économique et social. État « Providence », État « levier de développement », État « maître d’œuvre », les qualificatifs n'ont pas manqué pour désigner le rôle qu'a pu jouer l'État jusqu'à ce que la légitimité même de ses interventions se trouve, depuis le début des années 1980, de plus en plus ouvertement remise en cause. Dans quelle direction s'oriente l'État québécois à l'heure actuelle ?

L'élection du gouvernement libéral de Robert Bourassa marque un changement d'orientation indéniable par rapport aux années antérieures, ou du moins pour le moment encore, une volonté politique de changement. La nouvelle rhétorique politique sur l'État « catalysateur », la constitution de trois comités d'étude sur la réglementation, la privatisation et les programmes sociaux, ou encore le nouveau style de gestion donné à l'administration publique par les ministres issus du milieu des affaires montrent que par-delà les résultats immédiats recherchés sur le plan budgétaire, c'est une conception d'un État plus neutre, plus gestionnaire et plus effacé qui prend forme. Néanmoins souligne Yves Bélanger, un rapide bilan des neufs années d'administration péquiste montre que cette dynamique du changement a été amorcée dès le tournant des années 1980 en même temps que celle-ci s'éloignant progressivement de ses objectifs politiques de 1976.

L'État québécois est à l'heurt, actuelle un État hybride, désormais néo-libéral d'orientation et d'esprit mais toujours, par nécessité, interventionniste et keynésien dans sa pratique conclue l'auteur.

I.E. (Interventions économiques)

Introduction

La société québécoise, pour laquelle, depuis vingt-cinq ans, l'intervention de l’État a été synonyme de croissance et de mieux être collectif, se trouve confrontée au nouveau crédo économique articulé autour du dogme néo-libéral : désengagement de l'État, privatisation, productivité et soutien à l'initiative individuelle. L'incapacité de l'État keynésien à contrer la crise et

les critiques de gauche comme de droite à l'endroit de l'omniprésence de l'État ont préparé le terrain de ce virage idéologique.

Depuis le début des années 1980, cet État québécois est dans une phase de remise en question qui lui attribue de plus en plus les apparences d'un État hybride, toujours keynésien - bien que d'une manière [118] différente - dans sa pratique, mais de plus en plus néo-libéral dans ses aspirations et son orientation. La transition a été amorcée sous l'administration du Parti québécois et il apparaît de plus en plus évident qu'elle va se poursuivre avec une intensité accrue sous le nouveau gouvernement libéral. En effet, la formation politique qui a pris le pouvoir en décembre dernier et qui contrôlera donc l'Assemblée nationale pour les quatre prochaines années, a déjà fait entrevoir ses couleurs. Quelques semaines après la nomination du premier cabinet, le Premier ministre, Robert Bourassa, a confié à trois comités de consultation la responsabilité de revoir les orientations de l'État québécois. Ces comités ont la tâche d'analyser les interventions sociales de l'État, la question de la déréglementation et de scruter à la loupe chaque société d'État en vue d'identifier celles qui sont « privatisables ». L'orientation qui a été donnée à chacun de ces comités indique que, peu importe l'intensité et la rapidité des gestes que le gouvernement posera, son action ne pourra aller que dans le sens du désengagement de l'État.

1976-1985 :
le cheminement du Parti québécois


Il y a dix ans, le Parti québécois prenait le pouvoir avec une plate-forme économique héritée de la Révolution tranquille. Le projet du Parti québécois s'articulait autour de trois axes : la social-démocratie, la revalorisation du rôle de l'État, et la promotion des forces économiques autochtones. En outre le Parti québécois véhiculait un projet constitutionnel consacré à la dissolution du lien politique canadien.

Jusqu'au référendum, le gouvernement a poursuivi une politique qui s'est inscrite dans la tradition de la Révolution tranquille. L'intervention sociale et économique de l'État québécois a à cet égard été structurée autour de diverses réformes telles l'introduction de l'assurance automobile, la réforme des mécanismes régissant la santé sécurité au travail, celle de la loi sur la protection du consommateur, de la Loi 101, ou l'adoption du recours collectif.

L'intervention directe de l'État dans l'économie a été soumise aux mêmes influences. Rappelons notamment que c'est au cours de cette période que les mandats des sociétés d'État provinciales seront révisés avec pour objectif de maximiser l'impact de leurs activités dans différents secteurs de l'économie. Par ailleurs, le cabinet donnera son accord à la relance du projet SOQUIA et complétera l'arsenal des sociétés d'État avec la mise en place de la SNA, de la SODICC et de la SDC.

Les premières années de l'administration Lévesque ont donc été caractérisées par une démarche sociale et économique qui a entraîné un accroissement de l'interventionnisme de l'État. Pendant cette période, l'État québécois est considéré comme le principal pôle de développement et foyer d'orientation de l'économie. Avec la mise en place des sommets économiques, l'État se voit également confier le [119] mandat de « pacifier » les relations sociales. Ce rôle tire son origine non seulement du projet de société d'inspiration sociale-démocrate auquel le Parti québécois s'identifie au moment de la prise du pouvoir, il découle également de l'objectif fondamental du parti de rompre le lien constitutionnel canadien et donc de mettre en place un État aux pouvoirs plus étendus. Dans ce sens l'interventionnisme du Parti québécois pendant cette période, peut être interprété comme une étape vers l'autonomie.

La publication en 1979 de Bâtir le Québec [1] reflète cependant une sensibilité nouvelle du cabinet à l'endroit de l'entreprise privée. En fait, l'énoncé de politique donne au gouvernement québécois l'occasion d'offrir à l'entreprise privée québécoise une nouvelle place dans le développement économique québécois. Grâce notamment à l'apport de différents programmes de soutien à l'entreprise, aux multiples mesures destinées à accroître le financement de ces entreprises et également à favoriser le regroupement de PME, ]'État appuiera d'ailleurs activement le développement de l'entrepreneurship québécois. En outre, après Bâtir le Québec, les sociétés d'État s'orienteront vers des interventions plus discrètes et canaliseront plutôt leurs énergies en direction du soutien au secteur privé. Au cours de cette période, l'État modifiera ainsi les termes du partage du contrôle de l'économie avec le secteur privé. Ce choix aura ultérieurement diverses conséquences sur les modalités et les formes de l'intervention gouvernementale.

La séquence d'événements qui marque le début des années 1980 provoque une remise en question des orientations qui ont guidé la démarche politique gouvernementale provinciale au cours des années 1970. L'effet conjugué de l'échec référendaire, de l'offensive centralisatrice fédérale et la crise économique amène le cabinet à réviser ses orientations et, notamment, à harmoniser sa politique avec celle des autres gouvernements d'Amérique du Nord.

À un premier niveau, la défaite du projet de souveraineté-association interrompt la démarche constitutionnelle entreprise par le Parti québécois en 1968. Après le référendum, il ne sera plus possible pour le cabinet québécois de travailler de façon immédiate à la mise en place de l'« État en devenir ». Par ailleurs, le référendum fournira au gouvernement central l'occasion de lancer la plus importante vague de centralisation depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ottawa tentera notamment de consolider sa position hégémonique en matière d'économie et essaiera de se donner de nouveaux leviers administratifs et de nouveaux programmes (dont le PEN) destinés à enrayer le processus de morcellement du pays. Cette tactique intensifiera les pressions sur l'ensemble des provinces dans le sens de l'ajustement des politiques provinciales à celles d'Ottawa. Or, de l'autre côté de l'Outaouais, cette période est également caractérisée par de nombreuses remises en question des orientations keynésiennes et par un discours de plus en plus destiné à chercher les milieux d'affaires opposés à l'interventionnisme de l'État.

[120]

Enfin, la crise économique marque le début d'une autre phase dans l'évolution du dossier qui influence très profondément la politique du gouvernement Lévesque dès le début de son second mandat. Le gouvernement québécois engage sa stratégie de gestion de crise sur trois fronts soit la réduction des dépenses de l'État, la création d'emploi, et le soutien à l'entrepreneurship privé. L'objectif de réduire le déficit budgétaire l'amènera à s'orienter vers une politique de la décroissance qui aura diverses répercussions sur les services publics et sur les effectifs de la fonction publique provinciale en plus de provoquer un affrontement direct entre l'État et ses employés sur les conditions monétaires.

Avant le référendum, le Parti québécois a tenté de séduire les milieux d'affaires en vue de s'en faire un allié politique, après 1981 son approche sera beaucoup plus dépendante de la situation économique et conférera une influence accrue a ce même milieu. La dynamique qui résultera de cette nouvelle relation avec les hommes d'affaires entraînera le cabinet sur la voie de la révision de l'intervention de l'État dans une direction plus conforme aux aspirations idéologiques des organisations patronales. Une lecture attentive du compte rendu des sommets économiques tenus entre 1981 et 1985 révèle l'intention d'éviter toute confrontation avec le secteur privé et, à l'opposé, l'absence de volonté de donner suite aux revendications des groupes sociaux. Cette analyse est notamment confirmée par l'échec du sommet national de Québec en 1982, par celui du Sommet décision 1985 et par le refus du gouvernement de prendre un quelconque engagement sur la réforme du Code du travail (Commission Beaudry).

Le bilan des neuf années d'administration péquiste révèle donc une dynamique qui l'a menée loin des objectifs de 1976 et qui a donné, en bout de ligne, des résultats caractérisés par l'effacement de l'État au profit de l'entreprise privée. La manière de procéder du gouvernement Lévesque a cependant différé de celle de plusieurs autres gouvernements conservateurs/néo-libéraux. Québec a notamment mis sur pied différents forums consacrés à la concertation [2] et évité, jusqu'à la réforme du livre Blanc sur la fiscalité, de modifier la politique budgétaire de façon trop radicale. Mais ce bilan est surtout caractérisé par l'interruption de la démarche en vue de mettre en place un État souverain-associé. En lieu et place, le cabinet péquiste s'est orienté vers une démarche provincialiste consacrée en priorité à la promotion des intérêts de l'entreprise privée et au désengagement progressif de l'État.

1985 : quelques commentaires sur les orientations
des libéraux ou la nouvelle étape
du désengagement de l'État


L'avenir de l'État québécois est, depuis le 2 décembre dernier, entre les mains du nouveau cabinet libéral dirigé par Robert Bourassa. Avant [121] de nous engager dans l'analyse des intentions de ce nouveau gouvernement il serait utile de nous interroger sur les orientations idéologiques de ses membres. On retrouve au sein de l'équipe ministérielle actuelle au moins deux groupes distincts de politiciens. Le premier est formé d'individus plutôt fidèles aux orientations qui ont présidé au développement de l'État depuis la Révolution tranquille. Peu bruyant lors de la distribution des sièges du Conseil des ministres, ce groupe a hérité de certains postes stratégiques. Ainsi, Thérèse Lavoie-Roux a été nommée ministre de la Santé et Sécurité sociale, Claude Ryan ministre de Lévesque l'Éducation et Gérard D. Lévesque ministre des Finances. Robert Bourassa lui-même doit être associé à cette aile plus traditionnelle du parti.

D'entrée plus récente sur la scène politique, l'autre groupe est représenté principalement par des personnes issues du milieu des affaires. Parmi eux figurent notamment Pierre McDonald, André Vallerand et Paul Gobeil. Ces derniers ont assimilé depuis longtemps déjà les grands principes du néo-libéralisme et affichent ouvertement leurs opinions en faveur du désengagement de l’État, de l'entrepreneurship privé, de la déréglementation de la lutte au déficit de l'État et de la compétitivité. Le Premier ministre leur a confié plusieurs postes-économiques de première importance.

La présence de ces deux groupes et leur sensibilité idéologique différente explique pour une bonne part la confusion programmatique du parti.

Par exemple, le cinquième chapitre du programme du Parti libéral intitulé « la carte d'un nouveau style de gouvernement » s'amorce sur une analyse des deux voies du libéralisme contemporain. La première est identifiée au retrait de l'État au profit du « laisser-faire » social. La deuxième met l'accent sur la continuité et sur les dangers d'un éventuel retour en arrière. Paradoxalement, cette deuxième approche prône une intervention plus éclairée et plus opportune de l'État sans rupture avec le passé. Laquelle de ces deux options devrait être privilégiée par un gouvernement libéral ?

Pour définir un nouveau style de gouvernement, nous ne devons pas aiguiller le Québec dans une direction unique mais jauger ce qui convient le mieux à notre société compte tenu de son histoire, de ses besoins actuels et futurs et de sa situation en Amérique du Nord [3].

Les auteurs du programme précisent toutefois qu'« il serait vain que le Québec devienne le terrain d'expérimentation d'un libéralisme idéologique débridé [4] » mais, ajoutent-ils : « L'État devra aussi continuer à agir sur l'économie, mais dans un esprit nouveau [...] il deviendra le gardien de la compétitivité de nos entreprises » [5]. Le moins que nous puissions reconnaître, c'est que cette position ne pèche pas par excès de transparence. Certains passages du programme sont même carrément contradictoires.

« Le Québec a besoin d'un nouveau gouvernement qui conserve à l'État un rôle de premier plan tout en adoptant une attitude plus humaine » [6].

« Cela veut dire que l'État ne [122] doit plus s'imposer comme le principal agent de changement » [7].

Pour résoudre cette contradiction, le Premier ministre Robert Bourassa fera appel lors de l'ouverture de la session de décembre 1985 [8], au concept d'État « catalysateur » par opposition à celui d'État « maître d’œuvre ». Cette nuance est plus que sémantique. Elle est le reflet des intentions gouvernementales d'améliorer l'environnement « entrepreneurial » et réduire le poids d'un État omniprésent, considéré de plus en plus par les milieux d'affaires comme un obstacle au développement de l'entreprise. D'ailleurs, un des objectifs principaux du Parti libéral du Québec est de « donner pleine dimension à la carte de l'entreprise » [9].

Ce « préjugé favorable » et distinctement affiché des libéraux en faveur de l'entreprise privée permet d'ailleurs de mieux comprendre certains gestes du nouveau gouvernement. Notamment, ce dernier préfère à la formule du développement « par le haut » tel qu'élaborée par exemple dans les deux livraisons de Bâtir le Québec [10] une formule beaucoup plus pragmatique où chaque dossier sera évalué au mérite en fonction des critères de rentabilité et de productivité. Appliquée à l'analyse de la performance économique des sociétés d’État cette conception de l'administration gouvernementale a amené le ministre délégué à la Privatisation, Pierre Fortier, à annoncer la vente éventuelle d'une douzaine de sociétés d'État dont la Raffinerie de sucre du Québec, SOQUEM et Québecair. Certaines privatisations (SOQUEM) ont d'ailleurs été amorcées à la suite du dépôt d'un document d'orientation en février 1986 [11]. Signalons qu'en introduction ce document est présenté comme une des composantes d'un « virage par rapport aux politiques économiques traditionnelles », effectué pour le plus grand bénéfice de la nouvelle classe « managériale » du secteur privé formée au cours des années 1960-1970.

Déjà le mini-budget de décembre 1985 énonçait certaines préoccupations gouvernementales à l'endroit de la déréglementation, de la compétitivité législative québécoise et de l'implication sociale et économique de l'État qui permettent de constater que, de plus en plus, les interventions ou « non-interventions » de l'État seront mesurées à l'aune de l'entreprise privée. Entre autres, ce budget annonçait une baisse de la progressivité de l'impôt dont l'orientation de principe a été adoptée par le précédent gouvernement suite au dépôt du livre Blanc sur la fiscalité.

Les libéraux ont pris depuis longtemps l'engagement d'accélérer la politique de « dégraissage » de l'État également entreprise par le précédent gouvernement. Cela signifie concrètement que la gestion de la décroissance va très certainement entrer dans une nouvelle phase. Signalons d'abord que l'absence de critique au cours de la campagne électorale à l'endroit de la réforme de la fiscalité entreprise sous le règne du Parti québécois et la décision de maintenir la Commission Rochon (avec un mandat élargi) peuvent être interprétés comme les manifestations de prolonger la politique entreprise par le précédent gouvernement dans le sens du [123] dégonflement de l'État par la voie d'une diminution des impôts et de la rationalisation des dépenses au titre des programmes sociaux. Des gestes concrets ont été posés en ce sens dans le budget de 1986-1987 en direction notamment de l'orientation de la fiscalité vers la consommation. Bien que les positions de principes du Parti libéral du Québec ne soient pas très éclairantes sur le sort qu'entend réserver le nouveau gouvernement aux politiques sociales...

« C'est la responsabilité d'un nouveau gouvernement de s'assurer que l'imagination individuelle, la créativité et l'initiative aient libre cours sans négliger d'apporter l'aide à ceux qui en ont besoin. À cette fin, le gouvernement doit non seulement veiller à la distribution de services sociaux efficaces et à la qualité de l'éducation et de la formation professionnelle, mais également à l'amélioration de la qualité de vie en milieu de travail.

En deuxième lieu, le gouvernement doit cesser de prendre la place des citoyens en tant qu'initiateur de développement, plutôt que de révéler les aspirations sociales et de vouloir constamment jouer le rôle de chef, le gouvernement doit encourager le pluralisme et la diversité [12]. »

...les interventions réalisées depuis la prise du pouvoir donne une indication plus précise de ses choix. Rappelons à cet égard l'abandon de la gratuité des soins dentaires pour les enfants et son attitude hautement controversée dans le dossier de l'Aide sociale ou la chasse aux sorcières a connu un regain sans précédents depuis quelques mois. Encore ici, les libéraux prolongent en actions concrètes les orientations adoptées par l'ancien gouvernement. Les deux classes d'assistés sociaux (aptes au travail et inaptes au travail) vont désormais être soumis à des régimes distincts et à des contrôles serrés.

Dans l'ensemble toutefois, le dossier social a été à peine effleuré. Les stratèges du Parti libéral du Québec ont préféré orienter le discours du parti en direction de l'éducation, de la formation, de la création d'emploi, des relations du travail et de l'environnement. Ce silence est-il imputable à la prudence politique ? peut-être. De façon plus probable, il reflète l'existence d'un certain malaise sur ce sujet au sein du parti et très probablement également au sein du cabinet. Certains membres du parti et du gouvernement n'ont pas envie de risquer leur avenir politique sur ce dossier et prêchent la retenue à ceux qui n'hésitent pas par exemple à réclamer l'abolition pure et simple du principe de l'universalité des programmes sociaux. Rien n'indique pour l'instant d'avantages clairs pour l'un ou l'autre groupe mais certains concepts clefs du programme comme « initiative individuelle », « créativité individuelle », « aide aux personnes dans le besoin » ou « pluralisme social » tracent une voie dans le brouillard et la confusion des mots. Ces concepts indiquent notamment le sens des préoccupations du Parti libéral en faveur d'un retour à l'individualité contre la collectivité incarnée par l'État. Ils indiquent également l'intention de favoriser la mise en place

[124]

L'État revu par les entrepreneurs québécois

En juillet dernier, les trois comités constitués par le gouvernement libéral en vue d'étudier les dossiers de la privatisation, de la déréglementation ainsi que celui de la révision des fonctions et des organisations gouvernementales ont déposé leurs rapports. Ces comités composés d'hommes d'affaires/anciens fonctionnaires et de politiciens / anciens hommes d'affaires, bref d'individus issus du milieu des affaires, ont profité de l'occasion qui leur était fournie pour mettre en application leur nouvelle religion néo-libérale. Le résultat est percutant. Le rapport du comité sur la privatisation qui tient en 113 pages recommande principalement la vente à l'entreprise privée de 10 sociétés d’État et la révision en profondeur du mandat de celles qui survivraient, de façon à réduire leurs interventions sur le marché et surtout leur influence sur le secteur privé. Le comité sur la déréglementation dont le texte est plus étoffé préconise pour sa part l'abandon ou l'allègement de la réglementation dans une multitude de domaines (dont la construction) et réclame l'abolition du régime de l'extension juridique des décrets de convention collective. Enfin, le rapport du comité sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales, en plus d'être parvenu à réaliser une sérieuse économie de frais d'impression en réduisant son analyse à sa plus simple expression (total de 47 pages dont moins de 20 pages de problématique et d'analyse), suggère d'abolir quelque 70 organismes, de privatiser Radio-Québec, d'introduire le ticket modérateur dans les services de santé et de revoir en profondeur le mode de financement des écoles primaires et secondaires tout en haussant les frais de scolarité !

L'analyse très succincte et superficielle à la base de ces recommandations reprend dans ses grandes lignes les préjugés que véhicule le patronat sur la quantité et la qualité des interventions de l'État. Monstre conçu à une époque maintenant révolue (comprendre la Révolution tranquille), l'État y est décrit principalement comme un obstacle à la liberté, au marché et à la relance économique. Dans le cas présent, les auteurs ont vraisemblablement senti le besoin de faire du « rattrapage idéologique » et de présenter des propositions encore plus radicales que celles qui ont été mises en application par les gouvernements conservateurs aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Le résultat de l'exercice propose un virage radical à l'ensemble de la société québécoise.

Malgré leur dépôt en plein cœur de la période estivale où la vigilance est généralement en vacance, les rapports ont suscité de vives réactions dans les milieux syndicaux, dans les milieux sociaux et, bien entendu, dans les organismes touchés par le « grand ménage ». Ces rapports auront fourni l'occasion de [125] révéler la présence d'une droite active qui s'était faite bien discrète lors des élections de 1985 tout en maintenant l'illusion de la modération et du centrisme. On reconnaîtra ici la manifestation d'une stratégie caractéristique de Robert Bourassa. Le cabinet misera vraisemblablement sur cette conjoncture pour réaliser les réformes qui lui tiennent à cœur en réduisant les risques d'en payer plus tard le prix politique.

Les intérêts de la bourgeoisie québécoise

Plusieurs observateurs de la scène politique québécoise se sont, à raison, interrogés sur la composition des comités et les mandats qui leur ont été confiés. En effet, probablement par réaction aux expériences de concertation menées par le précédent gouvernement, les libéraux n'ont invité aucun représentant des milieux sociaux ou syndicaux à cet effort de réflexion. Ce privilège a été réservé à un groupe d'individus du milieu des affaires qui ont été appelés au cours de leur carrière à évoluer dans le secteur public. Plus encore, bon nombre de ces anciens hauts fonctionnaires ont été, au cours des années 60, directement impliqués dans les débats qui ont mené à la mise en place d'un État interventionniste provincial. Par un curieux retour des choses, ces mêmes individus signent aujourd'hui une analyse qui réclame l'abolition de l'interventionnisme.

L'imbrication très étroite de ce groupe de gestionnaire à la bourgeoisie québécoise est un des facteurs qui permet de comprendre ce changement d'orientation. Entre 1960 et 1970 le milieu entrepreneurial québécois était aux prises avec des problèmes d'organisation interne et de renouvellement de ses assises économiques. Après diverses tentatives qui n'ont débouché que sur des résultats limités, le secteur privé a dû faire appel à l'État québécois pour interrompre l'érosion continue de son influence économique. Au cours des années 70 différents appareils d'État ont ainsi participé très activement à l'érection des premières grandes entreprises sous contrôle autochtone, et les nouveaux monopoles ainsi créés ont recruté tout naturellement plusieurs de leurs administrateurs dans la fonction publique québécoise. Depuis 1978 la concentration a fait son œuvre et ces monopoles ont consolidé leurs positions. Pour la grande bourgeoisie québécoise, l'intervention de l'État apparaît aujourd'hui moins nécessaire que dans le passé. Plusieurs organismes d'État sont même accusés de faire obstruction au marché ou de se livrer à une concurrence d'autant plus déloyale qu'elle ne correspond plus aux besoins de la communauté d'affaires. La bourgeoisie est en outre confrontée, depuis quelques années, aux limites du milieu entrepreneurial privé et elle éprouve de plus en plus de difficulté à alimenter sa croissance (prise de contrôle, etc.). Les bonnes occasions d'achat sont rares. La privatisation des sociétés d'État offre peut-être à cet égard des perspectives riches en promesses.


[126]

de mécanismes de prise en charge par le milieu des personnes dans le besoin.

Signalons enfin que le crédo libéral du « laisser faire » risque également de faire des petits dans le domaine des relations de travail. Son attitude attentiste dans le conflit de l'industrie de la construction avant de se résigner à une intervention législative, son manque d'enthousiasme face aux recommandations du rapport Beaudry [13] - qui l'invitait à intensifier et à dynamiser l'encadrement des parties tout en facilitant l'accès à la syndicalisation - et ses hésitations à hausser le salaire minimum (le gouvernement québécois attend depuis six mois que l'Ontario pose le premier geste) trahissent sa sympathie à l'endroit des préoccupations patronales incarnées dans les prises de position du Conseil du patronat du Québec (CPQ) et, conséquemment, sa volonté de laisser libre cours aux « rapports de forces » dans le cadre des lois du marché. Pourtant le même genre de politique appliqué entre 1970 et 1976 a donné lieu à une performance désastreuse en matière de relations du travail.

Conclusion

Ces orientations générales indiquent la voie d'avenir de l'État. Il appert en fait que le nouveau gouvernement préconise un retour à l'« État neutre » et donc l'effacement de l'« État interventionniste ». Cela indique que, dans l'avenir, l'État sera moins visible et plus discret au niveau de l'intervention économique tout en se doublant d'une attitude plus restrictive dans les dossiers sociaux. Mais ce rôle sera également caractérisé par le maintien d'un certain encadrement et soutien au développement auquel l'État keynésien nous a habitué. Il est difficile de prédire l'avenir de ce mariage aux orientations contradictoires mais il y a fort à parier que la coexistence d'orientations idéologiques aussi opposées ne se fera pas sans frictions, voire sans affrontements.



[1] Gouvernement du Québec, Développement économique, Bâtir le Québec, énoncé de politique économique, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979.

[2] Secrétariat permanent des conférences socio-économiques du Québec, Le bilan des conférences socio-économiques, Québec, Les publications du Québec, 1985.

[3] Parti libéral du Québec, Maîtriser l'avenir, programme politique, 1985, p. 89.

[4] Idem.

[5] Idem.

[6] Idem, p. 9.

[7] Idem, p. 10.

[8] Robert Bourassa, Discours prononcé en chambre le 17 décembre 1985.

[9] Parti libéral du Québec, Op. cit., p. 35.

[10] Gouvernement du Québec, Op. cit. et Gouvernement du Québec, Le virage technologique. Bâtir le Québec, phase 2, Programme d'action économique 1982-1986, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1982.

[11] Gouvernement du Québec, Ministère des Finances, Privatisation de sociétés d'État, orientations et perspectives, Québec, février 1986.

[12] Parti libéral du Québec, Op. cit., p. 13.

[13] Commission consultative sur le travail et la révision du Code du travail, Le travail une responsabilité collective, Québec, Les publications du Québec, 1985.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 6 février 2020 6:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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