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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Georges Balandier, HISTOIRE D'AUTRES (1977)
Ailleurs


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Georges Balandier, HISTOIRE D'AUTRES. Paris: Les Éditions Stock, 1977, 320 pp. Collection: Les grands auteurs. [Autorisation formelle de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l'auteur le 28 janvier 2008.]

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Un ethnologue est mobile par fonction ; je le fus, je le reste, pour cette raison et surtout par choix. Ma présentation de moi-même est une auto-bio-géo-graphie. Elle m'impose les questions auxquelles mes premiers livres tentaient déjà de répondre. Pourquoi court-on le monde ? Pour échapper à soi-même, ou pour fuir quelque chose, quelque lieu, quelqu'un. Ou, à l'inverse, pour trouver, en conduisant le plus loin possible un grand nombre d'expériences. C'est davantage la conscience encore obscure que le monde est partout présent, qu'il est désormais installé dans l'espace de la vie quotidienne ; il l'affecte, la menace, l'envahit. Plutôt que de subir sa présence insidieuse, il faut prendre le risque de sa découverte. C'est une course sans fin, trop de parcours doivent être accomplis. La quête risque de se transformer en un savoir de surface, en une rhapsodie d'impressions. La tentation arrive alors de s'établir ailleurs, dans un univers inconnu qui à son tour se fait familier et engendre un nouvel enfermement. 

On ne débusque jamais ce qui se cache derrière cette recherche inquiète. Une obscure volonté, qui pousse à tout embrasser, à tout prendre et posséder.

Une passion qui choisit de vivre l'encyclopédie universelle au lieu de la lire. Un besoin insatisfait d'entreprises toujours changeantes : cette impulsion qui incitait Saint-Simon, le sociologue, à se mettre en autant de situations nouvelles, vécues ou imaginées, qu'il lui était possible de le faire. Une découverte aussi, celle qu'il n'y a de connaissance que par la différence : l'Autre n'est pas seulement reconnu en lui-même, il est aussi constitué en révélateur de soi. Une manière de donner formes, signes et visages, à l'imaginaire ; les paysages du voyage se transposent alors en scènes intérieures. C'est, enfin, l'essai d'effacer le temps par la mobilité dans l'espace, car chaque lieu à découvrir provoque une nouvelle naissance. 

L'homme qui vient d'ailleurs, du chaud, du froid, a été transformé selon la perception de ceux qui restent les sédentaires de sa société d'origine. Il est nomade et initié : il a parcouru des pays et des territoires culturels étranges. Il a quelque chose de plus. Pour le sociologue Georges Gurvitch, à l'époque de nos premières rencontres, j'étais le voyageur, l'Africain. Celui qui avait affronté des épreuves, pris des risques, fréquenté des « sauvageries ». Celui qui avait connu l'école des Autres autant que les bibliothèques où reposent les auteurs. Depuis que le dépaysement se vend à l'étalage des agences de voyages, son effet social s'affaiblit. Il tient maintenant à la quantité - au compte des pays où l'on a circulé ou résidé. Les derniers lambeaux de prestige s'attachent à une compréhension plus profonde des hommes estimés exotiques. La connaissance du monde s'acquiert à un prix plus élevé. 

Le bilan d'une existence nomade ne s'établit pas comme un itinéraire, en rapportant sa chronologie, en décrivant ses points d'intérêt. Il ne se fait pas, non plus, à la façon d'un montage ou d'un collage des papiers de route ayant enregistré la réflexion au long des étapes. Il résulte des dépôts d'expériences conservés en mémoire, en esprit et en corps. Il est a trouver en soi, comme le produit d'un continuel travail sur soi, le résultat de cette construction de sa propre « personne »que chaque parcours provoque. Les lieux de notre vie ont moins de réalité en eux-mêmes qu'ils n'en ont parce qu'ils sont devenus une part de notre propre substance ; espaces du dehors, nous les appropriant imaginairement, nous les transformons en nos espaces du dedans. 

Je voudrais les représenter par des tracés de cercles, en procédant du proche au lointain ; c'est ainsi que j'essaie de traduire ma topographie intérieure. Les plus étroits reportent à l'existence singulière, à l'enfance, au temps d'un amour, aux moments intimes d'une vie restituée aux sites de sa culture native ou élue. Ceux qui se définissent par l'appartenance à une civilisation, à une famille culturelle, à une tradition reçue, leur sont immédiatement circonscrits. Au-delà, à plus longue distance, se placent ceux de la véritable découverte, des ailleurs où doit s'accomplir un partiel ou complet réapprentissage. Les premiers relèvent d'une géométrie particulière, de cette poétique du quotidien dont Bachelard m'a enseigné les règles. Ils ont leur existence en eux-mêmes, à part. C'est sous cette forme que je les considérerai, lorsque je tenterai de dessiner ma propre figure, lorsque j'évoquerai les endroits de mon repos et de mon répit. Ils enferment une magie, qui est mon recours lorsque je dois échapper aux agitations et aux assauts qui brisent mon effort et m'empêchent de repartir à la découverte du sens de ce temps.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 11 mars 2008 13:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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