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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Monique Audet, “L'économie politique des dépenses militaires au Canada 1937-1982.” in revue Interventions économiques, no 10, printemps 1983, pp. 117-132. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, printemps 1983, 224 pp. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[117]

Interventions économiques
pour une alternative sociale
No 10

L’ÉCONOMIE POLITIQUE
DES DÉPENSES MILITAIRES
AU CANADA, 1937-1982
.”

Monique AUDET

En juin 1982, les autorités gouvernementales du Canada prévoyaient que la somme des dépenses militaires de ce pays pour l’année en cours atteindraient 6,724 milliards de dollars, pour contribuer dans une proportion de 9,2% au budget fédéral total. De ce chiffre, 185 millions de dollars étaient versés comme contribution à l’OTAN, comparativement à 30 millions en 1977-78 : une augmentation de 516,6% conformément aux engagements pris par le gouvernement canadien envers l’OTAN, en 1979.

La même année, le Canada promettait à l’OTAN d’assurer un taux de croissance réel du budget de la défense de 3%. Ce fut chose faite, tel qu’en témoigne le tableau suivant :

La part du budget militaire consacrée aux immobilisations se devait, elle, d’augmenter de 12% annuellement en termes réels, à partir du chiffre de base de 470 millions de dollars (1976-1977).

Tous ces chiffres, pris annuellement, ne donnent cependant pas l’ampleur de l’ensemble des activités militaires du pays. Ces chiffres détaillés ne sont pas disponibles.

Tableau 1

Dépenses militaires au Canada 1975-1982 *
(En millions de dollars courants, en millions de dollars constants
et en taux de variation d’une année sur l’autre)


* Les données pour l'année 1982 le sont à partir des données désaisonnalisées pour les deux premiers trimestres de l’année.

Source : Comptes nationaux des revenus et des dépenses, Statistiques-Canada, 2e trimestre 1982, Catalogue 13-001.


(voir encadré) Mais qu’il suffise de prendre pour une année, le coût d’ensemble des projets à réaliser sur quelques années et nous aurons déjà une meilleure vue du « bouillonnement » de l’activité militaire au pays.

[118]

Le problème des données

Jusqu’au début des années 60, les publications officielles du gouvernement fournissaient des statistiques relativement détaillées sur les dépenses militaires au Canada, selon leur répartition au sein du ministère de la Défense nationale mais aussi selon les programmes d’achats et de production militaire : montant des contrats, adjudication, équipement produit, etc.

C’est au moment de la signature, avec les États-Unis, des « Defence Production Sharing Agreements », c’est-à-dire à partir de l’intégration plus ou moins formelle du militarisme canadien à celui des États-Unis et de l’unification des forces armées canadiennes en un seul « corps » (jonction des armées de terre, de mer et de l’air) que les statistiques deviennent de plus en plus agrégées, voilant la situation réelle du militarisme canadien. L’état des choses s’est par la suite empiré, du fait de la distinction rendue toujours plus difficile entre production militaire et production civile (les avions Challenger, par ex., sont des avions civils pouvant avoir une utilisation militaire) et du fait que plusieurs ministères semblent avoir des activités militaires, dont on dit officiellement qu’elles ne sont pas coordonnées.

En bref, comme l’écrivait le journaliste L. Chartrand dans le numéro de Québec-Science de mai 1979 au sujet de la recherche sur le militarisme au Canada ; « ... c’est presque le néant. À mesure qu’on avance dans le temps, les sources de renseignements se tarissent, subtilement mais sûrement. »



Alors qu’en 1979, les dépenses militaires totalisaient 4,245 milliards de dollars, le programme des Services de défense, lui, se chiffrait à 7,704 milliards. Cette somme devait être échelonnée sur quelques années ; c’est donc dire qu’en 1979, le gouvernement canadien s’était engagé auprès de divers contractants pour la somme en dollars courants de 7,704 milliards au moins.

Sur cette somme de 7,704 milliards, 335,7 millions étaient prévus pour améliorer l’infrastructure (logements, manèges, gymnases, hôpitaux, agrandissement des installations...) et 7,348 milliards pour des fins d’équipement. Dans ces dépenses, il faut inclure par exemple la décision du gouvernement canadien d’acquérir six nouvelles frégates, dont le coût estimé à 1,5 milliard en 1979 dépassait déjà 2,6 milliards en 1981, l’acquisition de 128 chars de type Léopard ; les 336 $ millions versés à General Motors of Canada pour la construction des véhicules Cougar, Grizzly et Husky ; le milliard promis à Lockheed Aircraft Corp. pour l’obtention de 18 avions patrouilleurs CP-140 « Aurora » et finalement, le contrat « du siècle », l’achat de 138 avions de chasse F-18, dont les deux premiers spécimen viennent d’être livrés au gouvernement Trudeau. On en connaît déjà quelques « retombées » économiques : 2,7 milliards au Canada, dont 1,5 milliard en Ontario et 972 millions au Québec.

Les dépenses militaires ont des retombées économiques certaines. En fait, comme le disait le 5 octobre 1978 Barney Danson, ministre de la Défense nationale du Canada :

En achetant notre sécurité, l’argent consacré à la défense achète beaucoup plus. Il permet d’augmenter [119] les revenus de l’État et la demande du consommateur, de diminuer les coûts de l’assurance-chômage et la disparité régionale. Il contribue à payer les frais d'instruction, le coût des travaux publics et des services d’urgence ; d’améliorer notre niveau de sécurité, de santé, de confort et de bien-être personnel. Il permet de créer des emplois, de favoriser la recherche, d’augmenter la production ; de stimuler la concurrence dans l’industrie secondaire et de l'aider à attirer et à retenir les employés spécialisés. [...]

La sécurité nationale et la prospérité économique sont indissociables [1].

Cette déclaration ministérielle en dit long sur le fait que les dépenses militaires au Canada jouent un rôle d’entraînement économique de premier plan, voire même que la prospérité économique est « indissociablement » liée à leur existence.

Mais tirée à partir de telle déclaration, cette conclusion est évidemment trop rapide ; elle mérite qu’on s’y arrête et que l’on s’interroge sur la portée véritable des dépenses militaires dans l’économie. Pour ce faire, une analyse générale de l’évolution historique des dépenses militaires et de la place qu’elles ont occupée dans l’économie s’impose.

Les dépenses militaires, c’est quoi au juste ?

Les dépenses militaires, communément appelées dépenses pour la défense ou la sécurité nationale, peuvent être définies comme étant la somme des valeurs de biens et services consommés, produits et renouvelés à l’intérieur du secteur militaire par les pouvoirs publics, c’est-à-dire en ce qui concerne le Canada, par le gouvernement fédéral. Cette somme des valeurs de biens et services comprend :

1) les coûts d’opération, c’est-à-dire les coûts administratifs reliés à l’embauche de personnel (civil, militaire ou autre) ainsi qu’aux opérations et à l’entretien du matériel courant (équipement de bureau, chauffage, électricité, soins médicaux, intendance, entretien et réparation de l’équipement, dépenses de voyage, frais postaux et d’imprimerie, etc.) ;

2) les coûts d’approvisionnement et de construction, c’est-à-dire les coûts reliés à l’approvisionnement de systèmes de défense (produits au Canada ou à l’étranger, consommés immédiatement ou stockés : avions, navires, chars de combat, missiles, artillerie, munitions, radars, etc.) ainsi qu’à la construction de facilités requises par la défense (bases aériennes et navales, structures de communications, entrepôts, casernes, édifices administratifs, etc.) ;

3) les coûts de la recherche-développement, c’est-à-dire les coûts de la recherche de base et appliquée ainsi que les coûts du développement : essais, simulations, évaluations.


L’histoire de cette évolution exige toutefois un certain découpage périodique : on ne saurait en effet procéder de la même façon pour ce qui est des périodes d’économie de guerre au sens strict et des périodes dites d’économie de paix. Les dépenses militaires canadiennes n’ayant eu que très peu d’envergure avant la Seconde Guerre mondiale, il convient donc de définir les périodes suivantes :

[120]

1937-39 :

les années d’avant-guerre ;

1939-45 :

l’économie de guerre ;

1945-49 :

les années de reconstruction ;

1949-55 :

période de relance de l’économie d’armements, guerre de Corée et début de la guerre « froide » ;

1955-65 :

années de « démobilisation » des dépenses militaires et d’intégration au militarisme US ;

1965-82 :

la fin du « boom » d’après-guerre, guerre de l’Asie du Sud-est et « reprise » des dépenses militaires.



Les années de préparatifs de guerre

Les années 1937-39 nous indiquent globalement que les milieux gouvernementaux et industriels du Canada se sont attachés principalement à prendre les moyens pour assurer une transition sans heurts entre l’économie de paix et l’économie de guerre qui caractérisera les années de la Seconde Guerre mondiale. L’industrie d’armements, fortement négligée depuis la Première Guerre et pratiquement inexistante durant la « grande dépression » a été activée à partir de 1937 sous l’influence, notamment, du développement de grandes industries de guerre en Allemagne et au Japon, mais principalement pour répondre à la demande de la Couronne britannique. En 1938, les dépenses militaires représentent le quart des dépenses gouvernementales.

Outre l’organisation d’un cadre directif approprié (réorganisation du ministère de la Défense nationale), une série de moyens financiers sont votés le jour même dû déclenchement de la Guerre (3 sept. 1939) permettant de financer immédiatement l’effort de guerre. Le gouvernement du Dominion impose une surtaxe de 20% pour les contribuables et relève les impôts des corporations dans une proportion variant de 15% à 20%.

Sur le plan de la « sécurité intérieure », le droit de grève est retiré dans toute industrie déclarée essentielle à la guerre ; la censure est instituée et les éléments « subversifs » de la population, arrêtés et emprisonnés.

Le Canada est donc prêt à s’immiscer « de bon pied » dans ce conflit qui aura pour conséquence la tuerie de plus de 50 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, la dévastation de régions entières, de villes industrielles, de terres arables, de moyens de transport et de communications..., par-delà l’engloutissement de plus de 1 000 milliards de dollars en forces destructives.

Le « choc de la guerre » :
une « véritable révolution industrielle »


Les années 1939-45 verront, pour leur part, la transformation totale de l’économie civile en économie de guerre : l’ensemble des activités humaines, productives et sociales sont orientées vers l’effort de guerre du Canada. Au plus fort de leur augmentation, les dépenses militaires atteignent 3,252 milliards de dollars, en termes constants de 1935, pour représenter en 1944 36,3% du Produit national brut et 96,5% des dépenses gouvernementales en biens et services ; la même année, les effectifs militaires comptent 879 017 hommes et femmes, [121] soit 20% de la population active civile. Le taux de chômage diminue considérablement, pour passer de 11,4% en 1939 à 1,7% en 1943.

L’augmentation colossale des dépenses d’armements se répercute dans tous les domaines de l’activité économique. Ses effets seront tels que le 14 juin 1951, soit 7 ans après la fin de la Seconde Guerre, le ministre de la Défense, C.D. Howe, a pu déclarer à la Chambre des communes : « La moitié des industries actuelles de la Colombie britannique doivent leur existence aux contrats de guerre adjugés de 1940 à 1945 [2] ». L’ensemble des secteurs industriels connaissent des développements sans précédent : l’agriculture cesse de s’intéresser à la culture proprement dite et voit se développer l’élevage à grande échelle ; à la fin de la Guerre, le Canada est le premier producteur au monde de nickel, d’amiante, de platine et de radium et il est le deuxième pour ce qui est de l’or, de l’aluminium, du mercure et du molybdène alors qu’il occupe le troisième rang en ce qui a trait à la production de cuivre, de zinc, de plomb et d’argent.

Du fait du « choc de la guerre », « le secteur secondaire a connu une véritable révolution » diront les analystes officiels de l’époque [3]. De nouvelles industries et de nouvelles installations voient le jour : les secteurs de l’équipement, de l’électronique, des produits chimiques, de l’aluminium et de l’acier particulièrement connaissent un essor considérable, entraînant une mécanisation et une motorisation croissantes.

Dès 1943, le Canada occupe le quatrième rang parmi les « Alliés » pour ce qui est de la production militaire et le troisième et quatrième rangs respectivement parmi les puissances navales et aériennes. Sur le plan commercial, il est le deuxième pays exportateur du monde... Près de 80% des exportations canadiennes sont alors constituées de matières directement utilisées dans la poursuite de la guerre totale. En moyenne, les exportations de denrées alimentaires augmentaient de 610% pendant les années de guerre, par rapport à l’année 1939 ; celles des produits du bois de 83% ; celles des métaux et minerais, de 165% et celle des produits reliés à la défense, ... de 8 038% !

Il est important de noter que ce formidable déploiement industriel, dû à l’effort de guerre et principalement à l’affectation totale des dépenses publiques à la « défense », aura été réalisé d’abord au profit de l’entreprise privée. Bien que le gouvernement ait été amené à prendre des mesures de contrôle sur la production militaire, ou en d’autres mots à planifier cette production, il n’en reste pas moins qu’il a fait de l’aide et de l’incitation à l’entreprise privée une politique privilégiée : fournitures de machines-outils et d’équipement ou d’édifices, dépréciation accélérée, exemptions fiscales, subventions, prêts, etc. Pour ne prendre qu’un exemple, l’aide à l’entreprise privée totalise 510 millions de dollars courants en mai 1941 et les contrats adjugés par le ministère des Munitions et Approvisionnements se chiffrent à 2,6 milliards de dollars. Un an plus tard, l’« aide » passe à 640 millions et les contrats atteignent 4,5 milliards (44% du PNB).

Par contre, c’est dans son ensemble la population qui a été amenée à [122] « souscrire » à l’effort de guerre : plus de la moitié des recettes gouvernementales de 1939 à 1945 a été fournie par les « particuliers » (impôt sur le revenu et taxes de ventes) alors que les corporations n’y ont contribué que pour le quart. En outre, le gouvernement a emprunté du public (deux Emprunts de Guerre et neuf Emprunts de la Victoire) la somme de 12 254 milliards de dollars, représentant 23 177 000 souscriptions.

L’après-guerre

Les années 1945-49, années immédiates d’après-guerre, allaient-elles voir cette situation « privilégiée » disparaître ? Dès juin 1944, le gouvernement procède à la création du ministère de la Reconstruction, chargé de faire en sorte de permettre une transition sans heurts entre, cette fois-ci, une économie véritable de guerre et le retour à l’économie civile. En avril 1945, le gouvernement produit un Livre blanc sur les revenus et l’emploi préconisant une série de mesures propres à assurer cette transition sereine : politique de travaux publics, construction de routes et de logements, aménagement du territoire, mise en valeur des ressources naturelles, etc. Mais la toute première tâche est de faciliter et d’encourager l’expansion de l’industrie privée [4].

Les mesures de reconstruction sont une réussite économique telle que non seulement la période dite de reconstruction a été plus courte que prévue, mais encore le produit national brut dépasse en 1948 le sommet qu’il avait atteint en termes réels durant la guerre, en 1944, alors qu’il avait baissé en 1945-46. Les causes de cette croissance peuvent se résumer à ceci : augmentation des mises de fond tant publiques que privées dans les biens-capitaux, fort accroissement des dépenses personnelles de consommation, possibilité de transformer les usines de guerre existantes en usines « civiles » sans modification importante de l’outillerie et de l’équipement. Ainsi, comme l’ont souligné divers analystes gouvernementaux, l’élan économique donné par l’effort de guerre du Canada a continué de produire ses effets sur les activités économiques d’après-guerre, notamment sur le plan du commerce extérieur, le Canada n’ayant pas seulement pour tâche de « reconstruire » sa propre économie mais aussi celle, fort avantageuse, de reconstruire les pays dévastés par la guerre. Mais il faut ajouter que si le gouvernement a réussi à assurer une « bonne performance » économique et à maintenir un taux de chômage relativement faible (en moyenne 2,5%), il n’a pas réussi à juguler l’inflation : de 0,6% qu’il était en 1946, le taux d’inflation atteint 9,4% en 1947 et 14,4% en 1948. Sur le plan des dépenses militaires, et comme il fallait s’y attendre, celles-ci diminuent considérablement une fois la guerre terminée. La question importante à résoudre est plutôt de savoir si le gouvernement canadien était décidé à retourner sur le plan de la défense à la situation d’avant-guerre ou s’il entendait maintenir des dépenses militaires supérieures à celles d’avant-guerre.

L’examen de la politique de défense du gouvernement pour les années 1945-49 peut fournir une réponse à cette interrogation. Un [123] comité du gouvernement canadien, le Comité consultatif sur les problèmes d’après-guerre produisit en janvier 1945 un rapport [5] dans lequel il affirme que face à la nécessité de protéger efficacement l’Amérique du Nord, le Canada ne réduira pas sa défense au niveau d’avant-guerre et que cette dernière sera étroitement coordonnée avec la défense des États-Unis. Par ailleurs, le gouvernement fédéral procéda à la création de la « Canadian Arsenal Limited » dont la tâche particulière sera de tenir les forces armées du Canada pourvues des armes les plus modernes et en conséquence, de maintenir des usines de guerre au Canada — publiques et privées — et de les tenir au courant des derniers développements dans la fabrication des systèmes de défense. En tant qu’entreprise publique, la « Canadian Commercial Corporation », créée en 1946, se voyait quant à elle conférer les pouvoirs d’acheter et de fabriquer des munitions et autres matériels de guerre.

Ainsi donc, et malgré le fait que le gouvernement ne publie pas de chiffres sur l’activité industrielle militaire proprement dite, il est certain que le Canada entendait maintenir ses dépenses militaires à un niveau supérieur à celui d’avant- guerre et assurer dans une certaine mesure le maintien et le fonctionnement d’une industrie d’armements rentable au Canada. En 1936-37 les dépenses militaires s’élevaient, en termes réels, à 27,5 millions de dollars et en 1947, elles sont de 149 millions (442% d’accroissement) ; en 1936-37, elles représentaient 0,58% du PNB et 6,6% du budget fédéral : en 1947, ces taux sont respectivement de 1,7% et de 10,7%.

Tableau 2

Dépenses militaires au Canada, 1937-1978
en % du P.N.B. et des dépenses gouvernementales en biens et services



La guerre de Corée :
nouvel essor pour l’industrie d’armements


Les années 1949-55 verront une remontée de la production d’armements. Cette production militaire, toutefois, ne pourra plus être considérée en elle-même, sans prendre en compte les liens internationaux qui unissent désormais intimement le Canada à ses « alliés » : aux Accords de Hyde Park signés entre le Canada et les États-Unis pendant la guerre, il faut ajouter les « Defence Production Sharing Agreements » conclus avec les États-Unis, le « North Atlantic Air Defence Agreement » (NORAD) et la création [124] de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Les dépenses militaires du Canada connaissent une hausse vertigineuse à partir de 1951, en raison de la guerre de Corée. Pour la seule année de 1951, elles atteignent la somme de 571 millions de dollars en termes réels, i.e. une augmentation de plus de 300% par rapport à leur plus faible niveau d’après-guerre (138 millions en 1948). Pour la première fois en « temps de paix », les dépenses militaires constituent près des trois quarts des dépenses gouvernementales en biens et services. Et encore une fois, cette augmentation des dépenses publiques consacrées à la défense a un effet appréciable sur l’économie tout entière. « Il faut souligner, expliquait le Rapport de la Commission royale sur les perspectives économiques du Canada, combien la croissance économique... était maintenant fonction des dépenses intéressant la défense [6]. » Comme l’ont écrit d’autres responsables à l’information gouvernementale, « ... la poussée exercée par l’ensemble du programme de préparatifs (programme de production de défense, M.A.) a eu une influence générale sur l’économie ». « Si l’on envisage les répercussions du programme de défense sur l’économie entière, il est évident que ses exigences ont absorbé une bonne partie de l’augmentation de la production au cours des deux années consécutives (1951-1952) [7]. »

Compte tenu de la spécialisation grandissante du Canada en matière de production militaire — en vertu, notamment de la « Déclaration de principes concernant la coopération économique » conclue entre les États-Unis et le Canada dans ce domaine en 1950 et en vertu des tâches spécifiques dévolues au Canada au sein de l’OTAN — l’augmentation des dépenses militaires canadiennes se répercute dans des secteurs précis : au premier plan, celui de l’avionnerie, où plusieurs nouvelles usines sont installées en vue de produire des biens auparavant importés (moteurs et pièces diverses), et ceux de l’électronique, de la construction navale et de véhicules, de la fabrication d’armes et de munitions (picrite, explosif RDX-TNT, poudre à fusil et nitroglycérine...). Mais le trait le plus important est sans doute les développements survenus dans la mise en valeur des ressources stratégiques : minerai de fer, aluminium brut, cuivre, plomb, nickel, zinc, cobalt, gaz naturel... C’est à cette époque que sont décrétées matières « essentielles » la pâte de bois et le papier-journal, certains métaux non-ferreux et minéraux non-métalliques, en plus de certaines formes de fer et d’acier.

En 1962, le Canada occupe le premier rang mondial des pays producteurs de nickel, le deuxième pour la production d’aluminium brut, de zinc, de cobalt et de gaz naturel et le quatrième pour celle du minerai de fer, du cuivre et du plomb. Exportant plus des trois quarts de sa production de denrées essentielles et parfois même la totalité comme c’est le cas pour le nickel, cette nouvelle poussée de mise en valeur des ressources naturelles n’a pu qu’avoir un effet expansionniste sur le commerce extérieur du Canada, au détriment, bien souvent, d’activités considérées jusque-là comme nécessaires. Par exemple, l’utilisation des [125] laminés d’acier a été interdite dans la construction d’infrastructures civiles, tels les établissements de biens de consommation en gros, les magasins de détail, les immeubles bancaires, d’hôtellerie, de bureaux, les facilités de récréation et d’amusement...

Et, comme ce fut le cas durant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement canadien encourage l’entreprise privée à prendre en charge toute nouvelle production : exemptions fiscales, prêts privilégiés pour acquérir machinerie et outillage ou encore pour construire de nouvelles usines. En 1951-52, les contrats militaires de plus de 25,000 $ accordés aux entreprises totalisent à eux seuls 1,027 milliards.

De 1952 à 1954, le Canada occupe le sixième rang mondial pour ce qui est du volume de ses dépenses militaires, ces dernières contribuant pour 2% aux dépenses militaires mondiales ; à eux seuls, les États-Unis et l’URSS y participent pour 72%. Les mêmes années, le Canada occupe le quatrième rang parmi les pays-membres de l’OTAN, avec une contribution de 3,1% ; il est précédé des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. La « faiblesse » relative de ces pourcentages n’enlève cependant rien au fait que le Canada ait largement puisé dans ses ressources et richesses naturelles pour satisfaire les besoins de la « demande militaire ». Et les États-Unis y sont pour quelque chose, comme en témoignent ces lignes de la Commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada :

On estime, par exemple, que les quatre dixièmes de la production de nickel du monde libre servent à la défense ; il semble également qu’une part aussi forte de la production canadienne soit stockée par les États-Unis ou affectée à la production militaire.

Au fait, les commandes du gouvernement américain ont été le déterminant indispensable d’une bonne partie de la nouvelle production de nickel. De même, la production d’uranium au Canada tient uniquement à l’engagement pris par la Commission d’énergie atomique des États-Unis de s’en porter acquéreur. [...]

La recherche de pétrole et de gaz naturel dans l'Ouest canadien s’est manifestement ressentie des incertitudes d’ordre politique et militaire quant au Moyen-Orient, et les fabricants d’acier des États-Unis auraient peut-être décidé d’exploiter des réserves de minerai de fer dans d ’autres parties du monde s ’il n ’avaient jugé les nôtres plus accessibles en temps de guerre. La mise en valeur de nos ressources a donc, en somme, bénéficié de la proximité du vorace appareil industriel des États-Unis à une époque où il se chargeait de lourdes responsabilités pour assurer la défense du monde libre... [8]

En bref, pour caractériser de façon générale la période 1949-55, on peut dire qu’il s’est agi d’une période de prospérité économique où l’augmentation colossale des dépenses militaires, provoquée par le déclenchement de la guerre de Corée, a joué un rôle déterminant dans l’évolution des activités économiques. Réalisées dans un cadre de [126] coopération économique avec les pays membres de l’OTAN et plus particulièrement avec les États-Unis, les dépenses militaires canadiennes ont vu s’accroître l’acquisition de matériel et d’équipement militaire dont la production a nécessité grandement la mise en valeur de matières premières stratégiques, faisant l’objet d’une demande étrangère croissante.

1955-1965.
L’intégration au militarisme US


On observe de 1955 à 1965, une nette diminution des dépenses militaires. Alors qu’elles s’étaient accrues de 43% annuellement en moyenne entre 1949 et 1953, elles subissent, de 1957 à 1961, une baisse annuelle moyenne de 3,4%. En 1964 cependant, le niveau des dépenses militaires dépasse largement celui d’après-guerre et de 10% (toujours en termes réels) celui de 1951, année où les dépenses militaires avaient connu une brusque augmentation en raison de la guerre de Corée.

La forte diminution des dépenses militaires a-t-elle joué un rôle déterminant dans le ralentissement de la croissance économique observé pendant cette période ?

L’analyse de l’évolution du produit national brut et de ses composantes entre 1957 et 1961, nous amène à constater que les secteurs ayant le plus souffert du ralentissement économique ont été la « construction non-résidentielle » (chute de 19,7%), l’acquisition de « machinerie et d’équipement » (baisse de 18,5%), le « transport et l’entreposage » (diminution de 38,1%), les « mines, carrières et puits de pétrole » (baisse de 25,6%) ainsi que l’« électricité et le gaz » (chute de 25,2%). Prenant pour acquis que la réalisation des dépenses militaires intéressait particulièrement ces secteurs, considérant aussi les conclusions de la Commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada selon lesquelles les dépenses militaires avaient entre autres stimulé ces secteurs, on peut supposer que la forte diminution accusée dans les dépenses militaires, précisément dans l’acquisition de matériel et de systèmes de défense, n’a pu avoir d’autre effet que d’influencer négativement la croissance économique. L’examen de l’évolution des dépenses militaires et de leurs composantes confirme cette hypothèse : les catégories les plus touchées par la réduction des dépenses militaires entre 1955 et 1963 ont été les « armes, munitions et explosifs » (chute de 71,2%), la « construction » (baisse de 71%), les « chars de combat et véhicules » (diminution de 69,7%), l’« avionnerie » (baisse de 54,1%), les « combustibles et lubrifiants » (chute de 39,1%) ainsi que la « construction de navires » (diminution de 35,8%). Or, ces catégories sont directement reliées aux secteurs économiques mentionnés plus haut. Une diminution dans les premières n’a donc pu qu’affecter que négativement les seconds.

Le ministère de la Production de la défense nota d’ailleurs lui-même, en 1964, que « la fin de la guerre de Corée, et la baisse qui s’ensuivit dans les dépenses de défense nationale à la fois à l’intérieur et à l’étranger, expliquent une de ces périodes, à vrai dire peu nombreuses, de fléchissement [127] économique qui se produisirent en Amérique du Nord depuis 1939 [9] ».

Au niveau de sa politique de défense, le gouvernement canadien est conduit à signer avec les États-Unis, en 1958, les « Defence Production Sharing Agreements » qui préconisent une étroite collaboration au niveau de la production des systèmes de défense dans les deux pays. Deux expériences allaient pousser le gouvernement du Canada à reconnaître la nécessité de cette collaboration : en premier lieu, l’échec de la tentative de produire en grandes quantités l’avion CF-105, dont aucun pays ne voulait, les États-Unis en tête ; en second lieu, les accords sur le contrôle aérien de l’Amérique du Nord (NORAD) allaient démontrer qu’il fallait étendre la coordination économique réalisée dans la défense aérienne à l’ensemble des activités intéressant la défense.

Les grandes lignes des « Defence Production Sharing Agreements * » illustrent l’intégration croissante, pour ne pas dire complète, du militarisme canadien aux besoins des États-Unis. D’ailleurs, quelques mois seulement après leur énoncé, une directive du ministère de la Défense des États-Unis stipulait comme condition de « partage » de la production militaire avec le Canada, une « politique d’intégration maximum des programmes de production et de développement [10] ».

En ce qui concerne les dépenses militaires mondiales, le Canada voit sa part relative diminuer de plus en plus et en 1963, il ne contribue plus que pour 1,3% aux dépenses militaires mondiales, pour occuper le huitième rang. Le même phénomène est observé pour ce qui est des pays-membres de l’OTAN : le Canada y occupe le sixième rang, avec une participation moyenne de 2,6%. Simultanément, la part relative des pays d’Europe de l’Ouest (France, Royaume-Uni et République fédérale d’Allemagne) s’accroît. Ainsi, la place « privilégiée » occupée par le Canada dans l’après-guerre immédiat a-t-elle été peut-être fonction du vide laissé par la dévastation de l’Europe et du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. Une fois l’économie de ces pays « reconstruite », le Canada s’est vu occuper la place correspondant à son poids relatif quant aux échanges et à la production mondiale.

De 1965 à nos jours.
Chute et reprise des dépenses militaires


Alors que durant cinq années consécutives (1961-66), le produit national brut avait connu un taux moyen d’accroissement annuel de 6,4%, il n’augmente plus que de 3,3% en 1967 et de 2,5% en 1970. Pour la période 1974-1981, il s’accroît en moyenne de 2,6% annuellement.

L’évolution des dépenses militaires, pour sa part, ne suit pas comme auparavant — du moins directement et pour les années 1965-76 — celle du Produit national brut. À l’exception de 1965 où l’on peut supposer une liaison directe entre l’augmentation des dépenses militaires canadiennes et l’intervention des États-Unis au Vietnam, les dépenses militaires continuent la descente qu’elles [128] avaient amorcée après la guerre de Corée, jusqu’en 1976. De 1965 à 1975, elles diminuent, en termes réels, de 3,5%. En 1976, puis successivement en 1977 et 1978, elles connaissent des taux d’augmentation relativement élevés, soit respectivement 5,6%, 7,3% et 3,5%. Jamais, depuis la fin de la guerre de Corée, les dépenses militaires n’avaient connu d’accroissement supérieur à 7% comme ce fut le cas en 1977. En 1979, elles sont diminuées de 5,7% mais n’en reprennent pas moins leur élan l’année suivante, pour augmenter de 5,1% ; en 1981, elles connaissent un taux d’augmentation de 5,8%. En 1979, faut-il le rappeler, le Canada s’était engagé à accroître les dépenses militaires du pays d’au moins 3%, pour les cinq années à venir.

Sur le plan commercial, encore une fois, seulement des chiffres très agrégés sont disponibles. Rappelons que de 1965 à 1974, le Canada a exporté pour 1 187 milliards courants d’armements. Pour la période 1973-77, 520 millions d’armements sont exportés et la structure des exportations se modifie quelque peu, comme le résume le tableau suivant :

Comme c’était le cas pour la période précédente, les principaux produits destinés à l’exportation sont constitués de pièces d’avionnerie et de dispositifs électroniques de télécommunications.

Tableau 3

Répartition procentuelle du transfert des armes Canada, 1965-1977
la somme totale en dollars courants (millions)
 [11]



Ce qu’il y a d’intéressant à constater à partir de ces chiffres, c’est que non seulement le Canada a été appelé à fournir moins d’armements aux États-Unis à partir de 1973, mais encore qu’il a augmenté sa dépendance envers ces derniers pour Ce qui est des importations. De la même manière, alors qu’avant 1973, les exportations surpassent les importations, c’est le contraire qui se produit à partir de cette année, indiquant une tendance à l’accroissement de la dépendance du militarisme canadien vis-à-vis du marché mondial.

L’impact des dépenses militaires

Certains économistes, voulant mesurer l’impact éventuel d’un désarmement, ont été amenés à examiner l’impact économique des dépenses militaires au Canada au moyen de divers tableaux économiques intersectoriels. Ces diverses [129] études montrent que les principaux secteurs touchés par les dépenses militaires sont ceux de l’avionnerie et du matériel de télécommunication ; bien que nombreux, les autres secteurs d’activité économique seraient touchés de façon relativement minime par les dépenses militaires. Nous y référons les lecteurs [12].

Au-delà des difficultés inhérentes à la recherche dans le domaine militaire, compte tenu du secret officiel qui entoure l’ensemble des activités économiques reliées à la défense, il reste, comme l’a dit le ministre Barney Danson cité plus haut, que « par rapport au produit national brut, les dépenses en matière de défense sont faibles. Mais le budget (militaire) a des répercussions économiques hors de toute proportion, comparativement à son importance. »

Encore, pourrait-on dire, faut-il démontrer ce que cela signifie dans les faits. En effet. Mais il faudra, pour ce faire, que l’ensemble des données relatives au secteur de la défense soit disponible : premiers contrats, sous-contrats et sous-sous contrats ; entreprises impliquées, emplois, production et échange ; commerce extérieur, exportations et importations d’armements, etc.

Les indicateurs habituels relatifs à la défense, comme par ex. le pourcentage des dépenses militaires par rapport au budget fédéral ou au Produit national brut, sont loin de révéler toute l’importance de la production militaire au Canada. L’industrie canadienne participe très peu à la production — dans toutes les étapes — d’armements sophistiqués et complets. Elle produit plutôt des pièces intermédiaires, du matériel secondaire nécessaires à une production militaire qui aura lieu à l’étranger. Elle exporte également des matières premières, tel l’uranium, le plutonium ou l’eau lourde, qui seront essentielles, ailleurs, à la production de missiles et d’engins nucléaires. Ces activités ne sont pas proprement identifiées à la production militaire canadienne.

De plus, il n’y a pas de données complètes sur la part de la Recherche-développement dévolue au secteur militaire. Dans un article paru dans Le Devoir du 11 juin 1980, le journaliste Gilles Provost affirmait qu’en 1978, « 90% de toutes les subventions à la recherche industrielle accordées par le ministère de F Industrie et du Commerce étaient réservées à la recherche militaire ». Et combien par les autres ministères ? Et combien à la recherche universitaire ? Quand on sait que le militarisme canadien caractérise principalement les secteurs de l’aéronautique, de l’électronique, de la technologie de l’espace, de la navigation et de la production de matériaux stratégiques, on ne saurait douter de l’importance de la haute technologie dans les activités de production militaire. « Innovations technologiques », un terme qui ne saurait avoir de sens, aujourd’hui, en dehors de l’amélioration scientifique et technique des systèmes d’armements.

S’il est désormais connu que jadis le militarisme a donné naissance à la cartographie, à la géographie, à la statistique..., on peut supposer aujourd’hui qu’il a grandement contribué à mettre à jour des activités scientifiques et techniques

[130]

Dans le monde...

  • 750 milliards de dollars ont été dépensés en 1982 pour des armements : près d’un million de dollars et demi par minute...
  • La somme des têtes nucléaires stratégiques — projectiles des arsenaux atomiques — représente une charge explosive équivalent à 1,5 million de bombes Hiroshima.
  • Il y a davantage de réacteurs nucléaires militaires dans les mers que de réacteurs civils sur terre produisant de l’électricité à des fins pacifiques.
  • En 15 ans, depuis le début des années 60, le nombre de sous-marins à propulsion nucléaire est passé de 0 à 278.
  • En 1958, un seul pays possédait des patrouilleurs rapides armés de missiles mer-mer. Vingt ans plus tard, plus de 50 pays en possédaient au total plus de 800.
  • En 1978, 112 satellites militaires ont été lancés dans l’espace, soit un à tous les trois jours.
  • Depuis la Deuxième Guerre mondiale, 1 165 essais nucléaires ont eu lieu, la plupart « après » le traité de 1963 sur l’arrêt partiel de tels essais. Aujourd’hui, plus de 60 000 systèmes d’armements nucléaires existent sur la planète.
  • Plus de 50 pays sont producteurs d’armements lourds, dont près de la moitié dans les pays « en voie de développement ». Israël, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Argentine et l’Inde font dorénavant concurrence aux « marchands de guerre » que sont les États-Unis, l’URSS, la France et le Royaume-Uni.
  • Plus de la moitié des physiciens et des ingénieurs dans le monde ne travaillent que pour les besoins de la Défense. Des centaines de milliers d’hommes et femmes travaillent dans l’industrie militaire...
  • Les dépenses militaires mondiales représentent plus du double des dépenses publiques pour la santé et sont supérieures aux dépenses de l’éducation.

(Sources : Cahiers français n° 199-200, janvier-avril 1981)

En ajoutant les quelques 140 guerres qui ont été déclenchées ici et là depuis la Seconde Guerre mondiale, tel est le tableau qu’on obtient du gouffre dans lequel sont aspirées chaque année des sommes d’argent si élevées qu’une partie seulement de celles-ci suffirait à elle seule à solutionner les problèmes de sous-alimentation, de famine, de santé dans le monde. Mais chaque année aussi, les gouvernements contribuent à noircir ce tableau déjà si sombre, si minime soit la contribution de chacun à ces activités destructrices de l’humanité. Le Canada n’y échappe pas.

qui, alors qu’elles pourraient être orientées vers les besoins sociaux et vitaux, le sont plutôt vers l’amélioration et le développement de méthodes et de moyens toujours plus destructeurs de l’humanité. Les micro-ordinateurs, les gadgets électroniques de toute sorte : des résidus de la recherche scientifique à des fins militaires, à côté desquels la complexité, la puissance et le pouvoir des armements actuels défient toute l’imagination [13].

Si minime que puisse apparaître le budget militaire du gouvernement canadien par rapport aux dépenses militaires mondiales — au regard des chiffres officiels — son existence, [131] selon les normes auxquelles le gouvernement s’est engagé dans le cadre de la coopération impérialiste mondiale, continue de contribuer au déploiement parasitaire d’instruments visant non seulement à assurer la « défense » de l’ordre économique actuel, mais également à améliorer les conditions de valorisation du capital, au détriment des besoins les plus élémentaires de la force de travail.

Deux exemples concrets, très près de nous illustreront ceci en guise de conclusion. En mars 1982,

le gouvernement fédéral décida d’octroyer à même les poches des contribuables, 1,35 milliard de dollars de garantie pour la production militaire de Canadair. Au même moment, la compagnie décréta 4000 mises-à-pied. Chez Pratt and Whitney, même phénomène : 72 millions de subventions provenant du « Programme de production de l’industrie du matériel de défense ». Cette subvention, aux dires mêmes du directeur de l’entreprise, n’empêchera pas la poursuite des mises-à-pied ; au contraire, elle accélérera la robotisation du travail... [14]

[132]

d. Dompierre



[1] Danson, B., Les Commandes du ministère de la Défense : pierre d'assise d'une nouvelle poussée des techniques, Ottawa, 5 oct. 1978, texte ronéotypé.

[2] Dominion du Canada, Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, Imprimeur de la Reine, Ottawa,   juin 1951, p. 4421.

[3] Annuaire du Canada, 1945, p. lxi.

[4] Ibidem, p. 879.

[5] Le texte intégral de ce rapport est reproduit dans Earys, J., « Canadian Defence Policies since 1967 », étude spéciale préparée pour le « Special Common’s Committee on Defence », Ottawa, Queen’s Printer, 1965.

[6] Commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada, Rapport final. Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1958, p. 92.

[7] Annuaire du Canada, op. cit., 1952-53, p. xix.

[8] Commission royale..., op. cit., p. 93-94.

[9] Ministère de la Défense nationale. Études spéciales à l’intention du Comité spécial de la Chambre des communes concernant les questions relatives à la défense. Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1965, p. 105.

* Voir à ce sujet la note de Victor Levant dans ce numéro.

[10] Cité par Rosenbluth, G., The Canadian Economy and Disarmament, The Carleton Library, n° 113, Toronto, 1978, p. 36.

[11] Les chiffres proviennent de deux numéros différents de « World Military Expenditures and Arm Transfers » (State Dept. of USA) ; c’est ce qui explique le chevauchement des périodes 1965-1974 et 1973-1977.

[12] Voir entre autres Rosenbluth G., op. cit., et Bernard, J.T. et Truchon, M., « Impact du désarmement sur l’économie canadienne », Document ronéotypé. Université Laval, août 1980.

[13] Voir à ce sujet, Halary, Ch., « La naissance de la robotique », in Interventions Économiques, n° 7, 1981.

[14] Voir Leclercq, D., et Vincent, S., « Micro-technologie — méga-chômage », Texte polycopié, Action travail des femmes du Québec Inc., Oct. 1982, p. 19-20.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 31 janvier 2023 23:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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