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La Louve et le Hibou.
Conte fantastique.
Préface
Par une fraîche nuit d’automne, alors que je campais le long de l’Ashuapmouchouan, j’écoutais le vent du soir, qui soufflait entre les branches des grandes épinettes noires de la forêt boréale. Je venais de terminer mon repas et je me réchauffais tranquillement auprès du feu de camp, bien emmitouflé dans mon sac de couchage. Le sommeil me gagna lentement. C’est juste au moment précis où la voix du vent se changeait en mélodie, que j’entendis la louve hurler et le hibou hululer. Tous les deux s’approchèrent de moi sans méchanceté apparente. J’étais mort de peur au fond de mon sac, pris comme en une camisole de force, impossible de m’enfuir.
Rendue tout près de moi, la louve blanche se transforma en une superbe princesse indienne, arborant de longs cheveux noirs, ondulant sur son dos. Elle portait sur sa tête, un diadème garni de jolies pierres colorées. Le hibou, quant à lui devint un grand guerrier indien, armé d’une lance et d’un bouclier. Il était nu sous son pagne et devait bien mesurer au moins six pieds six pouces. Il portait sur sa tête un chapeau de chef indien fait de plumes blanches : « Sont-ce des plumes de harfang des neiges, me demandai-je ? »
- Ne crains rien Homme Blanc, me dit doucement la princesse, nous venons à toi en paix. Je suis Shehaga, sœur de Shanaga, la protectrice des femmes innues. Et le guerrier qui est avec moi est le défenseur des hommes.
- J’aurais pu pénétrer dans ton rêve, m’avoua le Guerrier, pour te raconter notre histoire, mais Shehaga tenait à y participer.
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Je restais muet de surprise et d’appréhension, mais leurs paroles dignes et le calme de leur ton, m’amena à leur poser une question :
- Pourquoi moi ? Pourquoi pas un Indien comme vous ?
- Parce que nous voulons que tu écrives notre histoire pour ta race. Quand c’est un Innu qui leur conte son histoire, les Blancs ne le croit pas, ou il la classe aussitôt dans la catégorie des mythes et légendes autochtones. Notre histoire est tragique, merveilleuse et franchement incroyable, mais je vous assure qu’elle est bien réelle. En fait, nous venons tout juste de la vivre.
Ils savaient donc que j’étais un écrivain à la recherche d’inspiration, au coeur de cette forêt nordique. Leur proposition rejoignait exactement mes préoccupations. Je les invitai donc à s’asseoir autour du feu, que je ranimai par quelques branches sèches qui traînaient autour. Puis le guerrier, qui s’appelait Guillaume, se proposa de faire une tisane des bois de son cru que nos bûmes toute la nuit, en écoutant l’histoire de la Louve et du Hibou blancs, que chacun d’eux me raconta tour à tour, et parfois tout ensemble.
Après cette nuit merveilleuse, je ne revis jamais ni la Louve ni le Hibou. Je me suis mis à ma dactylo et écrivit de mémoire tout ce qu’ils m’avaient conté. Je vous en présente aujourd’hui le produit fini. Je vous assure qu’il est fidèle aux propos échangés cette nuit-là.
Gilbert Talbot
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