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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Normand Séguin, “Quelques considérations pour l’étude du changement culturel dans la société québécoise.” in ouvrage sous la direction de Gérard BOUCHARD et Serge Courville, La construction d’une culture. Le Québec et l’Amérique française, pp. 213-220. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1993, 445 pp. Collection: Culture française d’Amérique. [MM. Gérard Bouchard et Serge Courville, conjointement avec le directeur général des Presses de l’Université Laval, Monsieur Denis Dion, nous ont accordé gracieusement, le 27 mai 2021, leur autorisation pour la diffusion en libre accès à tous de ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[213]

La construction d’une culture.
Le Québec et l’Amérique française.

Paradigmes et pratiques scientifiques

Quelques considérations
pour l’étude du changement culturel
dans la société québécoise
.”

Normand SÉGUIN

Directeur, Centre d’études québécoises
Université du Québec à Trois-Rivières

Le thème de la présente partie invite à une réflexion sur l'évolution des pratiques scientifiques en rapport à la culture désignée comme objet d'étude. C'est là une question de bien grande portée qui, pour ma part, restera sans réponse précise car elle dépasse mes seuls moyens. Mon propos se limitera à présenter quelques propositions sur la saisie du phénomène culturel et à poser quelques balises pour l'analyse du changement culturel. On ne trouvera pas dans ces lignes l'exposé en raccourci d'une problématique du changement culturel ni même une nomenclature des transformations de la société québécoise dans la durée. C'est plutôt sur le mode de lecture du changement culturel que portera mon effort. Cet exercice prendra l'allure d'une exploration sommaire de quelques notions et concepts intériorisés dans ma pratique d'historien.

Beaucoup de ces considérations ont leurs assises dans des questionnements et des travaux poursuivis ces dernières années en collaboration, notamment avec Serge Courville et Jean-Claude Robert, dans le cadre d'une enquête sur le pays laurentien au siècle dernier, et avec mes collègues du Centre d'études québécoises à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

[214]

QUELQUES CLARIFICATIONS
SUR LA CULTURE COMME OBJET


Il y a lieu de commencer cette réflexion par une brève précaution sémantique autour de la notion de culture.

Sans se réclamer d'une définition stricte, on peut poser qu'appréhender une culture, c'est tenter de saisir les attitudes, les valeurs, les comportements, les savoirs et les savoir-faire d'un groupe humain. Dans la perspective de la durée qui est mienne en tant qu'historien, la culture se présente comme résultante d'actions et de forces diverses, et comme effort de cohérence sans cesse renouvelé de la part des acteurs sociaux pour comprendre, expliciter et orienter leur destin, individuel et collectif, et pour agir. Ainsi, la culture renvoie d'une part à l'ensemble des processus historiques qui façonnent une collectivité et d'autre part aux représentations que celle-ci se donne d'elle-même. En ce sens, la culture est essentiellement dynamique ; elle correspond à ce que les membres d'une collectivité font et croient qu'ils sont. Plus fondamentalement encore, on dira que la culture représente le travail auquel se livre une collectivité sur elle-même pour exister et se reproduire comme entité sociale, se maintenir et changer ; en définitive, elle est création et recréation d'un monde.

L'INCONTOURNABLE QUESTION IDENTITAIRE

La culture est la matrice de l'identité. Avant d'aborder la question du changement culturel, il sera donc également utile de considérer la question identitaire. Celle-ci se pose à un double niveau : d'abord au niveau des acteurs sociaux eux-mêmes dans leur propre vécu, puis au niveau du chercheur, dans une distanciation critique que définit sa démarche de recherche.

Du point de vue des acteurs sociaux, le processus identitaire se nourrit à même l'effort de cohérence déployé par la collectivité intime et élargie dont ils partagent le vécu. L'identité ressentie par les uns et affirmée par les autres a pour fonction de rendre raison du sens général que prend cet effort de cohérence. Et si en fin d'analyse on peut avancer que la culture est ce travail de la collectivité sur elle-même, on dira aussi que l'identité que la collectivité revendique et [215] façonne en même temps vise à définir le sens de ses rapports au monde.

L'identité ressentie ou proclamée par les acteurs sociaux à partir de leurs propres expériences, évidemment, ne se confond pas avec celle que peut établir le chercheur. Car celui-ci fait intervenir des critères et un système de référence qui trouvent leur propre justification dans l'énoncé de sa démarche scientifique. Tenter de fixer les traits culturels d'un groupe dans le présent ou à différents moments d'un passé plus ou moins lointain, c'est tenter d'en préciser la personnalité tant dans ses aspects communs avec les autres groupes que dans ses traits plus originaux. L'ambition ultime du chercheur est de dégager une vision synthétique des processus qui caractérisent les pratiques culturelles d'une collectivité à un moment donné ou dans une période plus ou moins longue de son histoire. Le chercheur s'attache donc à en explorer dans leur contextualité interne et externe les dynamismes et les logiques, pour cerner avec finesse les conditions de changement qui sont propres à la collectivité étudiée. Le processus identitaire intéresse le chercheur en tant que dimension expressive de la culture, c'est-à-dire en tant que révélateur de la cohérence que cherche à se donner la collectivité, et, partant, des convergences et des tensions qui marquent les représentations, les volontés, les conduites et les pratiques des agents sociaux. Étudier la construction et la déconstruction de cette cohérence permet de situer l'identité dans l'histoire, donc dans le changement.

LE CHANGEMENT CULTUREL

Le changement culturel est induit par un faisceau d'attitudes et d'actions qui expriment aussi bien l'accueil, l'adaptation et l'assimilation que la saturation, l'aliénation et le rejet. Dans l'optique du chercheur, l'étude du changement culturel a pour objet l'ensemble des transformations qui modifient le caractère de la société. Elle vise à expliciter la dynamique par laquelle les éléments de conservation et d'innovation s'opposent et se conjuguent, avec des décalages dans le temps et dans l'espace. En raison du caractère fondamentalement pluridimensionnel de la culture, une lecture du changement culturel ne peut être que polysémique. Cela pose tout le problème des [216] rapports entre les disciplines et des conditions d'exercice de l'interdisciplinarité.

Examinons l'un des sens que peut prendre cette lecture. Le changement culturel n'a, évidemment, rien d'un mouvement linéaire et cumulatif et ne saurait être représenté comme une maturation continue sous l'effet d'influences conjuguées. La lecture qu'on en fera prendra plutôt acte des continuités et des ruptures, des interruptions et des revirements, et invitera notamment à distinguer la simple modernisation d'une tradition de la véritable transformation d'une structure, d'une pratique ou d'un mode de pensée. Sans doute, le plus grand défi que pose au chercheur l'étude du changement culturel est d'éviter de disjoindre dans son analyse deux ordres de réalité que l'on distingue mais qui demeurent indissociables : celui des rapports sociaux, envisagés dans leur organisation et leur remise en question (ce qui renvoie au champ des structures sociales et aux stratégies collectives et individuelles dont elles sont l'enjeu) ; et celui des tensions que produisent les diverses manières de penser, de sentir et d'agir (ce qui renvoie au champ des représentations mentales et aux imaginaires collectifs). L'analyse du changement culturel s'articule donc sur l'exploration des rapports dialectiques entre ces deux ordres de réalité. Cela revient à considérer, d'une part, l'évolution des structures sociales (qui englobent les institutions et l'organisation de l'économie) à travers les poussées de culture et, d'autre part, l'évolution des manifestations et des formes culturelles dans le contexte de leurs rapports aux structures. Dans cette perspective, les institutions et les modes d'organisation de l'économie sont toujours porteurs de visions du monde. Non seulement sont-ils à proprement parler des émanations de la culture, mais ils forment aussi les assises du travail de la société sur elle-même.

L'étude du changement culturel peut emprunter des directions multiples qui reflètent la complexité de la vie en société. Il suffira ici d'évoquer celle que signale le concept de territorialité élaboré notamment par Raffestin et Sack et dont Serge Courville a éloquemment contribué à définir le caractère opératoire dans le contexte historique québécois.

[217]

La territorialité renvoie aux rapports que les individus entretiennent dans l'espace et à travers la médiation de l'espace. On peut la définir comme la somme des relations qui assurent l'équilibre interne d'une collectivité ou d'une société au sens large. Sous ce rapport, la territorialité est expression d'une culture, vue comme une vie de relations évoluant en un système dont les différentes parties sont en interaction. Elle englobe l'ensemble des stratégies que les individus, les groupes et les sociétés établissent dans le but d'assurer leur maintien et leur renforcement. Ces stratégies, dans lesquelles se condensent toutes les dimensions de la vie en société, mènent à l'appropriation de l'espace, soit formellement, soit symboliquement. L'espace approprié apparaît donc comme médiateur des rapports que nouent les acteurs sociaux. On parlera alors d'espace vécu, la territorialité traduisant l'état d'équilibre interne et fondant l'appartenance des agents sociaux à un même système de normes, d'attitudes et de valeurs. Toute territorialité se caractérise par des forces convergentes et divergentes et par différents vecteurs qui la particularisent par rapport à d'autres territorialités : l'économie, la langue, la religion, l'habitat. Le tissu social est ainsi fait de territorialités multiples qui se recoupent et s'imbriquent, entremêlant ou juxtaposant des groupes et des communautés que distingue leur inscription dans le paysage. Vu sous l'angle de la territorialité, le changement culturel renvoie au sens des modifications de l'équilibre interne des relations, au sein de la collectivité ambiante et de la société.

Le concept de territorialité incite à examiner de près les rapports à l'autre, les rapports d'altérité. Comment au sein de la collectivité intime et de la société élargie les groupes perçoivent-ils leurs différences ? Comment dans les territoires vécus se démarquent-ils par leurs pratiques et par l'éventail de leurs productions sociales ? Quels sens prennent leurs échanges à l'intérieur du groupe ou de la collectivité et avec le monde extérieur ? Ces questions nous situent d'emblée dans la perspective de l'étude de la vie de relations, dans l'acception la plus large du terme, laquelle embrasse à la fois la circulation des personnes, des productions, et la diffusion des idées, des imageries, des courants de pensée, des savoir-faire, des savoirs, etc., toutes formes de relations qu'accompagnent des rites de sociabilité et que traversent des rapports de pouvoir. La vie de relations alimente les [218] dynamismes collectifs. En favorisant ou en contrecarrant l'harmonisation des forces, la vie de relations peut renforcer ou affaiblir les efforts de cohésion et d'homogénéisation ; elle peut aussi accentuer ou atténuer les écarts, les différences, les clivages et les ségrégations. D'où l'intérêt de voir comment, dans le jeu de leurs relations, les agents sociaux, selon leur rôle et leur mode d'action respectifs (économique, politique, religieux, intellectuel, artistique, etc.), influent sur la société par leurs médiations dont l'entrelacement atteint tous les niveaux de la vie en société. Les médiations renvoient aux liaisons et aux réseaux de liaisons, formelles et informelles, que les acteurs sociaux nouent et entretiennent pour s'influencer réciproquement. Ces liaisons s'effectuent horizontalement et verticalement entre les groupes d'individus, entre les organisations, entre l'appareil étatique et la société civile, entre la collectivité immédiate et la société élargie. Par ces médiations, les agents sociaux tentent d'assembler ce qui est différent ou dissemblable et, ce faisant, non seulement s'activent-ils à renforcer la cohésion au sein des groupes et des collectivités, mais encore cherchent-ils à définir une plus grande cohérence dans les rapports de ces groupes et collectivités au monde.

Je termine ainsi cette brève et toute fragmentaire exploration. On la tiendra pour ce qu'elle est : un simple propos d'étape qui cherche à rendre signifiantes des interrogations qui habitent l'historien dans ses explorations de la société.

[219]

LECTURES COMPLÉMENTAIRES

Centre d'études québécoises (1990), Orientations et programmation de la recherche, 1990-1993, Trois-Rivières, Centre d'études québécoises, Université du Québec à Trois-Rivières.

Courville, Serge (1983), « Espace, territoire et culture en Nouvelle-France : une vision géographique », Revue d'histoire de l'Amérique française, 37, 3 (décembre), p. 417-429.

Levasseur, Roger, et Normand Séguin (1990), « Mouvement associatif et réseaux informels à Trois-Rivières, 1940- 1980 », dans Roger Levasseur (dir.), De la sociabilité. Spécificité et mutations, Montréal, Boréal, p. 281-296.

Séguin, Normand (1989), « L'identité menacée : réflexion sur un mythe fondateur québécois », dans Populations et cultures. Études réunies en l'honneur de François Lebrun, Rennes, ouvrage publié par les amis de François Lebrun, avec le concours de l'Université de Rennes 2 (Haute-Bretagne) et de l'Institut culturel de Bretagne, p. 389-396.

[220]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 27 juin 2021 18:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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