[11]
La présociologie haïtienne
ou Haïti et sa vocation nationale
Introduction
Au moment où Haïti, naguère Saint-Domingue, traverse une des phases les plus singulières de son existence, bon nombre de gens s'interrogent sur son avenir et scrutent son horizon social pour essayer de trouver une explication et peut-être une réponse aux problèmes socio-politiques que confronte la République noire. Si, dans cette présociologie haïtienne, nous essayons de faire revivre la société domin-guoise, c'est pour mieux comprendre le prétendu échec de sa libération. Cette évocation du passé ne constitue-t-elle pas l'apport de l'histoire à la sociologie ? Or, nous ne connaissons pas de sociologie qui soit ahistorique. Saint-Domingue et Haïti se présentent à l'étude de telle sorte que nous n'en sommes encore qu'à l'étape de l'observation sociale et singulièrement dans le passé, mais un passé assez proche pour qu'il se lie au présent qu'il faudra bientôt appréhender. D'ailleurs, depuis l'indépendance officielle il y a 166 ans peu de changements importants se sont produits dans la vie du peuple haïtien.
Ce retour au passé nous permet de dégager un principe essentiel qui sous-tend la sociologie de Saint-Domingue et d'Haïti : la liaison des classes sociales et des groupes épidermiques. Qu'on ne s'étonne pas de nous voir évoquer l'élément de couleur, comme facteur de classe sociale. Il ne s'agit pas de voir dans le fait biologique la cause du fait social, ni non plus une liaison intrinsèque entre telle nuance épidermique et tel fait social. Est-il besoin de souligner que l'affirmation de cette liaison n'est pas une manière de racisme noir. À la vérité, les interprétations occidentales et notamment européennes [12] du phénomène de classe sociale ne tiennent pas toujours compte de cette concomitance active entre éléments ethniques et faits sociaux. Parce que rarement les différences raciales marquées apparaissent dans les pays européens.
La plupart des penseurs occidentaux, et parmi les plus grands, Lénine, Halbwachs, Gurvitch, Sorokin, etc., ne font pas allusion à l'incidence ethnique sur la formation des classes, sauf Gumplowitz. Cependant, un auteur plus proche de nos champs d'observation puisque mexicain, S. Mendieta Y Nuñez compte parmi les facteurs de la classe sociale le facteur ethnique à un moment de l'histoire. Il en est de même des professeurs Marcel Rioux et M. Jacques Dofny de l'Université de Montréal. Ainsi, à des degrés divers chez les Slaves de la période pré-révolutionnaire et chez les Latino-Américains connaissant l'Amérindien, ce même élément a joué et joue encore dans la détermination des classes sociales et plus encore dans leur maintien.
Haïti est un exemple typique où les incidences épidermiques ont été manifestes et le sont encore sur la formation des classes sociales, pour ne pas dire de la nation, à telle enseigne qu'elles ont été à l'origine de ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui l'idéologie haïtienne.
|