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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'hétérogénéité‚ des espaces sociaux:
une étude comparative de quatre zones résidentielles de la ville de Montréal
.
Tome 1: Caractéristiques sociales et mobilité‚ professionnelle. (1974)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marie Lavigne, Jean RENAUD et Serge Carlos (1974). L'hétérogénéité‚ des espaces sociaux: une étude comparative de quatre zones résidentielles de la ville de Montréal. Tome 1: Caractéristiques sociales et mobilité‚ professionnelle. Montréal: Les Presses de L'Université du Québec. 264p. [Le 29 janvier 2014, Monsieur Jean Renaud nous autorisait la diffusion de toutes ses publications et travaux en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[xxi]

Préface

Les quartiers de la classe ouvrière


La description des caractéristiques d'une société est généralement une construction mentale réalisée à partir de critères de sélection que les auteurs tirent de leur milieu d'appartenance, de leur formation, de leurs options économiques, sociales ou politiques. Rien d'étonnant, dès lors, si ce qui se dit ou s'écrit quotidiennement au sujet de la classe ouvrière paraît si confus, si contradictoire. Pour certains, elle n'existerait même pas : les ouvriers font partie d'une immense société de "classe moyenne", dans laquelle on se place avec plus ou moins d'avantages, mais il n'existe pas de barrières à l'entrée de cette catégorie, définie si largement qu'elle cesse d'en former une. Par contre, si l'on parle de la société du passé, embellie par la distance, tout semble plus clair, et l'image du cultivateur dans sa paroisse rurale est dessinée d'un trait ferme et précis. Mais s'il s'agit de parler de l'homme urbain et industriel, et particulièrement si l'on parle de l'habitant d'une métropole de deux millions et demi d'habitants, tous les clichés théoriques ou concrets peuvent se superposer sans qu'on en arrive à dégager une image nette, c'est-à-dire exacte.

Il faut bien alors avoir recours au sociologue et on ne l'a pas fait souvent dans la société québécoise. On constatera que pour répondre à quatre ou cinq questions qui tiennent en une page, il lui faut écrire trois volumes. L'auteur de cette recherche et ses collaborateurs se sont demandé si les populations de quatre quartiers représentant vingt pour cent de la municipalité de Montréal étaient homogènes ; si elles ont une vie communautaire locale ; si elles sont ouvertes aux populations des quartiers voisins ; quelles sont enfin leurs attitudes face aux transformations urbaines et à la consommation de la ville en ce qui concerne le logement et l'environnement. Les réponses [xxii] tiennent en huit cents pages dont voici la première partie. C'est un rapport de recherche dont la lecture est rendue aride par l'exposé détaillé et complet - sans pitié pour le non-initié - des procédures de recherche. Mais on peut voir ainsi, de près, le sociologue préparer lentement ses calculs près de la calculatrice. Belle occasion pour le profane de comprendre que pour écrire une phrase de conclusion, il a fallu parfois des semaines d'élaboration préparatoire.

C'est ainsi que l'image devient exacte. Tellement exacte qu'elle est surprenante. Savait-on, par exemple, que dans un de ces quartiers, les personnes mariées représentent 65,5% de la population adulte francophone ? Les autres, ce sont des célibataires, des gens séparés ou des veufs. Que l'on pense à la taille des logements ou à l'interaction entre ces deux catégories de personnes, on comprend que cette constatation n'est pas sans conséquence pour une politique du logement ou des loisirs.

S'agit-il là d'une partie de la classe ouvrière montréalaise ? Les membres de cette catégorie sociale ont-ils ces traits d'homogénéité sociale qui les rapprocheraient des caractéristiques d'une classe ? Il semble que oui, lorsqu'on apprend que la main-d'oeuvre masculine de cet échantillon est à 81,5% ouvrière et qu'elle comprend 9,4% de petits administrateurs et 2,3% de professionnels, gérants et administrateurs. Il n'y a pas que des ouvriers dans un quartier de classe ouvrière, mais enfin, Hochelaga-Maisonneuve, ce n'est pas Outremont ou Westmount, surtout si l'on considère que "dans l'ensemble de l'échantillon, le chômage a affecté 14,6% de la population active en 1970 et 16,6% en 1971, pour des moyennes de 18,4 et 16,3 semaines de chômage, approximativement le tiers de l'année chaque fois" (c'est nous qui soulignons). Et on en doute encore moins lorsqu'on apprend qu'en 1971, dans ces quartiers, le revenu annuel se chiffrait à $2 000 par tète. Ces quelques traits sont encore précisés par des analyses plus raffinées [xiii] décomposant les revenus selon leurs sources. On vit dans la pauvreté, un peu au-dessous ou un peu au-dessus de son "seuil" si peu accueillant.

Pourtant, une classe n'a pas l'homogénéité d'une matière chimique et c'est ce que démontre bien la comparaison des quatre quartiers choisis (même si l'on regrette au cours de la lecture, l'absence d'un quartier "témoin" choisi dans une autre partie de la ville, notamment différencié par sa composition sociale et son genre de vie). Il y a de nombreuses variations structurelles de l'un à l'autre de ces quartiers, les statuts véhiculent leurs propres taux de "congruence" ou d"'incongruence". Plus simplement, on peut gagner moins ou plus avec le même nombre d'années d'études, ou l'héritage professionnel peut être différent, même si l'on habite la même rue et que l'on travaille au même endroit. Ceux qui habitent dans ces quartiers sont une partie de la classe ouvrière, et une partie qui a ses propres caractéristiques ; mais si l'on pousse l'analyse, on voit nettement qu'à l'intérieur d'une certaine homogénéité il peut se trouver des distinctions. Ainsi, le rapport reconnaît à Saint-Henri et à Hochelaga-Maisonneuve la qualité d'"unité sociologique significative" ; pourtant, la première zone constitue un lieu physique et un milieu social plus fermé, avec blocage de la mobilité professionnelle ; dans son cas, c'est le milieu local qui joue le rôle intégrateur de l'individu.

Dans un article du 11 juillet 1973, l'éditorialiste du Devoir, Claude Ryan, écrivait à propos d'un congrès de la Centrale des enseignants du Québec et des positions radicales adoptées à cette occasion, sous le titre "Les slogans avant l'analyse" :

On dresse une frontière pratiquement absolue entre les travailleurs et la classe dite dominante. Mais où commencent dans notre société très mobile et extrêmement diversifiée, la classe des travailleurs et la classe dominante ?

On serait tenté de répondre : l'une vit en deçà de la ligne de chemin de fer (ligne de pauvreté) et l'autre sur les hauteurs de [xxiv] Westmount (ligne de richesse) et entre ces deux, il y a effectivement de multiples zones intermédiaires. Mais ceux qui se situent au-dessous ou autour de la ligne de pauvreté sont des centaines de milliers et ceux qui sont au-dessus ou autour de la ligne de richesse, quelques dizaines de milliers. D'un côté, une masse importante de la population, de l'autre, les happy few. Mais ces deux positions ne sont pas seulement des catégories de classement, des distinguo élégants d'intellectuels, sans autre signification. Ce sont des positions de pouvoir. Dans beaucoup de villes on retrouve cette superposition d'une prééminence géographique et d'une localisation du pouvoir social, économique et politique. Et le pouvoir (qui ne le sait depuis les philosophes grecs ?), ce n'est pas exactement un problème de manichéisme, mais ça se traduit en fait, historiquement, par la concentration des pouvoirs dans les mains d'un petit groupe qui les exerce et non dans celles de ceux qui doivent s'y soumettre. (Au fait, ces logements des quartiers démunis, qui donc les possède et les entretient en si bon état ? Nous avons hâte de le savoir.) Est-ce là un rapport de classes ? J'ai bien peur que oui.

Quant aux nombreuses classes moyennes, elles ont en général leur allégeance. Elles se sentent solidaires de leur milieu d'origine, principalement les milieux d'agriculteurs ou les milieux d'ouvriers ; il ne faut cependant pas oublier l'importance de ceux qui sont nés dans les classes moyennes et qui s'y meuvent, et de ceux qui sont descendus des classes supérieures. Ces solidarités d'origine peuvent se perpétuer en solidarités actuelles, bien qu'il n'y ait pas là de règle générale. Mais, pour prendre un exemple, les enseignants ne tiendraient-ils pas plus souvent leurs solidarités d'origine des milieux ouvriers, comme l'a fréquemment exprimé avec justesse Fernand Dumont ? Je me demande si les instituteurs qui vivent - statistiquement, si j'ose dire - dans la masse du peuple, sont si souvent originaires de ces milieux aisés de classe moyenne. Est-ce logomachie marxiste pour eux [xxv] de crier des injustices, des discriminations ? Est-ce que celui qui enseigne quotidiennement dans ces quartiers que nous décrit Marie Lavigne ne sait pas que les parents de ses élèves ne trouvent pas facilement le moyen de payer les médicaments, les vêtements, les livres scolaires ou autres, les abonnements aux journaux et aux revues, les places aux beaux spectacles, sans parler de l'attente un peu plus longue - et de la distance - à laquelle ils sont exposés quant ils vont chez le médecin ? Cette rareté des moyens de culture générale, cela fait la différence, croissante avec les années, dans les tests d'intelligence (?) et les réussites scolaires. Tout cela est bien connu aujourd'hui par les enquêtes sociologiques tant aux Etats-Unis qu'en France ou en Angleterre.

Quant on a lu le rapport de Marie Lavigne, on comprend mieux de quoi est faite la "condition ouvrière" et de quoi est faite la partie sans doute majoritaire de la classe ouvrière. Espérons que de prochaines recherches aussi bien menées que celle-ci nous feront connaître certaines de ces mêmes caractéristiques - et bien d'autres - de quartiers ouvriers plus ou moins défavorisés, d'autres quartiers de "classe moyenne". Pour ce qui est de la haute bourgeoisie, il faudra certainement être plus patient : lui laisser le temps d'apprendre la langue des autres et d'accepter que l'on regarde de quoi est faite l'élite du pouvoir, car en général elle ne se laisse pas facilement questionner, de peur qu'on la mette en question.

Jacques Dofny

Université de Montréal

[xxvi]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 30 juillet 2020 9:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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