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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre-Paul Proulx, “L’ALENA et l’intégration économique dans les Amériques: vers une union douanière et des régions spécialisées.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Dorval Brunelle et Christian Deblock, L’ALÉNA. Le libre échange en défaut, chapitre 10, pp. 241-272. Montréal: Les Éditions Fides, 2004, 464 pp. Collection “Points chauds”. [MM. Brunelle et Deblock nous a accordé conjointement le 20 juin 2020, l’autorisation de diffuser ce livre, en texte intégral et en libre accès à tous, dans Les Classiques des sciences sociales.]

[241]

Deuxième partie
Le bilan économique et social
Chapitre 9.

L’ALENA et l’intégration économique
dans les Amériques :
vers une union douanière
et des régions spécialisées
.”

Pierre-Paul PROULX

L’ALE et l’ALENA ont accéléré le processus d’intégration et de recomposition territoriale et spatiale de l’activité économique en cours en Amérique du Nord. Nous allons identifier certains traits saillants de ce processus d’intégration présenter des hypothèses qui en expliquent l’évolution et conclure en présentant quelques réflexions concernant un agenda de négociations à engager bilatéralement avec les États-Unis d’Amérique (EUA). D’autres ententes bilatérales et la négociation de la ZLEA, une démarche difficile et semée d’embûches, nous apparaissent une voie plus pertinente pour approfondir l’intégration avec le Mexique et les autres pays. Les expériences de libéralisation des échanges, de satellisation et d’intégration en cours en Europe et en Asie nous incitent à favoriser cette option.

Notre analyse portera sur certains aspects choisis du sujet, soit les spécialisations à venir du Mexique, du Québec, du Canada et des autres pays membres d’une potentielle ZLEA tout d’abord, les origines et les destinations des IDE au sein de l’ALENA ensuite, et la spécialisation accrue de régions sous-nationales, acteurs de plus en plus importants dans le commerce interrégional-international, enfin.

[242]

Les relations commerciales du Canada
et du Québec au sein de l’ALENA :
quelques traits saillants



Quelques données au niveau mondial
et en Amérique du Nord
 [1]

Les exportations mondiales ont augmenté en valeur de 6 % par année entre 1990 et 2000 pour diminuer de 4 % en 2001 et augmenter de 4 % en 2002, alors que les exportations de l’Amérique du Nord ont augmenté de 7 % par année durant les années 1990 pour diminuer de 7 % et 4 % en 2001 et 2002.

Les importations mondiales ont augmenté de 6 % durant les années 1990 pour diminuer de 4 % en 2001 et augmenter de 3 % en 2002. En Amérique du Nord, les importations ont augmenté de 9 % par année durant les années 1990, pour diminuer de 6 % en 2001 et augmenter de 2 % en 2002.

L’ALENA se présente donc comme une région dynamique responsable de 33 % du PIB mondial et de 19 % et 25 % des exportations et des importations mondiales respectivement.

Les EUA sont le noyau de cette région. En 2002, ils représentent 88,5 % du PIB de l’ALENA, la part canadienne étant de 6,1 % et celle du Mexique de 5,4 %. Les EUA représentent aussi 68,6 % de la population de l’ALENA, le Mexique 23,9 % et le Canada 7,5 %. Le PIB par personne (au taux de change du marché) est de 35 300 dollars américains par personne, celui du Canada de 22 300 dollars américains par personne et [243] celui du Mexique de 6 200 dollars américains par personne [2].

Si l’on se fie à l’ampleur du commerce intrarégional dans l’Union européenne (59,5 % en 1970 et 61,2 % en 2001), il resterait du chemin à faire sur le plan de l’intégration en Amérique du Nord, la part des exportations intrarégionales étant passée de 36 % en 1970 à 54,8 % en 2001.

Quelques données
sur le commerce international du Canada


En 2002, 81,6 % des exportations canadiennes de biens et services ont été destinées aux EUA comparativement à 71,2 % en 1990. Elles ont augmenté de 11,9 % par année dans les années 1990 comparativement à 10,3 % vers toutes les destinations.

En 2002, 69,9 % des importations canadiennes de biens et services provenaient des EUA. Celles-ci ont augmenté de 10,4 % par année durant les années 1990 comparativement à 9,3 % en provenance de tous les pays.

Les exportations québécoises et la concurrence du Québec
avec le Mexique et la Chine sur le marché américain
 [3]

De 1995 à 2002, les exportations québécoises, à destination des deux autres pays de l’ALENA, ont [244] augmenté de 5,7 % en moyenne par année. En 2002, la part des produits québécois vendus dans la zone ALENA a atteint 85 % des exportations totales comparativement à 81 % en 1995 [4]. Les ventes de produits québécois aux EUA ont atteint 57 milliards de dollars en 2002, ce qui représente 84 % des exportations totales comparativement à moins de 81 % en 1995. Entre 1995 et 2002, la hausse des ventes des produits québécois aux EUA a été plus forte que celle des ventes destinées au reste du monde, soit 5,6 % en moyenne par année comparativement à 2,3 % vers le reste du monde.

Le poids relatif du Québec dans les exportations canadiennes à destination des EUA a diminué, passant de 18,7 % en 1995 à 16,6 % en 2002 et ce, pour diverses raisons dont le déclin de la région transfrontalière canado-américaine du nord-est du continent où sont localisées des grandes agglomérations urbaines moins compétitives que les métropoles localisées ailleurs en Amérique du Nord, d’une part, et les effets différenciés de l’ALENA sur les régions du continent comme nous le verrons ci-après, d’autre part [5].

Le Mexique a quadruplé ses achats de produits québécois entre 1995 et 2002 (330 millions de dollars [245] en 2002), bien que son importance relative dans le total des exportations québécoises soit faible (0,5 %). L’Amérique latine, à l’exclusion du Mexique dont les achats de produits québécois ont totalisé près de un milliard de dollars en 2002, a perdu près d’un point de pourcentage de son poids relatif dans les exportations du Québec, glissant ainsi à 1 % en 2002 contre 2 % en 1995.

Le poids relatif des exportations de biens sur le PIB du Québec par rapport aux poids relatifs des expéditions interprovinciales sur le PIB a suivi une trajectoire entre 1983 et 2001. Le poids des exportations de biens est demeuré relativement le même entre 1983 et 1991 (oscillant dans les 19 % et 20 %), période durant laquelle le poids des expéditions interprovinciales de biens diminuait, passant de 21 % en 1983 à 16 % en 1992 alors qu’il s’est stabilisé à 15 % par la suite, alors que le poids des exportations de biens est passé de 18 % en 1991 à 36 % en 2001.

Entre 1991 et l’an 2000, le ratio des exportations québécoises aux importations totales des EUA est demeuré essentiellement stable (3,4 % en 1991, 3,8 % en 1995 et 3,5 % en 2000) alors que ceux du Mexique et de la Chine ont augmenté : le ratio mexicain est passé de 6,5 % en 1991 à 8,3 % en 1995 et à 7,7 % en 2000 et le ratio chinois de 10,2 % en 1991 à 11,2 % en 1995 et à 12,3 % en 2000 [6].

La majorité des produits exportés par le Québec
aux EUA le sont aussi par le Mexique


La concurrence mexicaine se fait surtout sentir dans les secteurs des machines, appareils et matériel électrique, du poste de navigation aérienne et spatiale [246] et des minerais, scories et cendres. Les exportations mexicaines de pâte de bois ont augmenté de 20,8 % par année en moyenne entre 1991 et 2000, celles du Québec de 7,5 % ; les exportations mexicaines de chaudières, d’appareils et d’engins mécaniques et de leurs parties ont augmenté de 23,2 % et celles du Québec ont augmenté de 14,8 %. Les exportations de voitures, de pièces et d’accessoires ont augmenté de 43,6 % pour le Mexique et 15,9 % pour le Québec. Le processus d’intégration en cours donne lieu à un déplacement vers le sud de l’industrie de l’automobile, souci particulier de nos voisins ontariens, d’où l’importance pour les entreprises québécoises qui se spécialisent dans les pièces faites de nouveaux matériaux (aluminium et magnésium) de tenir compte de ces tendances lourdes dans leurs stratégies de ventes.

La performance en matière d’exportations québécoises sur le marché américain (part des importations totales américaines) est meilleure que celle du Mexique dans l’aluminium et les ouvrages en aluminium, les pelleteries et les fourrures, les meubles et le mobilier médico-chirurgical et les produits divers des industries chimiques.

La concurrence chinoise sur le marché américain se manifeste dans les produits suivants : machines, appareils et matériel électrique, vêtements et accessoires du vêtement et de la bonneterie, les jouets, jeux et articles de sport, et les produits divers des industries chimiques.

Cette analyse est à actualiser et parfaire au niveau du Québec. Une analyse plus désagrégée indiquerait qu’il existe actuellement moins de concurrence que ne le fait une analyse agrégée, les produits québécois étant plus intensifs en haute technologie et de plus haute valeur ajoutée pour une part importante des [247] exportations. La concurrence mexicaine s’annonce cependant de plus en plus importante à mesure que le processus Sud-Nord/Nord-Sud d’intégration se poursuit dans les Amériques et que le Mexique améliore sa productivité et avance dans la chaîne de valeur ajoutée de nombreux produits.

Les avantages comparatifs révélés du Québec
sur le marché américain


Notre examen des avantages comparatifs révélés (ACR) entre le Québec et les EUA pour les 30 principaux produits exportés montre que l’indicateur ACR est supérieur à 1 (indiquant donc une compétitivité québécoise sur le marché américain), mais en diminution entre 1991 et 2000 pour les papiers et les cartons (il est de 6,2 en 2000) ; les pâtes de bois (2,5 en 2000), le cuivre et les ouvrages en cuivre (2,8 en 2000) ; les minerais, scories et cendres (5,7 en 2000) ; le zinc et les ouvrages en zinc (34,0 en 2000) et le sel, soufre, terres et pierres, plâtres chaux et ciments (1,8 en 2000) [7].

L’ACR est supérieur à 1 et en croissance pour les produits suivants : navigation aérienne ou spatiale (1,7 en 2000) ; aluminium et ouvrages en aluminium (8,9 en 1991, 10,7 en 1995 et 9,4 en 2000) ; bois, charbon de bois et ouvrages en bois (7,1 en 2000) ; [248] meubles, mobilier médico-chirurgical (3,1 en 2000) ; combustibles minéraux, etc. (1,5 en 2000) ; fonte, fer et acier (1,7 en 2000) ; vêtements et accessoires de vêtements, autres qu’en bonneterie (2,4 en 2000) ; vêtements et accessoires du vêtement en bonneterie (1,6 en 2000) ; jouets, jeux et articles pour sports (1,0 en 1991 et 1,6 en 1995 et 2000) ; produits de l’édition (1,3 en 2000) ; navigation maritime et fluviale (1,2 en 1991, 6,5 en 1995 et 4,4 en 2000) ; étoffes de bonneterie (5,6 en 2000) ; véhicules pour voies ferrées, y compris appareils de signalisation (2,5 en 2000).

Les importations québécoises

La valeur des importations internationales de marchandises du Québec a augmenté de 5,6 % en moyenne par année entre 1995 et 2002. Les importations québécoises sont passées de 43,4 milliards de dollars en 1995 à 63,4 milliards en 2002, après avoir enregistré un sommet de 68,1 milliards en 2000. En 2002, le Québec a importé 18,2 % des produits étrangers qui entrent au Canada comparativement à 19,2 % en 1995.

Les importations du Québec en provenance des pays de l’ALENA ont augmenté de 5,5 milliards de dollars entre 1995 et 2002 passant de 22,8 à 28,3 milliards de dollars. Les achats de produits européens (14 milliards de dollars en 2002) représentent environ la moitié de ce que l’on achète dans les pays de l’ALENA. Les pays d’Amérique latine ont exporté au Québec pour un total de 2,8 milliards de dollars en 2002. Moins tourné vers les EUA en ce qui concerne ses importations, le Québec demeure très dépendant des EUA pour ses exportations. Une réévaluation du dollar canadien et des liens plus développés avec d’autres pays des Amériques, dont le Mexique, viendront diminuer cette dépendance.

[249]

Le commerce international du Québec (exportations + importations) est passé de 37 % de son PIB en 1981 à 72 % en 2002. Notons pour fins de comparaison que ces données sont de 45 % et 94 % pour l’Ontario dont l’économie est très intégrée à la région transfrontalière des Grands Lacs, comme l’indique le fait que la part américaine des exportations de l’Ontario est passée de 85,4 % en 1988 à 93,2 % en 2001.

Le commerce intra-industrie et intrasociété
dans les flux commerciaux du Québec


Nombre d’études indiquent qu’avec le commerce intra-industrie se manifestent la spécialisation, les économies d’échelle et un effet positif sur la croissance de la productivité et de l’économie [8]. L’étude de Gu et Sawchuk [9], pour les années 1990-1998, partant d’estimations de l’ampleur du commerce intra-industrie par province, établit que la spécialisation nationale canadienne a surtout pris la forme de commerce intra-industrie, phénomène qu’ils observent aussi en Ontario.

[250]

Au Québec et dans les provinces atlantiques, le commerce inter-industrie a augmenté plus rapidement que le commerce intra-industrie dans 12 des 18 industries étudiées. Cela indique que les avantages comparés du Québec proviennent surtout de ses ressources naturelles.

Nous avons, de notre côté, estimé les coefficients Grubel-Lloyd de commerce intra-industrie pour les 30 principaux produits exportés du Québec vers les EUA pour les années 1991,1995 et 2000 [10]. Le nombre de secteurs où le commerce intra-industrie dépasse le seuil de 1 (indiquant qu’il y existe une certaine spécialisation et intégration et des flux d’exportations et d’importations de pièces, intrants et produits finis au sein de l’industrie entre le Québec et les EUA) est restreint. Ce sont les secteurs suivants : produits chimiques organiques (1,4 en 1991, 1,2 en 1995 et 1,4 en 2000) ; combustibles minéraux, huiles et matières bitumineuses, cires, etc. (1,2 en 1991, 0,9 en 1995 et 1,1 en 2000). Le coefficient était de 1,2 dans le secteur voiture, automobile, tracteurs, leurs parties et pièces en 1991, mais il a chuté pour se trouver à 0,5 en 2000, et il était de 1,5 dans l’industrie des tissus imprégnés, enduits, recouverts ou stratifiés, où il a aussi chuté à 0,4 en 2000.

Ces estimations confirment la conclusion de Gu et Sawchuk et indiquent toute l’importance de la deuxième et troisième transformation des ressources et du commerce intra-industrie pour le développement économique du Québec.

Notons cependant que les travaux de l’Institute for Competitiveness and Prosperity de l’Ontario indiquent que la composition par grappe (les 41 grappes de Michael Porter) de l’économie du Québec dépasse [251] maintenant la médiane de celle des 14 provinces et États ayant une population de plus de 6 millions d’habitants, indication que notre économie est en mutation vers un éventail de grappes et d’industries plus productives [11].

Le commerce canadien avec le Mexique [12]

Entre 1989 et 2002, les exportations canadiennes de biens vers le Mexique (base douanière) ont augmenté de 638 millions de dollars à 2,4 milliards de dollars en 2002. Durant cette période, les importations canadiennes de biens en provenance du Mexique ont augmenté de 1,7 milliard de dollars à 12,7 milliards de dollars. La balance commerciale du Canada avec le Mexique, demeurée négative, s’est détériorée et il semble que ni la crise du peso ni l’ALENA n’aient eu d’impact majeur sur ces flux commerciaux.

Les produits agricoles (31,3 % des exportations canadiennes au Mexique) et les équipements de transport sont les seules grandes catégories des exportations dont la part des exportations canadiennes ait augmenté depuis 1989. La machinerie, les produits électroniques et les équipements de transport représentent près des trois quarts des importations canadiennes en provenance du Mexique.

[252]

Schembri et Vesselovsky ont réalisé une étude des flux de biens entre le Canada, les EUA et le Mexique durant la période 1990-1996 [13]. Leur analyse empirique indique que les différences de productivité (productivité totale des facteurs), les coûts des facteurs et le marché intérieur jouent un rôle important dans l’explication des flux de commerce en Amérique du Nord. Leur banque de données (au niveau de deux chiffres) indique que la productivité des pays impliqués varie selon les secteurs. L’indice de productivité totale du Mexique est plus bas que celui du Canada et des EUA dans toutes les industries, alors que l’indice canadien est plus bas que celui des EUA dans toutes les industries sauf l’alimentation, les breuvages et le tabac ; le bois et les produits du bois. Leurs données indiquent l’existence de taux élevés de croissance des exportations, les taux mexicains d’exportation vers le Canada et les EUA étant les plus élevés. Ils notent que seuls les taux mexicains d’exportation ont augmenté durant les cinq années qui ont suivi la mise en application de l’ALENA, une exception au résultat général selon lequel les taux de croissance des exportations n’ont pas augmenté suite à l’ALENA.

Schembri et Vesselovsky notent aussi que les flux commerciaux ont commencé à augmenter en 1988, donc avant l’ALE, une indication que nombre de facteurs autres que les ententes formelles de libéralisation des échanges influencent les flux de commerce. Ils évoquent les développements dans les domaines des communications et du transport, les changements de politique économique au Mexique depuis la crise de la dette de 1992, la transnationalisation accrue des activités des entreprises (favorisée par les [253] programmes visant les maquiladoras) et l’augmentation importante du commerce intrafirme (lequel serait la voie choisie pour environ 40 % du commerce canado-américain). Leurs résultats indiquent que les entreprises mexicaines augmentent leurs parts du marché américain aux dépens de leurs concurrents canadiens et plus que peuvent l’expliquer les augmentations de productivité et les diminutions de coûts. Il en est ainsi pour les exportations mexicaines au Canada. Selon Schembri et Vesselovsky, le niveau initial élevé et l’ampleur des diminutions dans les tarifs et barrières non tarifaires mexicaines expliqueraient ces résultats.

Selon eux, les flux commerciaux vont continuer à augmenter en Amérique du Nord sous l’influence des causes qu’ils évoquent et partant du fait que les niveaux de productivité du Canada et du Mexique se rapprocheront de celui des EUA grâce aux investissements en capital humain et physique, et à l’adoption de nouvelles technologies. Ils anticipent des demandes accrues pour l’harmonisation de normes pour les produits, plus de mobilité de la main- d’œuvre, des moyens de transport Nord-Sud améliorés et même l’apparition d’une monnaie commune.

Le commerce du Mexique et du Canada avec les EUA :
des spécialisations changeantes


Certaines théories du commerce international nous portent à croire que le Canada et le Mexique se spécialiseront dans des domaines différents, le Mexique ayant un avantage dans la production de biens du secteur secondaire qui nécessitent des activités plus intensives en main-d’œuvre. Sawchuk et Sydor ont [254] abordé cette question [14]. Leur analyse de décomposition (shijt-share) leur permet de conclure que les exportations du Mexique vers les EUA ont augmenté deux fois plus rapidement que celles du Canada et ce, à cause de l’ampleur de la demande américaine et de la compétitivité accrue du Mexique. L’augmentation des exportations canadiennes n’aurait reposé que sur la demande américaine.

Ils notent qu’à un niveau agrégé, les mêmes industries (i.e. les véhicules moteurs, les produits électriques et électroniques, et la machinerie) figurent dans les exportations des deux pays vers les EUA, la performance mexicaine étant meilleure que celle du Canada.

Leur analyse des rapports capital/main-d’œuvre et des niveaux de rémunération par industrie indiquent que les exportations mexicaines et canadiennes sont souvent complémentaires et non concurrentielles. Ils observent que, quoique plus intensives en main-d’œuvre, la production et les exportations mexicaines reposent de plus en plus sur du capital tel que les automobiles et la machinerie. Ils notent aussi que le Mexique et le Canada ne sont pas les leaders dans les mêmes marchés d’importations américaines. Le Mexique resserre ses liens commerciaux avec les EUA dans les textiles, alors que les produits du bois demeurent importants pour le Canada. En 1998, le Mexique et le Canada étaient parmi les trois principaux exportateurs dans 6 industries sur 20 et ils étaient parmi les 5 principaux exportateurs dans 12 sur 20 industries. Sawchuk et Sydor sont d’avis que la concurrence entre le Canada et le Mexique sur le marché américain ne peut qu’augmenter avec l’augmentation des salaires et de la productivité au Mexique. Ils croient qu’un ralentissement dans la demande américaine, facteur sur lequel le Canada a [255] tablé, pourra rendre difficile le maintien des parts canadiennes sur les marchés américains, d’où l’importance d’accroître l’innovation et la productivité.

De plus, le Mexique est localisé plus près des marchés dynamiques et en croissance du Sud et du Sud-Ouest des EUA. Ils notent que le commerce intra- industrie augmente en importance pour les deux pays et que des flux importants de commerce reposent sur le commerce intrafirme. Les avantages de coûts de main-d’œuvre du Mexique et ses succès dans l’attraction d’IDE et de technologies pourront donner lieu à une concurrence intrafirme accrue dans un nombre grandissant d’activités et ce, particulièrement dans les industries de l’automobile, des produits électriques et électroniques et de la machinerie, déjà caractérisées par un important commerce intra-industrie et intrafirme. Les filiales mexicaines et canadiennes auront accès aux mêmes technologies et, quoique les coûts de production seront un critère retenu dans les décisions de localisation de la production, l’accès aux nouvelles technologies et leur utilisation rapide y seront aussi pour quelque chose.

Sawchuk et Sydor sont d’avis que l’augmentation des exportations mexicaines et canadiennes aux EUA ne créera pas de détournement de commerce significatif aux dépens de pays non membres de l’ALENA sauf dans quelques industries. Durant la période étudiée, les exportations mexicaines de produits électriques et électroniques et de produits de textiles remplaçaient des importations provenant d’Asie. Ils sont aussi d’avis que la mise en place de la ZLEA et le processus de libéralisation provenant de l’OMC pourraient avoir des effets négatifs sur les exportations mexicaines intensives en main-d’œuvre au sein des industries des produits électriques et électroniques, des textiles, de la machinerie et des biens professionnels (« professional [256] goods »). La proximité du Mexique face au marché américain et la présence de commerce intrafirme devraient donner au Mexique des avantages importants. Nul doute que des analyses plus détaillées par industrie permettraient d’estimer les effets de l’ALENA et de la ZLEA au Canada et au Mexique.

Un bref examen
de l'investissement direct étranger dans l’ALENA


L’ALENA se situe au deuxième rang derrière l’Union européenne en ce qui concerne les IDE mondiaux. L’ALENA accueille 23,9 % des IDE mondiaux (l’Union européenne 38,7 %) et est à l’origine de 25 % des flux sortants d’IDE (l’Union européenne 52,5 %). En 2002, 46,7 % du stock d’IDE canadien total (431,8 milliards de dollars) était aux EUA et 10,5 % dans le Royaume-Uni. Les EUA étaient la source de 64,6 % du stock d’IDE étranger au Canada lequel était de 349,2 milliards de dollars. La France suit avec 9,2 % et le Royaume-Uni avec 7,5 %. Le rapport du stock des IDE américains au PIB canadien a augmenté de 12,2 % en 1989 à 19,6 % en 2002. Les augmentations les plus rapides des stocks américains se sont produites depuis 1994. Elles ont suivi la mise en application de l’ALENA, mais ont cependant été beaucoup influencées par quelques grandes transactions dans le domaine des fusions et acquisitions.

La complémentarité entre les exportations et l’IDE ainsi que l’ampleur de ces liens expliquent en partie l’orientation Nord-Sud des flux commerciaux du Canada [15]. L’IDE canadien aux EUA est fortement concentré dans les industries suivantes : finances et assurances, machinerie, équipement de transport, services [257] et commerce de détail. Le secteur « autres industries », qui englobe les ordinateurs et les télécommunications, est le deuxième en importance et est responsable de plus de 25 % des IDE canadiens aux EUA. On peut anticiper des IDE canadiens et américains dans le domaine de l’énergie, car il est question de construction de pipelines et de sécurité d’approvisionnement.

L’ALE et l’ALENA ont eu peu d’effet sur les IDE américains destinés au Canada mais beaucoup par contre sur ceux destinés au Mexique. Les flux d’IDE (deux directions) entre le Canada et les EUA ont augmenté de 135 % entre 1989 et 2001, ceux entre les EUA et le Mexique de 288 %.

De plus, il faut noter que la part canadienne des IDE européens destinés à l’Amérique du Nord passe de 3 % en 1992 à 1 % en 1998. Cette évolution explique en partie pourquoi la part canadienne du stock mondial d’IDE est passée de 4,9 % en 1990 à 3,4 % en 2000. Ajoutons que la part canadienne du stock entrant d’IDE en Amérique du Nord en provenance de toutes sources est passée de 20,2 % en 1990 à 16,5 % en 1995 à 12,9 % en 2000.

Une étude de Globerman et Shapiro tente de cerner cette question de plus près [16]. Ils concluent que, malgré des variations importantes à court terme, la part canadienne des IDE américains sortants est demeurée relativement constante durant la période 1994- 1999. Selon leur analyse, le rapport EUA/Canada des flux bruts d’IDE entrants, quoiqu’il ait augmenté durant la période 1994-1999 pour atteindre un plafond en 1999, n’était pas plus élevé que ce qui a été observé durant la période 1988-1993. Ils notent cependant [258] qu’il y a eu une augmentation constante du rapport du stock d’IDE entrant aux EUA au stock des IDE entrant au Canada durant les années 1980 et 1990. Leur examen des flux d’IDE dans l’OCDE indique que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont été particulièrement actifs durant la période 1996-1999. Ils notent que ces pays ont été très présents aux EUA d’où une explication de l’augmentation du ratio des stocks d’IDE entrant aux EUA comparativement au Canada.

Globerman et Shapiro signalent que les IDE ont constitué une part relativement plus élevée de la formation de capital au Canada qu’aux EUA vers la fin des années 1980 et durant les années 1990, et suggèrent que les firmes multinationales ont peut-être trouvé le Canada plus intéressant comme destination que les EUA. Ils notent aussi la quasi-disparition des IDE européens au Canada vers la fin des années 1990 et sont d’avis que le rythme élevé de croissance de l’économie américaine et les choix stratégiques des maisons-mères européennes sont les principales explications de ce phénomène.

Les conditions micro-économiques de l’environnement d’affaires seraient, selon eux, meilleures au Canada qu’aux EUA, mais l’ALE et l’ALENA peuvent expliquer les décisions européennes de localiser leurs activités aux EUA pour pénétrer l’ensemble du marché de l’ALENA d’où la part prépondérante de leurs investissements aux EUA plutôt qu’au Canada. Rappelons que les partisans de cette option faisaient ressortir le fait que l’accès amélioré au marché américain pouvait aider à garder et orienter les IDE vers le Canada. En fait, ces tendances tendent à confirmer l’argument selon lequel la libéralisation des échanges doit être accompagnée d’une gamme de politiques harmonisées visant l’innovation, la formation, les infrastructures [259] multimodales et les créneaux si on veut en profiter et attirer les IDE.

Aspects régionaux sous-nationaux
du processus d’intégration


Notre analyse du processus d’intégration en Amérique du Nord et notre effort de compréhension des effets de l’ALE et de l’ALENA tiennent compte explicitement de l’aspect spatial, régional et territorial du phénomène d’agglomération. Les développements dans les technologies de l’information et leurs applications de plus en plus nombreuses dans bien des secteurs, les nouvelles stratégies de déploiement des entreprises qui se décomposent et localisent leurs activités dans des régions métropolitaines spécialisées, les innovations dans le transport des biens, des services, des personnes et des capitaux, les ententes de libéralisation des échanges dont l’ALE, l’ALENA, l’OMC. Voilà des facteurs qui permettent que se manifestent les économies d’agglomération, la métropolisation, les spécialisations régionales, etc. Bref, la recomposition de l’espace économique pertinent pour nos entreprises et nos gouvernements qui sont en conséquence interpellés et doivent mettre au point de nouvelles stratégies d’affaires et de nouveaux modèles de gouvernance dont ceux avec les États transfrontaliers. Nos travaux sur la métropolisation et la compétitivité des grandes agglomérations urbaines américaines indiquent que celles-ci se spécialisent et profitent des effets d’agglomération qui accompagnent la naissance et la consolidation de grappes industrielles, phénomène des plus importants à cerner pour l’élaboration des stratégies de développement économique des villes canadiennes [17]. Examinons certains aspects régionaux et [260] provinciaux de la carte des flux commerciaux des provinces et États en Amérique du Nord.

L’économie de l’Ontario est la 16e économie au monde ayant un PIB supérieur à celui de l’Argentine. L’économie du Québec est la 29e économie au monde, son PIB étant supérieur à celui de l’Afrique du Sud. Ces deux provinces sont responsables des deux tiers des exportations totales du Canada.

L’économie de l’Ontario est très intégrée à la région des Grands Lacs. Des cinq États américains qui dépendent de leurs exportations vers le Canada pour plus de 2,5 % de leurs PIB, quatre sont localisés à proximité des Grands Lacs. Le secteur automobile, localisé essentiellement en Ontario, représente 23,6 % des exportations et 22,9 % des importations canadiennes de biens. Il s’agit en bonne partie de commerce intrafirme qui demeurera important comme forme de commerce. Nous avons noté plus haut que 84 % des exportations québécoises étaient destinées aux EUA. La localisation de l’Ontario (région transfrontalière sous-nationale des Grands Lacs) et du Québec (région transfrontalière du Nord-Est), l’ampleur du commerce intra-industrie (en croissance) et intrafirme (stabilisé, mais encore responsable de 40 % du total des flux commerciaux), d’où l’importance des intrants importés dans les exportations canadiennes (33,1 % en 1999), indiquent que le processus d’intégration Nord-Sud axé sur l’économie américaine est très avancé.

Les destinations régionales américaines
des exportations ontariennes et québécoises


Entre 1989 et 2002, les exportations de biens des régions canadiennes vers les EUA ont augmenté aux taux annuels composés moyens suivants : Prairies 11,5 %, Atlantique 10,2 %, Québec 9,8 %, Ontario 9,7 %, Colombie-Britannique et Territoires 8,1 %.

[261]

La part des exportations ontariennes destinée à la région Centre-Ouest des EUA est passée de 56,3 % en 1988 à 51,7 % en 2001 alors que les parts de la région Nord-Est passaient de 28,2 % à 18,6 %, celles de l’Ouest de 4,5 % à 13,3 % et celles de la région Sud de 10,9 % à 14,6 %. On constate donc qu’il se manifeste une recomposition spatiale dans la destination des exportations ontariennes.

La part du Nord-Est dans les exportations américaines du Québec est passée de 47,5 % en 1988 à 41,2 % en 2001 ; celle de la région Centre-Ouest de 29,0 % à 22,5 % ; celle du Sud de 17,7 % à 26,7 % et celle de la région Ouest de 5,3 % à 7,6 %. La mutation dans les destinations est semblable à celle observée pour l’Ontario. Signalons, car nous y reviendrons, le déclin de la part de la région Centre-Ouest comme destination des exportations des deux provinces. La proximité géographique est toujours à l’œuvre, mais le contenu de plus en plus haute technologie des produits et donc l’importance du Sud-Ouest des EUA se manifeste aussi.

Entre 1989 et 2002, toutes les régions canadiennes ont vu la part américaine de leurs importations diminuer et ce, surtout au Québec et dans les Prairies. Les importations provinciales provenant des EUA ont néanmoins augmenté durant cette période (mais à des taux moindres que ceux observés pour les exportations provinciales vers les EUA). Les taux d’augmentation annuels composés des importations ont été les suivants : Prairies 9,1 %, Ontario 7,7 %, Colombie- Britannique et les Territoires 5,4 %, Provinces Atlantiques 4,8 % et Québec 4,3 %.

Le déclin de la part des secteurs primaire et secondaire de basse valeur ajoutée dans le PIB, de concert avec l’importance grandissante des secteurs tertiaire et quaternaire, s’accompagne d’un changement [262] important dans la carte géographique des activités économiques et, en conséquence, de la population en Amérique du Nord. Des relations transfrontalières qui reflètent l’ancienne économie de ressources naturelles et de transport demeurent importantes, mais le déplacement de l’activité économique vers le Sud et l’Ouest du continent se manifeste par le déclin de l’effet frontière (travaux de McCallum Helliwell et Mark Brown) et la dissipation des activités manufacturières autrefois concentrées dans la ceinture manufacturière vers le Sud, l’Ouest et les régions non urbaines [18]. Quoique les activités manufacturières demeurent plus urbaines au Canada qu’aux EUA, le mouvement vers les banlieues et les régions limitrophes est en marche ici aussi.

La poursuite du processus d’intégration économique sous l’effet des stratégies de localisation des firmes multinationales, du commerce intra-industrie, du commerce intrafirme, du développement de réseaux de transport plus efficaces sur le plan Nord-Sud (dont l’intégration des réseaux de vols aériens), l’harmonisation de la réglementation canadienne et américaine dans nombre de domaines, ainsi que la négociation d’un tarif extérieur commun pour le Canada et les EUA, auraient pour effet de rendre possible la spécialisation d’entreprises, d’industries et de villes canadiennes (dont les villes ontariennes et québécoises) qui leur permettront d’améliorer leur compétitivité. Demeure cependant la question de savoir si la tendance lourde du déplacement de l’activité économique vers le Sud et l’Ouest du continent (dont les maquiladoras), tendance qui a fait se dissiper la ceinture manufacturière américaine viendra aussi [263] affecter l’Ontario et le Québec dont l’activité manufacturière a été protégée par l’effet frontière.

Quels que soient les effets, l’analyse de l’intégration économique permet de comprendre les soucis des entreprises (surtout de la cinquantaine de grandes entreprises canadiennes) très impliquées dans le commerce Nord-Sud, le commerce intra-industrie et intrafirme avec nos voisins Américains. Les événements du 11 septembre et le souci omniprésent des Américains pour la sécurité ont incité les autorités fédérales du Canada à négocier la « Frontière intelligente », afin de minimiser les effets des préoccupations américaines sur les mouvements des biens, des services, des personnes et des capitaux entre le Canada et les EUA.

Une étude récente du C. D. Howe Institute fait ressortir l’ampleur des effets qui proviendraient d’une fermeture de la frontière [19]. On peut certes discuter de leur modèle d’analyse (lequel prend en considération les caractéristiques physiques des biens, le mode de transport, la facilité qu’ont les Américains à trouver des biens substituts, l’importance du temps de livraison et l’importance de la mobilité des personnes vers les EUA selon la nature des biens), mais ils concluent que 45 % des exportations canadiennes, 390 000 emplois et 3,7 milliards de dollars d’investissements canadiens seraient touchés directement. De plus, ils estiment (à l’aide des tableaux entrée-sortie de Statistique Canada) que 70 milliards de dollars de production seraient aussi touchés en sus des 141 milliards de dollars d’exportations directement vulnérables. Selon Goldfarb et Robson, les impacts provinciaux [264] varient beaucoup. En Ontario, les industries directement vulnérables représentent 28 % de la production ontarienne (11 % au Québec) ; 68 % des exportations (41 % au Québec) ; et 624 600 emplois (6400 au Québec).

On comprend donc le souci de certains de poursuivre les discussions et les négociations pour sécuriser l’accès des produits, des services, des personnes et des capitaux canadiens au marché américain. La négociation d’une union douanière, ou du moins l’harmonisation des tarifs et barrières non tarifaires canadiens et américains visant les pays en voie de développement pour en arriver à un tarif extérieur commun, d’où la disparition des règles d’origine, figurent donc dans la liste des propositions dont on pourrait envisager la négociation avec les EUA. Pas besoin d’être devin pour comprendre que les questions économiques, de sécurité et les questions commerciales sont liées et influencent la politique étrangère.

Les effets régionaux de l'ALE et de l’ALENA

Le professeur H. Wall, à l’aide d’un modèle de gravité, a récemment préparé des estimations des effets de l’ALENA sur les flux commerciaux des régions canadiennes et américaines [20]. Selon Wall, l’ALENA a eu pour effet : 1) de faire diminuer le commerce entre l’Est canadien, les EUA et le Mexique ; 2) de faire augmenter le commerce entre les provinces centrales du Canada, les EUA et le Mexique ; et 3) de ne pas influencer significativement le commerce entre l’Ouest canadien et les EUA. Selon Wall, l’ALENA a [265] modifié la carte du commerce des régions de l’Amérique du Nord en modifiant la répartition spatiale des fournisseurs et clients des entreprises et en modifiant aussi les lieux potentiels pour les implantations des entreprises, entre autres, en donnant libre cours aux effets d’agglomération qui découlent du fonctionnement en grappes. De plus, l’ALENA aurait fait augmenter les exportations canadiennes vers les EUA de 29 % et les importations canadiennes en provenance des EUA de 14 %. Tous les coefficients (18) de ses équations ayant examiné les effets de l’ALENA sur le commerce entre l’Est du Canada et une région américaine étaient négatifs et 17 étaient statistiquement significatifs. Les exportations de l’Est du Canada vers les EUA auraient diminué de 9 % à cause de l’ALENA selon ses calculs. Les importations des provinces de l’Est du Canada en provenance des EUA auraient diminué de 13 % à cause de l’ALENA.

Ces résultats confirment mes propres résultats : les grandes villes situées au Québec, dans les provinces atlantiques et dans les États de la Nouvelle-Angleterre (la région transfrontalière Nord-Est) seraient devenues moins compétitives que les grandes agglomérations urbaines ailleurs aux EUA et au Canada [21]. Les flux commerciaux refléteraient des changements territoriaux profonds. Selon Wall, les exportations de l’Ontario et du Québec (central) auraient augmenté de 43 % et leurs importations de 18 % à cause de l’ALENA. Selon son étude, les effets de l’ALENA sur les flux commerciaux des provinces de l’Ouest canadien seraient presque nuis.

Wall conclut que l’effet de l’ALENA sur les flux commerciaux des EUA avec le Canada a été positif en règle générale pour presque toutes les régions. Les [266] exceptions sont les États de la Rocky Mountain Région et ceux du Far West. Les Grands Lacs et la région South Central auraient vu leurs exportations vers le Canada augmenter le plus, alors que les régions des Grands Lacs et les régions Southeast auraient vu leurs importations canadiennes augmenter le plus.

*  *  *

L’intégration économique fait naître des demandes pour un nouveau partage de compétences, certaines étant mises en commun dans des instances supranationales, d’autres dévolues à des instances sous- nationales. Nos voisins américains étant peu enclins à partager des compétences, on comprend que le modèle de gouvernance qui se développera sera léger comparativement à ce que l’on observe dans l’Union européenne. Nous n’abordons pas ce sujet, sauf pour noter, d’une part, que les initiatives prises dans les domaines du travail et de l’environnement sont à revoir et à améliorer et, d’autre part, que les forums sous-nationaux impliquant des gouverneurs d’États et des premiers ministres de provinces, comme il en existe quelques-uns actuellement, pourraient se voir interpeller plus sérieusement par le processus d’intégration qui donne lieu à la naissance de régions économiques souvent transnationales qui ont des problèmes à traiter en commun et des potentiels à développer ensemble.

La recomposition sectorielle et territoriale de l’activité économique dans les Amériques n’a rien de nouveau et elle se poursuit inexorablement sous l’effet de nombre de facteurs que les gouvernements tentent tant bien que mal de canaliser à la lumière de leurs objectifs sociaux, économiques, culturels et politiques et ce, entre autres, par des ententes telles que l’ALE et l’ALENA.

[267]

Laissons au lecteur intéressé l’établissement de la liste de traits saillants qui ont caractérisé l’évolution des flux commerciaux, des IDE et la répartition spatiale de l’activité économique en Amérique du Nord depuis la mise en application de l’ALENA et que nous avons présenté dans ce texte. Énumérons plutôt certaines hypothèses et observations qui pourraient figurer parmi les nouveaux enjeux pour la deuxième décennie de l’ALENA. Quelques questions tout d’abord :

  • Dans quelles industries se manifestera la complémentarité qui pourrait se développer entre les flux de commerce interprovinciaux et Nord-Sud ? Et que faire pour revaloriser le rôle historique de la RMR de Montréal comme plaque tournante pour les importations et les exportations ?

  • Comment se préparer à mieux affronter la concurrence accrue provenant du Mexique et de la Chine sur le marché américain ?

  • Comment attirer au Canada et au Québec une part plus importante des IDE européens et asiatiques destinés à l’Amérique du Nord ?

  • Comment tirer profit du phénomène de la métropolisation et de la spécialisation qui a cours en Amérique du Nord ? Quels créneaux retenir et comment se positionner de façon compétitive ?

  • Comment s’adapter à la disparition progressive de la ceinture manufacturière américaine vers le Sud, l’Ouest et les milieux ruraux ?

Le débat sur les valeurs et la culture et les effets d’une intégration plus poussée sur celles-ci se poursuit et continuera d’interpeller chercheurs et politiciens. Pourquoi ne pas adopter une position [268] offensive plutôt que défensive en ce qui concerne le rôle de la culture et des valeurs et ce, dans le cadre d’une stratégie de choix et de développement de créneaux compétitifs en Amérique du Nord.

Nous avons évoqué l’importance grandissante des régions et des grandes agglomérations urbaines comme acteurs dans le développement économique. Développer et mettre en marche des stratégies de développement qui tablent sur les valeurs, les cultures, les savoir-faire des villes et des régions nous semble une voie à explorer pour favoriser la poursuite de nos objectifs sociaux, économiques, culturels et politiques. La mise au point de ces stratégies peut s’inspirer des théories des créneaux, grappes, filières, des effets d’agglomération rendus plus puissants dans un monde de mobilité accrue, etc.

Impossible d’en rester là dans le contexte de la société d’information, de connaissances, de liberté de plus en plus grande de circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux que nous vivons.

Nul doute qu’il est indiqué de s’intéresser à des politiques telles que la politique étrangère et ses composantes interreliées d’économie, de sécurité, de commerce et de finance internationale. Accompagner ces négociations de mesures nationales visant à promouvoir l’innovation, à améliorer la productivité, la formation, les infrastructures multimodales, les synergies au sein de créneaux, nous semble aussi indiqué pour pouvoir tirer profit des ententes de libéralisation des échanges.

Dans le contexte actuel, à court et moyen terme, étant donné les soucis de sécurité et la démarche unilatérale de nos voisins, la négociation d’ententes bilatérales avec les EUA, le Mexique et divers pays des Amériques nous semble une voie à suivre pour baliser et accompagner le processus d’intégration économique [269] qui se poursuit inévitablement sous les effets du changement technologique, des stratégies de décomposition et de localisation des entreprises multinationales et de spécialisation. La multiplication de ces ententes bilatérales pourra éventuellement nous mener à une Zone de libre-échange des Amériques. Et il nous faudra être patient avec les EUA dans le contexte actuel, car leurs intérêts sont ailleurs et concernent davantage la multiplication d’ententes bilatérales avec divers pays, les questions de sécurité, l’immigration mexicaine aux EUA, l’élection présidentielle de l’automne 2004, etc. Approfondir l’ALENA avec le Canada n’est vraisemblablement pas à l’agenda à court terme. De même, le contexte actuel n’est guère très propice pour s’attaquer à nombre de questions laissées en suspens lors des négociations sur l’ALENA, telles que le commerce agricole (on attendra vraisemblablement une solution au sein de l’OMC), l’immigration mexicaine, les règles en matière de droits antidumping et compensatoires, qui font que l’on devra continuer à subir des interventions protectionnistes américaines dans les domaines du bois d’œuvre, du blé, du sucre, etc. Il nous semble aussi peu probable que l’on en arrive à l’établissement d’une monnaie nord-américaine unique.

Que tenter de négocier avec les EUA ?

La mise au point d’un tarif extérieur commun et l’harmonisation de mesures non tarifaires (en excluant le secteur agricole, les quotas et subventions, le secteur laitier, le bœuf et le porc, mais s’appliquant à certains produits agricoles) nous semble un sujet à examiner bilatéralement, d’autant plus que les soucis de sécurité et le désir d’établir un périmètre de sécurité des EUA nous y mènent directement. La proposition de Hufbaeur et Schott à l’effet que les règles d’origine ne [270] s’appliquent plus quand 90 % des tarifs (au niveau de huit chiffres dans des catégories tarifaires à deux chiffres) visant les importations soient à plus ou moins 1 % de la moyenne des tarifs des trois pays membres, nous semble à examiner [22]. L’harmonisation de mesures visant l’immigration et des mesures pour assouplir et faciliter le mouvement des personnes et des biens à la frontière canado-américaine nous semble aussi un sujet à négocier. L’harmonisation de certaines mesures réglementaires (à partir du principe de la reconnaissance mutuelle de nos normes et pratiques respectives) pourrait aussi être encouragée. La proposition de Hufbauer et Schott à l’effet de promouvoir une collaboration accrue dans le secteur financier, entre autres en permettant à des observateurs de la Banque du Canada et de la Banque du Mexique d’assister à titre d’invité non votant aux réunions du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale nous semble aussi intéressante à explorer à court terme. Reprendre la discussion sur l’accès aux marchés publics pourrait être un sujet d’intérêt commun. Agir sur les barrières aux investissements dans le domaine énergétique intéresse nos voisins américains qui examinent divers projets (et trajets) de construction de pipelines pour le gaz naturel. Modifier le chapitre 11 en s’inspirant de ce qui a été négocié dans l’entente EUA/Chili où l’on a rendu plus transparentes les procédures d’expropriation et révisé le critère d’équivalence à l’expropriation (« tantamount to expropriation test ») nous semble aussi une initiative à poursuivre.

Notre conclusion du début des années 1990 à l’effet que la nature du changement technologique en [271] cours et les stratégies de décomposition et de relocalisation des firmes multinationales allaient éventuellement inciter le Canada et les EUA à négocier une union douanière demeure toujours d’actualité. Les nouveaux enjeux évoqués ci-haut devraient inciter les responsables de différentes politiques intérieures et de la politique étrangère à entreprendre des négociations sur des sujets choisis dont ceux discutés ci-dessus et à mettre en marche sans tarder des politiques, des programmes et des mesures qui ne dépendent que des acteurs nationaux. La compétitivité et le développement économique de nos villes, nos régions et nos provinces et la poursuite de nos objectifs sociaux, culturels et politiques ne peuvent qu’en profiter.

[272]

HSl

 

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ANNEXES

Présentation des auteurs


Pierre-Paul Proulx, professeur honoraire, Université de Montréal, chercheur associé au CEIM, Université du Québec à Montréal.



[1] Les données utilisées dans cette section du texte proviennent de l'OMC, World Trade Report, 2003 ; du ministère des Affaires étrangères (MAECI), Fourth Annual Report on Canada's Trade, Trade Update 2003 ; du MAECI, L’ALENA : déjà 10 ans. Rapport Préliminaire, 2003 ; de l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ) et du Ministère du Développement économique régional. Direction de l’analyse du commerce extérieur.

[2] Converti avec des données estimant la parité des pouvoirs d’achat, l’écart est encore de 15 % entre le Canada et les EUA.

[3] L’ISQ apporte des corrections aux données publiées par Statistique Canada concernant les importations du Québec (de toutes provenances). Ces corrections ont été de 4 milliards de dollars en 1990, de 7 milliards de dollars en 1995 et de 10,6 milliards de dollars en 2000. Il s’agit d’importations dédouanées ailleurs au Canada mais destinées au Québec. Selon nos estimations (voir Pierre-Paul Proulx, Le Québec face à la recomposition sectorielle et spatiale de l'activité économique dans l'Hémisphère ouest, annexe méthodologique, ministère du Conseil exécutif du Québec, 2002), la sous-estimation des importations en provenance des EUA serait de 2,1 milliards en 1991 et de 5.7 milliards en 1995. Il s’agit surtout de corrections concernant les voitures automobiles et la machinerie.

[4] R. Lahaie, Commerce international de marchandises au Québec, 1995-2002, Direction de l’analyse du commerce extérieur, ministère du Développement économique régional, juillet 2003.

[5] Voir Pierre-Paul Proulx, op. cit. et « Cities, Regions and Economie Integration in North America », in R. Harris (dir.), Aspects of North American Integration, Industry Canada, University of Calgary Press (à paraître).

Les ventes en Chine ont augmenté de près de 17,8 % par année de 1995 à 2002, les exportations vers l’Espagne augmentant de 17,3 %. Les ventes québécoises ont diminué en Italie, en Belgique et en France durant cette période.

[6] Données tirées de Pierre-Paul Proulx.

[7] Voir le Tableau III.59 de l’étude de Pierre-Paul Proulx, op. cit. L’avantage comparatif révélé (ACR) est calculé selon la formule suivante : (xiqc/Xqc) / (xius/Xus), où « xiqc » représente les exportations québécoises vers les EUA dans une industrie donnée et « xius » représente les exportations américaines vers le Québec. « Xqc » et « Xus » représentent les exportations totales du Québec et des EUA. Un coefficient supérieur à 1 indique un avantage comparatif révélé pour le Québec. Inutile de noter que l’ACR évolue et subit nombre d’influences dont, par exemple, la levée des quotas d’importation de vêtements dans le cadre de l’OMC ce qui risque d’influencer les secteurs du vêtement, nécessitant des stratégies novatrices de la part des entreprises québécoises dans ces secteurs.

[8] On mesure communément l’ampleur du commerce intra- industrie à l’aide du Coefficient Grubel-Lloyd, lequel se définit ainsi : 1 - (Xi-Mi) Xi + Mi. où Xi = exportations du produit i, et Mi = importations pour le produit i. Le numérateur (Xi-Mi) représente la différence absolue entre les exportations et les importations du produit i. Dans une industrie où l’on ne retrouve que des exportations ou des importations du produit i, on aura peu de commerce intra-industrie, alors que dans une industrie où l’on exporte et l’on importe des pièces et composantes pour assembler des produits finis, on aura un indice de commerce intra-industrie plus élevé, ce qui indique une intégration et spécialisation plus poussées dans le secteur. Le niveau d’agrégation auquel on estime le coefficient a évidemment un effet sur l’ampleur du commerce intra-industrie estimé, ce dernier s’élevant lorsque s’élève le niveau d’agrégation des données.

[9] Wulans Gu et Gary Sawchuk, « How Canadian Provinces Are Adjusting to a Large and More Integrated North American Market », Micro Economic Policy Analysis Branch, Industrie Canada, janvier 2001, polycopié.

[10] Pierre-Paul Proulx, op. cit., Tableau III.28, p. 460.

[11] Institute for Competitiveness and Prosperity, « Measuring Ontario’s Prosperity, Developing an Indicator System », Working Paper, n° 2, août 2002. Le Québec souffre cependant du fait que son taux d’urbanisation est le plus bas de ceux examinés, facteur qui limite les économies d’agglomération et leurs effets positifs sur la productivité.

[12] Statistique Canada indique que les données sur le commerce entre le Canada et le Mexique sont faussées par le commerce indirect (les biens transitant par les EUA vers et en provenance du Mexique sont mal comptabilisés dans les données). En 1998 et 1999, les données sur les importations du Mexique provenant du Canada dépassaient de 1,9 milliards de dollars et de 2,7 milliards de dollars respectivement les données sur les exportations du Canada vers le Mexique. Le commerce indirect expliquerait 58 % des différences dans le commerce en direction du sud et 78 % de celle en direction du nord.

[13] Lawrence I. Schembri et Mykyta Vesselovsky, Comparative Advantage and Trade in North America : A Sectorial Analysis, in R. Harris (dir.), op. cit.

[14] Cary Sawchuk et Aaran Sydor, « Mexico and Canada : Changing Specializations in Trade with the United States », in R. Harris, op. cit.

[15] Voir Pierre-Paul Proulx, op. cit., pour un examen des flux et stocks d’IDE désagrégés au niveau des provinces et États.

[16] Steven Globerman et Daniel Shapiro, « Assessing Recent Patterns of Foreign Direct Investment in Canada and the United States », in R. Harris (dir.), op. cit

[17] Voir Pierre-Paul Proulx, in R. Harris (dir.), op. cit.

[18] T. J. Holmes et J. J. Stevens, « Spatial Distribution of Economic Activities in North America », polycopié, 27 juin 2003, à paraître dans Handbook of Regional and Urban Economics.

[19] Danielle Goldfarb et William Robson, « Risky Business, US Border Security and the Threat to Canadian Exports », C. D. Howe Institute, Commentary, The Border Paper, n° 177, mars 2003.

[20] H. J. Wall, NAFTA and the Geography of North American Trade, Working Paper n° 2000-01, dernière révision juillet 2002. Signalons pour le non-initié que le modèle de gravité tente d’expliquer les exportations ou les flux de commerce entre deux régions en tenant compte (dans sa version la plus élémentaire) de la distance géographique entre les régions et de leurs PIB respectifs.

[21] Voir Pierre-Paul Proulx, in R. Harris, op. cit.

[22] G. Hufbauer et J. Schott, « Prospects for North American Economic Integration : An American Perspective Post 9/11 », dans C. D. Howe Border Series (à paraître).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 août 2020 19:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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