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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier. (1973)
Préface à l'édition française


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard PIERRE-CHARLES, Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier. Montréal: Les Éditions Nouvelle Optique, 1973, 205 pp. Édition re-fondue et augmentée. Préface de Juan Bosch. Une édition numérique réalisée par Wood-Mark PIERRE, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et membre du Réseau des bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée par la direction du CRESFED le 11 juillet 2019 de diffuser ce livre, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[ix]

Radiographie d’une dictature.
Haïti et Duvalier

Préface à l'édition française

Par Pierre-Charles GÉRARD


Dans sa version originale, ce livre a été rédigé au cours de l’année 1968, dans un effort systématique d’analyse du phénomène socio-politique haïtien dans sa totalité causale-structurelle, son contexte historique et conjoncturel et ses perspectives d’avenir.

Ce fut une entreprise difficile étant donné les complexités du champ d’étude, lui-même semé de tant de zones obscures et l’étape de développement de la science sociale haïtienne qui n’est pas encore sorti de sa préhistoire métaphysique ou subjectiviste. À quoi il faut enfin ajouter la difficulté de disposer, dans l’éloignement de l’exil, de la luminosité et des instruments qui auraient pu donner à cette analyse toute la précision que suggère le terme de radiographie.

Les événements survenus en Haïti depuis 1968, culminant avec la mort de François Duvalier et 1’« intronisation » de son fils à la Présidence à Vie, ont montré que cet ouvrage (lequel pourrait paraître passionné même aux yeux du lecteur latino-américain à cause de la brutalité de son univers) n’était pas seulement une pâle image de l’horreur de la situation. Il était aussi un moyen indispensable pour comprendre la trajectoire dynastique du duvaliérisme et les conditions telluriques – peut-être sans précédent dans le monde – dans lesquelles le peuple haïtien doit mener sa lutte pour la liberté.

Il y a très peu de moments dans l’étude des sociétés globales où l’histoire immédiate fournit les éléments de validation de certaines catégories analytiques ou prévisions théoriques. Les faits survenus en Haïti depuis la publication de ce livre ont construit un terrain d’expérimentation exceptionnel pour vérifier la validité de quelques hypothèses fondamentales :

1) La crise structurelle de la société dépendante haïtienne donne lieu à un processus de dégradation économique. Dans le champ socio-politique elle engendre cette situation de malaise [x] et de mécontentement que les classes dirigeantes sont incapables de résoudre avec les moyens traditionnels, ce qui les oblige à trouver des formules neuves de plus en plus violentes. Le duvaliérisme en tant que fascisme de la dépendance et du sous-développement est une expression de cette crise.

2) Comme expression institutionnelle de la crise d’une société dépendante, le duvaliérisme se présente pour les classes dirigeantes comme une nécessité historique engendrée par les structures internes historiquement liées au capitalisme mondial.

La crise structurelle interne ne peut être comprise que dans le cadre de la crise du centre hégémonique. De plus, l’expression institutionnelle de crise, c’est-à-dire le duvaliérisme, est aussi une nécessité pour le centre dominant : elle représente la convergence des intérêts du statu quo interne et du statu quo de la domination-dépendance dans le cadre concret des relations entre Haïti et les États-Unis.

3) Le duvaliérisme étant un régime de force, qui méconnait les droits les plus élémentaires de l’homme, la lutte contre lui ne peut revêtir qu’un caractère de force. Pour qu’elle puisse pleinement incorporer les aspirations au progrès de la communauté, cette lutte doit en même temps dévoiler les structures d’où émerge le phénomène duvaliériste, c’est-à-dire le système économico-social existant, vu dans sa totalité nationale et dans le cadre de la relation de domination-dépendance.

Pour circonscrire avec plus de précision cette hypothèse, nous avons essayé de mettre à jour notre analyse en y intégrant l’étude de l’évolution politique récente, en restructurant le chapitre VIII de la version originale, en ajoutant le chapitre IX, et en présentant une esquisse des perspectives futures telles qu’on peut les évaluer dans le présent moment historique.

D’autre part, l’histoire récente a mis en évidence l’insuffisance de certaines prévisions :

En premier lieu, nous n’avons pas pu prévoir le continuisme dans sa forme grotesque mais efficace à court terme. Pour un analyste de la réalité haïtienne, cette solution apparaît a posteriori en parfait accord avec la logique duvaliériste. Mais personne en Haïti ou à l’extérieur n’a pu la prévoir malgré les intentions annoncées par le dictateur depuis 1965 de « remettre le pouvoir à la jeunesse ». La mort souhaitée mais imprévisible de Papa Doc semblait ouvrir des perspectives, dans le pire des cas : « un duvaliérisme sans Duvalier » dont l’instauration reviendrait, sous les directives nord-américaines, à l’armée, à quelque caudillo de l’appareil gouvernemental. En imposant « la formule du duvaliérisme avec le junior », le malicieux Papa Doc a renversé toutes les prévisions et, à ce qu’il paraît, a forcé la main à l’Oncle Sam qui contre mauvaise fortune fit bonne mine.

De même en appréciant le rapport des forces politiques en Haïti en 1968 et en mettant en relief l’existence d’une gauche [xi] clandestine, combative, susceptible de déterminer ou d’influencer sensiblement le futur immédiat, nous sommes tombés dans l’erreur de considérer à court terme le changement social inévitable. Ceci nous a amené à valoriser cette étape de lutte sans voir d’autre issue que celle du triomphe, en dépit des difficultés énormes d’une lutte qui s’annonçait longue. Cette vision rencontrait le désir national de voir la patrie se redresser, mais elle ne recouvrait pas tout l’éventail des possibilités politiques.

En tant qu’haïtien, directement mêlé à la conjoncture nationale, nous ne pouvions pas, en dépit de notre souci de rigueur objective et de notre désir de capter la vérité historique, produire une œuvre froide imprégnée d’académisme et qui se refuserait à prendre parti. Nous ne pouvions pas non plus étaler une vision romanesque et brutalement réaliste comme le livre de Graham Greene et sa version caricaturale dans « Les Comédiens » de Peter Glenville. Nous ne pouvions pas enfin produire un témoignage journalistique comme le « Papa Doc et les Tontons Macoutes » de B. Diedrich et Al Burt, et jamais une étude comme celle de Robert Rotberg, « Haïti : the Politics of squalor », ouvrage animé d’un esprit néocolonialiste et mettant à nu, un complexe de culpabilité métropolitaine, niant toute capacité de développement autonome à la société haïtienne. Notre travail ne pouvait être un examen aseptisé, réalisé avec le souci de ne pas se brûler les mains, ni un cri d’amertume paternaliste ou humaniste, ni un acte de solidarité avec une cause lointaine, ni enfin un journal intime, amer et chargé d’espérance style Anne Frank, retraçant dans la réclusion les événements vécus ou les sentiments éprouvés.

Notre ouvrage a voulu refléter les souffrances et la lutte multiforme d’une génération : de la désapprobation muette de l’arbitraire à la contestation impuissante et désarmée, l’élaboration d’une critique globale du système perçu dans sa caducité interne et ses connexions externes, la reconnaissance intuitive ou dialectique de la nécessité de la violence rebelle ou révolutionnaire pour arriver à l’exercice de la critique des armes. De plus, l’ouvrage a voulu exprimer l’acte d’accusation et de rébellion de la « génération de 60 », cette jeunesse dont les yeux s’ouvrirent au monde par les échos de la révolution cubaine et qui, dans les ténèbres de l’oppression et à partir des luttes étudiantes débutantes, vit défiler la guerre d’Algérie, Patrice Lumumba et l’indépendance de l’Afrique, le début de la marche des noirs américains, la résistance héroïque du peuple vietnamien, la croisade guérillera de Camillo Torrès et la stature gigantesque du Che. Génération sacrifiée, frustrée, décidée à lutter « HASTA LA VICTORIA SIEMPRE ». Le duvaliérisme l’a mise devant l’alternative du sauvetage individuel par l’émigration, la zombification collective ou la rébellion collective.

L’ouvrage s’inscrit donc dans la ligne d’une entreprise scientifique en vue de comprendre le régime duvaliériste dans [xii] sa genèse, son fonctionnement et sa nature et le faire connaître dans sa totalité à tous ceux qui par expérience vécue ou au niveau de l’information en ont eu une perception partielle, souvent brutale mais par trop superficielle.

La recherche et la diffusion scientifique sont ici œuvre militante pour une science sociale au service de l’homme et, du peuple haïtiens et qui se veut d’éclairer la marche de notre communauté vers sa libération et le progrès social et d’y contribuer pleinement.

Gérard Pierre-Charles



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 2 octobre 2019 14:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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