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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Lessard, “Les études curriculaires dans le monde anglo-saxon, analyse de leur évolution.” In revue Carrefours de l'éducation, juin 2019/1, n° 47 | pages 99 à 126. Paris: Armand Colin. [Claude Lessard nous a accordé, le 27 avril 2022, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[99]

Claude Lessard

Professeur émérite, Faculté des sciences de l’éducation,
Université de Montréal

Les études curriculaires [1]
dans le monde anglo-saxon,
analyse de leur évolution
.”

In revue Carrefours de l'éducation, juin 2019/1, n° 47 | pages 99 à 126. Paris : Armand Colin.

Introduction [99]
ÉLÉMENTS D’ANALYSE [101]
Un champ scientifique interdisciplinaire et hybride [101]
L’internationalisation [103]

LA NOTION DE CURRICULUM ET SES DIMENSIONS [105]
L’activité des enseignants ou le curriculum enseigné [106]

LES ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT DU CHAMP DES ÉTUDES CURRICULAIRES [107]
L’émergence d’un champ spécialisé aux États-Unis [107]
L’académisation du champ des études curriculaires [110]
Période contemporaine : l’internationalisation et ses risques [116]

CONCLUSION : QUELQUES ÉLÉMENTS D’INTERPRÉTATION [121]
Bibliographie [124]


INTRODUCTION [2]

Ce texte porte sur le champ des études curriculaires dans le monde anglo-saxon. Il s’agit d’un champ interdisciplinaire, appartenant aux sciences de l’éducation, traditionnellement logé dans des unités de « curriculum and instruction ». D’abord une pratique encadrée par l’appareil administratif d’État mandaté pour répondre à la massification de l’enseignement secondaire, il s’est ensuite universitarisé et académisé, au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ce faisant, il s’est doté d’une définition large de son objet, englobant l’ensemble des expériences éducatives des élèves, formellement construites, encadrées par les enseignants et vécues par les élèves. Cette définition, comprenant tout à la fois le curriculum formel (les finalités, les objectifs, les contenus et leur agencement dans un ensemble intégré), le curriculum enseigné (« traduit » par les enseignants dans le contexte particulier de leur classe), et le curriculum réel (celui qu’assimile ou pas les élèves, voire tout effet de leurs expériences scolaires) a été nourrie par des recours importants aux disciplines contributives des sciences de l’éducation, et notamment la philosophie, la sociologie, l’histoire, la psychologie [100] et l’analyse comparative. Il s’est aussi internationalisé, du moins au sein du monde anglo-saxon.

Nous entendons ici par monde anglo-saxon cet espace linguistique et culturel comprenant les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada anglophone, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et à un moindre degré, les anciennes colonies britanniques de l’Afrique sub-saharienne. Cet espace est en expansion dans la mesure où l’anglais se répand dans l’ensemble du monde comme langue de production et de communication scientifique, notamment au sein de grandes organisations internationales intéressées aux enjeux curriculaires contemporains (par exemple, l’OCDE). Le centre de cet univers est américain, en témoigne l’importance de la production scientifique provenant des États-Unis. Cependant, le curriculum demeure un enjeu national et des foyers nationaux d’études sont vivants dans de nombreux pays.

Soulignons que dans le monde francophone, le champ n’a pas connu les mêmes développements. En fait, notamment pour la France, une certaine discontinuité le caractérise, toute comme une définition plus restrictive du domaine, où s’impose la notion de programme d’études, en tant qu’organisation hiérarchisée et séquencée des contenus à enseigner. Pourtant, il aurait pu en être autrement, car le début du XXe siècle s’annonçait différent : rappelons que c’est en 1904-1905 qu’Émile Durkheim inaugure à Paris, dans les locaux de l’ENS, son cours sur l’histoire de l’enseignement secondaire en France qui est, en fait, une analyse sociohistorique des curricula français, saisis dans leur contexte historique et social. Durkheim montre que les curricula témoignent d’états sociaux et culturels européens. Il aborde donc cet objet d’une manière très large et s’interroge sur le type d’homme que l’enseignement secondaire a cherché à former et entend toujours former, quelle disposition générale de l’esprit et de la volonté (habitus) il développe. Il constate que les réponses (des doctrines pédagogiques) ont varié selon les deux grandes périodes historiques qu’il identifie – des origines à la Renaissance et de la Renaissance aux débuts du XXe siècle – et les trois principaux âges de la pédagogie – l’âge de la grammaire, l’âge de la logique ou scolastique et l’âge humaniste, ces deux dernières étant suivies d’un nouvel âge, dit réaliste.

Cette grande fresque, érudite et fouillée, cernant les enjeux de l’école républicaine du début du siècle, a été publiée en 1938 (et rééditée en 1969), après la publication de l’Éducation Morale (1922), une analyse des dispositions que doit inculquer l’école laïque et républicaine afin de contribuer à la résorption de la crise morale que Durkheim, à l’époque, estimait préoccupante.

Ce n’est que plusieurs décennies plus tard, que Viviane Isambert Jamati (1970) redonna vie au domaine par une étude des finalités de l’enseignement secondaire français, à travers l’analyse des discours de remises des prix de fin d’année, pour la période allant de 1860 à 1970. Enfin, mentionnons aussi la contribution de Jean-Claude Forquin, philosophe de formation et chercheur à l’INRP. C’est lui qui fit connaître au lectorat francophone, à la fin des années 1980, la production sociologique britannique, et notamment leurs réflexions et études sur l’école et la culture. Il cerna la notion anglo-saxonne de curriculum en tant que « parcours éducationnel, un ensemble continu de situations d’apprentissage (« learning experiences ») auxquelles un individu s’est trouvé exposé au cours d’une période donnée dans le cadre d’une institution d’éducation formelle » (1989 : 22-23). Selon Forquin, ce parcours est prescrit et organisé de manière délibérée afin que les élèves atteignent, dans la mesure du possible, les fins ou les objectifs assignés. C’est donc un objet plus large que la simple organisation hiérarchique et séquencée des savoirs à enseigner, quoique cela en fasse partie.


[101]

S’il y a eu une ouverture de la France à la production anglo-saxonne en matière d’études curriculaires – comme en témoigne le colloque de Lyon en 2007 consacré à l’œuvre du Britannique Basil Bernstein –, l’inverse s’est avéré plus problématique. Pour preuve, rappelons que l’Évolution Pédagogique en France (1969) ne fut jamais traduite en anglais, à la différence des autres ouvrages de Durkheim (Les règles de la méthode sociologique, De la division du travail social, Le suicide, Les formes élémentaires de la vie religieuse).


Le texte qui suit est structuré de la manière suivante. Dans la section qui suit, des éléments de problématique concernant les champs scientifiques interdisciplinaires et hybrides ainsi que sur leur internationalisation sont proposés. Puis, nous discutons de la définition anglo-saxonne de la notion de curriculum. Ensuite, sont rapidement présentées les grandes étapes de l’évolution du champ. Suivent des éléments d’interprétation prenant en compte le caractère interdisciplinaire, hybride et internationalisé du champ. Enfin, nous nous interrogeons sur l’écart entre une théorie multidisciplinaire, riche en diversité, mais aussi à haut risque d’implosion, et une pratique, notamment celle inspirée du mouvement des « standards », qui réduit le sens du curriculum à une course à la performance et se conforme ainsi aux origines latines du mot curriculum, currere.

ÉLÉMENTS D’ANALYSE

Un champ scientifique interdisciplinaire et hybride

Le curriculum peut être saisi comme un champ ou un sous-champ intellectuel, i.e. un univers ou un domaine produit par la division sociale du travail scientifique. De Durkheim à Weber et à Bourdieu (1984), la sociologie nous a familiarisés avec l’idée de la différenciation sociale des fonctions, d’acteurs sociaux engagés dans une activité spécialisée et occupant un espace de positions sociales structuré et relativement autonome, contribuant à la rationalisation du domaine, à travers un « jeu social » aux règles spécifiques, à la fois objet de luttes et cadre institué organisant les rapports sociaux au sein du champ ainsi que les luttes de pouvoir et de reconnaissance.

Notamment chez Bourdieu, et à propos des champs scientifiques, l’enjeu de l’autonomie du champ apparaît central. Tout en affirmant le caractère mouvant des frontières entre champs et le poids de facteurs externes qui augmentent l’hétéronomie d’un champ, et donc tout en appelant à l’analyse objective des champs, Bourdieu, ainsi que le souligne Lahire (1999), n’en adopte pas moins une position normative, du moins à l’égard du champ scientifique, dont l’autonomie lui apparaît « menacée ». L’autonomie est à ses yeux une « conquête » [102] dont il faut protéger les acquis, dans la mesure où elle est garante de la spécificité de l’activité propre au champ – la science – et en assure la régulation interne, libre d’interférences externes.

Il est difficile de rendre compte de l’activité scientifique contemporaine et de l’apparition de multiples nouveaux champs et sous-champs de connaissance strictement en ces termes, encore qu’il ne faille pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Dans des sociétés qui développent des politiques scientifiques axées sur l’innovation sociale, au sein d’universités qui valorisent leur contribution au développement de la société – l’université entendue comme bien et service public, voire comme « entreprise » au service de la société (Clark, 1998) –, dans une mouvance sociopolitique et scientifique qui valorise l’interdisciplinarité et l’internationalisation de réseaux de chercheurs, d’experts et d’acteurs sociaux et politiques afin de résoudre des problèmes sociaux et techniques désormais mondiaux, dans un contexte où des acteurs sociaux se mobilisent pour orienter le développement scientifique, des cadres d’analyse plus larges s’avèrent nécessaires.

Pour comprendre le fonctionnement du champ d’étude curriculaire, les travaux de Callon, Lascoumes, Barthe (2001) apparaissent pertinents, notamment la distinction qu’ils proposent entre la « recherche confinée » et ce qu’ils appellent la « recherche de plein air ». Cette distinction recouvre en partie la distinction entre l’autonomie et l’hétéronomie d’un champ, proposée par Bourdieu (1984), mais elle la dépasse et cherche à l’intégrer dans une analyse d’une société et d’un système politique où la science occupe une position telle qu’elle devient, dans ses orientations comme dans son fonctionnement, un enjeu de première importance engageant les groupes sociaux dans la construction de ce que Callon et al. appellent une démocratie technique dialogique.

Au plan du type idéal, la recherche confinée est, dans toutes ses étapes, sous le contrôle des chercheurs qui forment un collectif qui sélectionne ses membres et régule leur activité ; ce collectif identifie et formalise les problèmes qu’il soumet à diverses formes de réduction expérimentale, dans un lieu spécifique, le laboratoire, y construisant des faits et y produisant des résultats, par la suite interprétés et adaptés par le collectif lui-même au monde extérieur. La recherche de plein air s’éloigne de cet idéal type et fonctionne selon un mode davantage collaboratif ou dialogique (ce qui n’exclue pas conflits et luttes), dans la mesure où les acteurs sociaux, émergents ou constitués, tentent de s’insérer dans le collectif de recherche, et d’influencer l’élaboration de la problématique, les choix de procédures et de construction des données, l’analyse et l’interprétation des résultats et leurs implications pratiques. Dans leur ouvrage – Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique – Callon, Lascoumes et [103] Barthe analysent des épisodes de recherche portant sur des enjeux scientifiques et sociaux de première importance – l’enfouissement des déchets nucléaires, la lutte contre l’épidémie du Sida, la construction de centrales nucléaires, les OGM dans l’industrie agroalimentaire, etc. –, et montrent qu’il y a des situations d’incertitude où les chercheurs ne peuvent contenir et enfermer la recherche dans les frontières étanches de leur laboratoire, ses portes étant en quelque sorte forcées par des groupes sociaux exigeant une forme de participation aux diverses « traductions » incorporées dans l’activité scientifique. Callon et al. ne souhaitent pas la disparition de la recherche confinée ou l’abandon des critères de vérité et de preuve scientifiques, mais ils désirent que soient reconnues les vertus démocratiques d’un dialogue plus ouvert entre chercheurs et acteurs sociaux concernés, qui ne sont pas des « idiots culturels » ou étroitement intéressés, certains parmi ces derniers développant une compétence en recherche, alors que les chercheurs, s’éloignant de leur habitus premier, prennent conscience que leurs choix, notamment au plan de la problématique, ont une dimension politique et qu’à ce titre, ils sont sujets à un débat plus large [3].

Les développements analysés par Callon et al. montrent que diverses formes d’hybridité voient le jour et modifient les frontières et l’autonomie scientifique « traditionnelle ». Ainsi qu’on le verra plus avant, cela est le cas du curriculum dans le monde anglo-saxon, et ce, depuis ses débuts.

L’internationalisation

L’internationalisation d’un champ d’étude en élargit le membership. Elle contribue aussi à l’extension des questionnements qui occupent les chercheurs à d’autres contextes, et par là, à leurs possibles reformulations et transformations. En théorie, elle ouvre et multiplie les perspectives de recherche et de collaborations entre chercheurs. Dans la mesure où un champ rassemble des chercheurs qui partagent des intérêts tout en étant des concurrents, l’internationalisation d’un champ modifie inévitablement les rapports d’influence et de pouvoir entre les acteurs, ainsi que la dynamique d’un champ.

La construction d’un espace international dans un champ d’étude peut être analysée de diverses manières : comme l’extension de l’influence d’un centre scientifique fort vers des zones périphériques incapables de rivaliser avec le [104] centre d’égal à égal, mais ayant besoin des productions de ce centre pour son propre développement ; dans ce cas, l’internationalisation est un facteur d’amplification de l’influence d’un centre de production ; elle peut aussi être vue comme la mise en concurrence de sous-centres rivaux, ou encore comme l’extension de terrains de recherche, utiles pour l’élaboration et la vérification d’hypothèses nouvelles. Elle peut être un parapluie surplombant de nombreux réseaux nationaux ou locaux ; elle prend alors la forme d’un réseau de réseaux, à la coordination lâche, mais suffisante pour le maintien de la circulation des personnes et des idées entre les réseaux. Quoi qu’il en soit, l’internationalisation force à envisager des régulations de la production et de la communication scientifique à plusieurs niveaux. Elle se matérialise aussi dans des évènements comme des colloques de grande ampleur et des productions mondialisés : des encyclopédies, des handbooks, des revues internationales.

Dans le monde universitaire, l’internationalisation est un indicateur de valeur : plus un domaine est internationalisé, plus il est renommé. Cette internationalisation est d’ailleurs de plus en plus objet de politique universitaire, tant en ce qui concerne les formations, que les structures de recherche et la diffusion de leurs produits (conférences internationales, revues, collections d’ouvrages, etc.).

L’internationalisation pose à un champ donné, de nouveaux problèmes de régulation. Si les régulations nationales ou locales ne disparaissent pas, elles doivent s’articuler avec des phénomènes qui leur échappent partiellement. On entend parfois dire que plus une activité – un colloque par exemple – est internationalisée, moins la qualité y est assurée, laissant ainsi sous-entendre que l’on y est contraint d’accepter des contributions de qualité inégale, puisqu’en période d’expansion, la structuration du champ est temporairement relâchée, le temps d’intégrer les nouveaux joueurs.

Dans le champ du curriculum, l’internationalisation couvre à la fois la dimension proprement scientifique ou universitaire et la dimension politique ou pratique. Dans ce dernier cas, outre l’internationalisation de certaines associations comme l’Association for Supervision and Curriculum Development, les institutions internationales, comme l’OCDE, se sont intéressés au curriculum, notamment dans le cadre du programme PISA et par le biais de celui-ci, elles ont formulé et diffusé des compétences pour le XXIe siècle et elles ont promu l’établissement des « standards » nationaux et internationaux de qualité de l’éducation et de la formation. Ici, une certaine technologie de construction du curriculum et de son évaluation rencontre et pénètre le champ politique éducatif international.

[105]

LA NOTION DE CURRICULUM
ET SES DIMENSIONS


Mais avant d’aller plus loin, il importe de cerner l’objet de ce champ, le curriculum. Qu’entend-on au juste par curriculum dans ce monde anglo-saxon ? Plusieurs significations ont été proposées et débattues au fil des ans.

Dès le XIXe siècle, le mot curriculum, dans le monde anglo-saxon, a pris deux sens : d’abord, il a désigné un plan d’étude pour des élèves et des étudiants, et ensuite, il s’est affirmé comme le nom d’un champ d’étude et de réflexion spécialisé, dont l’objet serait justement ce plan d’étude imposé uniformément à toutes les écoles.

Le curriculum a d’abord été synonyme de programme d’études (i.e. la liste des cours que doivent suivre et réussir les élèves et les étudiants dans leur quête d’un diplôme). Ensuite, pendant un moment, on l’a associé au contenu des différents cours (quoique, ainsi qu’il sera discuté plus avant, cette définition se rapproche de la notion d’« instruction »). Aussi, le curriculum réfère aux expériences planifiées menant à des apprentissages en contexte scolaire. On a de plus élargi cette dernière définition à l’ensemble des expériences vécues par les élèves et les étudiants en contexte scolaire, toutes les expériences vécues, qu’elles soient planifiées (voulues et organisées) ou pas. Dans ce cas, le curriculum est à la fois « visible » et « invisible » ou caché ; il peut être à la fois formel, informel ou non-formel, suivant la désormais célèbre distinction. Enfin, on a soutenu que le curriculum devait d’abord et avant tout structurer les résultats de l’apprentissage voulus et poursuivis de manière systématique. Dans ce dernier cas, le curriculum formule et relie dans une planification intégrée (horizontalement et verticalement), des finalités, des objectifs, des contenus, des activités et des résultats désirés (learning outcomes). Dans cette dernière conception, la question des méthodes ou des stratégies d’enseignement appartient à l’univers de l’« instruction », un domaine particulier, celui de l’enseignant dans sa classe, un enseignant apte à choisir ce qu’il convient de faire, avec les élèves qu’il a devant lui, afin qu’ils atteignent les objectifs du curriculum formel.

On comprend que cette distinction entre le curriculum et l’instruction (dans le monde francophone, on pense à la didactique) est aussi commode sur le plan de la gouvernance de l’école. Suivant cette vision, le curriculum est du ressort des autorités légitimes, l’« instruction » est le fait de l’enseignant. Dit autrement, les autorités formulent les finalités, les objectifs, les contenus et les résultats désirés, et l’enseignant choisit les moyens appropriés. Cependant, on a dû reconnaître que cette distinction curriculum/instruction posait des problèmes, les moyens en enseignement ne pouvant être complètement détachés des contenus et des finalités. Il valait mieux situer ces deux concepts sur [106] un continuum qui va du général (le curriculum) au spécifique (l’instruction). Suivant ce point de vue, un curriculum n’a pas à spécifier et détailler tout ce qui doit être enseigné ou vécu par les élèves et les étudiants. Plutôt, il doit fournir une vision et une architecture d’ensemble, une hiérarchie et une séquence des savoirs (savoirs faire et savoirs être inclus), des activités/expériences d’apprentissage pour les élèves et les résultats désirés, éventuellement validés par une évaluation. Évidemment, ce qui se passe dans la classe doit être en cohérence avec le curriculum, mais il n’est pas nécessaire ni utile de tout prescrire dans le détail ; mieux vaut laisser l’enseignant, bien imprégné du curriculum, tenir compte dans son activité quotidienne des circonstances et des caractéristiques particulières de ses élèves. Aussi, chaque matière ou discipline présente des problèmes spécifiques d’enseignement et d’apprentissage qu’un curriculum peut reconnaître, mais qu’il n’a pas à trancher, laissant plutôt la communauté disciplinaire déterminer elle-même l’évolution des contenus et des méthodes, en fonction des recherches, des innovations, des pratiques établies et des controverses qui l’animent.

L’ensemble de ces définitions cohabite toujours dans le champ académique, tout comme dans l’univers des acteurs de l’éducation. Certaines idées font consensus : le curriculum est un enjeu important pour l’école et la société : il traduit la mission de l’école et constitue une réponse à des questions de toute première importance pour une société donnée à un moment spécifique de son histoire ; ces questions sont de divers ordres : culturel, social, politique, économique ; le curriculum a quelque chose de systématique et de planifié ; s’il ne se réduit pas à un ensemble d’intentions éducatives explicites et englobe les expériences vécues en contexte scolaire, il manifeste malgré tout un effort de rationalisation du cours des études d’une génération d’élèves et d’étudiants.

L’activité des enseignants ou le curriculum enseigné

Si la place de l’élève et de son activité constitue un enjeu du champ curriculaire, il est tout aussi pertinent de souligner la tension constitutive du champ autour de l’enjeu de la place des enseignants dans la construction du curriculum. Ainsi, I. Taba, dès 1962, fit la promotion de la participation des enseignants dans le développement du curriculum. Et ce pour plusieurs raisons : selon elle, la meilleure façon de s’assurer que les enseignants comprendraient bien les liens organiques entre les objectifs, les contenus, les méthodes et l’évaluation seraient qu’ils soient parties prenantes de leur élaboration ; aussi, connaissant leurs élèves et étudiants, ils étaient perçus comme les mieux placés pour organiser les contenus prescrits en fonction des caractéristiques de ces derniers.

[107]

Le britannique L. Stenhouse (1975) apparaît encore plus radical dans son propos : selon lui, il faut cesser de concevoir le curriculum comme un produit, un objet physique qui est imposé aux enseignants ; c’est plutôt un processus, le fruit de l’interaction quotidienne entre des enseignants, des élèves et des savoirs ; et c’est dans cette interaction que les liens entre des contenus et des moyens de les transmettre/apprendre se développent. Selon Stenhouse, le curriculum est une activité concrète, reprise tous les jours en classe, et non pas un exercice technique sous le contrôle de technocrates ou de chercheurs. D’ailleurs, Stenhouse a remis en cause la double structure d’autorité : celle de l’enseignant sur les élèves et celle des chercheurs qui prétendent définir les pratiques d’enseignement et d’apprentissage en classe. Pour lui, l’étude, le développement et l’expérimentation du curriculum devaient relever des enseignants – c’est même le cœur de leur travail – et non pas des chercheurs universitaires.

Dans la même ligne de pensée, on doit citer aussi les travaux des canadiens Connelly et Clandinin (1988), pour qui les enseignants sont d’abord et avant tout des « planificateurs curriculaires ». Ce glissement du curriculum officiel au curriculum enseigné exprime aussi une volonté d’être moins prescriptif, top-down, et plus proche des enseignants et de leurs savoirs d’expérience.

LES ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT
DU CHAMP DES ÉTUDES CURRICULAIRES


L’émergence d’un champ spécialisé aux États-Unis

Aux États-Unis, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le curriculum, en tant qu’objet d’étude spécialisé, prend son envol, sous l’influence d’un philosophe allemand, Johann Friedrich Herbart (1776-1841). Ce philosophe estimait de la plus grande importance, l’attention et le soin que l’on devait donner à la sélection et à l’organisation des matières d’enseignement.

En 1883, un groupe de travail dit « Committee of Ten », dirigé par le président de l’université Harvard (C. W. Eliot), publia un rapport sur le curriculum devant structurer l’enseignement, et ce du primaire jusqu’à l’université. L’existence de ce rapport traduit l’importance à la fin du XIXe siècle d’enjeux proprement curriculaires, au moment où les États-Unis amorcent le développement de leur enseignement secondaire (Trow, 1953). On peut penser que dans ce pays, comme plus tard ailleurs en Occident, la massification du secondaire a rendu impérieux de (re)penser le curriculum de cet ordre d’enseignement, de même que son articulation avec le postsecondaire. Un véritable système d’éducation s’est ainsi déployé et articulé. Au XIXe siècle, l’école primaire existait et était relativement [108] bien implantée, de même que l’université (pour les élites). La massification du secondaire force la construction d’un système éducatif intégré, articulant les différents ordres d’enseignement les uns aux autres et permettant la gestion de parcours scolaires différenciés mais intégrés dans un ensemble cohérent, et ce, pour des portions croissantes de générations d’élèves et d’étudiants. Le développement du champ curriculaire est donc, du moins aux États-Unis, indissociable de l’institutionnalisation d’un ordre secondaire propre, distinct du primaire et du postsecondaire, mais en continuité de l’un et en préparation de l’autre. Cela pose nécessairement des questions « théoriques » et « pratiques ».

En effet, se posent alors avec une certaine acuité les questions classiques du champ curriculaire : Quoi enseigner/transmettre ? Pour quelles finalités, objectifs et résultats ? Comment ? Quelles activités valoriser ? Pour quelle société (dans ce cas-ci, une société vivant une industrialisation et urbanisation rapide, démocratique et décentralisée au plan politique et culturellement de plus en plus plurielle, profondément transformée par une immigration massive) ? Suivant quels parcours scolaires, pré-universitaires ou professionnels ? Qu’est-ce qui doit être obligatoire pour tous ou laissé au choix de chacun ?

Dans le cas américain, s’ajoute une question fondamentale : Les États-Unis, une fédération d’États, doivent-ils avoir un curriculum national, relativement commun et uniforme, ou bien est-il impérieux de respecter l’autonomie des États et des communautés locales ? Cette question de la gouvernance du curriculum est une constante de l’histoire américaine du curriculum. Elle est aussi présente dans plusieurs pays dont la structure politique est fédérale ou confédérale (Canada, Australie (Reid, 2005), Allemagne, Brésil, Mexique). Elle donnera lieu à diverses réponses ; ce qu’il importe ici de noter c’est qu’elle sera toujours présente. En ce sens, des enjeux institutionnels ou administratifs accompagneront toujours les débats curriculaires ou liés à l’enseignement. On ne peut dissocier tout à fait les deux (Knoepfel, Larrue, Varone, 2006 ; Lessard, 2010).

La construction du curriculum touche donc aux diverses dimensions du curriculum – son anatomie, diraient certains – -, i.e. les finalités, les buts et les objectifs, les contenus, les activités d’apprentissage et l’évaluation. Il comprend aussi des considérations sur les relations entre ces dimensions, leur intégration, ainsi que sur les décisions à prendre sur chacune d’entre elles. Relié à cette construction, mais analytiquement distinct, le développement curriculaire concerne les processus de construction et leur organisation : qui fait quoi ? Qui décide ? Qui valide le projet ? Comment ? Enfin, l’implantation renvoie aux processus de mise en œuvre d’un nouveau curriculum et s’intéresse à son « atterrissage » dans les écoles et les classes, et à son évaluation : ce curriculum remplit-il ou non les promesses ? Donne-t-il les résultats désirés ?

[109]

On aura compris que ces diverses dimensions qui touchent au cœur de la mission de l’école renvoient à des enjeux de gouvernance de l’éducation. C’est pourquoi le champ du curriculum intéresse tant les décideurs et les administrateurs et que dans le monde anglo-saxon, il s’est développé avec une forte connotation « pratique », comme en témoignent, entre autres, l’ouvrage de

R. Tyler, publié en 1949 et réédité 36 fois (!), Basic Principles of Curriculum and Instruction. De formation scientifique et professeur de science au secondaire, Tyler a dirigé l’équipe d’évaluateurs du « Eight-year Study » (1933-1941), sur le curriculum du High School américain ; cette étude toucha 30 écoles secondaires et 300 collèges et universités. C’est donc par le biais de l’évaluation que Tyler a réfléchi au curriculum, et ses réflexions sont à l’origine du bestseller que fut Basic Principles of Curriculum and Instruction. On considère que les questions qui forment l’ossature de ce livre ont structuré le champ et la pratique du curriculum à partir des années 1940 et ce pour un demi-siècle. Elles sont simples, peu nombreuses (4), mais engageantes :

1. Quels buts l’école doit-elle chercher à atteindre ? (Quels objectifs d’apprentissage ?).

2. Comment choisir les expériences d’apprentissage susceptibles d’être utiles à l’atteinte de ces objectifs ? (Quelles expériences d’apprentissage pertinentes introduire ?)

3. Comment organiser ces expériences d’apprentissage de manière à assurer l’efficience de l’instruction ? (organiser les expériences pour en maximiser l’impact).

4. Comment évaluer l’efficience des expériences d’apprentissage ? (évaluer le processus et réviser ceux qui ne furent pas efficaces).

À travers ces questions s’exprime une volonté de rationaliser l’enseignement dans les écoles, afin d’en assurer la cohérence et l’efficience. Et c’est l’ensemble du système éducatif qui intéresse Tyler, comme en fait foi sa carrière qui l’a mené de l’enseignement dans une école secondaire, à l’université, puis enfin au gouvernement fédéral sous les administrations Truman, Eisenhower et Johnson, où il a œuvré à la mise sur pied de plusieurs institutions et agences éducatives nationales [4].

Le langage des questions formulées par Tyler pourrait donner à penser que dès ses origines, le champ du curriculum a pris une tangente « managériale » et [110] « top-down » dans ses façons de concevoir les rapports entre ce que Perrenoud appelle la « noosphère » qui pense l’éducation et le « terrain » qui lui, est réduit au statut d’exécutant. Si cela a certes existé et demeure présent dans le mouvement actuel des standards, ce ne fut pas et n’est pas actuellement sans conteste.

Car, il faut souligner l’importance, dès l’émergence du champ, de la notion d’expériences d’apprentissage. Elle est inspirée de Dewey et élargit considérablement la préoccupation de tout constructeur de curriculum, au-delà de la simple détermination des contenus à transmettre. La pensée de Dewey n’a rien de technocratique ; l’école n’est pas une organisation soucieuse de son efficience ; c’est un milieu de vie et une communauté centrée sur l’apprentissage et le développement des élèves : pour lui, le cœur d’un curriculum est constitué d’expériences permettant à l’élève de développer sa pensée en réalisant des activités ou des projets (learning by doing) qui incorporent l’apprentissage des savoirs fondamentaux. On vient à l’école pour faire des choses, réaliser des activités qui sont formatrices, surtout si elles s’insèrent dans une démarche d’enquête, régulée le plus possible par l’élève lui-même. Cette expérience, à la fois cognitive, affective et sociale (et aussi politique, car elle forme le citoyen), met l’élève « actif » au centre du processus d’éducation et fait de l’enseignant le déclencheur, le soutien et l’accompagnateur de cette activité.

En même temps qu’il a cherché à répondre aux questions posées par les instances politiques et par les acteurs de l’éducation, le champ du curriculum américain a donc très tôt incorporé le langage deweyien de l’expérience. Reconnaissons que la notion est large et qu’elle a pu apparaître à plusieurs flou et difficile à cerner et à mesurer. Mais néanmoins, elle a accompagné le développement du champ curriculaire jusqu’à aujourd’hui, liant la construction du curriculum à la réalisation de la mission fondamentale de l’école, soit la transmission et le développement de savoirs, savoirs faire et savoir être. Comme si ainsi s’était construit un sentier de dépendance, inconnu dans un pays comme la France, où le poids de la tradition penche du côté du savoir et de sa transmission, au détriment des autres dimensions.

L’académisation du champ des études curriculaires

L’académisation d’un champ se caractérise par l’institutionnalisation de territoires universitaires particuliers, sous le contrôle d’un collectif qui sélectionne ses membres et régule leur activité. Elle se réalise dans des programmes de formation et de recherche et se matérialise notamment dans des manuels, des revues des encyclopédies qui marquent l’histoire du domaine ; elle a ses moments de rassemblement, organisés par des associations ou des réseaux de collègues nationaux et internationaux – des colloques et des congrès – ; [111] sa vitalité est souvent affaire de controverses et de débats qui passionnent les membres du collectif et stimulent la créativité.

Le champ anglo-saxon du curriculum illustre ces phénomènes et participe de cette dynamique tout au long de son histoire. Ainsi, c’est dès 1895 que fut créé la Herbart Society (aujourd’hui la National Society for the Study of Education), rassemblant les personnes intéressées et expertes en matière de curriculum. Cette association existe toujours et publie annuellement un Yearbook sur l’éducation américaine (celui de 1999 portait justement sur le curriculum). C’est en 1918 que le premier ouvrage savant sur le curriculum est publié, par Franklin Bobbit, et simplement intitulé Curriculum. D’autres suivront dans les années 1920 et 1930, au fur et à mesure que des États se lanceront dans de grands projets de transformation de leur curriculum et que les universités (et notamment le Teachers’ College de l’université Columbia à New York) mirent sur pied d’abord des « laboratoires », puis des départements de Curriculum and Instruction. Le premier remonte à 1937, et fut établi au sein du Teachers’ College de l’université Columbia. Aussi, c’est en 1943 que fut créée l’Association for Supervision and Curriculum Development, rassemblant des chercheurs, des cadres (notamment des surintendants de l’éducation) et des décideurs. Cette association américaine est toujours active, elle s’est internationalisée et regroupe désormais 125 000 membres de 128 pays différents ; elle publie une revue ainsi qu’un Yearbook. Notons aussi l’existence d’une Society for the Study of Curriculum History.

Outre ces définitions et le débat qui les entoure, le champ d’étude anglo-saxon portant sur le curriculum, utilise quelques notions peu ou moins présentes historiquement dans le monde francophone : parmi celles-ci, il faut mentionner la notion de « curriculum foundations », « curriculum design », « curriculum construction », « curriculum development », et « curriculum implementation », ces trois derniers termes pouvant être regroupés sous le vocable d’engineering curriculaire. Explorer ces notions nous permet d’aborder le couple théorie/pratique en matière curriculaire, leur articulation et leurs tensions.

En effet, plusieurs manuels américains [5] sur le curriculum sont structurés suivant ces notions et présentent divers chapitres abordant les questions que chacune de ces notions soulèvent. Ainsi, les fondements du curriculum sont les réponses données par les autorités légitimes aux questions portant sur la nature du savoir et de l’apprentissage, sur la société et la culture, les valeurs et les rapports entre l’individu et la société, et sur la mission de l’école. Nous sommes ici en [112] territoire philosophique, historique et sociologique, ce que recouvre l’expression « Foundations of education » ou « fondements de l’éducation ».

Pendant longtemps, les experts anglo-saxons du domaine ont insisté sur l’importance d’expliciter et de clarifier les fondements philosophiques d’un curriculum. Dès lors, le curriculum fut saisi comme l’incarnation d’une philosophie ou de valeurs légitimes, voire transcendantes. La première décision à prendre, lorsqu’on entreprend de construire ou de transformer un curriculum, est donc normative ou théorique. Les penseurs américains ont développé divers cadres pour aider les responsables à prendre cette décision. Ainsi, ils ont identifié des philosophies ou des théories normatives, les uns situées dans le temps et les unes par rapport aux autres, de telle sorte que le choix des « curriculum developpers » soit clair et éventuellement assumé, ou qu’une synthèse de différents courants de pensée puisse être envisagée et réalisée.

Par exemple, M. S. Schiro (2008) a construit un cadre d’analyse en croisant deux dimensions (la valorisation du savoir en fonction de sa source/ou de ses usages et l’origine du savoir dans la réalité objective/ou subjective) ; ce cadre lui permet d’identifier quatre types de ce qu’il appelle des idéologies curriculaires : « scholar academic », centrée sur l’élève, de l’efficience sociale et de la reconstruction sociale. Si la première est centrée sur le savoir disciplinaire considéré comme une fin en soi, la seconde valorise l’actualisation de l’élève, sa créativité et sa capacité à construire du sens ; la troisième poursuit le développement des capacités d’action des élèves, de nature à les insérer dans la société et en assurer la reproduction ; enfin, la dernière, plus critique, met l’accent sur la capacité des élèves à améliorer la société, à partir d’une vision du passé, du présent et de l’avenir de cette société, et d’un engagement moral individuel à la transformer. Ces idéologies sont analysées par Schiro, non seulement en fonction de leurs différentes conceptions du savoir, mais aussi de leurs représentations de l’apprentissage, de l’enseignement, de l’élève, et de l’évaluation (formative et sommative).

Notons que les plus récentes approches critiques et postmodernes remettent en cause ce souci de « fonder » le curriculum sur des théories normatives explicites. Nous serions entrés dans une ère « post-fondationnelle », rendant impossible de trancher des questions philosophiques et épistémologiques fondamentales. Mieux vaut alors s’assurer que le curriculum, du point de vue de la reconstruction sociale, s’attaque aux injustices dominantes et largement reconnues comme telles, notamment celles imposées aux minorités raciales, ethniques, de genre ou d’orientation sexuelle. Ici se manifeste l’influence en éducation du mouvement des « cultural studies ». Nous y reviendrons plus loin, notamment de sa conception du curriculum et du rôle de l’enseignant comme [113] médiateur culturel. On le constate, tout manuel anglo-saxon portant sur le curriculum prend position sur la question des fondements. Leur évolution à cet égard est intéressante.

Mais, il n’y a pas que des manuels qui ont marqué l’évolution du champ. Aujourd’hui, de nombreuses revues spécialisées existent et apparaissent très importantes pour suivre l’évolution du champ : il y a le Journal of the American Association for the Advancement of Curriculum Studies et le Journal of Curriculum Theorizing, créé en 1979 par W. Pinar, un théoricien important du champ, et publié par l’université du Texas. Ces revues assurent la diffusion publique des recherches contemporaines dans le domaine. L’American Education Research Association (AERA), qui réunit l’ensemble des chercheurs américains en éducation (plus de 25 000) a une division consacrée au curriculum ; celle-ci est structurée autour des thèmes suivants : des perspectives critiques et « post-fondationalistes » ; la recherche transnationale et autochtone qui contribue à la décolonisation ; la remise en cause des frontières méthodologiques et représentationnelles ; la justice spatiale : jeunesse, activisme communautaire et écologies ; les savoirs historiques, philosophiques et (inter)disciplinaires ; et enfin, les études culturelles : littéracies médiatiques critiques, culture populaire et post-humanisme. Cette division de l’AERA publie un Newsletter trois fois par année. On le constate et on y reviendra plus avant, les thèmes de recherche ont beaucoup évolué au fil des décennies et semblent liés à l’évolution générale des sciences humaines et sociales américaines, notamment le post-modernisme et les « cultural studies ».

Au Canada, deux revues participent au développement du champ : Curriculum Inquiry rattaché à l’Université de Toronto, publié depuis 1968, et le Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies (depuis 2003 par l’Université York).

Enfin, mérite d’être mentionné le Journal of Curriculum Studies. Cette revue est internationale, elle a d’abord vue le jour au Royaume Uni, mais son comité directeur est désormais surtout composé de chercheurs américains, épaulés par quelques Canadiens, Australiens et Britanniques, ainsi que par des chercheurs représentants d’autres continents. On n’y retrouve pas de chercheurs francophones ou hispanophones.

Par ailleurs, la Grande-Bretagne a ses propres revues spécialisées : le British Journal of Curriculum and Assesment (1990), le Curriculum Journal, publié par l’Association britannique de recherche en éducation (BERA), ainsi que le British Journal of Educational Studies, dont le champ d’intérêt est plus large que le curriculum, mais qui, notamment par le biais de l’analyse des politiques éducatives, ne manque pas d’en traiter avec une certaine régularité.

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Enfin, l’Australie, par le biais d’Éducation Services Australia, publie depuis 2003 une revue électronique : Curriculum & Leadership Journal, conçu pour un public de décideurs, d’administrateurs et de praticiens de l’Australie et de la Nouvelle Zélande.

Il y a donc eu dans dès la seconde moitié du XIXe siècle et tout au long de la première moitié du XXe, un intérêt croissant aux États-Unis d’abord, puis dans le monde anglo-saxon, pour le curriculum. Cet intérêt s’est considérablement amplifié au cours de la période d’après-guerre et jusqu’à aujourd’hui, comme en témoignent le nombre et le caractère de plus en plus international (et anglo-saxon) des revues spécialisées. On peut parler d’une véritable académisation de ce champ d’étude et de réflexion. Sauf erreur, il n’y a rien de comparable dans le monde francophone ou hispanophone. Cette académisation a accompagné la formidable poussée de la scolarisation des pays anglo-saxons dans l’après-guerre.

Selon Pinar (2007), cette académisation s’est faite en trois temps : 1) des débuts à la fin du XIXe siècle jusqu’à celle des années 1960, c’est la période dite du « développement curriculaire », à laquelle nous avons plus haut référé, en signalant notamment la contribution de Tyler ; 2) de 1969 aux années 1980, c’est la période que Pinar appelle « reconceptualisation » et qui pour nous, est la période d’académisation au sens strict ; 3) puis la période contemporaine qui serait celle de l’internationalisation.

Si les manuels et les revues occupent une place privilégiée dans le champ, on peut soutenir que les Handbooks remplissent plusieurs fonctions et sont révélateurs, dans leur évolution, de l’internationalisation du champ. Par nature, ces ouvrages tentent de faire le point sur l’état des connaissances à un moment donné, ils contribuent à la structuration du domaine et de ses sous-divisions, il identifie les controverses, les perspectives nouvelles, et écrit l’histoire du champ et de ses principaux acteurs. Ouvrage collectif, un Handbook ou une encyclopédie, différemment d’un manuel (organisant à des fins de formation le corpus de base d’un champ, ses principaux concepts et méthodes) et d’une revue spécialisée (à la fine pointe de la recherche qui se fait dans des réseaux autorégulés), entend, pour l’ensemble des acteurs du champ, faire le point sur l’état des savoirs produits, des savoirs durables ou dotés d’une espérance de vie forte.

Dans le cas du champ anglo-saxon du curriculum, les nombreux Yearbooks et Handbooks publiés au cours des dernières décennies (au moins 4 Handbooks depuis 1992), témoignent à la fois de la grande vitalité du champ, de son internationalisation et de sa possible dispersion (risque reconnu par Connelly, responsable du Handbook de 2007). Analysons ces productions, d’abord dans cette section consacrée à l’académisation du champ, puis dans la suivante, portant sur son internationalisation.

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Le Handbook of Research on Curriculum, un projet de l’American Educational Research Association, publié en 1992, sous la responsabilité éditoriale de P. W. Jackson, illustre l’académisation du champ. Entre 1992 et 1996, le Handbook connut 18 éditions. Comprenant près de 1 100 pages, il comporte 32 articles rédigés par des spécialistes reconnus. Ceux-ci cernent l’état du champ sous différents angles : l’histoire et les traditions du champ, les diverses dimensions du curriculum et la méthodologie de développement d’un curriculum, la politique curriculaire, les conceptions et les idéologies curriculaires, la matérialisation d’un curriculum dans des manuels, l’insertion d’un curriculum dans l’organisation scolaire (notamment la différenciation du curriculum et des parcours des élèves et des étudiants) et son appropriation par les enseignants. Il fait aussi le point sur des enjeux liés au genre des élèves et des étudiants et aux minorités raciales et linguistiques. Il aborde enfin les curricula de certaines disciplines (la langue maternelle et les langues étrangères, les mathématiques, les sciences et la technologie, les « social studies »), et de certains secteurs de formation (l’enseignement professionnel) pour conclure sur l’analyse de l’extracurriculum.

Tout comme les manuels, le Handbook est symptomatique de l’académisation du champ des études curriculaires dans la mesure où il met l’accent sur la compréhension du curriculum, alors que précédemment et notamment dans la période marquée par la contribution de Tyler (la période dite du développement curriculaire), selon Pinar (2007), l’accent était mis sur la « technologie » requise pour la construction rigoureuse d’un curriculum national. Avec l’académisation, des finalités d’analyse et de compréhension du curriculum deviennent importantes, davantage que sa construction, désormais saisie comme une pratique qu’il faut étudier, autant sinon davantage que prescrire.

On constate donc que si le champ du curriculum s’est d’abord (c’est-à-dire au cours de la première moitié du XXe siècle) attaqué aux problèmes et aux dimensions constitutives d’un curriculum conçu comme un produit nécessaire à l’encadrement du travail des enseignants et de l’apprentissage des élèves, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, il se préoccupe du curriculum enseigné, de ce que les enseignants en font en interagissant avec leurs élèves. On peut faire l’hypothèse que le retour du sujet dans les sciences humaines et sociales, après la domination des approches systémiques et macro fonctionnelles, a influencé cet accent mis dans le monde anglo-saxon sur la classe et les interactions qui s’y forment comme lieu de production d’un curriculum effectif. Nul doute aussi que l’universitarisation de la formation des maitres après la seconde guerre mondiale et le mouvement de la professionnalisation de l’enseignement, ont pesé quelque peu sur ce développement. Mais il est vrai que ce déplacement ou [116] cet élargissement de l’accent est aussi constitutif du champ et de son souci de mieux prendre en compte le curriculum enseigné.

Cette académisation du champ complexifie les rapports avec le champ politique et la pratique du développement curriculaire, mais elle ne mène pas à l’abandon de tout dialogue ou de toute collaboration, comme en font foi, aux États-Unis, les législations du gouvernement fédéral et les réformes curriculaires qui ont suivi leur promulgation.

Période contemporaine :
l’internationalisation et ses risques


Depuis la parution du Handbook de 1992, le champ a considérablement évolué. Il s’est diversifié dans ses approches et internationalisé. Cette internationalisation n’est pas spécifique au champ du curriculum ; on la constate dans tous les domaines scientifiques. Ainsi et tel que mentionné précédemment, l’Association for Supervision and Curriculum Development, d’abord américaine à ses débuts, s’est internationalisée et regroupe désormais 125 000 membres de 128 pays différents. Les agences internationales, comme l’OCDE et l’Unesco, ont aussi grandement contribué à l’internationalisation des échanges théoriques et pratiques à propos du curriculum.

Deux développements, par plusieurs aspects, contradictoires, sont associés à la période contemporaine et à l’internationalisation du champ : au plan théorique ou académique, une diversification des approches et des points de vue qui interroge les frontières du champ et donne à voir une dispersion, voire une confusion, et au plan politique et pratique, une convergence, soutenue par les organisations internationales, autour du mouvement des « standards ». L’un et l’autre développement sont plus avant présentés et quelques pistes d’interprétation sont proposées.

Au plan scientifique, ce qui frappe c’est la diversité des approches, des perspectives et des objets d’études, ainsi qu’en témoignent les contributions au Sage Handbook of Curriculum and Instruction, publié en 2007 sous la responsabilité éditoriale de F. M. Connelly. Dans ce compendium, W. Pinar, par exemple, tente de brosser un tableau d’ensemble de la production scientifique actuelle. À cet effet, il identifie les approches et courants suivants : un courant historique, inspiré du néo-institutionnalisme historique et sociologique [6] ; une approche politique, voire critique, nourrie de la pédagogie critique et des théories de la reproduction (on pense notamment aux travaux de M. Apple) ; les « cultural studies » ; [117] l’environnementalisme ; les études de genre ; le multiculturalisme ; la prise en compte du colonialisme et de l’impérialisme à l’égard des populations autochtones et afro-américaines ; des approches phénoménologiques (élaborées par des chercheurs comme Van Manen et Grumet) soucieuses de donner la parole à celles et ceux qui donnent vie à un curriculum (élèves, enseignants, parents) ; le poststructuralisme et le postmodernisme ; enfin, des perspectives autobiographiques, esthétiques, voire théologiques et éthiques ou morales. S’ajoutent à ces orientations épistémologiques, théoriques ou sociopolitiques, tout un pan de préoccupations plus pratiques, que Pinar (2007) regroupe autour de ce qu’il appelle le curriculum en tant qu’institution : l’étude des politiques et des réformes éducatives, du planning, du design, de l’organisation, et de la mise en œuvre d’un curriculum, de la technologie qui l’accompagne et le soutient, de la supervision, de l’évaluation, des manuels, de la pédagogie, des acquis des élèves et de l’extra-curriculum. Sans oublier les études comparatives nourries par et stimulant en même temps l’internationalisation du champ (Rosemund, 2016).

Cette liste est longue, très longue, et encore, elle omet volontairement l’ensemble des études sur les matières ou disciplines (même si le Handbook incorpore les plus importantes : les langues, les mathématiques et les sciences). Certes, elle fait entrevoir la grande richesse du champ et son développement au cours des dernières décennies. Mais elle pose un problème : quelles sont aujourd’hui les frontières de ce champ ? Ambitionne-t-il d’incorporer tout le champ de l’éducation ? Sous prétexte de pluridisciplinarité et de recours à l’ensemble des sciences humaines et sociales pour rendre compte des phénomènes curriculaires saisis dans leur multidimensionnalité, le champ est-il en voie d’implosion, élargissant tellement la notion de curriculum qu’elle finit par tout englober ? Enfin, la diversité des perspectives est-elle si grande qu’on peine à identifier ce qui serait le noyau dur (le « mainstream » ou un courant dominant) par rapport à des considérations plus périphériques ou marginales ? Dans cet apparent éclatement [7] ou cette riche diversité (suivant les points de vue), n’y a-t-il pas un risque de marginalisation des contributions universitaires dans le contexte politique actuel ?

Dans l’International Handbook of curriculum Research (2013) dont il a assumé la responsabilité, Pinar a rassemblé les travaux de chercheurs d’une quarantaine de pays différents, donnant ainsi à voir une large internationalisation du champ. Il n’est pas certain cependant que le Handbook donne une image un peu mieux intégrée du domaine.

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Peut-être un souci d’une meilleure intégration ou structuration du champ commence-t-il à pointer dans le plus récent Handbook, celui de 2016. En effet, le Sage Handbook of curriculum, Pedagogy and Assessment de 2016 démontre une double volonté de mieux cadrer le champ, d’une part, et de prendre acte de l’évolution de la pratique curriculaire, d’autre part, et notamment de la montée en puissance partout dans le monde anglo-saxon, de l’évaluation des acquis. Confié à trois universitaires britanniques (D. Wise, L. Hayward, et

J. Pandya), qui se font forts de rappeler la contribution de B. Bernstein au domaine, ainsi que la tradition plus européenne des « didactics » et des études comparatives (les éditeurs référent aux travaux d’Alexander sur les pédagogies en acte dans diverses cultures nationales (2001)), le Handbook prend acte des« forces globales de la performativité », et dans ce contexte de crise, tente de théoriser les liens entre un curriculum formel, la « pédagogie » (en tant que lieu de l’agentivité des enseignants) et l’évaluation des acquis. Il reconnaît que ces liens ou ces dimensions du curriculum (formel, enseigné et acquis) sont aussi des objets privilégiés des politiques publiques actuelles, celles-ci cherchant à les resserrer ou les aligner dans le sens de la « performativité ». Ces politiques sont de plus en plus inspirées des grandes institutions internationales. En ce sens, il y a une véritable internationalisation tant de la théorie normative que de la pratique du curriculum dans bon nombre de pays. Ainsi, théorie et pratique curriculaire semblent se rapprocher l’une de l’autre, dans un face-à-face où s’entremêlent légitimation et distance critique. Un exemple d’hybridité et de traduction.

Outre les sujets habituels traités dans les Handbooks, celui de 2016 aborde des problématiques nouvelles, comme celle de l’apport des neurosciences ou du constructionisme social, du développement professionnel des enseignants, des communautés d’apprentissage, de l’internet, de l’inclusion, et du leadership. Il comprend aussi des articles abordant la nature et les effets des évaluations internationales.

Bref, le champ demeure très large, même si sa saisie par le biais des interrelations entre un curriculum formel, la « pédagogie » et l’évaluation apparaît valable, et ce d’autant plus que ce souci de relier les trois dimensions du curriculum est en continuité avec des développements antérieurs, voire de son émergence.

Alors que, dans sa valorisation du débat, de la divergence et du pluralisme, le monde académique connait des difficultés à converger sur un noyau dur constituant le champ et permettant éventuellement d’en déduire un discours politiquement pertinent (et pas seulement radicalement critique), le monde de la pratique semble évoluer indépendamment et suivre sa logique propre. Ainsi, un fossé se creuse et s’élargit. Le champ pratique des études curriculaires [119] évolue en sens contraire de ce qui vient d’être soulignée. Alors que la noosphère académique se pluralise considérablement, au point d’apparaître éclaté, le monde de la pratique, lui, converge depuis le début des années 1980 dans ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement des « standards ». Inspiré de la nouvelle gestion publique et donc soucieux des enjeux de gouvernance, de mise en œuvre efficace et de performance ou de résultats manifestes, ce mouvement a pris son envol à partir de la publication du rapport Nation at Risk en 1983, le déclencheur d’une mobilisation politique forte autour de l’amélioration des acquis des élèves dans le cadre de la scolarisation obligatoire. Au sein de la classe politique américaine, il y a un accord sur ce paradigme de transformation de l’éducation : du président Reagan (sous l’administration duquel Nation at Risk fut publié et diffusé), aux présidents Bush (père) et Clinton et le Goals 2000, Educate America Act, à Bush fils et le No Child Left Behind, et enfin, au Race to the Top du président Obama, toutes les administrations américaines ont convenu qu’il fallait définir des standards élevés et exigeants et s’assurer que les écoles les atteignent [8].

La notion de standard est polysémique. Elle englobe à la fois ce qui doit être enseigné – un standard est en quelque sorte un modèle, un idéal, une qualité à atteindre – et aussi sa mesure, le seuil à atteindre, le niveau de performance à maitriser. On peut penser que l’attractivité de cette idée pour des gestionnaires est qu’elle lie ces deux dimensions : l’idéal et son étalon de mesure. Elle force en quelque sorte le monde de l’éducation à convenir de mesures comparables à travers les unités du système éducatif.

Le mouvement des standards, qui renoue avec l’esprit de Tyler et de ses disciples soucieux de produire une prescription curriculaire claire et généralisable à un système intégré, s’est associé à la nouvelle gestion publique qui valorise le libre choix des parents consommateurs d’école, la concurrence entre les écoles, et les bons d’éducation que des parents bien informés par des classements et [120] des palmarès, sauront, en tant qu’acteurs rationnels sur un marché scolaire, utiliser à bon escient dans l’intérêt de leurs enfants.

C’est ainsi que se sont développés un peu partout dans le monde anglo-saxon des standards de contenu (content standards), des standards de performance (performance standards), et des standards d’organisation (Opportunity to Learn standards ou OTL). Ces derniers identifient les dispositifs, modes d’organisation et pratiques d’enseignement assurant l’atteinte des standards de performance, notamment le fameux temps d’enseignement consacré exclusivement à l’apprentissage. Une véritable industrie des standards s’est développée, couvrant l’ensemble des matières au programme des écoles.

Ce mouvement des standards, dominant et levier de la concurrence entre les écoles, les districts, les États, voire les pays (par le biais des programmes PISA et autres de même nature), n’est pas sans contestation. Ainsi, D. Ravitch, membre de la commission qui a produit Nation at Risk en 1983 et sous-secrétaire à l’éducation quelques années plus tard, après avoir été favorable à ce développement qu’elle percevait comme un formidable outil d’explicitation des finalités éducatives et de mobilisation collective, a par la suite adopté un point de vue très critique, y voyant entre autres, un outil de rétrécissement de l’envergure et de la profondeur du curriculum formel, et par là, d’une perte considérable de ses visées humanistes et citoyennes traditionnelles (Ravitch, 1995 a et b, 2010).

Tout se passe comme si la théorie curriculaire devient plus éclatée et critique, alors que la « pratique » (celle qui soutient des décisions gouvernementales et ruisselle du gouvernement fédéral américain, aux États, aux districts scolaires et aux écoles) devient plus axée sur l’efficacité dans l’amélioration des acquis mesurés. Dans ces deux pôles du champ, s’expriment diverses conceptions, certaines radicalement différentes, des acquis que doivent démontrer les élèves et les étudiants.

Après le curriculum formel qu’il importait de construire selon les règles de l’art formulées par Tyler et ses disciples, après le glissement vers le curriculum enseigné et le rôle des enseignants en tant que médiateurs et planificateurs des expériences éducatives de leurs élèves, voilà que nous sommes entrés dans l’ère des standards, c’est-à-dire dans un souci très fort pour le curriculum acquis. Des acquis discutables au sein de la noosphère académique, mais pas beaucoup dans le monde anglo-saxon de la pratique curriculaire, prisonnière de l’internationalisation de ce paradigme.

Il faudrait étudier plus à fond les rapports entre ces deux formes d’internationalisation : la première, académique, semble difficile à réguler ; la seconde, pratique [121] et politique, mène à une réelle convergence autour des « compétences du XXIe siècle » et des « standards de performance » des systèmes éducatifs.

CONCLUSION :
QUELQUES ÉLÉMENTS D’INTERPRÉTATION


Résumons-nous. Principalement institutionnalisé dans les facultés anglo-saxonnes de sciences de l’Éducation, le champ des études curriculaires y fait l’objet de cours et de séminaires, il a le statut d’objet scientifique spécialisé à la maîtrise et au doctorat en sciences de l’éducation. Il regroupe des chercheurs reconnus et dont l’identité scientifique est liée au champ (cf. bibliographie). Il élabore ses problématiques spécifiques et les débats dans des revues spécialisées, de volumineuses encyclopédies offrent des synthèses de connaissance à intervalles réguliers, des colloques nationaux et internationaux rassemblent les chercheurs qui discutent de leurs travaux et de l’évolution du champ, ainsi que des enjeux scientifiques, sociaux et politiques qui lui sont consubstantiels. Il interagit avec des champs voisins, par exemple, avec le champ de l’analyse des politiques éducatives, celui de l’évaluation et celui des fondements de l’éducation. Il est ouvert à ces champs, car il en utilise les productions pour problématiser son objet.

Le champ du curriculum appartient donc au champ des sciences de l’éducation, dont il ne peut s’autonomiser complètement. Au sein des sciences de l’éducation, le champ du curriculum a des rapports étroits avec des disciplines dites fondamentales (histoire, philosophie, sociologie, psychologie) dans la mesure où ce sont dans ces disciplines contributoires qu’il puise les « fondements » du curriculum et de son analyse.

Par son lien avec les disciplines dites contributoires aux sciences de l’éducation, le champ du curriculum est interdisciplinaire. Ce qui rend ses frontières poreuses avec ces disciplines. Cela le rend aussi perméable aux évolutions propres à ces disciplines. Par exemple, au sein des sciences humaines et sociales anglo-américaines, le développement des « cultural Studies » a influé sur l’étude du curriculum et sur le développement de programme d’études et de recherches orientés sur l’analyse la contribution du curriculum aux rapports de domination de diverses minorités et leur non-reconnaissance dans la société.

L’autonomie du champ curriculaire est donc toute relative, puisque les enjeux curriculaires sont socialement et politiquement importants, ne laissant ni le pouvoir politique ni les groupes sociaux indifférents, ce qui nous ramène à l’analyse de Callon et al. (2001) sur la recherche de plein air et la démocratie [122] technique dialogique. Le champ du curriculum est en relation avec le champ politique, dans la mesure où l’autorité politique légitime détermine le curriculum formel des institutions éducatives. Dans des pays à structure fédérative (États-Unis, Canada, Australie, etc.), la question de savoir qui décide du curriculum est un enjeu permanent de gouvernance éducative. Aussi, le champ du curriculum est en relation avec divers groupes sociaux qui demandent que l’école prenne en compte leur problématique et reconnaissance leur existence et leur contribution.

Il est aussi en relation avec les institutions éducatives, car ce sont les acteurs scolaires – enseignants, conseillers pédagogiques, inspecteurs et directions – qui interprètent, adaptent et mettent en œuvre le curriculum prescrit par l’État. Aussi, il est en relation avec le champ de l’édition scolaire – un marché avec ses producteurs et ses consommateurs, en somme son économie particulière, puisque le curriculum de l’école se traduit dans des manuels et divers outils et matériaux d’enseignement produits et mis en marché par divers acteurs.

Ces rapports multiples font que le champ du curriculum, comme champ d’étude scientifique, jouit d’une autonomie toute relative. Certes, il peut (et doit) étudier avec distance et objectivité les curricula dont les sociétés se sont dotés à différents moments de leur histoire, mais dès qu’il aborde les questions d’actualité, il lui est difficile de garder à bonne distance toute considération normative ou idéologique. Dans la mesure où un curriculum est un ensemble de réponses normatives à des questions socioéducatives centrales pour toute société, il ne peut se soustraire totalement aux considérations normatives et idéologiques. Il ne peut non plus se vivre en vase clos, dans un espace confiné, aux frontières parfaitement étanches : d’une manière ou d’une autre, il est amené à dialoguer avec les acteurs sociaux et politiques, surtout dans une société qui recherche en matière de curriculum le consensus social le plus large possible.

Ces rapports avec le champ politique et le champ éducatif, s’ils en limitent l’autonomie, lui confèrent en retour une réelle pertinence sociopolitique, qui devient, pour les chercheurs du domaine, un atout important dans leurs luttes de statut et de reconnaissance au sein des sciences de l’éducation. Rappelons que les facultés anglo-saxonnes de sciences de l’éducation ont une mission professionnelle de formation initiale et continue des acteurs de l’éducation, au premier chef les enseignants et les directions d’établissement.

Dans le cas du champ anglo-saxon des études curriculaires, on peut soutenir que sa structuration historique a engagé le champ dans des rapports de collaboration et de dialogue avec les acteurs sociaux, au premier chef les acteurs scolaires. En témoigne l’importance accordée au curriculum developpment et au design et la mise sur pied dès 1943 de l’Association for Supervision and [123] Curriculum Development, rassemblant des chercheurs, des cadres (notamment des surintendants de l’éducation) et des décideurs. Cette association américaine est toujours active, elle s’est internationalisée et regroupe désormais 125 000 membres de 128 pays différents ; elle publie une revue ainsi qu’un Yearbook. Il y a donc depuis un bon moment, au sein du champ, un volet « pratique » ou « politique », permettant un dialogue entre les acteurs et donnant à voir une forme d’hétéronomie assumée.

En s’académisant, tout en demeurant lié aux champs politique et scolaire, et en s’internationalisant, le champ des études curriculaires peut donner l’impression d’une dispersion pouvant conduire à un éclatement. Nous proposons quatre pistes d’interprétation de cette possible dispersion. La première (1) rappelle que le champ du curriculum a depuis longtemps épousé une définition très large de son objet. En ne le limitant pas au curriculum prescrit ou à la notion de programme d’études (ensemble hiérarchisé et séquencé des savoirs à transmettre), en embrassant aussi le curriculum enseigné (ou « caché ») et le curriculum acquis, voire en le définissant dans le langage deweyien des multiples expériences vécues par les élèves en contexte scolaire, et en insistant sur l’ensemble des facteurs scolaires et non-scolaires, micro, méso et macroscopiques qui influent sur ces expériences, le champ s’est ouvert à un très large éventail de phénomènes, recouvrant un très grand pan de l’éducation. Ajoutons (2) à cela la multiplication des perspectives d’analyse, le recours aux diverses disciplines contributoires (histoire, philosophie, sociologie, psychologie), chacune d’entre elles étant traversées de différents courants. Il est possible que joue ici la conviction que, ainsi défini, le champ est en mesure de rendre compte du « cœur » de l’éducation, de sa spécificité profonde, de sa mission de transmission et de son effectivité.

Parmi ces perspectives théoriques contributoires, donnant au champ son caractère interdisciplinaire, il faut (3) souligner l’importance des « cultural studies » qui ont un impact considérable sur les sciences humaines et sociales américaines et qui ont pénétré aussi l’univers des sciences de l’Éducation. D’ailleurs, plusieurs universités américaines offrent à la maîtrise et au doctorat en éducation, des programmes de recherche dans ce domaine, défini comme un domaine interdisciplinaire et critique portant sur des « enjeux sociaux, culturels, philosophiques et historiques » en éducation, puisant ses cadres théoriques dans les courants critiques, utilisant des méthodologies qualitatives, ethnographiques et biographiques. Ces programmes rendent possibles aussi un engagement dans des luttes éducatives urbaines (sur le campus universitaire ou dans des milieux dominés) ou de l’implication dans des organisations communautaires soutenant des minorités opprimées (définies par leur « race », ethnie, genre ou orientation sexuelle).

[124]

Les cultural studies en éducation contribuent à la dispersion du champ des études curriculaires, dans la mesure où elles donnent à penser qu’en éducation, tout est à la fois « culturel » (représentations, façons de penser et d’être) et politique (structures de domination et d’exploitation des minorités).

Outre la définition large de la notion de curriculum, la diversification des perspectives d’analyse empruntées aux disciplines contributoires et la montée en puissance des cultural studies, il est possible que (4) l’internationalisation du champ rende sa régulation plus difficile. Cela mériterait une étude approfondie, qui dépasse les possibilités de cet article, mais la question se pose à savoir comment en élargissant ses cadres, un champ articule ses diverses régulations nationales, élabore des normes internationales communes et est en mesure de s’assurer de leur respect. Ce que l’on gagne en extension a-t-il un coût en termes de structuration serrée des objets, des programmes de recherche et des critères de qualité ?

Claude Lessard

Professeur émérite de sociologie de l’éducation
Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal

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[1] Le dictionnaire historique de la langue française nous apprend que le mot curriculum est un emprunt du latin, signifiant « course, cours de la vie », et qu’il aurait été incorporé au français au début du XXe siècle (1904). Son sens a évolué pour comprendre l’idée d’un cours d’étude ou celle de parcours d’une vie professionnelle, comme dans l’expression curriculum vitae. Peut-être l’expression « course au diplôme » prend-elle son origine dans ces racines latines.

[2] Je remercie Louis Levasseur, professeur titulaire à la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Laval, pour son aide bibliographique et ses commentaires judicieux.

[3] Ces propos rejoignent les pratiques de recherche collaborative qui se développent ici et là en sciences de l’éducation et engagent chercheurs et praticiens dans des processus itératifs de co-construction de la recherche. Ils font écho aussi aux analyses de Schön et Rein (1994) sur les manières pour des scientifiques experts de contribuer à la résolution de controverses sur des enjeux sociaux avec des décideurs politiques.

[4] Il est utile de souligner qu’en 1964, Tyler a présidé le comité de la fondation Carnegie qui a développé le NAEP, soit le National Assessment of Educational Progress, utilisé à partir de 1969 et toujours en place à ce jour. Le NAEP est le seul instrument national américain de suivi des acquis des élèves. En place depuis presque 50 ans, il sert à situer dans le temps les acquis des jeunes américains.

[5] Le manuel de Zais (1976) est un bon exemple de cette façon de réfléchir aux diverses dimensions du curriculum.

[6] L’espace nous empêche de présenter convenablement ce courant, dont nous sommes proches (Lessard, Carpentier, 2015). Il a produit des travaux fort intéressants, notamment ceux de Benavot (2002), de McEneaney E. H., Meyer J.W. (2000), de Meyer J.W., Kamens, D.H., Benavot A. (1996), et de Ramirez F.O., Meyer J.W. (2002).

[7] Connelly et Xu, dans leur conclusion au Handbook de 2007, mentionnent même une apparente confusion ou risque de confusion.

[8] À l’intérieur de ce consensus, une divergence substantielle, essentiellement politique : faut-il, pour réaliser cette amélioration des acquis, accroitre le rôle du gouvernement fédéral ? Importe-t-il de « fédéraliser » la politique éducative américaine, ou respecter l’autorité des États, des districts scolaires et ultimement des communautés locales en matière d’éducation ? Ce débat récurrent dans l’histoire éducative américaine, distingue nettement les « libéraux » démocrates des conservateurs républicains. Jusqu’aux années 1980, le gouvernement fédéral américain intervenait en éducation pour des catégories particulières d’élèves (ceux des minorités raciales, les pauvres, les handicapés) ; ses politiques étaient donc spécifiques, non universelles. Sous Clinton, le gouvernement fédéral a cherché à prendre une plus grande place, en développant une politique concernant l’ensemble des élèves américains, d’où le thème de la « fédéralisation » de la politique éducative (Cookson, 1995 ; Klein, 1991 ; Sinnema, 2016). Lui est associé celui de l’« alignement » du curriculum, du haut en bas de la pyramide éducative, que celle-ci soit envisagée à l’échelle de la confédération américaine au à celle d’un État ou d’un district scolaire.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 26 mai 2022 7:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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