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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Lessard, “La difficile légitimation des réformes curriculaires.” In Politiques publiques en éducation: l’exemple des réformes curriculaires. Actes du séminaire final-10-12 juin 2009, pp. 58-79. Sous la direction de Valérie Téhio, avec la contribution de Françoise Cros. Sèvres, France. Centre international d’études pédagogiques, département enseignement général, Sèvres, France, juin 2010, 153 pp. [Claude Lessard nous a accordé, le 27 avril 2022, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[58]

Claude Lessard

Professeur titulaire, Université de Montréal

La difficile légitimation
des réformes curriculaires
.”

In Politiques publiques en éducation : l’exemple des réformes curriculaires. Actes du séminaire final-10-12 juin 2009, pp. 58-79. Sous la direction de Valérie Téhio, avec la contribution de Françoise Cros. Sèvres, France. Centre international d’études pédagogiques, département enseignement général, Sèvres, France, juin 2010, 153 pp.

Introduction [58]
Les politiques institutionnelles et les politiques curriculaires [60]
La légitimité des politiques institutionnelles et des réformes curriculaires [64]
La dynamique de la légitimité [68]
L’internationalisation d’une politique de la productivité éducative et des approches par compétences [70]
Intensification des débats curriculaires nationaux et locaux [73]
L’ambivalence des classes moyennes et la métaphore du pendule [76]
Conclusion [77]


Introduction

L’action publique en éducation prend de multiples formes et porte sur de nombreux objets. Elle est aussi éminemment controversée, comme en font foi les conflits d’intérêts, de représentations et de valeurs qui la traversent en permanence. À telle enseigne qu’il est de plus en plus difficile de dégager et de tenir dans la durée une politique et une vision d’ensemble assurant l’unité, la cohérence et la consistance des efforts de tout un chacun. Ce n’est pas faute de la chercher, cette voie, mais par moments, nos systèmes éducatifs ressemblent davantage à des navires soudainement pris dans la tempête, littéralement ballotés à gauche et à droite, à la recherche d’une route consensuelle et paisible (ou apaisée) introuvable (que certains nostalgiquement associent à un retour dans le passé, un âge d’or malheureusement défait), dans la crainte qu’une vague scélérate n’en emporte des pans entiers. Les capitaines qui se succèdent à la barre semblent désemparés et incertains : ils vont et viennent, changent souvent, délèguent et passent les commandes à d’autres, consultent et étudient, hésitent, tergiversent, laissent faire ou encore s’activent (trop), leurs choix successifs désorientant ou s’empilant les uns sur les autres sans prise en compte de leurs interactions et de leurs effets. Bref, l’idée que le pilote est absent ou qu’il ne sait pas où il va, ou que « le système » est ingouvernable, ou encore que l’environnement est décidément imprévisible et extrême, trouve de nombreux adeptes. Les grandes finalités ne sont d’aucun secours. Elles sont générales et floues, et cachent souvent sinon des intentions, certainement des effets dont on préfère ignorer l’existence ou taire le nom. Le consensus n’est pas non plus au rendez-vous et lorsqu’il y est, il charrie des malentendus qui tôt ou tard amplifient les inévitables conflits d’intérêts, de valeurs ou de représentations. Il y a de multiples raisons et causes à cette situation ici dramatisée. Certaines sont culturelles (le pluralisme moderne qui rend les consensus formels, abstraits et généraux, l’individualisation des styles de vie et des inégalités [1] d’autres sont socioéconomiques (la mondialisation économique et l’inquiétude des classes moyennes à l’égard de leur reproduction qui fait imploser les systèmes éducatifs), enfin, il y a des causes proprement politiques (la crise de l’État-Nation, accentuée par l’internationalisation [59] et la décentralisation ou la régionalisation). Au total, comme le souligne Dubet [2], l’institution éducative est affaiblie et les acteurs sont davantage laissés à eux-mêmes.

Dans cet article, la question que je souhaite poser est celle de la légitimité d’une politique éducative, dans ses composantes tant institutionnelles que curriculaires, car celle-ci me semble problématique. En effet, tout se passe comme si la légitimité était incertaine, instable, voire même éphémère. Peut-il y avoir une politique éducative institutionnelle et une réforme du curriculum susceptibles de tenir la route suffisamment longtemps pour donner les fruits escomptés ? Je ne saurais répondre de manière affirmative à cette question. Mais je voudrais néanmoins réfléchir, à partir de Suchman [3], sur ce travail de légitimation, ses difficultés et ses exigences.

À cette fin, je propose une analyse des réformes curriculaires qui ne les dissocient pas des politiques institutionnelles et qui, au contraire, montrent leurs liaisons. Ce sera mon premier point. Le second abordera la notion de légitimité d’une politique éducative, ses dimensions pragmatique, morale et cognitive, ainsi que sa dynamique, que j’illustrerai à partir du cas du Québec. Pour problématiser cette légitimité, mon troisième point discutera les tensions entre le global et le local et l’ambivalence des classes moyennes. Je tenterai de montrer que malgré des politiques institutionnelles inspirées du paradigme de la productivité qui prétend fournir un cadre commun unificateur aux réformes curriculaires de plusieurs pays, intégrant celles-ci dans un ordre éducatif en voie de mondialisation, les débats curriculaires nationaux ou locaux, loin de disparaître, s’intensifient et leurs objets se multiplient. Cela rend la légitimation des réformes curriculaires nationales difficile, incertaine, fragile et parfois de courte durée. Toute entreprise de réforme curriculaire est périlleuse, ou comme le suggère Perrenoud [4] à propos des réformes éducatives en général, pas très réaliste ou raisonnable. N’apparaît alors tenable qu’une position, « radicalement » pragmatique : celle du centrisme qui refuse les positions extrêmes du pendule et celle d’un pilotage qui fait de l’ajustement continu et permanent son mode de fonctionnement caractéristique, en quête sinon de l’équilibre, au moins d’une mise en musique « humble » et modérée des tensions, des ambivalences et des accords et des désaccords. Ma conclusion réfléchira aux conséquences d’une telle approche.

Mais d’abord, précisons quelques définitions et distinctions.

[60]

Les politiques institutionnelles
et les politiques curriculaires


Dans un champ d’activité, on peut classer les politiques en deux grandes catégories : les politiques institutionnelles et les politiques substantielles [5]. Les premières portent sur les rapports sociaux au sein du champ, la distribution de l’autorité et du pouvoir, les encadrements juridiques, administratifs et règlementaires des paliers, des instances et des organisations qui regroupent les acteurs autour de positions ordonnées dans le champ, le soutien et le contrôle de l’activité, l’évaluation et la reddition de comptes. Les débats récurrents sur le degré optimal de centralisation ou de décentralisation sont un exemple de débat typique de l’aspect institutionnel.

Les politiques substantielles, pour leur part, traitent de l’activité elle-même, de la mission du champ, de ce qu’il doit faire, des moyens, outils et technologies à sa disposition. On peut dire que les politiques substantielles constituent le cœur d’un champ institutionnel, son noyau dur (ou son « core » pour reprendre l’expression anglo-saxonne), sa spécificité, son expertise et le fondement de sa revendication d’autonomie par rapport à des champs concurrents. Dans les systèmes éducatifs, le curriculum, dans tous les sens du terme, est l’exemple par excellence d’une politique substantielle.

La notion de curriculum est extensible. Tantôt, elle recouvre les contenus de formation, les programmes officiels, les savoirs, savoir faire et savoir être formellement explicités dans des documents officiels. Tantôt elle s’élargit à l’ensemble  des pratiques scolaires qui ont des effets (voulus et non intentionnels, explicites ou cachés) d’instruction, d’éducation, de formation et de socialisation sur les élèves. Mais quel que soit le sens donné au concept, il demeure la substance même de l’éducation et son objet politique propre.

Cette distinction entre deux types de politique est relative. Mon propos est de montrer la dynamique de leurs enchevêtrements. Pour ce faire, il faut les distinguer, au moins pour le temps de l’analyse.

En éducation, les politiques institutionnelles [6] des dernières décennies ont, sous le couvert de la décentralisation ou de la déconcentration, complexifié la gouvernance du système : elles ont eu pour effet, au nom d’une plus grande flexibilité et d’une ouverture, tenté, sinon de briser le moule uniforme, au moins de l’assouplir, pour faire place à des logiques territoriales et locales plus diversifiées. Elles ont sciemment cherché à briser l’ancien monopole interne, ce modèle de gouvernance bureaucratico professionnelle qui assurait depuis le milieu du XXe siècle, la continuité des décisions  et son sentier de dépendance. Elles ont ouvert la porte plus grande à des acteurs traditionnellement marginalisés, comme les parents d’élèves et les représentants de [61] la communauté, voire les élus locaux ; elles ont voulu accorder plus d’autonomie aux établissements, en les incitant à se doter de projets et de plans d’amélioration spécifiques, de nature à diversifier l’offre éducative et à la rendre plus attrayante, plus concurrentielle, plus proche des désirs des consommateurs de services scolaires.  Elles ont facilité la liberté de choix de l’établissement, soumettant ainsi les acteurs scolaires à des forces locales que ceux-ci traditionnellement étaient à même de neutraliser. Certains [7] parlent d’une régulation post bureaucratique, dont les accents peuvent porter tantôt sur l’évaluation a posteriori, tantôt sur la concurrence locale et  donc sur des logiques de demande, tantôt sur un mélange des deux.

Il y a un lien postulé entre les politiques institutionnelles et les politiques substantielles : les premières sont censées faciliter les secondes. C’est du moins ainsi qu’on les légitime : par exemple, la décentralisation est censée éliminer des contrôles lointains et inefficaces, libérer les initiatives théoriquement adaptées aux réalités locales, rapprocher la décision des lieux concernés et par là, elle est vue comme une source d’amélioration de l’apprentissage et de la réussite des élèves. Mais est-ce vraiment le cas ? La recherche n’est pas concluante sur ce point et tout donne à penser que les politiques institutionnelles obéissent à des logiques qui sont au moins partiellement indépendantes des logiques à l’œuvre dans les politiques substantielles. La notion américaine de « loose coupling » tente de conceptualiser cette relative indépendance. C’est ainsi que l’on peut penser que l’effet de la décentralisation est plutôt d’ouvrir les politiques substantielles à un jeu micro politique dont jusque-là elles avaient réussi à s’abstraire, compliquant le jeu au lieu de le simplifier.

Les politiques institutionnelles sont, pour les politiques substantielles, autant des contraintes que des ressources, parfois davantage l’une que l’autre. Par exemple, une politique de reddition de comptes qui impose des cibles de réussite évalue systématiquement les élèves sur des examens standardisés (voire même ne fait reposer la diplomation que sur ces résultats), publicise les résultats scolaires par établissement et les désagrège en fonction de catégories d’élèves (comme c’est le cas aux États-Unis en fonction des populations scolaires d’élèves appartenant aux minorités nationales), a des effets sur le curriculum réellement enseigné dans les classes et sur le traitement scolaire de ces diverses minorités. Les politiques institutionnelles peuvent aussi moduler les politiques substantielles : par exemple, le Québec a débuté sa récente réforme curriculaire en décrétant que les conseils d’établissements, nouvellement créés, auraient autorité sur 25 % du temps d’enseignement et qu’ils pourraient y exprimer leurs préférences, choix ou projet éducatif particulier. On a là un exemple d’une politique institutionnelle qui distingue deux grands segments curriculaires : celui qui est commun ou national et celui qui est local et spécifique, [62] fonction d’une demande locale (cette politique institutionnelle s’est avérée impraticable, parce qu’incompatible avec d’autres politiques institutionnelles). Le Québec a aussi grandement facilité la possibilité pour des instances intermédiaires et locales de déroger au curriculum prescrit, au nom des particularités et demandes locales.

Les politiques institutionnelles ne sont donc pas des niches neutres et indifférentes pour les politiques substantielles. Elles sont au contraire des forces qui interagissent avec celles-ci. De même, les politiques substantielles doivent être compatibles avec les politiques institutionnelles. Par exemple, il est impossible pour le gouvernement fédéral, aux États-Unis et au Canada, de penser et d’imposer un curriculum national : ce serait inconstitutionnel, car l’éducation y relève des États ou des provinces et non pas du gouvernement fédéral. Cela n’empêche pas ces gouvernements de ruser et d’intervenir en éducation, au nom de l’intérêt national ou des droits des minorités, mais ils ne peuvent définir directement ce qui doit être enseigné dans les écoles de la nation. L’importance accordée aux États-Unis à l’évaluation des apprentissages par le gouvernement fédéral est une manière indirecte d’intervenir, tout en respectant la constitution.

Les politiques substantielles peuvent aussi servir plus ou moins explicitement les finalités de certaines politiques institutionnelles. Par exemple, en Belgique francophone, la définition de socles de compétences communes est une stratégie pour faire converger au plan curriculaire les « réseaux » du système éducatif belge, jusque-là très autonomes et indépendants.

Ces deux cas montrent un renforcement des politiques institutionnelles par des politiques substantielles. Il y a donc des liens entre ces types de politiques et leur sens véritable est, pour une part non négligeable, dans cette liaison.

Les dynamiques propres à chaque type de politique n’obéissent pas nécessairement aux mêmes logiques et aux mêmes facteurs. Les politiques institutionnelles récentes participent d’une logique qui dépasse largement le champ éducatif, englobe tout le champ public et parapublic et le soumet à des impératifs dominés par l’économie (l’efficacité, l’efficience, la productivité). Peu importent les vocables utilisés, modernisation de l’administration de l’État, New Public Management, politique de productivité, nouvelle régulation quasi marchande, etc., les politiques institutionnelles récentes en éducation trouvent leurs orientations fondamentales ailleurs qu’en éducation ; elles les puisent dans le paradigme néolibéral de la productivité et de l’efficience et entendent soumettre ce champ à une dose significative de logique économique privée. À cet égard, ce qui arrive au monde de l’éducation primaire et secondaire n’est guère différent de ce qui arrive au champ de la santé, à celui des municipalités, au monde de la culture et à ses « industries », à l’enseignement supérieur, etc. Il y a une « colonisation » de l’éducation par ce paradigme « transversal ».

La dynamique curriculaire est à mon sens, plus complexe, car elle se déploie sur plusieurs terrains (ceux des divers savoirs disciplinaires ou transversaux, celui des épistémologies et celui de la pédagogie ou de la didactique, pour ne nommer que les [63] plus importants) ; elle est conflictuelle et nécessite un intense travail de légitimation pour lequel la science, la politique, la tradition et les savoirs d’expérience sont, à des degrés divers, mis à contribution. Le curriculum est le lieu d’enjeux et de débats proprement culturels : la place de différents savoirs et des grands champs culturels (les humanités, les sciences sociales et les sciences dites exactes), l’importance relative de la formation dite générale par rapport à la préparation au monde du travail et à une vie citoyenne démocratique, l’instruction par rapport à l’éducation, les connaissances ou les compétences, les savoirs nouveaux par rapport aux grandes œuvres et réalisations de l’humanité, les savoirs utiles ou les savoirs désintéressés, etc.

Souvent, cette dimension culturelle est traduite ou déplacée dans le champ proprement pédagogique ou didactique : quelle place faire à l’élève dans la transmission du curriculum ? Faut-il le laisser apprendre, seul et avec d’autres, ou lui enseigner de manière systématique des contenus prédéterminés ? Enseigner les habiletés et compétences de base ou viser le complexe et le niveau élevé ? Se profilent ici des options épistémologiques : s’agit-il de faire acquérir un savoir pré codifié qui est une fin en soi ou de permettre à l’élève d’utiliser un savoir outil avec lequel il pourra construire du sens, comprendre le monde et y agir ?

On le comprend, la dynamique curriculaire est tout à la fois culturelle, pédagogique ou didactique et épistémologique. Elle est habitée par des valeurs et des représentations profondes. Ces questions intéressent de nombreux groupes sociaux, les parents aussi bien que les professionnels de l’enseignement, au premier chef les enseignants. Quoiqu’ils soient assez réservés sur les grands débats culturels portant sur les savoirs, ces derniers retrouvent leur voix lorsque les débats se transposent sur les terrains didactiques et pédagogiques, terrains de leur activité quotidienne, là où leurs véritables préoccupations se déploient [8]. Durkheim, dans L’Évolution pédagogique en France [9], a bien montré la spécificité des enjeux curriculaires et, par ce biais, les caractéristiques propres du champ éducatif et son autonomie relative.

Le curriculum n’est pas que l’objet de luttes et de débats symboliques. Il est aussi l’objet d’intérêts matériels réels et puissants. Les lobbies disciplinaires défendent des postes, des heures d’enseignement, des contrats de rédaction, des formations, etc. ; les maisons d’édition défendent un marché qu’elles veulent rentable et lucratif. Ces dernières, par exemple, contribuent dans l’Amérique du Nord anglo-saxonne à « nationaliser » le curriculum, en proposant des manuels qui valent pour tous les États, toutes les provinces, tous les districts scolaires et toutes les écoles ; elles sont donc une force d’unification curriculaire, au nom même de la nécessaire rentabilité de ce marché (un peu comme l’industrie du cinéma hollywoodien l’est pour la culture populaire étatsunienne et, de plus en plus, mondiale).

[64]

Pour ces raisons, le curriculum n’est pas un objet neutre ou banal : il représente ce qu’une société choisit de transmettre d’elle-même à la jeune génération, i.e. les outils culturels qu’elle lui propose pour se construire des identités individuelles et collectives, pour comprendre et assurer à la fois la continuité et la transformation du monde. Idéalement, on le souhaite relativement stable (et certaines forces économiques, comme l’industrie des manuels, y contribuent), pour nous rassurer sur ce que nous sommes comme société, mais on le voudrait aussi ouvert et flexible, car on reconnaît que le monde change, tout comme les outils pour le saisir.

Cette complexité et les multiples terrains de son déploiement rendent l’administration du curriculum (au sens le plus large du terme, i.e. définir, planifier, organiser, réaliser, contrôler, évaluer) extrêmement difficile, voire même impossible à accomplir d’une manière linéaire et parfaitement contrôlée. La section suivante aborde cette complexité à partir du concept de légitimité d’une politique.

La légitimité des politiques institutionnelles
et des réformes curriculaires


Dans le champ de l’administration et de l’étude des organisations, plusieurs auteurs [10], notamment des auteurs d’allégeance institutionnaliste, se sont intéressés à la question de la légitimité d’une organisation et de ses actions.

Celle-ci est souvent définie d’une manière assez large comme « la perception généralisée ou l’assomption que les actions d’une entité donnée sont désirables, comme il faut ou appropriées au sein d’un système socialement construit de normes, de valeurs, de croyances et de définitions ». Suivant cette définition, la légitimité n’est pas une possession ou une caractéristique plus ou moins objective d’une organisation ; elle est plutôt une construction sociale qui reflète une forte congruence entre les actions de l’entité légitimée et les croyances partagées des groupes qui constituent l’environnement de l’organisation.

La légitimité est donc en quelque sorte une qualité de la relation entre une organisation et son environnement. Elle témoigne de l’enracinement dans un système de croyances institutionnalisées et de scripts d’action qui, dans le meilleur des cas,  est pris pour acquis. Une organisation légitime est non seulement perçue par son environnement comme valable mais aussi comme signifiante, prévisible et digne  de confiance. Elle est en mesure de fournir à son environnement un compte rendu crédible et une explication rationnelle de ce qu’elle fait et de pourquoi elle le fait.

[65]

Il y a donc dans la légitimité une dimension évaluative, mais aussi une dimension cognitive : ce que l’organisation fait a du sens (cela semble compréhensible et rationnel) et aussi de la valeur (c’est une bonne chose qui doit être faite).

La légitimité, une fois acquise, est comme un parapluie qui protège des intempéries de la vie et permet de transcender certains événements négatifs ; elle est résiliente aux événements, tout en étant dépendante d’une histoire et d’un récit.

Suivant Suchman [11], il y aurait trois types de légitimité, une légitimité pragmatique, une légitimité morale et une légitimité cognitive.

La légitimité pragmatique repose sur les calculs intéressés des groupes les plus proches de l’organisation. Elle suppose que ceux-ci voient leurs intérêts satisfaits par les actions de l’organisation. Au plan de l’action, elle peut prendre deux formes : l’échange et l’influence. Par exemple, lorsque des centres d’éducation des adultes et de formation professionnelle s’entendent avec des entreprises sur une formation professionnelle pour de futurs travailleurs, il y a une transaction, un échange qui procurent de la légitimité à l’organisation et la main d’œuvre qu’elles requièrent aux entreprises. Lorsque les écoles publiques mettent sur pied des conseils d’établissement et y réservent des places aux parents et à la communauté de l’école, elles donnent à voir qu’elles sont prêtes à renoncer à un peu de leur autonomie, de leur pouvoir et de leur opacité afin de s’assurer du soutien des parents et de la communauté. Ici, on échange de l’influence pour de la légitimité. Certaines des politiques institutionnelles discutées plus haut, notamment celles qui élargissent la liberté de choix de l’établissement, procèdent de ce calcul.

La légitimité morale réfère au problème de savoir et de juger si ce que l’organisation fait est la bonne chose à faire et si cela renvoie à des valeurs et des croyances sociales partagées. Pour résoudre ce problème, le lien entre l’activité de l’organisation et une définition partagée du bien public ou du bien commun est crucial.

Au plan de l’action, tout comme la légitimité pragmatique, la légitimité morale prend principalement deux formes : une légitimité par les résultats et une légitimité procédurale. Dans sa première forme, on jugera de la valeur d’une organisation sur ses réalisations en lien avec ses finalités. Pour l’école, cela s’exprimera en termes de taux de diplomation ou de résultats à des examens ministériels uniformes ou à des évaluations internationales. Une école secondaire où la majorité des élèves ne termine pas ses études et n’obtient pas son diplôme, est aujourd’hui en difficulté pour justifier ses actions. Elle est peut-être victime de facteurs atténuants (pauvreté matérielle et culturelle, ghettoïsation, racisme, etc.), elle insistera peut-être sur d’autres aspects de sa mission que la diplomation ou sur le pourcentage d’élèves qu’elle arrive à « sauver » de leur destinée sociale, elle aura peut-être le soutien d’une [66] partie des parents d’élèves qui tiennent malgré tout à cette école de quartier, mais il n’en demeure pas moins qu’elle aura un important travail à faire afin d’être reconnue comme une « bonne » école contribuant à la qualité et à l’équité de l’éducation.

Par ailleurs, la légitimité procédurale porte sur les bonnes ou les meilleures pratiques, les pratiques éprouvées auxquelles une valeur morale positive est accordée. Le monde des professions doit sa légitimité à une perception assez généralisée de son respect des procédures et des règles de pratique qui constituent, à un moment donné, l’état optimal de la pratique professionnelle (« state of the art »). Par exemple, des patients meurent tous les jours dans les hôpitaux sans que la légitimité du système hospitalier ne soit mise en cause, mais il faut néanmoins que la pratique médicale soit à la hauteur des normes professionnelles établies.

En éducation, la légitimité procédurale, ainsi que nous l’avons vu plus haut, fait l’objet d’intenses controverses professionnelles qui, par moments, s’apaisent, sans pour autant se vider complètement. Elles peuvent donner lieu, pour un temps, à la domination d’un point de vue, mais jamais de manière incontestée. Les réformes curriculaires ravivent souvent ces controverses et leur donnent un nouvel élan. Le mouvement actuel des « best practices » ne fera pas disparaître ces controverses, même s’il peut fournir des éléments aptes à en baliser le déroulement.

La légitimité cognitive porte sur le caractère compréhensible de l’activité organisationnelle, telle qu’expliquée à son environnement. Cela suppose que ces explications, d’une part s’appuient sur des modèles culturels et des systèmes de croyances existants et, d’autre part, sont en lien avec l’expérience et la réalité quotidienne des groupes constitutifs de l’environnement de l’organisation.

Dans le monde de l’éducation, on peut penser que le slogan québécois des années 60 – Qui s’instruit s’enrichit – est un bel exemple de légitimation cognitive : il pose un lien de cause à effet entre éducation et enrichissement personnel et collectif et demeure suffisamment général pour que le terme enrichissement puisse être  compris en référence à la fois au développement économique et au rehaussement culturel. De plus, il y a, derrière ce slogan, moult travaux crédibles d’économistes adeptes de la théorie du capital humain.

La légitimité cognitive ne requiert pas toujours un discours explicite et la mise en relation d’éléments objectivés. Elle s’appuie parfois sur des considérations prises pour des acquis, des « données » (« givens ») intersubjectives non questionnées, peu réfléchies, évidentes et naturalisées. Ces « données » du monde vécu créent, au plan cognitif, de l’ordre, rendent ce monde saisissable, contrôlable et moins prompt à la dissension. Nos univers quotidiens fonctionnent de cette manière, stable et routinière, qui leur confère un caractère de permanence et d’inévitabilité. L’école, telle qu’elle s’est institutionnalisée il y a quelques siècles, fonctionne beaucoup sur ce second type de légitimité cognitive : il y a comme une manière prise pour acquise de faire l’école et la classe que tout un chacun a connu lors de son passage à l’école et qu’il cherche à [67] reconnaître lorsqu’adulte, il y retourne avec et pour ses enfants. Cette reconnaissance produit de l’ordre au plan cognitif, un ordre perçu comme valable et désirable.

À l’inverse, des épisodes de changement et de remise en cause de cet ordre cognitif créent de la dissonance et de l’incompréhension, rendant le monde imprévisible et incertain. Il faut donc élaborer des stratégies pour réduire cette dissonance et restaurer une forme de légitimité cognitive.

Les types de légitimité sont imbriqués ; nous ne sommes pas en présence de trois dimensions parfaitement indépendantes l’une de l’autre. Nous épousons des valeurs qui soutiennent nos intérêts et nos schèmes mentaux et donnent de la rationalité à nos convictions profondes. C’est d’ailleurs ce qui rend si ardue la tâche du changement.

En prenant comme exemple le cas du Québec, j’ai assemblé dans un même tableau et en fonction des trois types de légitimité, des éléments maintes fois opposés,  sources de polarisations fréquentes dans le monde de l’éducation. Cette liste n’est pas exhaustive, elle est simplement indicative.

Tableau 1.

Réformes institutionnelles et curriculaires et types de légitimité

Légitimité pragmatique

Pouvoir professionnel et bureaucratique

vs

Pouvoir accordé aux parents au sein des conseils d’établissement

Logique de l’offre, services différenciés et populations scolaires desservies par les systèmes publics

vs

Liberté de choix de l’établissement, valeur de la concurrence, logique de demande, soutien au secteur privé

Légitimité morale

Équité et cohésion sociale

vs

Productivité et efficience

Lutte contre l’abandon et l’échec scolaire, réussite éducative pour tous

vs

Excellence et formation d’une élite

Développement intégral de la personne

vs

Fonction cognitive réaffirmée

Au plan des résultats

Développement des compétences disciplinaires et transversales

vs

Maîtrise des connaissances essentielles

Au plan des dispositifs et des procédures

non redoublement, cycle d’apprentissage, différentiation pédagogique, coopération

vs

Culture de l’effort et du classement, compétition et méritocratie ; encadrement serré des élèves

Arrière plan

L’éthos des classes moyennes : épanouissement

vs

performance

Légitimité cognitive

Organisation apprenante et professionnalisme collectif des enseignants

vs

État-pédagogue et enseignant technicien de systèmes didactiques prédéfinis

Socioconstructivisme, apprentissage autorégulé, situations complexes (projet)

vs

Enseignement structuré, explicite, linéaire, situations simples (pédagogie de la maîtrise)

Praticien réflexif, jugement professionnel

Pratique fondée sur la preuve (« best practice »),  École efficace


[68]

La dynamique de la légitimité

Selon Suchman [12], la dynamique de la légitimité procède de trois phases ou cycles : l’acquisition, le maintien ou la réparation de la légitimité. Peut-être faut-il ajouter un quatrième terme, celui de la transformation ou du changement. Cette dynamique s’actualise dans des logiques d’action et des stratégies précises. C’est ainsi qu’une organisation ou une politique acquièrent leur légitimité si elles sont en phase avec et conformes aux demandes intéressées de l’environnement (légitimité pragmatique), aux valeurs et idéaux dominants (légitimité morale), ainsi qu’aux modèles crédibles de connaissance. Ce n’est que dans ce cadre de conformité que les choix de l’organisation (choix d’environnement, de marchés, de domaine d’activité, d’identification) prennent leur sens, des choix qui sont prolongés par des actions de communication efficace (publiciser, persuader, institutionnaliser).

Pour leur part, les stratégies de maintien de la légitimité sont essentiellement doubles : d’une part, il importe de surveiller l’environnement et les changements qui s’y opèrent (« monitorer » les préférences, l’éthique et les valeurs, les perspectives et les analyses et consulter les leaders d’opinion, les professionnels, ceux qui critiquent) ; d’autre part, protéger, à l’interne comme à l’externe, ce qui a été accompli, ses réussites, ses échanges, ses valeurs et sa valeur, ainsi que ses postulats. Ici aussi, des stratégies de communication (intelligentes, honnêtes, portées avec autorité et centrées sur les faits) s’avèrent importantes.

Enfin, lorsqu’il s’agit de réparer ou de restaurer la légitimité, la tâche s’avère difficile parce que, souvent, il s’agit de réagir à une crise de sens que l’organisation n’avait pas anticipée. Il advient alors parfois une spirale ou une descente aux enfers quand s’installe une perception largement répandue de crise et que les réseaux habituels de soutien à l’activité de l’organisation prennent leur distance, disparaissent de l’écran radar, se taisent, de peur d’être reconnus coupables par association.

Ces dernières années, combien d’entre vous n’ont pas exprimé ou entendu la phrase suivante : quelqu’un va-t-il se lever pour défendre telle réforme du curriculum ? Comme si plusieurs acteurs cherchaient, sinon à s’en dissocier, du moins à ne pas paraître « compromis » ? C’est un bel indicateur d’une crise de légitimité. Une bonne partie du travail de réparation consiste à fournir des explications crédibles de la crise et d’agir et être perçu comme agissant dans le sens de la nécessaire réparation.

Par exemple, des actions de normalisation chercheront à fournir une explication de la crise qui tend à séparer les manifestations de la crise du fonctionnement globalement satisfaisant de l’organisation. La crise sera ainsi définie comme un accident de parcours, rapidement corrigé, ou comme le fait d’employés ou d’une division que [69] l’on mettra rapidement au pas. Nier la gravité de la situation, fournir des excuses, des justifications et des explications peuvent donner des résultats, tout dépend de la crise et de l’environnement.

Parfois, il s’avère nécessaire de faire davantage ; cela s’appelle restructurer : dans le cas qui nous intéresse, on retirera de la circulation un programme d’enseignement contesté, on en rédigera une seconde version, en faisant intervenir de nouveaux rédacteurs et experts, on créera des instances de monitoring, un pilotage plus transparent et large, des mécanismes de suivi et d’évaluation. Cela laisse voir que l’on a compris le message véhiculé par la crise de légitimité et qu’on est disposé à agir en toute bonne foi. Il arrive que cet effort de restructuration s’accompagne d’un changement de discours ou d’un silence complet sur des fondements controversés d’une réforme ou d’une politique (le socioconstructivisme, par exemple, que l’on réduira au statut d’un fondement parmi d’autres).

Ces efforts de restructuration peuvent être assez substantiels et annoncer le passage à une autre forme de légitimation. Comme si le pendule bougeait.

Retenons de ce qui précède que la légitimité d’une organisation ou de la politique qu’elle poursuit lui est octroyée par l’environnement (la société) et par les groupes qui le constituent. Impossible pour l’organisation de se couper de cet environnement, car il fournit à l’organisation les ressources symboliques et matérielles dont elle dépend. D’où la nécessité de prendre en compte les intérêts, les valeurs et les schèmes mentaux qui caractérisent cet environnement. Il arrive que des organisations épousent des orientations ou proposent des produits différents des attentes de l’environnement ou qu’elles résistent à certaines demandes. Cela crée inévitablement des tensions et des frictions. L’école, par certains côtés (je pense notamment à l’intégration des familles immigrantes et à la promotion du pluralisme culturel), change à long terme la société ; par d’autres côtés, elle ne peut que reproduire le statu quo. Les débats autour des réformes curriculaires me semblent indiquer qu’il y a des valeurs et des schèmes d’action pédagogique particulièrement résistants au changement. Quand  la société civile « rattrape » l’école et une réforme (ou du moins la représentation construite de celle-ci), on ne peut pas ne pas en prendre acte et composer avec elle. Il y a là un nécessaire constat pragmatique, mais aussi une exigence démocratique… portée par les politiques institutionnelles elles-mêmes ! En effet, les politiques institutionnelles analysées plus haut revalorisent l’établissement, décentralisent certains pouvoirs, soutiennent une dynamique locale d’adaptation et de partenariat avec les parents et la communauté locale. Elles entendent donner à ces acteurs de l’environnement une voix. Difficile de leur dire de se taire après coup s’ils investissent des controverses autour du curriculum !

Mais peut-être que la vision de Suchman est trop fonctionnaliste, et ne permet pas d’appréhender des situations où l’environnement est difficilement prévisible et tiraillé par des courants contradictoires et des conflits d’intérêts, de valeurs et de [70] représentations inconciliables. Cela expliquerait au moins en partie pourquoi nos sociétés semblent produire, « consommer » et jeter à la poubelle réformes après réformes. On prétend que ces cycles sont tributaires de la volonté de nos politiciens d’apposer chacun sa marque, et plus institutionnellement, d’un régime démocratique dont les échéances électorales imposent toujours du court terme. Mais les partis politiques répondent aux mouvements du pendule plus qu’ils ne les créent.

Il est probable que cela tient aussi, et davantage, à des facteurs plus profonds. Je voudrais en souligner deux, ici exprimés en termes de tensions : d’abord, la tension entre le global et le local et la tension ou l’ambivalence au sein des classes moyennes entre les valeurs d’épanouissement et les valeurs de performance. Ces facteurs se manifestent dans une intensification des débats curriculaires (au sens large du terme) et rendent toute entreprise de réforme curriculaire périlleuse et problématique au plan de la légitimité. Abordons à tour de rôle ces deux facteurs.

L’internationalisation d’une politique
de la productivité éducative
et des approches par compétences


Une des sources les plus puissantes de la légitimité des réformes éducatives est certainement la référence internationale et le discours produit par les grandes organisations internationales comme l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et la Banque Mondiale, ainsi que le Conseil de l’Europe et l’Unesco (le rapport Delors [13] en étant l’exemple désormais classique). On connaît moins celui de think tanks nationaux et internationaux qui produisent des argumentaires et des données de recherche pour soutenir l’inscription dans l’agenda politique d’une réforme éducative [14].

Mais plus que n’importe quoi d’autre, ce sont sans conteste les évaluations internationales de l’apprentissage des élèves dans diverses matières de base (littéracie, mathématiques et sciences) qui ont contribué à l’internationalisation des réformes éducatives, et notamment des réformes curriculaires. Elles ont nourri et nourrissent toujours un débat sur la qualité de l’éducation dispensée dans un pays donné, leur publication constitue toujours un événement politique important. Ces évaluations internationales ont engendré d’autres évaluations : plusieurs pays ou régions ont ressenti le besoin de mettre sur pied ou d’intensifier leur propre programme d’évaluation des apprentissages, d’en augmenter la fréquence et la publicisation et de forcer les différents paliers de leur système éducatif à prendre acte de ces résultats [71] et à s’engager dans des plans d’amélioration de la réussite. Cette nouvelle industrie génèrerait, semble-t-il, aux États-Unis, des milliards de dollars !

Ces efforts participent d’une politique de productivité éducative qui domine partout. L’évaluation, la mesure et les tests standardisés, les indicateurs de performance pour tous les paliers des systèmes éducatifs, les « standards » de réussite pour les élèves, tout cela sert de cadre de référence commun pour juger de la valeur de l’éducation dispensée dans un pays, un district ou une école. Le paradigme de l’évaluation apparaît ainsi comme une puissante force d’unification à travers les différents groupes d’intérêt, les tendances idéologiques et les traditions nationales. Il témoigne de la puissance de la quête de l’efficacité et de l’efficience éducative, qui s’exprime dans le langage de la qualité de l’éducation et dans celui des compétences. Il est en harmonie avec les politiques institutionnelles précédemment discutées, dans la mesure où il prétend être en lui-même un levier ou une stratégie de changement : confrontons les systèmes et les acteurs aux résultats des élèves, dit-il impérativement ; s’il y a lieu, ils changeront leurs pratiques. C’est ainsi que le paradigme de l’évaluation et de la productivité rejoint le cœur de la mission éducative. En toute objectivité, on ne peut pas dire qu’il ne se soucie pas d’équité et de cohésion sociale, comme en font foi des travaux récents à partir des données de PISA qui montrent que certains systèmes éducatifs parmi les plus performants sont aussi capables d’être parmi les plus équitables socialement [15]. Mais sa priorité est la productivité et l’efficience.

Les évaluations internationales réalisées sous les auspices de PISA ne mesurent pas l’acquisition de connaissances fixées par les programmes scolaires. Elles mesurent plutôt des compétences jugées nécessaires pour mener une vie adulte autonome, compétences que seraient censés avoir développées des jeunes de 15 ans, c’est-à-dire vers la fin de la scolarité obligatoire. Dans cette mouvance internationale, il faut, sans contredit, prendre acte du développement concomitant dans plusieurs pays des approches curriculaires dites par compétences. La Belgique francophone a son socle de compétences, la France ses connaissances fondamentales et compétences, le Québec ses compétences disciplinaires et transversales, les anglo-saxons leurs

« standards » et « life skills », plusieurs pays du Sud transforment leurs curricula par objectifs en curricula par compétences, etc. Les organisations internationales qui ont propagé la thématique de l’éducation tout au long de la vie (« Lifelong Learning ») ont certainement contribué à la généralisation du langage des compétences. Ce concept relève davantage des théories de l’action que des théories curriculaires. Par ce biais, il apparaît lié au paradigme de la productivité.

[72]

On le constate aisément, la montée et la généralisation des approches par compétences depuis une trentaine d’années sont assez spectaculaires. Certains ont parlé d’une « irrésistible ascension » [16]. La notion de compétence nous vient du monde du travail qui l’a utilisée comme analyseur d’une évolution marquée par l’importance moindre des qualifications au profit de l’expérience, des savoirs et savoir faire vivants, bref des compétences acquises par l’individu au cours de sa trajectoire personnelle et professionnelle et dont un portfolio bien fait est censé témoigner. Pour certains [17], cette évolution apparaît inquiétante, puisqu’elle risque de défaire le lien entre qualification et emploi. La notion a ensuite émigré relativement naturellement vers les mondes de la formation des adultes (et la problématique de la reconnaissance des acquis) et de la formation professionnelle (avec l’association entre des compétences et des familles de situations de travail), pour ensuite pénétrer celui de la formation générale des jeunes (pour y être associée, d’une part, à une centration sur l’activité de l’apprenant, déployée dans un contexte d’apprentissage authentique et liée à des situations complexes qui font sens parce qu’ancrées dans le réel et, d’autre part, à des savoirs et des savoir faire fondamentaux, ce qu’exprime la notion de socle).

Cette circulation internationale de la notion et ce passage à travers divers mondes (travail, formation des adultes, formation professionnelle, formation générale) ne vont pas sans difficultés et sans commander une nécessaire traduction dans la logique de chacun de ses mondes. Au plan de la circulation internationale, il n’est pas évident de transposer dans les systèmes scolaires du Sud des approches par compétences développées dans le Nord, tant les familles de situations auxquelles les compétences doivent renvoyer apparaissent d’emblée différentes.

Cela étant, il est néanmoins certain que la notion de compétence et les approches curriculaires dites par compétences constituent, parce qu’incorporées au paradigme de la productivité et de l’évaluation, de puissants facteurs de convergence.

Dans cette convergence, le monde des affaires a aussi pesé de tout son poids, non seulement en valorisant des politiques institutionnelles conformes au paradigme de la productivité, mais en insistant pour que le curriculum développe les compétences nécessaires à l’« économie du savoir ». Si le langage des compétences se répand un peu partout, c’est, du moins peut-on formuler cette hypothèse, qu’il bénéficie du soutien et profite d’une alliance objective entre le monde des affaires et certains acteurs internes du monde de l’éducation, notamment celles et ceux qui sont proches du courant de l’École Nouvelle et y voient le véhicule approprié pour le développement d’un sujet apprenant actif, doté de capacités de haut niveau. Car un sujet [73] compétent est incontestablement maître de son activité et du projet qu’il y développe et poursuit ; en ce sens, il est productif et efficace. Dans cette alliance peut aussi participer une évolution des conceptions de l’égalité des chances en éducation qui insiste sur la capacité de l’école non pas à assurer l’égalité des résultats pour les divers groupes sociaux constitués, mais plutôt à doter chaque individu, y compris le plus démuni, du capital (connaissances, compétences, réseaux sociaux, etc.) apte à réduire les risques que crée la société d’aujourd’hui (chômage, maladie, exclusion, etc.) et dont il a besoin pour mener de manière autonome et réflexive la vie qu’il souhaite [18]. Si cette hypothèse est fondée, on comprend plus aisément la montée et la diffusion des curricula dits par compétences. On comprend aussi en quoi la référence internationale, le langage de l’efficacité, de l’équité, de l’évaluation et des compétences, parce qu’ils sont constitutifs d’un agenda international, appellent et légitiment en même temps des réformes nationales ou locales qui les actualiseraient.

Ces réformes, loin de traduire un consensus international, intensifient les débats curriculaires nationaux et locaux. C’est du moins ce que la section suivante entend montrer.

Intensification des débats curriculaires
nationaux et locaux


Les évaluations internationales, quand elles sont positives, confortent les curricula nationaux en place. Lorsqu’elles sont négatives, elles nourrissent l’appel au changement et rendent légitime l’intervention de l’État. Elles sont donc un puissant levier de changement, une source de pression pour des réformes et des meilleurs résultats. Du moins, là où on en acceptera le verdict. Si certaines élites politiques ou administratives de certains systèmes éducatifs (voir Baudelot et Establet [19] expriment parfois des réserves sur les résultats des évaluations internationales, on ne peut pas à la fois participer à ces études et en refuser les résultats lorsqu’ils ne confortent pas l’ego national.

On pourrait penser que le paradigme de l’évaluation et de la productivité est une force de convergence et de pacification du monde de l’éducation, puisqu’il propose une vision factuelle, objective, scientifique, de l’éducation, rendant ses finalités évidentes et incontestables et, par la démarche même de l’évaluation, permettant de trouver le chemin de l’amélioration. Il serait plus juste de dire qu’il produit d’abord et avant tout des chiffres, des classements et des abstractions qui ont une grande portée symbolique et politique. Il produit des effets qui ne sont pas toujours ceux [74] souhaités. C’est ainsi que si le paradigme ouvre la porte à l’apprentissage organisationnel, celui-ci est étouffé par la pression au rendement et la concurrence et par une obligation de résultats rapides.

La conséquence la plus notable de cette forme d’internationalisation de l’éducation liée à la politique de productivité éducative est la croissance de la demande de réformes et de résultats rapides qui pèsent sur tous les paliers et tous les acteurs de l’éducation et qui nourrit « l’industrie des réformes », pour reprendre l’expression de Rowan [20]. Si elle légitime le changement, cette légitimité sera de courte durée lorsque les résultats tardent à venir ou sont en deçà des attentes. La légitimité d’une réforme curriculaire peut être une ressource éphémère et fragile, comme le Québec l’illustre incontestablement.

Dans tous les pays, cette demande de réformes et de résultats rapides est portée ou reprise par des acteurs nationaux. Ces acteurs, malgré leur commune allégeance au paradigme de la productivité, n’en défendent pas moins des points de vue différents. S’il y a un consensus sur ce qu’est une « bonne » école, ce consensus est abstrait et mou. Il s’effrite souvent lorsqu’on entre dans des considérations spécifiques. N’empêche que le paradigme de la productivité sert de fenêtre d’opportunité et de levier que tentent d’utiliser divers groupes sociaux afin de promouvoir et raviver leur agenda éducatif particulier.

Depuis quelques décennies, nous avons vu la droite conservatrice, à la fois au plan socioculturel et au plan fiscal, contribuer significativement à la mise à l’agenda des réformes éducatives. Cette droite, du moins en Amérique du Nord, valorise le retour en force des apprentissages de base (« back to basics ») et de leur enseignement systématique, d’un contrôle local fort, de la liberté de choix de l’établissement, de l’enseignement privé religieux, d’une plus grande rigueur budgétaire, d’une reddition de comptes avec des conséquences réelles (paie au mérite ou prime au rendement et sanctions pour les sous performants), etc.

Aussi de multiples réseaux construits autour d’enjeux précis (l’écologie, la santé et de saines habitudes de vie, le développement de l’entrepreneuriat, l’enseignement de telle ou telle religion, l’éducation interculturelle, etc.) se sont-ils activés et ont-ils cherché à s’accaparer une part du curriculum, à côté des lobbies disciplinaires traditionnels.

Les débats sur le créationnisme, sur la prière à l’école, sur la place de la religion et des signes religieux à l’école (ce qui appartient au curriculum dans son acception large), la réécriture des programmes d’histoire pour mieux prendre en compte la contribution des minorités nationales et de l’immigration, au risque de diminuer [75] l’importance du grand récit national commun, l’éducation à la sexualité, l’enseignement des langues des minorités nationales, voilà autant d’exemples d’enjeux curriculaires conflictuels, qui loin de disparaître ou de s’apaiser dans le contexte de l’internationalisation de la politique de productivité éducative et des approches par compétences, s’intensifient et parfois, par l’action de réseaux nationaux et locaux spécifiques, se radicalisent.

Ces débats qui débordent de l’école mais l’interpellent grandement, se répercutent en interne. Au sein du monde de l’éducation, il y a aussi des luttes épiques, voire des guerres autour du curriculum qui portent sur des enjeux didactico-pédagogiques. Les approches par compétences suscitent de vifs débats. Concept abstrait, creux, flou et non-opérationnel, polysémique, « attracteur étrange », « énigme », introduit illégitimement ou prématurément en formation générale des jeunes, instable, parfois réduit à la notion d’objectif général ou de capacité, source de contradictions (par exemple, la compétence renvoie à la notion de situation ou de famille de situations, puisqu’une compétence est spécifique, alors qu’un curriculum scolaire est, par définition, décontextualisé), mainmise annoncée d’une logique marchande et économique sur le monde de l’éducation…, le concept de compétence, surtout dans son passage au  champ de la formation générale des jeunes, apparaît moins consensuel que certains l’espéraient. Comme s’il faisait renaître encore une fois la querelle des anciens et des modernes, des tenants d’une tête bien faite et de ceux d’une tête bien pleine.

Le curriculum est aussi l’objet de vifs débats au sein des différentes matières. Qui ne connaît pas les querelles au sein du champ de l’enseignement de la langue, entre les tenants d’approches traditionnelles ou analytiques et celles et ceux qui défendent une approche dite globale ? Le champ des mathématiques a aussi été tiraillé par des conflits entre les tenants d’approches traditionnelles axées sur la maîtrise des procédures et celles et ceux qui estiment préférable de développer le raisonnement mathématique, la résolution de problèmes, la communication mathématique et l’amour des mathématiques. Une littérature abondante sur ces guerres existe [21] et montre l’enchevêtrement de données scientifiques, de convictions et de postures épistémologiques, de positions et de rapports de force dans le champ, d’alliances temporaires, de jeux politiques, etc.

Bref, une analyse de ces champs à la Bourdieu [22] demeure pertinente et révèle que si une tendance domine pour une période donnée, cette domination n’est jamais incontestée, de telle sorte que c’est la métaphore du pendule qui, en définitive, est peut-être la plus appropriée pour comprendre la dynamique à long terme de ces [76] champs. Cette analyse aussi témoigne d’une politisation de la recherche en éducation, aux deux sens du terme : celle-ci est partie prenante du processus politique et elle est parfois manipulée à des fins politiques. À ces querelles au sein des disciplines, il faut ajouter les oppositions classiques parmi les pédagogues sur la place respective de l’élève et du maître, sur l’apprentissage et l’enseignement, sur la pédagogie de la découverte ou du projet et l’enseignement direct ou systématique, etc.

Enfin, lorsque le curriculum s’opérationnalise dans des dispositifs pédagogiques innovants comme le non-redoublement, le cycle d’apprentissage, la pédagogie différenciée, etc., il heurte les représentations profondes des acteurs (c’est le cas du non redoublement dans la plupart des pays, sauf ceux du Nord de l’Europe) et un modèle taylorien d’organisation du travail séculaire.

Il y a donc un double mouvement paradoxal : d’une part, une internationalisation d’une politique de la productivité éducative qui pourrait donner à penser à une unification, convergence et pacification du monde éducatif dont l’échelle serait de plus en plus globale et pas seulement occidentale, ce que la montée des évaluations internationales et des approches par compétences traduit et, d’autre part, une intensification et une conflictualisation des demandes de réformes nationales ou locales. Tout se passe comme si le premier mouvement, abstrait et décontextualisé, loin d’étouffer le second, plus ancré dans les rapports sociaux locaux et les traditions culturelles, lui redonnait vie et élan. Dans des sociétés diversifiées et complexes, l’effet notable de ce double mouvement est de rendre la légitimation des réformes curriculaires particulièrement difficile à construire, à maintenir sur une durée significative et à réparer, si besoin est.

L’ambivalence des classes moyennes
et la métaphore du pendule


Pour un sociologue, le rapport des classes moyennes aux politiques éducatives, qu’elles soient institutionnelles ou substantielles, est crucial pour comprendre l’évolution de ces politiques, exprimée ou pas par la métaphore du pendule. De nombreux chercheurs [23] ont documenté l’ambivalence des classes moyennes, tiraillées entre des [77] valeurs d’épanouissement et de réussite, entre des valeurs matérielles et des valeurs « post-matérielles », entre la solidarité citoyenne et l’intérêt de la famille, etc.

Or, c’est une banalité de dire qu’aujourd’hui les classes moyennes sont inquiètes, dans le contexte de la mondialisation, du maintien de leur statut [24]. En effet, elles craignent que la mondialisation économique ne les emporte dans le mouvement de sa restructuration. Cela les rend relativement conservatrices et peu enclines à prendre des risques. Au plan éducatif, elles semblent accepter les politiques éducatives institutionnelles, si celles-ci leur permettent de gérer les risques de la carrière scolaire de leurs enfants. En ce sens, la liberté de choix de l’établissement, la publicisation des résultats des écoles, la diversification du curriculum (baccalauréat international et autres innovations du même genre) et la concurrence entre les établissements, le développement du secteur privé, tout cela répond à leurs demandes et satisfait leurs intérêts. À ce jeu, elles estiment pouvoir tirer leur épingle, aussi bien, sinon mieux que les groupes populaires ou défavorisés.

Par contre, leur point de vue sur les curricula dits par compétences est beaucoup plus tiède : si elles reconnaissent l’importance de former les jeunes pour la « vraie vie », les innovations curriculaires et les dispositifs pédagogiques qui les accompagnent leur apparaissent souvent risqués, instables, peu éprouvés et donc peu aptes à assurer la maîtrise des outils culturels essentiels pour survivre dans la société actuelle, une société de la performance et de la productivité. Surtout, les controverses et les conflits autour des politiques substantielles ne les rassurent pas.

Tout se passe comme si les réformes curriculaires dites par compétences souffraient d’un déficit de légitimité auprès des classes moyennes. Même si le réalisme de classe engendre une certaine adhésion au paradigme de la productivité, aux évaluations internationales et à la nécessité des réformes axées sur les résultats, cette adhésion n’est pas sans ambivalence, comme en font foi les controverses nationales autour des curricula par compétences et les mouvements du pendule en matière de politique éducative.

Conclusion

Le paradigme de la productivité et les politiques institutionnelles qui l’accompagnent créent une pression forte sur les systèmes éducatifs nationaux pour qu’ils changent rapidement. Cette pression accroît la demande de réformes et de résultats rapides. Le paradigme de la productivité fournit comme outil de convergence la notion de compétence. Sa légitimité cognitive et morale n’est pas acquise, du moins dans [78] le champ de la formation générale des jeunes. Le fait qu’elle apparaisse encore aujourd’hui, et notamment pour les enseignants du secondaire, comme un discours creux et abstrait, déconnecté des situations concrètes qu’ils vivent, ne rend pas la notion de compétence pragmatiquement légitime, dans le sens où ces enseignants ne voient pas l’intérêt d’y adhérer et de l’introduire dans leur pratique.

Les sociétés contemporaines semblent ne pas savoir comment soutenir sur une durée raisonnable la légitimité d’une action éducative donnée. Si elles s’inspirent toutes du paradigme de la productivité et incorporent dans leur curriculum la notion de compétences, leur champ éducatif apparaît malgré tout instable, sensible aux mouvements de l’opinion et aux multiples débats et controverses, tant en interne qu’en externe, incapable de garder le cap sur des orientations claires ou de trancher durablement dans le vif.

Gérer les tensions entre le global et le local et l’ambivalence des classes moyennes n’est pas facile. Une voie pratiquée est celle d’un centrisme radical qui refuse les extrêmes du pendule et les exclusions, et qui se met en quête constante d’un équilibre que l’on sait fragile et précaire, mais qui néanmoins permet d’apaiser, de continuer et d’avancer. Cette voie est défendue par Cuban [25] qui ne se gêne pas pour en appeler  à un certain sens commun.

C’est aussi la voie d’un pilotage le plus partenarial possible, transparent et ouvert, qui ajuste et adapte les réformes aux situations et aux cultures locales et professionnelles et qui tente de mettre en musique les accords et désaccords légitimes. Ce pilotage n’est possible que si les acteurs ont les uns pour les autres suffisamment de confiance et qu’ils acceptent de ne pas pouvoir tout contrôler. Cela demeure exigeant et difficile, un exercice de réflexivité collective jamais achevé.

Par valeurs et inclinaison personnelle, je penche vers une position centriste radicale et un pilotage continu des systèmes et des réformes. Cela permet parfois d’éviter le pire, i.e. des mouvements du pendule d’une très forte amplitude ou le retour du refoulé ! Par ailleurs, il faut reconnaître que les « bricolages politiques » ne sont pas toujours heureux et que vouloir construire le consensus le plus large possible donne parfois lieu à des compromis impraticables qui, au lieu d’apaiser les conflits, sont des sources d’insatisfactions multiples et grandissantes.

De ce point de vue, il me semble que la Finlande est un bel exemple de pays qui a su garder le cap sur la même politique éducative pendant quelques décennies, le temps de rendre quasi impossible un retour en arrière. On peut penser que, dans un souci de légitimation, d’immenses et de constants efforts y ont été faits pour enraciner ces politiques dans les valeurs et les traditions nationales et pour expliquer aux [79] acteurs concernés (et notamment aux parents d’élèves et aux enseignants, gens de classes moyennes) le sens et la teneur des politiques. Ainsi, une véritable pédagogie de l’implantation du changement y a été développée, ce que les institutionnalistes comme Suchman estiment essentiel pour maintenir à long terme la légitimité d’une politique ou d’une organisation.

On aura beau penser dans la noosphère internationale un agenda éducatif convergent pour l’ensemble du monde, c’est au plan national et local que le sort des politiques éducatives institutionnelles et substantielles se joue ; cela implique que leur légitimité est fonction de la qualité du rapport entre l’école et les parents d’une part, entre les enseignants et les politiques, d’autre part [26].



[1] Giddens Anthony (1991), Modernity and Self-Identity. Self and Society in the Late Modern Age. USA, Stanford University Press.

[2] Dubet François (2002), Le déclin de l’institution, Paris, Seuil.

[3] Suchman Mark (1995), Managing legitimacy : strategic and institutional approaches, Academy of Management Review, 20 : 571-610.

[4] Perrenoud Philippe (2005), « Peut-on réformer le système scolaire ? », in Biron, D., M. Cividini, J-F. Desbiens (sld), La profession enseignante au temps des réformes, Sherbrooke, éditions du CRP, pp. 37-58.

[5] Knoepfel Peter, Larrue Corinne, Varone Frédéric (2006), Analyse et pilotage des politiques publiques, Zurich, Verlag Rüegger.

[6] Ibid.

[7] Maroy Christian (2006), École, régulation et marché. Une comparaison de six espaces scolaires locaux en Europe, Paris, PUF.

[8] Kennedy Mary (2004), « Reform Ideals and Teachers’ Practical Intentions », Education Policy Archives, vol. 12, n° 13.

[9] Durkheim Émile (1938, 1969), L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF.

[10] Suchman (1995), Op. cit. p. 42 ; Deephouse David L. & Suchman Mary (2008), « Legitimacy in Organizational Institutionalism », In Greenwood R., Oliver C., Sahlin K. & Suddaby R. (Eds.), The SAGE Handbook of Organizational Institutionalism, Thousand Oaks, Sage Publishers.

[11] Op. cit., p. 42.

[12] Op. cit., p. 42.

[13] L’éducation Un trésor est caché dedans (1996), Rapport à l’UNESCO de la Commission internationale sur l’éducation pour le XXIe siècle, présidée par Jacques Delors, Paris, Éditions UNESCO Éditions Odile Jacob.

[14] Boucher Stephen et Royo Martine (2006), Les Think Tanks, cerveaux de la guerre des idées, Paris, Éditions du Félin.

[15] Voir notamment Meuret Denis (2006), « Equity and Efficiency of Compulsory Schooling : Is It Necessary To Choose And If So, On What Grounds ? », Prospects, vol. XXXVI, 4, 389-410 ; et Baudelot Christian et Establet Roger (2009), L’élitisme républicain. L’École française à l’épreuve des comparaisons internationales, Paris, Seuil, La république des idées.

[16] Romainville Marc (1996), « L’irrésistible ascension du terme « compétence » en éducation… », Enjeux, n° 37-38, mars-juin, pp. 132-142.

[17] Stroobants Marcelle (2002), « La qualification ou comment s’en débarrasser ? », In Dolz Joaquim et Ollagnier Edmée (éds.), L’énigme de la compétence en éducation, Paris, De Boeck université, Coll. Raisons éducatives.

[18] Voir notamment Giddens Anthony et Blair Tony (2002), La troisième voie, le renouveau de la social-démocratie, Paris, Seuil, coll. La couleur des idées ; et Giddens Anthony (1991), Op. cit. p. 41.

[19] Op. cit., p. 51.

[20] Rowan Brian (2006), « The School Improvement Industry in the United States : Why Educational Change is both Pervasive and Ineffectual », in Meyer, H.-D. & B. Rowan (eds), The New Institutionalism in Education, Albany, N.Y. State University of New York Press, pp. 67-85.

[21] Voir notamment Schoenfeld Alan H. & Pearson P. David (2009), « The Reading and Math Wars », In Sykes G., Schneider B., Plank D. N. & Ford T. G., Handbook of Education Policy Research, New York, AERA & Routledge, pp. 560-580.

[22] Pour Pierre Bourdieu, la société est une imbrication de champs, économique, culturel, artistique, sportif, religieux, politique… Chaque champ est structuré par des positions et des systèmes de relations entre des acteurs et des institutions et il est à la fois un champ de force entre dominant et dominés qui est marqué par une inégale répartition des richesses et un champ de lutte dans lequel chaque agent cherche à préserver sa place.

[23] On peut se reporter entre autres à :

Ball Stephen J. (2006), « The risks of social reproduction : the Middle Class and Education Markets », pp. 264-273, In Ball, S. J., Education Policy and Social Class, London, Routledge.

Chauvel Louis (2004), « L’école et la déstabilisation des classes moyennes », pp. 101-118, Éducation et Sociétés, revue internationale de sociologie de l’éducation : les classes moyennes, l’école et la ville : la reproduction renouvelée.

Dubet François (2002), Op. cit. p. 41.

Dubet François (1997), In École, Familles : le malentendu, les éditions Textuel.

De Singly François (1997), « La mobilisation familiale pour le capital scolaire », In École, Familles, le malentendu, Éditions Textuel.

De Singly François (2000), « L’école et la famille », pp. 271-278, In Van Zanten A. (dir.), L’École, l’état des savoirs, Paris, Éditions La découverte.

Inglehart Ronald (1990), Culture Shift in Advanced Industrial Society, Princeton, New Jersey, Princeton University Press.

[24] Ehrenreich Barbara (1989), Fear of Falling, The Inner Life of The Middle Class, New York, Pantheon Books.

[25] Cuban Larry (2003), Why Is it So Hard to Get Good Schools ?, New York, Teachers College, Columbia University. Cuban Larry & Shipps Dorothy (sld.) (2000), Reconstructing The Common Good in Education. Coping with Intractable American Dilemmas, Stanford, Stanford University Press.

[26] Tyack David & Cuban Larry (1995), Tinkering Toward Utopia, A Century of Public School Reform, Cambridge, Harvard University Press.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 26 mai 2022 15:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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