[13]
PRIVATISATIONS.
L’autre point de vue
Préface
Le présent livre résume des études effectuées par la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM sur la question des privatisations. Il recense aussi des articles de l’aut’journal portant sur ce sujet. En général, il s'agit d'un effort pour chiffrer le coût, pour les contribuables, de certaines privatisations. Quand un gouvernement veut privatiser, il a tendance à retenir les études qui conduisent à le conforter dans ses décisions. La privatisation est la mise en œuvre d'une philosophie sociale et politique déclarée. Les « experts » privés, la faune des comptables, économistes et autres conseillers appelés en consultation, connaissent bien ce jeu et ils ont tendance à ne retenir que les hypothèses qui favorisent et rationalisent le point de vue retenu a priori par le gouvernement. D'ailleurs, la décision de privatisation s'appuie sur des données passées tels les profits et les coûts, mais elle porte toujours sur l'évaluation d'événements futurs incertains qui laissent place aux a priori.
Il fallait apporter un autre point de vue, constater empiriquement ce qui arrive aux services et à leurs coûts suite à une privatisation. Sans se prononcer pour ou contre une privatisation, on peut montrer comment des scénarios catastrophistes peuvent flouer le public. Il ne s'agit pas d'être normatif et de dire « le public est bon et le privé est mauvais par essence », mais de montrer les chiffres qui résultent de l'application d'une autre philosophie sociale et politique. Pourquoi créer des fortunes privées, alors que l'on pourrait créer de la fortune collective en offrant les mêmes services.
[14]
Il faut aussi documenter empiriquement comment la création de fortunes privées conduit à remettre un pouvoir et une influence croissante à des individus non élus. Les fortunes privées ainsi constituées ont la fâcheuse habitude de jeter toute leur influence et leurs fonds dans l'exigence d'un État minimal en niant les effets pervers du marché et la responsabilité de leurs actes d'enrichissement.
Nous avons retenu des études sur les privatisations déjà réalisées, mais nous traitons aussi de la privatisation éventuelle de sociétés d'État ou d'organismes publics qui sont continuellement reluqués par le secteur privé. En effet, dans ce domaine, il vaut mieux prévenir l'opinion publique, car nous sommes habituellement placés devant des faits accomplis. Parmi les privatisations potentielles, nous avons apporté une attention particulière à la privatisation de l'eau à Montréal et au Québec, qui est loin d'être une affaire close malgré la grande réticence du public. Mais il n'y a pas d'oboles trop petites ni d'offrandes trop grosses. Que dire de la Société des alcools du Québec, véritable vache à lait, si l'on peut dire, continuellement soumise aux assauts du privé qui y voit un nouveau Klondike. Même le joyau de la Couronne, la société Hydro-Québec, est loin d'être épargnée. Le gouvernement du Québec, unique actionnaire, est constamment tenté de céder de gros paquets de ses actions pour renflouer à court terme son budget face aux dispensateurs de cotes de crédits. Ce serait à proprement parler vendre son droit d'aînesse pour un plat de lentilles.
Parmi les cas éloquents de privatisations déjà réalisées, nous avons retenu celle du stationnement à Montréal, un présent à la Chambre de commerce, une aumône faite aux riches, qui a fait l'actualité et que nous avons maintenant tendance à oublier malgré la croissance rapide des parcomètres à la façon d'une véritable forêt de champignons géants. Mais, qui veut mesurer le progrès de l'idéologie néolibérale au Québec doit aussi revenir en arrière et se rappeler les cas de la Papetière Donohue, du centre de ski du Mont Sainte-Anne, jeté en pâture aux Américains Par un gouvernement libéral sentant la défaite. Comment résister à de pareilles offrandes ? La braderie des mines d'amiante fut aussi exemplaire de cette idéologie. Et que dire des services alimentaires dans les [15] hôpitaux, un pied dans la porte pour le secteur privé qui salive devant le désengagement de l'État dans le secteur de la santé.
Le secteur privé continue de rêver aux machines à argent que constitueraient l'assurance-maladie privée, l'assurance-responsabilité des automobilistes, les hôpitaux et les écoles privés opérés par du personnel non syndiqué.
Michel Bernard
[16]
|