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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gérald Larose, “CSN : les défis de l’heure.” In ouvrage sous la direction de Yves Bélanger et Robert Comeau, La CSN. 75 ans d’action syndicale et sociale, pp. 321-326. Québec: Les Presses de l’Université du Québec, 1998, 335 pp. [M. Bélanger nous a accordé le 22 mai 2005 l’autorisation de diffuser en libre accès libre à tous l’ensemble de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[321]

La CSN. 75 ans d’action syndicale et sociale

QUATRIÈME PARTIE
Les enjeux actuels

“CSN :
Les défis de l’heure.”

Gérald LAROSE

Je veux d’abord remercier l’Université du Québec à Montréal et les organisateurs de ce colloque pour nous avoir permis de parcourir les 75 ans de la CSN, à la fois à travers son fonctionnement, à travers les enjeux sociaux et syndicaux. Ils nous ont permis de redécouvrir que la CSN, c’est d’abord un mouvement. Un mouvement qui s’est déplacé au plan idéologique, au plan politique, au plan géographique aussi. Quelqu’un disait : « Il y a eu plusieurs CSN » et surtout « la CSN a strictement épousé le chemin parcouru par le peuple québécois. Elle a été canadienne, elle a été canadienne-française, elle est québécoise ». On nous a également relaté les nombreuses ruptures vécues par ce mouvement, en même temps qu’on identifiait les essentielles fidélités qu’il a toujours portées.

Trois types d’enjeux

Le fonctionnement interne

Je voudrais identifier trois types d’enjeux qui attendent ce mouvement pour les années qui viennent. D’abord, des enjeux dans son fonctionnement interne. La CSN est toujours en équilibre instable, arc-boutée sur trois principes de fonctionnement : celui de l’autonomie de toutes ses composantes, celui de la démocratie de chacun de ses organismes et celui de la solidarité organisée de tous ces éléments.

En même temps, la CSN se déploie de manière relativement égale au plan local, au plan sectoriel et au plan régional. Et les défis que nous rencontrons comme organisation ces années-ci, et pour les années à venir, se situent d’abord au niveau de la représentation. Il y a un immense défi posé au mouvement syndical, à la CSN en particulier, qui consiste à se rendre disponible et accessible pour les nouveaux secteurs, le secteur des services, mais aussi pour ce nouveau monde du travail composé des travailleuses et des travailleurs autonomes.

Un deuxième défi colossal, un défi auquel nous nous sommes attaqués depuis maintenant une quinzaine d’années, est la réorganisation de nos propres ressources, en respectant les trois principes de fonctionnement de la CSN, afin de maintenir à son maximum sa capacité de servir les 2 200 syndicats et les quelque 245 000 membres.

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Le troisième défi, c’est celui de la résistance à la bureaucratisation, accompagnée du maintien d’une perméabilité à toutes les formes de militantisme. Résistance également à l’infantilisme des analyses et des propositions, ce que nous avons parfois connu dans notre mouvement.

Les défis syndicaux

La CSN fait partie du mouvement syndical québécois, canadien, international ; de 1924 à 1964, elle a été à l’initiative et à l’offensive dans la formalisation des droits des travailleuses et des travailleurs. La bataille de fond demeure celle qui, depuis l’introduction de la Charte canadienne, voit les droits collectifs et sociaux s’éroder au profit des droits individuels, identifiés aux droits de propriété. Le Rapport Mireault, commandé par le ministre du Travail, sera certainement un des tests de cette bataille que nous avons à mener pour que les droits fondamentaux d’organisation ou d’association, d’affiliation, de négociation et de grève soient respectés scrupuleusement et ne soient pas travestis dans des mécanismes qui, sous couvert de syndicalisme, voudraient nous ramener à une pratique de « business ».

Un deuxième défi syndical réside certainement dans cette nouvelle exigence imposée à nos organisations d’avoir des approches sectorielles, verticales et globales. Bien sûr, nous sommes dans des processus de mondialisation. Mais syndicalement cependant, nous sommes maintenant obligés, et ce sont des exigences qui nous viennent des syndicats, d’être capables d’être informés de l’ensemble des évolutions dans un secteur pour en saisir les développements, d’être en mesure de formuler des revendications et de développer l’action pour, non seulement nous acquitter de nos responsabilités au chapitre de l’emploi et des conditions de travail, mais pour être là demain, le mois prochain et l’année prochaine.

Il s’agit donc d’une approche plus large qui nous engage dans une course à l’information, une course à l’expertise. Voilà un défi que nous assumons peut-être plus facilement à la CSN parce que nous y sommes engagés depuis bon nombre d’années, celui de savoir développer une expertise sur un ensemble de questions touchant la société.

Un troisième défi syndical demeure celui de ne jamais perdre de vue la défense des intérêts concrets des femmes et des hommes qui sont membres de la CSN, qui cotisent à la CSN et qui nourrissent des objectifs précis par rapport à cette organisation. Quand nous politisons notre action, il faut qu’en retour cette politisation soit constamment vécue comme une nécessité pour la défense et l’amélioration de la condition concrète des personnes qui composent ce mouvement.

Un quatrième enjeu syndical demeure la nécessaire convergence syndicale. Une des caractéristiques du mouvement syndical québécois est son pluralisme. [323] C’est une force qui nous a permis de réunir l’ensemble des sensibilités vécues par la classe ouvrière. Par contre, ce pluralisme ne va pas sans une certaine compétition. Mais les avantages du pluralisme ne devraient pas être neutralisés parce qu’il y a de la compétition. Or, en ces matières, il me semble qu’il nous faut trouver la manière d’assumer totalement notre originalité et, à ce chapitre, je pense que nous devrons réaffirmer certaines caractéristiques fondamentales de cette organisation. Ce qui ne doit surtout pas, cependant, nous empêcher de multiplier les occasions de convergence, de sorte que le rapport de forces global puisse être à son maximum, selon les exigences des conjonctures.

Un dernier défi syndical demeure le maintien, dans l’ensemble de notre pratique syndicale, d’une dimension sociale que j’appelle une dimension normative. La CSN a la réputation de démarrer des combats qui peuvent sembler improductifs au début mais qui, à moyen terme, produisent non seulement des effets syndicaux en termes d’amélioration des conditions de travail, mais aussi des effets sociaux en termes de modification ou d’élaboration de nouvelles législations. Pensons, par exemple, à la politique de la petite enfance, qui vient tout juste de s’organiser, mais qui a été précédée par toute une série de pratiques sociales et syndicales, que ce soit au chapitre de l’équité salariale, que ce soit au chapitre des politiques de maternité ou des congés parentaux. La capacité qu’a ce mouvement d’entreprendre des batailles sur des terrains qui ne sont pas proprement liés aux conditions économiques ou de travail, mais qui contribuent à l’amélioration de la condition sociale, cette capacité doit toujours demeurer. Le courage d’entreprendre ces combats doit toujours exister.

Les défis sociaux

Mon troisième bloc touche les défis sociaux. On en a parlé beaucoup, de mille et une manières. Mais la priorité des priorités demeure, en 1997, certainement, celle identifiée par le Congrès spécial de 1985 : l’emploi. Ce qui ne dispense pas de garder en perspective le phénomène du développement de l’exclusion dans nos sociétés, ce qui est non seulement un drame humain mais aussi un drame économique, un drame social.

Le rôle de l’État, la place de l’État, sa capacité d’agir demeurent aussi une préoccupation constante. J’avoue avoir trouvé fort intéressantes les mutations idéologiques de plusieurs militants à ce chapitre depuis Ne comptons que sur nos propres moyens suivi de la vague marxiste-léniniste de la fin des années 1970 ... Un certain virage en amène maintenant plusieurs à se montrer très réticents par rapport à d’autres formes d’initiatives qui peuvent se traduire par une démocratisation de l’économie, avec l’économie sociale ou l’économie solidaire, par exemple. Cela, estime-t-on, risquerait de dépouiller l’État de ses responsabilités. Je rappelle qu’en 1985 cette question avait d’ailleurs fait l’objet du plus long débat au Congrès de la CSN, soit le fait de se porter à la défense de notre outillage collectif. Aujourd’hui, c’est encore plus vrai qu’hier [324] puisque nous sommes en face de décideurs politiques qui veulent non seulement réduire, mais aussi détruire systématiquement bon nombre d’instruments qui font partie de notre patrimoine collectif.

La CSN, depuis quelques années, s’est largement inscrite dans tous les mouvements de décentralisation et de régionalisation pour favoriser un redéploiement de l’ensemble de nos instruments collectifs. En même temps, nous avons favorisé la débureaucratisation de l’ensemble des dispositifs de l’État pour en favoriser la démocratisation. Il s’agit en effet, en bout de ligne, de transformer les rapports entre ceux qui rendent les services publics à la clientèle pour éviter que l’ensemble des dispositifs n’en soient réduits à appliquer des normes, alors que la finalité de ces mêmes services est d’atteindre des résultats. La débureaucratisation mise sur la responsabilisation des salarié-es de l’État et nous engage, en conséquence, dans des réorganisations du travail majeures. Ce n’est pas le cas dans le secteur de l’enseignement ; cela y a été fait depuis une bonne vingtaine d’années. Ce n’est pas le cas non plus dans le secteur des médias écrits ; cela y a été fait depuis bon nombre d’années. Mais le contrôle sur son propre travail, dans les services publics et dans les services privés, plus particulièrement peut-être dans les services publics, représente encore un défi colossal.

Miser sur les gens

Le dernier enjeu, à mon avis, consiste à miser sur l’intelligence de nos membres et de la population. Je suis toujours étonné — et j’ose dire qu’il y a là une certaine forme de mépris —- de ce que, dans notre mouvement, on fasse des mises en garde parce que ceci est dangereux, parce que cela pourrait nous conduire trop loin. Pour moi, cela représente une espèce de négation de l’intelligence des travailleuses et des travailleurs, de leur capacité de faire les bons choix, de trouver les bons règlements dans les conjonctures qu’ils vivent concrètement.

Miser sur l’intelligence, c’est miser aussi sur la formation, d’où la nécessité sans cesse renouvelée de travailler au développement d’une véritable formation professionnelle, d’une véritable formation continue, de véritables investissements dans l’ensemble des réseaux d’éducation, dans la recherche et le développement. La réorganisation du travail dans l’ensemble des lieux de travail ne se réalisera que dans la mesure où on fera tout l’espace nécessaire à ce que les gens puissent s’assumer dans leurs responsabilités en tant que travailleuses et travailleurs dans les services publics.

Je termine en souhaitant que la nostalgie ou l’exaspération ne tiennent pas lieu de cadre d’analyse. Je pense que l’exercice de ce colloque nous a précisément permis de reconnaître, dans notre propre histoire, le développement de plusieurs points de repère ou d’ancrage qui nous indiquent l’obligation, aujourd’hui, de procéder avec autant de rigueur à l’analyse des situations [325] concrètes, à l’analyse des mutations structurelles et à l’identification des moyens d’assumer notre mandat. Il s’agit d’améliorer au quotidien - pas dans vingt ans, pas dans trente ans - la condition concrète des travailleuses et des travailleurs de la CSN. Et, en ce sens, je pense qu’on peut résumer notre mandat de la façon suivante : notre première responsabilité, c’est effectivement de créer l’espoir qu’on peut changer les choses. La deuxième, c’est d’être suffisamment équipés, d’être suffisamment organisés, d’avoir suffisamment de ressources pour le réaliser, cet espoir.

Je voudrais adresser des remerciements sincères à toutes celles et à tous ceux qui nous ont précédés et qui nous ont indiqué la voie pour créer l’espoir et pour le réaliser. Je remercie les personnes ici présentes d’en avoir témoigné.

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Gérald Larose

Gérald Larose est président de la CSN depuis septembre 1983. Il a participé en 1990 et 1991 à la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec. Il siège présentement au Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre, à la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre ainsi qu’à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il fait également partie du comité de parrainage du Forum pour l’emploi et représente la CSN au Mouvement Québec Français (MQF). Monsieur Larose a été nommé « Patriote de l’année 1996 » par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 16 juin 2024 0:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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