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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les référents culturels à Port-au-Prince.
Étude des mentalités face aux réalités économiques, sociales et politiques
. (1997)
Table des matières


Une édition électronique réalisée à partir du livre de François Houtart et Anselme Remy, Les référents culturels à Port-au-Prince. Étude des mentalités face aux réalités économiques, sociales et politiques. Port-au-Prince, Haïti: une publication du CRESFED, Centre de recherche et de formation économique et sociale pour le développement 1997, 92 pp. Une édition réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, Licencié en sociologie de la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée par la directrice du CRESFED, Madame Suzie Castor, le 11 juillet 2019, de diffuser ce mémoire, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Les référents culturels à Port-au-Prince.
Étude des mentalités face aux réalités
économiques, sociales et politiques

Introduction

I. La question des référents culturels

Dès que l’on se trouve confronté avec une action à mener dans le champ social, culturel, politique ou religieux, la question des référents culturels revêt une grande importance. En effet, tout rapport social repose à la fois sur l’exercice d’un pouvoir économique, politique ou symbolique, sur la lecture que l’on en fait dans la population et sur le consensus qui le légitime. Les deux derniers éléments qui appartiennent aux référents culturels jouent un rôle central dans l’orientation des pratiques des acteurs sociaux. Or, ils sont généralement assez différents selon les groupes sociaux (classes sociales, groupes ethniques, etc.).

Les référents culturels sont l’ensemble des représentations que les êtres humains se font dans la pensée de leurs rapports à la nature et de leurs rapports entre eux. Certains, par exemple, se représentent dans l’esprit les rapports à la nature comme une relation avec des êtres supérieurs qui ont un pouvoir sur la nature. Il s’agit alors de se concilier les faveurs de ces derniers par des actes rituels, soit pour se protéger, soit pour obtenir de bonnes récoltes ou une bonne santé. D’autres, au contraire, auront recours à des moyens techniques en fonction d’une représentation scientifique du fonctionnement des mécanismes naturels. Sur le plan social, on peut naturaliser les rapports entre groupes sociaux, en se les représentant comme le fruit de la volonté divine ou d’un ordre naturel ou l’on peut aussi les considérer comme des constructions sociales.

On peut donc dire que les êtres humains construisent dans l’esprit comme un deuxième niveau de réalité, qui leur permet à la fois de réfléchir sur le réel naturel et social, de l’évaluer sur un plan éthique (ce qui doit être et ce qui ne peut pas être), mais aussi d’envisager un avenir qui serait autre, en d’autres mots d’inventer ou d’innover. Mais il est un fait que tous les groupes humains n’ont pas les mêmes représentations ni du rapport à la nature, ni des rapports sociaux entre groupes vivant à l’intérieur des sociétés particulières ou à l’extérieur. Ils sont donc influencés par leur environnement naturel et social. C’est pourquoi, ce qui paraît évident aux uns ne l’est pas du tout pour les autres ou encore que la vision de la société peut être très différente selon le lieu où l’on se situe dans l’échelle de ces rapports.

Il faut ajouter à ces considérations que les référents culturels se construisent sur un double axe du temps et de l’espace. Ainsi, les sociétés traditionnelles auront tendance à privilégier la dimension espace : les divinités en haut, les hommes en bas, avec un temps cyclique, basé généralement sur les saisons qui rythment la vie économique des peuples vivant surtout de l’agriculture. Par contre, dans les sociétés mercantiles, urbaines, [8] industrielles, la dimension de l’histoire devient plus importante et par le fait même, la conscience que ce sont les êtres humains qui font leur histoire et qu’ils doivent la construire dans l’avenir.

Tout ceci peut paraître des réflexions très théoriques et générales, un passe-temps pour intellectuels en mal d’emploi, mais quand on y regarde d’un peu plus près, comme nous essayerons de le faire dans cette étude, on se rend compte qu’il y va de problèmes très concrets, liés avec la vie quotidienne et sociale, car les référents culturels jouent un rôle moteur dans la pratique des acteurs (c’est-à-dire tous les êtres vivants). C’est ce qu’on appelle la part idéelle du rapport à la nature ou de la construction des rapports sociaux. Alors, toute action qui tente d’établir ou de transformer des rapports à la nature (la production, le développement économique), de même que des rapports sociaux (supprimer les sources économiques des écarts sociaux, encourager la participation populaire, etc.), a tout avantage à mieux connaître les référents culturels des diverses sections de la population.

Sans doute, tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, tous ceux qui prennent des initiatives dans ces divers domaines de l’action économique, sociale, politique, religieuse, ont une certaine connaissance pratique de ces réalités. Sans quoi ils ne pourraient élaborer aucun projet d’action. Mais souvent l’appartenance sociale ou ethnique ou nationale de ceux qui prennent ces initiatives constitue un véritable obstacle à voir la réalité telle qu’elle est. Leur appartenance sociale ou culturelle les empêche de percevoir qu’il y d’autres référents culturels, car ils leur apparaissent comme de telles évidences, que tout le reste à leurs yeux manque de rationalité et doit se plier à leur propre conception. Nous caricaturons un peu, mais pas beaucoup. Qu’il suffise de se référer, pour prendre un exemple au plus haut niveau, à certains discours économiques qui « oublient » la réalité des rapports sociaux inégaux que produit et reproduit l’économie de marché, censée représenter la clé de tout développement humain raisonnable.

On pourrait d’ailleurs multiplier les exemples à tous les niveaux, depuis les projets locaux de développement qui ne prennent pas en compte les référents culturels du monde paysan et ne savent pas suffisamment que ces derniers ne changent pas au même rythme que la pénétration de certaines techniques de production, jusqu’à l’attitude de certains entrepreneurs qui ne jurent qu’en termes de productivité, en passant par les réformateurs religieux qui, désireux de sauvegarder la pureté d’un message, négligent le fait que les milieux populaires construisent eux-mêmes leurs représentations du monde, en rapport avec leur vulnérabilité sociale. Bref on ne change pas les mentalités par décret !

Sans doute, une simple connaissance des référents culturels ne suffit-elle pas à définir des projets de société Ces derniers font évidemment partie des représentations, celles précisément qui orientent les actions que l’on mène, aussi bien dans le rapport à la nature [9] - et les esprits ont changé à cet égard depuis quelques années - que dans la réorientation des rapports sociaux. Or, ces représentations peuvent être bien différentes et même opposées selon le projet de société. Mais plus que les autres, ceux qui tendent à réorienter les comportements et à transformer les structures, se doivent de développer une connaissance réelle des référents culturels, afin d’associer à leur entreprise tous ceux qui sont concernés, non comme objets de leur action, mais comme partenaires et acteurs capables eux aussi de donner des orientations.

Il ne faudrait pas croire trop vite que tout cela soit aisé. Certes le niveau de l’action revêt des aspects multiples, sur lesquels nous n’insisterons pas ici. Mais il en est de même de la connaissance des référents culturels ou si l’on veut des mentalités. Il s’agit en effet d’univers complexes et très différenciés. Nous nous trouvons face à des réalités que la simple énumération statistique n’épuise pas. Il s’agit de problèmes qualitatifs qui exigent donc des méthodes appropriées. Il faut travailler par approches successives et combiner les aspects quantitatifs avec les méthodes qualitatives en sociologie, avec l’anthropologie ou encore les méthodes d’analyses multivariées appliquées aux phénomènes culturels. En d’autres mots, c’est l’accumulation de nombreux travaux qui permettra d’arriver à un résultat satisfaisant. Mais il faut bien commencer un jour.

II. L’étude sur Port-au-Prince

La recherche réalisée sur Port-au-Prince a opté pour un plan méthodologique bien précis. Elle avait pour premier but l’application d’un questionnaire utilisé pour la première fois en Haïti, mais déjà employé au cours de nombreuses recherches dans d’autres pays d’Amérique Latine, d’Afrique, d’Asie et d’Europe. Cela devrait permettre d’en vérifier la pertinence pour la réalité haïtienne et éventuellement de le mettre au point pour des travaux ultérieurs. Le questionnaire était disponible en créole ou en français, selon le choix de la personne interrogée. La deuxième perspective consistait à prendre en considération des groupes sociaux différents, même si, faute de statistiques précises sur leurs caractéristiques et leur proportion dans la zone métropolitaine, il a fallu les déterminer à priori.

Les résultats ne donnent donc pas une précision mathématiquement représentative de la population de Port-au-Prince. Pour cela, il faudrait travailler sur un échantillon choisi au hasard et numériquement établi sur la base des probabilités. Étant donné les objectifs précités nous avons distingué quatre catégories de personnes pour réaliser l’enquête : les travailleurs manuels, les cadres moyens, les professions libérales ou cadres supérieurs et les personnes engagées dans le secteur informel. Ce sont donc des critères d’occupation professionnelle qui ont présidé au choix. Nous y avons ajouté les précisions suivantes : un minimum de 75 cas dans chaque catégorie, la moitié de femmes et d’hommes, des [10]

personnes actives âgées de plus de 18 ans. Le choix des enquêtés s’est fait ensuite au hasard, selon des directives précises. Les questionnaires étaient : soit appliqués par une entrevue orale, soit remis pour être remplis par les intéressés. Ces catégories forment certainement l’essentiel de la composition sociale de la ville de Port-au-Prince et l’on peut estimer que les résultats globaux de l’enquête fournissent des indications valables, tout en tenant compte d’une sur-représentation de la catégorie professions libérales/cadres supérieurs. Mais c’est sur le plan des diverses catégories que les renseignements s’avèrent les plus intéressants. Le total des interviews fut de 300.

On ne peut attendre évidemment d’une première étude qu’elle soit exhaustive. Elle a cependant le mérite de définir des contours qui plus tard pourront être précisés. Pour certains les résultats paraîtront obviés, mais au moins ils auront le mérite d’avoir été vérifiés. Pour d’autres, il s’agira d’une entrée dans des connaissances nouvelles leur permettant de s’ouvrir à d’autres interrogations.

III. Les principales caractéristiques
de la population interrogée


Nous avons déjà indiqué qu’elles avaient été les bases quantitatives prévues par l’enquête. Voyons maintenant quelles ont été les catégories effectivement atteintes, en fonction des trois critères de base qui avaient été retenus : l’occupation, le sexe et l’âge.

1. Répartition par occupation (en % sur un total de 300)

- Ouvriers

11.5

- Employés/cadres moyens

25.1

- Commerçants/artisans

18.6

- Professions libérales/cadres supérieurs

21.0

- Commerçants du secteur informel

13.9

- Étudiants

5.8

- Sans profession

4.7


Les résultats nous ont donc amenés à distinguer 5 catégories plutôt que 4 comme prévu au départ. Les artisans ont été regroupés avec les commerçants, car la plupart vendent leur propre production. La distinction entre commerçants du secteur informel et du secteur formel a été faite sur base du niveau d’enseignement, les derniers étant limités aux personnes sans éducation formelle ou avec un niveau primaire incomplet. Le groupe des professions libérales et cadres supérieurs est sur-représenté par rapport à l’ensemble de la population, car nous désirions avoir suffisamment de personnes dans chaque catégorie, ce qui est important à retenir lors de l’examen des résultats dans leur ensemble. [11] Par ailleurs, il est aussi probable, étant donné les contacts des enquêteurs, que la conscience politique soit plus développée dans l’échantillon que dans l’ensemble de la population.

Il faut souligner des différences significatives dans notre échantillon au niveau des professions : alors que plus de 80% des ouvriers et des personnes de professions libérales et cadres supérieurs sont des hommes, par contre 93% des commerçants de l’informel sont des femmes. Sans doute sans accorder à ces chiffres une valeur représentative, nous pouvons affirmer cependant que cela correspond à des proportions proches de ce que l’on rencontre dans la réalité.

Ajoutons enfin que la structure du lieu de travail est assez logiquement diversifiée selon les professions. En ordre décroissant, ceux qui travaillent à la maison sont les suivants : commerçants/artisans 34.7%, ouvriers 17.9%, commerçants de l’informel 14.6%, employés/cadres moyens 9.4% et professions libérales/cadres supérieurs 5.2%. Dans notre échantillon, 20% des personnes étaient sans emploi, dont 28.6% des ouvriers et 8.2% des professions libérales/cadres supérieurs.

2. Répartition par groupes d’âge

- 18 -25 ans

20.0

- 25 - 40 ans

60.3

- 40 et +

19.7

L’enquête a donc porté surtout sur le groupe des adultes entre 25 et 40 ans qui représentent les éléments les plus actifs dans la société.

3. Répartition par sexe

- Hommes

 58.0

- Femmes

42.0


Les femmes sont sous-représentées, en raison du fait qu’elles sont moins nombreuses dans les catégories dites « actives » dans la population, c’est-à-dire exerçant une occupation économiquement ou socialement reconnue comme telle.

4. Répartition par niveau d’éducation

- Sans éducation

8.7

- Primaire incomplet

17.7

[12]

- Primaire

7.0

- Secondaire incomplet

24.0

- Secondaire

11.7

- Supérieur

 34.7


L’importance relative plus importante des employés/cadres moyens et des professions libérales/cadres supérieurs, pour les raisons données plus haut, influence aussi le niveau d’éducation de l’échantillon. Les analyses qui portent sur chaque catégorie ou celles qui utilisent l’analyse factorielle ne posent pas de problèmes d’interprétation. Il en va autrement si l’on se réfère à des résultats globaux, qui devront tenir compte du caractère de l’échantillon.

Il est important de remarquer que parmi les personnes interrogées, 81% de la catégorie des personnes sans éducation formelle sont des femmes, tandis que 70,2% de celles ayant suivi un cycle supérieur sont des hommes. Même si cela ne signifie pas une base strictement statistique, tout permet de croire que cela correspond dans une grande mesure avec la réalité.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 août 2020 7:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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