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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

e édition électronique réalisée à partir de l'article de Renée HOUDE, “Début d’année et cycle de vie. L’apport d’un grand psychologue : Erik H. Erikson (1902-1994).” Un article publié dans LE DEVOIR, Montréal, édition du vendredi, 3 janvier 2003. [L’auteure nous a accordé, le 25 juin 2021, l’autorisation de diffuser en libre accès à tous ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Renée HOUDE

Ph.D, professeure retraitée,
Département des communications sociale et publique, UQAM.

“Début d’année et cycle de vie.
L’apport d’un grand psychologue :
Erik H. Erikson (1902-1994)
.”

Un article publié dans LE DEVOIR, Montréal, édition du vendredi, 3 janvier 2003.


Ce texte est une version abrégée de l’article «Erik H. Erikson (1902-1994), le psychologue de la générativité», paru dans le dernier numéro de La Revue québécoise de psychologie (vol. 23, no 2 /2002).

En ces premiers jours de l’année qui nous obligent à songer au temps qui passe, je veux souligner l’apport d’Erik Erikson (1902-1994), dont nous avons fêté en 2002 le centième anniversaire de la naissance. Je veux rendre hommage à l’homme qui a élaboré une lecture psychosociologique du cycle de vie et dédicacé son livre Childhood and Society « Aux enfants de nos enfants ». Cette dédicace inscrit l’ouvrage au cœur de l’intergénérationnel : société et culture font dorénavant partie de la constitution de la personne à l’échelle du cycle de vie individuel. Pas d’individu sans famille, pas de famille sans société, pas de société sans culture, pas de culture sans civilisation. Et pas de civilisation sans individu. Avec Erikson, « l’histoire de l’humanité [apparaît] comme gigantesque métabolisme de cycles de vie individuels. » (Enfance et société, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1959, p. 6).

On connaît Erikson comme le théoricien qui a réfléchi sur l’identité. Également comme celui qui a proposé une vue d’ensemble du développement de l’être humain sur tout le cycle de la vie. On connaît moins son influence sur l’intergénérationnel et sur les histoires de vie.

L’architecte de l’identité

Dans l’histoire des idées en psychologie, on aura retenu qu’il est «l’architecte de l’identité», comme le souligne le titre que Lawrence J. Friedman a donné à sa biographie, Identity’s Architect, a Biography of Erik Erikson, publiée chez Scribner en 1999. Sa théorie sur les huit âges de l’homme est sans doute ce qui, dans l’ensemble de sa pensée, est le plus souvent enseigné (quoique passablement ignoré par les jeunes générations). En 1950, Erikson présente les huit stades du cycle vital humain dans un chapitre de l’ouvrage Enfance et société.

Après Carl Jung et Charlotte Bühler, il est parmi les premiers à décrire des stades de la vie adulte, ne faisant pas s’achever le développement de la personne à la fin de l’adolescence.

Erikson illustre les enjeux de développement de la personne à travers huit stades psychosociaux, depuis la naissance jusqu’à la mort, décrits par une tension focale entre deux opposés. Si, en vertu du modèle, ces enjeux apparaissent selon une séquence, ils sont à l’œuvre de façon dynamique et systémique. À chaque stade correspond une vertu qui représente une force psychosociale de l’ego, sorte d’attribut humain tributaire du travail des civilisations, soit l’espoir, la volonté, l’autodétermination, la compétence, la fidélité, l’amour, la sollicitude et enfin l’intégrité.

Chacun de ces apprentissages s’accomplit à l’intérieur des relations interpersonnelles au sein desquelles la personne évolue, ce que Erikson nomme le radius des relations significatives.

Erikson explicite chacun des stades. Ainsi, la tension entre faire confiance et éprouver de la méfiance émerge dès la première enfance et peut déboucher sur l’apprentissage de l’espoir (premier stade) : «J’ai appelé ce premier trésor la confiance fondamentale»; c’est là le premier trait psychosocial et il sert de fondement à tous les autres. La confiance fondamentale dans la mutualité de l’échange est cet «optimisme» originel, cette conviction que «quelqu’un est là»; sans cet optimisme et cette conviction nous ne saurions vivre.

Lorsque cette confiance fondamentale ne peut pas se développer dans la première enfance, en raison d’un défaut soit de l’enfant lui-même, soit de l’assistance maternelle, l’enfant meurt mentalement; il ne répond pas, et il n’apprend pas; il n’assimile pas ce dont on le nourrit; il ne parvient pas à se défendre contre l’infection; et souvent il meurt physiquement autant que moralement.

On peut donc soutenir que cette rencontre initiale d’un sujet qui perçoit et d’un objet perçu est le point de départ de tout sens de l’identité. (Luther avant Luther, psychanalyse et histoire, Flammarion, Paris, 1968, p. 137).

Le deuxième stade (autonomie versus doute) ouvre sur la volonté comprise comme « […] la ferme détermination d’exercer librement son choix aussi bien que le contrôle de soi-même, en dépit de l’inévitable expérience infantile de la honte et du doute » (Éthique et psychanalyse, Flammarion, Paris, 1971, p. 122 et ss.).

Au troisième stade (initiative versus culpabilité), la résolution ou l’autodétermination « […] n’est autre que le courage d’envisager et de poursuivre des objectifs valables sans se laisser inhiber par la faillite des fantasmes infantiles, par la culpabilité ou par la crainte paralysante de la punition » (ibidem).

Le stade quatrième, travail versus infériorité, débouche sur la compétence, c’est-à-dire « le libre exercice de la dextérité et de l’intelligence dans l’exécution des tâches — sans qu’intervienne aucune inhibition par un sentiment infantile d’infériorité » (ibid.). Le cinquième stade, identité versus confusion de rôle, permet de développer la fidélité, « l’aptitude à maintenir la loyauté librement promise en dépit des inévitables contradictions des systèmes de valeurs » (ibid.).

Les trois derniers stades portent nommément sur la vie adulte. Le sixième, intimité versus distanciation, ouvre sur la capacité d’aimer vue comme « la mutualité de la dévotion » (ibid.). Le septième, générativité versus stagnation, concerne le souci des générations suivantes (ibid.) et ouvre sur la sollicitude; ainsi la générativité se trouve au fondement de l’intergénérationnel. Enfin, la tension entre l’intégrité et le désespoir (huitième stade), prépondérante en fin de vie, ouvre sur la sagesse définie comme « une sorte d’intérêt détaché pour la vie en tant que telle, face à la mort en tant que telle. »

Pour Erikson, le processus de la formation de l’identité, enraciné dans les changements concomitants du corps, de la psyché et de l’ethos (culture et société), se situe au croisement de l’individu et de sa communauté. La relativité psychosociale s’impose : impossible de saisir le développement d’une personne sans comprendre le contexte culturel et historique, personnel et social, du déroulement de sa vie. Semblables aux fils de couleurs qui composent la tapisserie qu’est une vie, les enjeux peuvent dès lors devenir des filons qui permettent de saisir notre histoire de vie et celle des autres.

Le développement de la personne « ordinaire »

La postérité reconnaît Erikson comme étant l’un des premiers psychologues qui tentent de nommer le développement de l’être humain… faudrait-il dire «ordinaire» ? Non, puisque Erikson s’intéresse aussi à l’évolution des vies extraordinaires comme celle de Martin Luther, de Gandhi, de William James, de Georges Bernard Shaw et de Sigmund Freud. Faudrait-il dire «normal» ? Pas davantage, car ses analyses portent sur la totalité de l’expérience humaine.

Il a décrit « une sorte d’itinéraire des étapes du moi » (Enfance et société, p. 29) et mis de l’avant le concept de crise développementale, donnant de la crise une notion qui « n’évoque plus l’idée d’une catastrophe imminente », mais qui est « synonyme de tournant nécessaire ».

Rendons à César ce qui revient à César. La conception que la vie humaine implique des crises de développement vues comme des occasions de maturation psychosociale revient à Erikson. On peut parler des différentes naissances de la vie adulte, on peut parler des transformations de la vie humaine à travers des phases, parce qu’Erikson a fait passer dans la culture psychologique cette conception positive et féconde de la crise développementale.

Ce faisant, il rompt partiellement avec la tradition freudienne :

  • les forces de l’ego sont tout aussi importantes que les mécanismes de défense;

  • l’expression de la totalité de la vie devient plus centrale que la suprématie de l’inconscient;

  • l’identité — plutôt que la pulsion ou la sexualité — devient la matrice du changement;

  • l’identité passe par l’actualisation mutuelle des personnes au cours d’un cycle de vie intergénérationnel;

  • la générativité s’entremêle à l’identité à l’échelle de la civilisation.

Sa vision du développement est féconde parce qu’elle souligne les forces positives de l’ego et communique une vision dynamique du changement. Comme clinicien, Erikson mise sur les ressources de la personne, mais ne néglige pas pour autant le rôle du conflit dans l’aventure développementale. Certes Erikson a contribué à déloger la psychologie de l’originologie — pour reprendre son néologisme : désormais le développement de la personne ne s’explique plus seulement par son enfance. Il a également contribué à contrer l’hégémonie de l’inconscient, remettant ce dernier à une place bien légitime dans l’ensemble plus large des forces impliquées : soma, psyché, ethos.

Enfin, Erikson a imposé la nécessité d’un point de vue psychosocial et a insisté sur l’influence de la famille et de la société, à travers les relations interpersonnelles et la culture, soulevant des considérations éthiques encore actuelles.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 9 décembre 2021 7:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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